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  • Habermas et l’hypothèque idéologique allemande

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Gérard Dussouy, cueilli sur Polémia  et consacré à l'influence néfaste de la pensée du philosophe Jürgen Habermas sur la politique allemande. Professeur émérite à l'Université de Bordeaux, Gérard Dussouy est l'auteur de plusieurs essais, dont Les théories de la mondialité (L'Harmattan, 2011) et Contre l'Europe de Bruxelles - Fonder un Etat européen (Tatamis, 2013).

     

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    Habermas et l’hypothèque idéologique allemande

    Angela Merkel prend sa retraite et il est probable que le SPD va remporter les législatives ou fédérales du 26 septembre 2021. Que le résultat soit celui-là ou qu’il soit autre, cela ne changera pas grand-chose. En effet, l’Allemagne est depuis plus de cinquante ans recouverte par la même chape idéologique qui l’inhibe sur le plan politique et qui, du même coup conditionne l’action politique de l’Union européenne. Cette idéologie qui explique, quels que soient les partis ou les coalitions au pouvoir, que sa politique extérieure demeure fixe, c’est-à-dire systématiquement alignée sur les États-Unis, et qu’elle se fasse le porte-drapeau de tous les desiderata onusiens. Elle explique aussi pourquoi, bien que l’Allemagne soit la puissance industrielle et financière qu’elle est, elle ne fait guère entendre sa voix sur la scène internationale, et surtout pourquoi elle ne l’élève jamais quand il s’agit de revendiquer une émancipation de l’Europe.

    Bien entendu, pour comprendre cette apathie, il faut compter avec le statut international de l’Allemagne depuis 1945 qui est celui d’une « souveraineté limitée », comme on le disait des Démocraties Populaires à l’époque de l’Union soviétique, ou si l’on préfère « surveillée ». Cependant, comme l’a dénoncé le philosophe Peter Sloterdijk il y a quelques années déjà, le consensus idéologique allemand, tel qu’il a été imposé, vient principalement de ce que « dans les années 1970 lorsque Habermas a pris le pouvoir, […] l’anti-nietzschéisme de la Théorie critique, de l’École de Francfort, est devenu la tonalité dominante en Allemagne. La Théorie critique […] montant une espèce de « garde sur le Rhin », elle a tout fait pour minimaliser la pensée française en Allemagne qu’il s’agisse de gens comme Deleuze, comme Foucault ou d’autres »[1]. A tel point que, selon Sloterdijk, la philosophie désormais dominante en Allemagne est devenue productrice d’une « hypermorale » (selon le concept d’Arnold Gelhen) qui s’oppose à toute pensée critique, et qui exerce son interdit sur toute orientation politique non conforme avec le statuquo établit.

    Il faut savoir que la majeure partie de l’œuvre de Jurgen Habermas est consacrée à la récusation du paradigme de la domination présent dans presque tous les courants de la philosophie politique. Dans l’étude qu’il a consacrée à ce philosophe, Arnauld Leclerc en arrive à la conclusion suivante :  « premièrement, contre Arendt, Habermas fait valoir l’impossibilité de penser le pouvoir en excluant la domination ; deuxièmement, contre Hobbes, Schmitt et Weber, Habermas fait valoir l’impossibilité de réduire le pouvoir à la domination qui peut, certes, être rationalisée, mais jamais être légitime ; troisièmement, contre les théories critiques de la domination, allant de Marx à  Bourdieu, en passant par l’École de Francfort et Foucault, Habermas fait valoir l’impossibilité absolue de faire de la domination un paradigme de la théorie politique »[2]. C’est à ce titre qu’il prône le passage à l’ère postnationale, qui fait des Allemands des citoyens du monde et non plus un peuple en soi, et qu’il veut voir dans la mondialisation un « horizon sans domination » par suite de l’homogénéisation des hommes. Il faut dire que ce nouvel état des choses a plutôt été facilement accepté par les Allemands, sachant que leur économie, remarquablement spécialisée, a profité à plein de la mondialisation.

    Afin de dissoudre l’ethnocentrisme inhérent à chaque individu et à chaque peuple, Habermas entendait faire appel à la « raison communicationnelle » qu’il interprète, note le philosophe pragmatiste américain Richard Rorty, « comme l’intériorisation de normes sociales, plutôt que comme une composante du « moi humain ». Habermas entend « fonder » les institutions démocratiques ainsi que Kant espérait le faire ; mais il ambitionne de faire mieux en invoquant, à la place du « respect de la dignité humaine » une notion de « communication exempte de domination », sous l’égide de laquelle la société doit devenir plus cosmopolite et démocratique »[3]. L’objectif de Jurgen Habermas est que l’action communicationnelle, couplée à une sphère publique bien structurée, puisse conduire l’homme à se débarrasser de son identité nationale, romantique, et autoriser l’humanité à s’unir dans une paix perpétuelle en dépassant les souverainetés et en écartant ainsi toute velléité de conflit[4].

    Dans les faits, le triomphe d’Habermas et l’adoption de ses idées par les milieux officiels (tel celui de l’éducation) ont abouti à l’hégémonie communicationnelle et idéologique de son camp en Allemagne, avec l’aval de ses « alliés » satisfaits de la passivité politique induite, plutôt qu’à un dialogue digne de ce nom. A la suite du contrôle de l’information, des médias et des différents processus de socialisation, a été possible le formatage de la représentation collective, jusqu’à changer radicalement la culture politique de la nation allemande. Analysant le programme de rééducation politique et historique dont ont été gratifiés les Allemands, mais aussi les Japonais, Thomas U. Berger n’hésite pas à écrire « qu’ils furent bombardés par une propagande antimilitaire qui fut au moins aussi violente que la propagande de la période de la guerre qui l’avait précédée »[5].

    L’ankylose idéologique dont souffrent les partis politiques allemands explique notamment le peu d’entrain de l’Allemagne à suivre Emmanuel Macron quand il parle de « souveraineté européenne » et qu’il propose des avancées en matière de défense communautaire ou d’armée européenne. Le président français, adepte lui-même des thèses d’Habermas qu’il est allé visiter au début de son quinquennat, aurait pourtant dû s’y attendre.

    Or, le dilemme est d’autant plus difficile à résoudre que dans le même temps plusieurs pays partenaires de l’Allemagne, notamment ceux du sud de l’Union européenne dont la France,  demeurent tributaires d’elle dans la mesure où elle leur sert de « parapluie monétaire » ; et qu’en cas de désaccord profond ou de séparation, c’est la banqueroute qui les menace. Il faudra donc attendre que des événements exceptionnels se produisent pour que l’hypothèque idéologique allemande soit levée.

    Gérard Dussouy (Polémia, 19 septembre 2021)

     

    Notes :

    [1] Sloterdijk Peter, Le Magazine Littéraire, entretien, n°406, février 2002, p.34.
    [2] A. Leclerc, « La domination dans l’œuvre de Jürgen Habermas. Essai sur la relativisation d’une catégorie », Politeia, N°1 Politique et domination à l’épreuve du questionnement philosophique, Novembre 1997, p. 53-85.
    [3] R. Rorty, Contingence, ironie et solidarité, Paris, Armand Colin, 1993, p. 205.
    [4] J. Habermas, La paix perpétuelle. Le bicentenaire d’une paix kantienne, Paris, Le Cerf, 1996.
    [5] T. U. Berger, « Norms, Identity and National Security in Germany and Japan », Peter J. Katzenstein, The Culture of National Security, New York, Columbia University Press, 1996, p. 317-356.

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  • Droite/gauche : c'est fini !...

    Le nouveau numéro de la revue Eléments (n°164, janvier - février 2017) est disponible en kiosque à compter de ce jour, 21 janvier 2017.

    A côté du grand entretien avec Marcel Gauchet et du dossier consacré à la fin du clivage droite/gauche,  on trouvera les rubriques «Cartouches», «Le combat des idées» et «Panorama» et les jeunes plumes talentueuses qui font le succès, mérité, de la nouvelle formule de notre revue préférée.

    Bonne lecture !

    Vous pouvez commander ce numéro ou vous abonner sur le site de la revue : http://www.revue-elements.com.

     

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    Au sommaire de ce numéro :

     

    L'éditorial d'Alain de Benoist : Deux dynamiques et une question

    Forum          

    L’entretien

    Marcel Gauchet sans tabous

    Cartouches

    Le regard d’Olivier François : L’AF et ses dissidents

    Une fin du monde sans importance par Xavier Eman

    Cinéma : Un coup de tonnerre (de Brest) pour rien

    Champs de bataille : La dernière charge des cuirassés

    Musique : Grand Blanc, avis de tempête

    Sciences

    Le combat des idées

    Les nouvelles têtes à claques du libéralisme

    Éric Brunet, le Père Ubu du libéralisme

    Guy Verhofstadt, alias « Baby Thatcher »

    La France buissonnière de Sylvain Tesson

    Vivre et penser comme des loups

    Littérature : entretien avec Louis Jeanne

    La leçon de Gabriel Matzneff

    Tintin : retour au pays des Soviets

    Or noir : la guerre du Chaco

    À la redécouverte de Thomas Sankara

    Entretien avec Ludovic Maubreuil

    Après nous le déluge ? La réponse de Sloterdijk           

     

    Dossier

    Droite-gauche, c’est fini !

    Fiction : Le Pen-Mélenchon au second tour ?

    L’obsolescence programmée du clivage droite-gauche

    Droite + gauche, et vice versa

    Le moment populiste

    Permanence du clivage droite-gauche

    Pourquoi les vrais socialistes font la guerre à la gauche

    Entretien avec Charles Robin

    Rencontre avec Bernard Langlois

     

    Panorama

    L’œil de Slobodan Despot

    Série télé : Black Sails

    Philosophie : L’esprit dépend-il de la matière ?

    L’esprit des lieux : Venise

    C’était dans Éléments : Pourquoi le terrorisme ?

    Éphémérides

     

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  • Après nous le déluge...

    Les éditions Payot viennent de publier le nouvel essai de Peter Sloterdijk intitulé Après nous le déluge. Grande figure de la philosophie contemporaine, Peter Sloterdijk est notamment l'auteur de Règles pour le parc humain (1999), de la trilogie Sphères et de Des lignes et des jours (Maren Sell, 2014).

     

     

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    " Notre société est incapable d’assurer et d’assumer la transmission du savoir et de l’expérience depuis qu’elle a fait de la rupture le moteur de la modernité. Refuser tout héritage, faire table rase du passé, mépriser les modèles et les filiations, rompre systématiquement avec le père : ce geste « moderne », qui nous englue dans le présent, mène aux pires catastrophes, humaines, politiques, économiques. Contre le culte de l’ici-et-maintenant, et pour sortir du malaise dans notre civilisation occidentale, Peter Sloterdijk propose une relecture vertigineuse de notre histoire et nous exhorte à nous réinscrire dans la durée. Telle est la leçon de ce livre, sans nul doute un essai magistral sur l’art de maîtriser sa liberté. "

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  • Les Anciens dans la pensée politique contemporaine

    Les presses de l'université Laval au Québec ont publié au premier semestre 2010 un ouvrage collectif dirigé par Martin Breaugh et Yves Couture  et intitulé Les anciens dans la pensée politique contemporaine. Ce livre rend bien compte de l'influence que continue à avoir les auteurs de l'Antiquité gréco-romaine chez les penseurs actuel du politique, notamment lorsqu'il s'agit d'interroger les idées de progrès et d'histoire linéaire.

    Il est possible de consulter l'introduction ici

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    "De Machiavel à Nietzsche, la référence à l’Antiquité n’a cessé d’accompagner la pensée politique occidentale. Mais qu’en est-il aujourd’hui ? À ne considérer que certains courants dominants, on pourrait conclure à un désintérêt croissant pour le monde classique. Un regard élargi dément pourtant cette impression initiale. Comment ne pas voir en effet que parmi les principaux penseurs ­politiques contemporains, un nombre remarquable continue d’entretenir un dialogue décisif avec les mondes grec ou romain ? On pense d’emblée à Strauss, Foucault, Castoriadis, Taylor, Sloterdijk, Nussbaum ou Rancière. Cette interrogation des Anciens est liée aux enjeux centraux de la philosophie, des sciences sociales ou même de l’action politique actuelles : l’analyse critique de la modernité, les rapports complexes entre la théorie et la pratique, l’articulation de l’idéal d’autonomie avec l’inscription politique et communautaire de l’individu, ou encore l’interaction des principes démocratiques avec les modèles d’excellence légués par l’héritage philosophique et moral de l’Occident.

    Cet ouvrage vise d’abord à faire voir la diversité des enjeux que l’examen du rapport aux Anciens permet d’éclairer d’une manière toute particulière. Mais nous voulons aussi faire ressortir la pluralité des perspectives aussi bien théoriques que normatives qui orientent les usages actuels des Anciens. Sur chaque auteur ou chaque thème traité, on trouvera ici l’éclairage de spécialistes reconnus témoignant d’un aspect central de leur propre démarche. L’ensemble se veut donc plus qu’une contribution à l’histoire des idées. À travers le dialogue avec les Anciens, c’est à une réflexion renouvelée sur la modernité que nous convions le lecteur." 



    Avec des textes de Charles Blattberg, Martin Breaugh, Marc Chevrier, Jean-Pierre Couture, Yves Couture, Francis Dupuis-Déri, Bernard Gagnon, Dalie Giroux, Donald Iperciel, Gilles Labelle, Annie Larivée, Georges Leroux, Marie-Blanche Tahon, Daniel Tanguay, Stéphane Vibert.

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