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  • «L’homme occidental a oublié que le risque fait intégralement partie de la vie»...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Patrice Franceschi au Figaro Vox et consacré à l'aversion morbide de notre société pour le risque. Écrivain et aventurier engagé, Patrice Franceschi a publié de nombreux récits et témoignages et quelques essais, dont Éthique du samouraï moderne (Grasset, 2019) et dernièrement, avec Andrea Marcolongo et Loïc Finaz, Le goût du risque (Grasset, 2023). 

     

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    Patrice Franceschi: «L’homme occidental a oublié que le risque fait intégralement partie de la vie»

    LE FIGARO. – Du XIXe siècle jusqu'au siècle dernier, le risque est valorisé, lié au développement du progrès. Après la première grande catastrophe ferroviaire en France en 1842, Lamartine s'exclame à la Chambre : «La civilisation a aussi ses champs de bataille : il faut que des hommes y tombent pour faire avancer les autres.» Aujourd'hui, à l'inverse, nous avons perdu le goût du risque. Comment s'est produit ce renversement ? Comment se manifeste-t-il aujourd'hui ?

    Patrice FRANCESCHI. Ce qu'il importe de comprendre en premier lieu, c'est que l'aversion au risque est devenue l'une des maladies centrales de l'Occident et que cette aversion est une clef d'explication de tout ce qui «décompose» aujourd'hui notre société. C'est sous ce prisme précis que nous avons écrit Le goût du risque, Andréa Marcolongo, Loïc Finaz et moi-même. Et c'est son originalité.

    En moins d'un siècle, l'homme occidental est tombé dans un grand oubli : celui du lien consubstantiel entre le risque et la vie. Il ne sait plus – ou ne veut plus savoir – que le risque fait intégralement partie de la vie. Il lui est même si intimement lié que le «contrat de départ» de nos existences individuelles n'a pas changé depuis l'aube de l'humanité : nous naissons pour mourir et aucune protection contre le risque n'empêchera cette fin programmée.

    Il faut accepter de voir les choses comme elles sont, et dire ce qu'elles sont. Rien ne peut être entrepris sans prise de risque – et en premier lieu aucune action ou pensée ouvrant des routes nouvelles. Vu sous cet angle, le risque est au fondement de toute nouveauté, de toute révolution. Le basculement vers le refus du risque, dans nos existences quotidiennes comme dans les grands projets collectifs, a eu lieu progressivement. Le confort procuré par la modernité s'est conjugué depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale à un individualisme sans frein doublé d'un narcissisme exacerbé qui nous ont poussé à une quête éperdue de sécurité au détriment de toute liberté si tel est le prix à payer. Cela fait de nous aujourd'hui des peuples effrayés dirigés par des gens effrayés.

    Avant ce grand basculement, la liberté était considérée comme la valeur suprême permettant d'irriguer toutes les autres pour leur donner sens. Et l'on prenait tous les risques pour elle. Désormais, la liberté est une valeur optionnelle.

    Si l'on observe bien les choses, nous devons convenir que l'une des grandes impostures intellectuelles de notre époque est de tout tenter pour nous inculquer la croyance quasi millénariste que le risque pourrait être à jamais banni de nos existences par des lois adéquates, des réglementations strictes, un changement radical de nos comportements quotidiens – ce qui revient à nous faire accepter de force une mutation profonde de notre vision de la vie et du monde, et plus encore, de notre façon de vivre librement. Cette imposture nous a menés peu à peu à la fabrique d'une prison nouvelle. C'est notre société qui l'a édifié elle-même, avec de splendides barreaux dorés... Aucun ennemi extérieur n'a été à l'œuvre. D'une certaine manière, nous avons été à nous-même notre propre ennemi, provoquant par une sorte de contre-volonté inconséquente et perverse, notre asphyxie et notre étouffement progressif. Les hommes libres peinent à respirer.

    On peut ajouter que dans la mesure où notre consentement collectif à cet état de fait ne nous a jamais été demandé, il y a là comme un déni démocratique qu'il faut contester.

    Nos vies sont encadrées par des normes dans leurs moindres détails. Pourquoi y voir un «cauchemar civilisationnel» ? L'essor de l'intelligence artificielle va-t-il en précipiter l'avènement ?

    Nous vivons effectivement cernés par une quantité prodigieuse et jamais vue dans notre civilisation, de normes carcérales, de précautions inutiles ou de formatages infantilisants. Ils sont toujours édictés «pour notre bien» cela va de soi. L'ensemble forme un filet entre les mailles duquel il devient de plus en plus difficile de se faufiler pour demeurer maître et possesseur de son destin.

    Au final, nous vivons perclus de rhumatismes qui ont pour noms : bureaucratisation effrénée, judiciarisation de notre quotidien, surveillance généralisée de nos comportements, robotisation de nos vies, la liste n'est pas exhaustive tant nous vivons sous algorithmes... Cependant, nul n'a décidé un jour, quelque part, d'en arriver là. Pas de Big Brother caché quelque part, tirant les ficelles du jeu de masque de nos existences. Si un tel tyran existait, il serait aisé de se retourner contre lui. Hélas, les choses se sont faites lentement, par les décisions éparpillées d'un nombre indéterminé mais considérable d'acteurs de tous ordres et de tous niveaux. Perversion des tyrannies molles.

    Il va sans dire que les normes en elles-mêmes sont une bonne chose. Qui voudrait voler dans des avions mal conçus où donner à ses enfants des jouets qui les blesseraient faute d'être fabriqués correctement ? Ce qui pose problème, ce n'est pas l'existence de normes mais leur inflation outrancière, au-delà de toute mesure. Dans un souci pathologique de protection à tout prix, nous avons construit des systèmes administratifs qui ne peuvent justifier leur existence que par une production de normes à jets continus dont la somme nous contraint à vivre corseté. La plupart de ces normes sont injustifiées ou largement exagérées, chacun en a conscience mais ne peut rien faire pour s'y opposer. D'une certaine manière, on nous enjoint de consentir à une vie au rabais – au mieux de nous satisfaire de miettes d'existence. C'est le chant de la vie qui est muselé. Toute entreprise un tant soit peu exaltante est tuée dans l'œuf. Or, il faut vivre sans délai tant la fuite du temps est fugace. Aujourd'hui, on interdirait à Christophe Colomb de partir : destination inconnue, retour improbable… Nous en sommes arrivés à un point où les libertés individuelles sont menacées de disparition. Là est le grand péril existentiel de cette affaire.

    L'intelligence artificielle ne va rien arranger tant elle pourra fignoler ce système aussi doucereux que pervers. Dans la mesure où il est indolore, peu de citoyens prennent parti de lui résister. Les autres, même s'ils partagent le constat d'une disparition ontologique de leur être, préfèrent se résigner plutôt que lutter. Le résultat final est une forme de servitude volontaire dont l'ambition se limite à la seule liberté de consommer.

    Selon vous, même notre manière de faire la guerre a été contaminée par notre aversion du risque. Comment cela se traduit-il ?

    En ce qui concerne le fait militaire, tout s'est accéléré avec l'extension du «principe de précaution». À partir du moment où nous avons commis l'inconséquence de l'inscrire dans la Constitution, il ne pouvait que déborder de son cadre initial pour s'emparer de tous les secteurs de la société, armée comprise. C'était une pente juridiquement inéluctable. Ce principe de précaution avait pour souci la protection de la nature pour les générations futures. C'était un excellent principe et il le demeure à jamais. Simplement, sa place n'était pas dans la Constitution mais dans l'action quotidienne des pouvoirs publics.

    Le principe de précaution s'est ainsi fait moloch. Il a accouché d'un certain nombre d'aberrations logiques dont la plus fascinante, intellectuellement, est le concept de «guerre zéro mort». Que la guerre ne tue plus personne – sous-entendu chez nous – est un but aussi louable qu'inatteignable par définition. Donner ce but au soldat, même inconsciemment, le mène mécaniquement à donner le primat de son action non plus au succès de sa mission militaire, mais au retour intact au bercail. Résultat : toutes nos guerres se font «à moitié» et nous les perdons sans exception, d’une manière ou d’une autre.

    Dans ce domaine, ce ne sont pas les soldats eux-mêmes qui sont responsables – la plupart d'entre eux, surtout les jeunes, ne demandent qu'à accomplir leur vocation pour défendre ce qui leur est cher – mais les chefs, notamment politiques, puisque dans nos démocraties le militaire demeure subordonné au politique.

    Vous écrivez que «la sécurité endort les hommes quand la liberté les tient éveillés». Pourquoi opposer sécurité et liberté ?

    Parce que cette opposition est une évidence depuis toujours. L'image d'un vase communiquant entre sécurité et liberté est plus pertinente que jamais : plus vous mettez de sécurité quelque part plus vous enlevez de liberté, et vice versa. Dans Le goût du risque, nous n'affirmons jamais que pour vivre libre il faudrait supprimer le désir de sécurité. Ce serait très sot. Nous disons que c'est le «juste milieu» entre ces deux opposés qui est en cause. Le fléau de la balance s'est déplacé vers le «tout sécurité» au détriment du souci de liberté. Il est impératif de rééquilibrer les choses pour vivre dignement.

    La peur de la mort est un des principaux facteurs d'inhibition face au risque selon vous. La façon dont a été gérée la crise du Covid en est-elle l'illustration ?

    Dans les sociétés occidentales, la mort est devenue un tabou. On la cache, on l'édulcore, on l'euphémise, elle ne nous est plus familière comme aux temps difficiles de jadis. Nous ne l'acceptons plus. C'est une autre des conséquences de nos sociétés de confort et d'individualisme. Ce tabou de la mort s'est mué en totem inattaquable puisque la mort gâche la pleine jouissance d'un consumérisme absolu se voulant modèle de vie.

    Jamais dans notre histoire bimillénaire nous n'avons eu aussi peur de la mort. C'est aussi l'une des raisons pour lesquelles nos armées ont pour premier principe de l'éviter à leurs soldats, quel qu'en soit le prix, c'est-à-dire au détriment de l'efficacité au combat s'il le faut, tant leurs concitoyens, comme leurs chefs politiques, leur reprochent le moindre sang versé. Si nous avions été dans cet état d'esprit au cours de la Seconde Guerre mondiale, il n'y aurait eu ni De Gaulle, ni la France Libre, ni Jean Moulin, ni réseaux de résistants. La liberté, hélas, à un prix souvent élevé. Il faut à nouveau consentir à la mort pour ce qui est plus grand que nous, surtout dans une époque où les orages de l'histoire se rapprochent.

    Aujourd'hui, le soldat mort au combat pour la défense des siens est devenu un problème politique presque insoluble, celui d'une société qui ne supporte plus la disparition de qui que ce soit, pour quelque raison que ce soit. C'est l'air du temps... Notre société a évacué le fait principal de la condition humaine : le tragique contenu dans cette condition. Or, seul le sens du tragique permet de surmonter les épreuves.

    Comme le disaient avec lucidité les philosophes grecs dont la pensée nous a forgés des siècles durant, la crainte de la mort est le début de la servitude. L'injonction de ces penseurs à vivre sans tenir compte de l'effroi provoqué par notre finitude est une leçon que nous devons nous réapproprier. En y ajoutant que la seule chose dont, en vérité, nous devons avoir peur est de mal employer le peu de temps que la vie nous concède avant que le destin nous contraigne à quitter la scène de l'existence. Il faut mesurer la longueur de vie non à l'étalon de la durée, mais à celui de l'intensité.

    La gestion de la crise du Covid a été l'illustration de ce qui vient d'être dit. C'est la peur de la mort qui a dicté nos conduites dans cette épreuve, non la volonté de préserver la liberté et le goût de vivre. Et chacun sait qu'être gouverné par la peur est la pire des politiques que puisse subir un citoyen dans une démocratie acceptable.

    Quels sont les antidotes à la «maladie du risque» ?

    La soif de liberté avant tout. Pouvoir encore dire : vivre libre ou mourir. Et ainsi retrouver l'élan vital du plus puissant principe d'existence qui ait jamais été prononcé en ce bas-monde. Second antidote : l'amour de la vie, puissante et entière.

    En définitive, il faut savoir dire non à ce qui abaisse notre humanité – et être prêt à en payer le prix puisque le plus beau des risques reste la liberté.

    Patrice Franceschi, propos recueillis par Guillaume Daudé (Figaro Vox, 8 décembre 2023)

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  • «Dans un monde aseptisé et ultra-sécurisé, l'homme moderne a fini par perdre toute liberté»...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Julie Girard cueilli sur Figaro Vox et consacré à la perte, chez l'homme d'aujourd'hui, du goût du risque et de la liberté. Julie Girard est doctorante en philosophie à l'Université Paris VIII.

     

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    « Dans un monde aseptisé et ultra-sécurisé, l'homme moderne a fini par perdre toute liberté »

    La vulnérabilité a été le moteur de l'évolution de l'humanité pendant des centaines de milliers d'années. Sans défenses naturelles, l'humain est l'être vivant le plus vulnérable. Pour pallier ses insuffisances, il a développé sa meilleure arme, l'intelligence. Au gré des siècles, il a œuvré à son infaillibilité jusqu'à la confiner dans des programmes informatiques bien plus pérennes que sa boîte crânienne. Ainsi s'est ouverte la voie de l'intelligence artificielle. Ses progrès sont confondants et ses perspectives, infinies. Grâce à elle, des start-up promettent aujourd'hui l'immortalité virtuelle ou, comme l'annonce le slogan de la société DeepBrain AI, «le souvenir sans regret». Se faire consoler par un défunt revitalisé est désormais possible, grâce à sa plateforme dénommée «Re;Memory» qui construit une version numérique des disparus à partir de l'ensemble des données recueillies de leur vivant. On imagine aisément le roi Charles III, sous son épaisse cape d'hermine et auréolé de ses regalia, se recueillir après son couronnement, auprès d'une Elizabeth II reconstituée. «Je crois, Maman, avoir fait, pour une fois, un tabac !» s'enorgueillirait-il, la larme à l'œil. La vanité n'a pas fini de faire pleurer.

    Au XXIe siècle, le souvenir s'émancipe de la douleur car plus rien ne doit perturber nos sens, tant et si bien, qu'à la notion de vulnérabilité siérait davantage celle de vulnérabilisme. La vulnérabilité a, en effet, pris une ampleur considérable dans notre rapport au monde. Le développement du «care» et l'essor des politiques du «prendre soin» le confirment : elle est devenue la pierre angulaire de notre société, une fin plutôt qu'un moyen. Est-ce souhaitable ? Si protéger les plus fragiles est une nécessité, faut-il ériger la vulnérabilité de tout un chacun en matrice de notre pensée ? «Ce qui ne me fait pas mourir me rend plus fort» écrit Nietzsche, en 1888, dans Le Crépuscule des idoles (GF Flammarion, 1985). Cette phrase, devenue l'une des plus célèbres maximes philosophiques, semble cruellement d'actualité alors que nous nous employons à anticiper la moindre de nos fragilités. Nous traitons le corps humain en bonne santé comme un condamné. À ce titre, la médicamentation chronique touche une part croissante de la population. Selon l'hebdomadaire The Economist, 20% des 40 à 79 ans vivants aux États-Unis et au Canada, prendraient cinq prescriptions ou plus par jour.

    Et cela, sans compter les nouveaux partisans de la minceur sans effort, heureux consommateurs de sémaglutide, le principe actif d'Ozempic. Une injection, et puis s'en va. Fini les tracas des régimes fastidieux : adieu la faim et bienvenu dans l'air de la miraculeuse satiété injectée. Et tant pis pour les pancréas qui ne suivraient pas. Déliés, les corps peuvent s'adonner aux plaisirs de la chair en toute impunité. Là encore, le sentiment de sécurité doit primer. Le cumul des traitements préventifs aux infections sexuellement transmissibles (IST) devient une pratique de plus en plus courante, comme l'explique le professeur Éric Caumes, infectiologue et ancien chef de service d'infectiologie de l'hôpital de La Pitié-Salpêtrière. Dans son livre intitulé Sexe, Les nouveaux dangers (Bouquins, 2022), il met en garde contre la promotion tous azimuts de la PrEP, le traitement médicamenteux pris pour prévenir l'infection par le VIH. En effet, le sentiment d'immunité procuré par le traitement n'empêche pas la transmission d'autres IST et, par conséquent, l'augmentation de notre résistance collective aux antibiotiques.

    De quoi se demander si l'invulnérabilité tant recherchée ne serait pas le corollaire d'une soif d'irresponsabilité ? Qu'est-ce qu'être responsable, si ce n'est accepter les conséquences, heureuses ou douloureuses, de ses actes comme de ses paroles ? De ce fait, l'émergence de la «cancel culture» n'a, elle non plus, rien d'étonnant. Comme on immunise le corps, on immunise la pensée. On annule un discours, une œuvre, un film au prétexte d'être affecté : ici les reproductions du David de Michel-Ange, là les réalisations de Jean-Luc Godard… En conséquence, on s'autocensure et on se refuse à toute exposition de peur d'entacher la chimère de l'immaculé. Point de soubresaut, aucun mot de trop comme si, tels des funambules, nous devions avancer sur un fil tendu sans balancier au-dessus du bûcher des moralisateurs. Même les rappeurs aseptisent leur style, misant tout sur le larmoyant. Aurait-on, un jour, imaginé un Fifty-Cent apitoyé ? Gainsbourg sans Gainsbarre ?

    La vulnérabilité s'est imposée comme l'abscisse et l'ordonnée d'un monde qui, par peur de l'inattendu, de ce qu'il ne maîtrise pas, se vautre dans l'inertie au risque d'abîmer le principe cardinal de toute vie en société : l'altérité. Le Narcisse du XXIe siècle n'est malheureusement pas plus insensible au repli sur soi que ne l'était celui d'Ovide. Et les métamorphoses que ce rapport au monde engendre sont profondes. En pénétrant tous les pores du corps sociétal, le vulnérabilisme s'insinue au cœur de notre démocratie. Régime de crise par excellence, la démocratie nécessite, ce que Nietzsche appelle, «une grande santé», un mouvement de dépassement qui permette de résister aux tensions qui la traversent. La liberté a un prix, celui de notre capacité à surmonter l'inattendu, car à vouloir trop protéger le système, on le détruit. Qu'est-ce que la démocratie sans la confrontation d'idées divergentes, qui dérangent, auxquelles on ne s'attend pas et qui ouvrent le débat ?

    Il en va de même dans le secteur financier. D'éminents économistes, à l'instar de Larry Summers, ancien Secrétaire du Trésor américain, estiment qu'en matière financière, l'interventionnisme des gouvernements et le paternalisme des banques centrales montrent certaines limites. Summers déclare ainsi qu'un «objectif d'inflation de 2%» est inenvisageable, «jusqu'à et à moins que l'économie ne ralentisse considérablement.» La persistance de l'inflation serait-elle, elle aussi, la conséquence d'une surprotection d'un système capitaliste qui ne peut se passer sainement d'une dose minimale d'autorégulation ? Le néo-libéralisme ploierait-il, lui aussi, sous le joug de la vulnérabilité, et ce, au détriment des plus défavorisés ? Qu'en disent nos paniers ? Qu'un système en mauvaise santé est un système qui ne peut pas protéger ses foyers.

    Alors, d'où vient ce besoin irrépressible de protection ? De l'idée que le monde est mû par une intention ? Que cette intention serait nuisible à l'homme ? L'humain a toujours tenté de se cramponner à des croyances, celle du progrès notamment, afin d'oublier sa finitude. La science a beau évoluer rapidement, l'horizon cosmologique situé à 13,8 milliards d'années-lumière de la Terre, reste une énigme. La limite de l'univers observable nous rappelle, si besoin était, que le monde est absurde, mais qu'au milieu de cette absurdité, faite d'ordre et d'imprévisibilité, la vie subsiste. Vivre, n'est-ce pas justement admettre l'aléa, autrement dit l'impossibilité de contrôler totalement l'univers que nous habitons ? Qu'il nous affecte positivement ou négativement, l'aléa est aussi ce qui nous rend vivants. Accéder à la «grande santé», ce n'est pas exclure la maladie, mais c'est l'accepter pour mieux la dépasser. Suppléons à notre vulnérabilité, mais condamnons le vulnérabilisme, acceptons de nouveau de prendre des risques mesurés, d'être forts dans notre fragilité. En faisant du vulnérabilisme notre chemin de croix, nous nous enfermons dans un carcan politique et moral de plus en plus étouffant, nous nous condamnons à la stagnation, à l'observation inane et narcissique du même. Car, comme le dit Kafka, «l'important n'est pas d'être, mais de devenir.» Pour devenir, prenons le risque d'exister et d'exister ensemble.

     

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  • Végéter est-il l’impératif catégorique et sanitaire du troisième millénaire ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Marco Tarchi, cueilli sur le site de la revue Éléments et consacré à l'idéal sanitaire promu par le système. Professeur de sciences politiques à l’Université de Florence et rédacteur en chef de Diorama Letterario, Marco Tarchi a été dès la fin des années 70 un des principaux promoteurs des idées de la Nouvelle Droite en Italie.

     

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    Végéter est-il l’impératif catégorique et sanitaire du troisième millénaire ?

    Il serait difficile de trouver quelque chose de plus emblématique de la condition psychologique et culturelle que notre époque expérimente, et en même temps de plus avilissant – si on ne veut pas aller jusqu’à l’adjectif « répugnant » – que les spots que le gouvernement allemand a diffusés pour convaincre ses citoyens de respecter de la manière la plus rigide les recommandations de limitations de la liberté de mouvement imposées afin de circonscrire la contagion au Covid-19. Dans le premier de ceux-ci, un garçon d’une vingtaine d’années, vautré à la maison sur son divan, canette de Coca-Cola en main et patates frites à portée de bouche, noie dans l’ennui une journée inutile. Dans le second, le même, hypothétique étudiant ingénieur à l’Université de Chemnitz, partage son aboulie avec sa petite amie ; du divan on est passé au lit, et pour réjouir l’inertie on est passé à de copieuses portions de poulet frit. Dans le troisième, le centre de l’attention, « Tobi le paresseux », autodéfinition qui va de soi, passe son temps devant son ordinateur mangeant des raviolis froids à même la boîte sans se soucier de les réchauffer. Ces scènes sont situées dans l’ambiance du « terrible » hiver 2020 ; et pour les accompagner, outre une musique de fond suggestive, on retrouve dans le futur les mêmes protagonistes vieillis, qui se vantent de l’« aventure » vécue un demi-siècle plus tôt qui les a contraint à se barricader dans leur maison et à ne rien faire, devenant ainsi – pour avoir scrupuleusement veillé à ne pas être des véhicules de la contagion – des héros. Ce dernier qualificatif plusieurs fois répété (on pourrait s’attendre à ce que Tobi reçoive une médaille pour son absence exemplaire de vie en société) est associé à d’autres mots non moins dissonants comme « destin », « devoir social », « destin de la nation », et le désormais omniprésent « ennemi invisible ».

    Idéal sanitaire, phase post-goebbelsienne de l’appareil de propagande

    On ne peut s’étonner que le produit de cette phase post-goebbelsienne de l’appareil de propagande de guerre allemand ait enchanté simultanément des médias comme Vanity Fair, Il Foglio [périodique néo-conservateur italien (NDT)], La Repubblica (quotidien italien libéral-libertaire), d’accord pour le trouver « génial », ni que son ironie peu subtile soit louée par les publicitaires italiens. En effet, que peut-on trouver de mieux pour décrire le type d’homme idéal (et de femme, cela va sans dire) de la Cosmopolis souhaitée par les partisans de l’idéologie des « droits humains » : un consommateur produit en série, se nourrissant de rebuts, prêt docilement à obéir à l’appel des autorités démocratiques et des mass médias et à se réfugier, sans plus réagir, dans l’individualisme le plus grégaire et le plus strict, se remontant le moral à coups de visioconférences, de chats en ligne, de séries sur quelque plateforme de multi-médias, et, pourquoi pas ? de signatures virtuelles de pétitions pour soutenir les causes du « genre » ou de l’« inclusivité » disponibles sur ces mêmes sites.

    Progresse également ainsi, sur les ailes de la peur instillée par une incessante communication anxiogène, cette mutation anthropologique graduelle qui, en quelques décennies, a trouvé dans les épisodes épidémiques un nouveau véhicule de grande efficacité. De fait, l’ablation des liens interpersonnels est recommandée, avec une emphase et une fréquence toujours s’accélérant, comme l’unique remède possible pour se mettre à l’abri de la contagion du virus ; et certains arrivent à y voir des aspects positifs. On ne s’étonnera pas qu’au nombre de ceux-ci, se trouve Bill Gates, prêt à décrire le monde futur avec des accents guère empreints de préoccupation sociale : pour un certain nombre d’années, nous confie-t-il, nous aurons au moins une atmosphère plus pure, car avec une baisse de 50 % des voyages, les émissions de gaz à effet de serre se réduiront considérablement, même si cela nous contraint à avoir peu d’amis. Le télétravail prospèrera – et avec lui, pourrait-on ajouter, l’utilisation ultérieure de produits Microsoft – et les rapports sociaux seront atrophiés. Cette perspective ne semble pas susciter d’inquiétudes excessives ni parmi les intellectuels médiatisés, ni parmi les politiques, ni parmi les scientifiques.

    La vie à tout prix

    Parmi les intellectuels médiatiques, nombreux ceux qui invoquent un « droit à la santé », concept purement insensé, que personne ne songerait à opposer à la survenue d’un infarctus, d’une hémorragie cérébrale ou d’une forme grave de tumeur, sachant bien qu’aucun sujet frappé de pathologies de ce type ne saurait être en mesure d’exercer ce droit, auquel serait substitué le réel et souhaitable droit au soin ; un « droit à la santé » plus fort que n’importe quelle peur de délitement du lien social.

    Presque tous les seconds [les politiques (NDT)] suivent comme un seul homme et ne songent qu’à calmer les protestations légitimes des catégories productives pénalisées par les fermetures imposées, à coup d’aides comme s’il en pleuvait et en bonne partie à fonds perdus qui seront payés ultérieurement moyennant de substantielles augmentations de charges fiscales, car le déficit de l’État ne pourra pas être maintenu éternellement. Les conséquences de l’obligatoire (et désirée) « distanciation » sur la capacité de résistance du tissu social les laisse tout à fait indifférents.

    Enfin, quant aux experts médiatiques, leur conviction unanime – que la vie compte plus par la dimension quantitative de sa durée que par sa qualité – s’exprime au quotidien dans les modalités les plus diverses sur toutes les scènes télévisées, radiophoniques ou imprimées…

    À elles trois, ces composantes fondamentales de la classe dirigeante des démocraties occidentales (ces régimes qui devraient incarner le meilleur des modèles possibles de gouvernement des « pays avancés ») en viennent à oublier un aspect incontournable de la réalité, en raison même de la cécité induite par le conformisme de fer du politiquement correct : l’impossibilité d’éliminer le risque de l’existence humaine, aussi bien individuelle que collective. Et encore plus la douloureuse nécessité de l’accepter.

    Le « végéter » se substitue au « vivre »

    Pendant des millénaires, la culture des peuples – de tous les peuples de la terre – s’est résignée à cet état de fait et l’a reliée à la volonté impénétrable du Destin et/ou de la divinité vénérée, et l’a incorporé dans le système de normes destiné à gouverner la vie des communautés. L’illusion prométhéenne typique de la modernité, alimentée par les préjugés du rationalisme comme les époques précédentes pouvaient l’être par ceux de la magie, a poussé certains, pas uniquement dans les milieux scientifiques, à croire qu’il était possible et même nécessaire de se rebeller contre cette loi de la nature. Et que l’existence individuelle puisse et doive être exemptée de l’aléa de l’imprévisible et de l’inattendu. Étanche, tenue sous contrôle – sécurisée, pour le dire dans la novlangue à la mode – et ce dans tous les cas. Avec pour conséquence de suivre et célébrer un horizon idéal dans lequel le végéter se substitue au vivre.

    À l’exhibition de corps à l’état végétatif, magnifiée par les spots allemands, vient un message qui associe le refus du risque à un acte d’héroïsme. Un contresens formidable, mais qui explique mieux que toute autre chose la substance profonde de l’esprit du temps dans lequel nous vivons.

    Qui refuse cette vision se voit automatiquement attribuer un caractère d’insensibilité, sinon de folie. La vieille figure du pestiféré à assigner à résidence revient sous forme de menace dans l’imaginaire collectif sur fond de débats qui remplissent les talk-shows, pendant que l’opinion publique se sépare verticalement dans tous les pays frappés par l’épidémie : entre les terrorisés qui se réjouissent du panorama spectral de cités désertes et qui voudraient les voir telles au moins jusqu’à l’épiphanie d’un miraculeux vaccin et ceux qui souffrent du confinement et attendent le moindre signe de retour à la normale pour replonger dans les rites de masse de l’apéritif.

    Réinsérer le risque dans l’horizon de la normalité

    À la stupidité du négationnisme – que quelqu’un exagérant et plaisantant un peu trop avec les données de la biologie (qui, dans le passé, a donné lieu à des utilisations politiques quelque peu problématiques), a pu définir comme le fruit d’un « processus mental non éloigné de celui qui survient dans certains types de démence » –, est opposée une autre forme de stupidité, à la fois identique et contraire, laquelle conduit à l’incompréhension et au refus des raisons de ceux qui, à un scénario de restrictions permanentes de la liberté de mouvement, d’obligation sine die d’endosser des masques chirurgicaux, de maintenir un mètre quatre-vingt de distance avec le prochain et d’éviter les « lieux de sociabilité » et les rencontres avec famille et amis, préfèreraient un autre scénario où, tout en respectant pourtant de manière temporaire les mesures adéquates de prudence, le risque serait accepté et graduellement réinséré dans l’horizon de la normalité.

    La diabolisation de ce choix et l’insistance anxiogène autour de présages funestes, sur le vaccin qui ne fonctionnera pas ou aura des effets limités dans le temps, sur les mortifères « troisièmes vagues » (et les suivantes en préparation), auront quasi certainement des effets opposés à ceux espérés, précipitant des strates croissantes de la population dans un état de prostration psychologique difficilement récupérable, dont on constate déjà les évidents symptômes. Mais apparemment, les dogmes idéologiques qui dominent la scène culturelle contemporaine empêchent d’accepter quelque attitude de confrontation à l’existence qui puisse paraître excessivement virile, et donc – dans l’expression banalisante de la vulgate progressiste – « machiste ».

    Végéter devient donc l’impératif catégorique du troisième millénaire. Il ne reste qu’à espérer qu’un jour, un sursaut d’orgueil collectif, face à une perspective aussi déprimante, puisse se transformer en  sérieuse et sacrosainte réaction ; et de faire, chacun à son niveau, tout son possible pour qu’une telle réaction advienne.

    Marco Tarchi, traduit de l’italien par Claude Chollet (Site de la revue Éléments, 15 janvier 2021)

     

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  • Construire le surhomme ?...

    Les éditions Grasset viennent de publier La construction du surhomme, le septième tome de la contre-histoire de la philosophie de Michel Onfray. Le créateur de l'université populaire de Caen évoque dans ce volume Jean-Marie Guyau, un philosophe français, et Friedrich Nietzsche...

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    "Michel Onfray est l’auteur d’une œuvre philosophique importante. La construction du surhomme est le septième tome d’une monumentale « Contre-histoire de la philosophie ».

    Toute l’œuvre de Michel Onfray tourne autour de ce qu’il appelle le « nietzschéisme de gauche » et, plus particulièrement, de tous les développements qu’une certaine tradition philosophique a consacrés au thème du « surhomme ». Il revient, dans cet ouvrage, sur cette question à travers l’étude de deux œuvres.
    Tuberculeux dopé au stoïcisme, Jean-Marie Guyau développe une philosophie vitaliste comme une machine de guerre contre la morale kantienne. Ce malade défend le don, la générosité, le risque, la dépense, l’action dans une œuvre qui pourrait faire de lui un Nietzsche français. Penseur du républicanisme, il formule un hygiénisme, un racialisme, un natalisme, dangereusement parents de l’idéologie de Vichy à venir. Il défend enfin une immortalité panthéiste stellaire obtenue par les traces de l’amour quand il a été fort.
    La figure ontologique du surhomme de Nietzsche n’est pas sans relation avec cette étrange métaphysique que le philosophe allemand connaissait. Nietzche commence avec Schopenhauer et Wagner, continue avec un long moment épicurien et termine avec l’éloge d’un surhomme ultra-caricaturé. Or, celui-ci nomme l’individu ayant compris que la volonté de puissance a les pleins pouvoirs, qu’il faut vouloir cette volonté qui nous veut, puis l’aimer pour accéder à une jubilation suprême. Une technique de sagesse à la portée de tous."
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  • Réhabiliter le risque assumé ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue intéressant de Bruno Racouchot, paru dans l'hebdomadaire Valeurs Actuelles (24 mars 2011), qui vient nourrir le débat complexe sur l'utilisation de l'énergie nucléaire à des fins civiles...

     

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    Réhabiliter le risque assumé

    La tragédie qui frappe le Japon appelle la commisération et la solidarité. Cependant, par-delà l’émotion légitime qu’elle suscite, elle doit être étudiée de près. Car l’exploitation de ce drame par des groupes de pression vise les intérêts supérieurs de notre pays. Notre politique énergétique et nucléaire est directement menacée.

    Et, à travers elle, notre indépendance et notre capacité à agir, politiquement ou commercialement, sur la scène internationale. Plutôt que de subir, opérons un décryptage pour sortir de cette crise en optimisant nos atouts. Quatre enseignements peuvent d’ores et déjà être tirés de cette catastrophe. Tout d’abord, elle est initialement imputable à la nature, non à l’action de l’homme. Ce n’est pas le non-respect des règles du développement durable qui a créé le tsunami. Au lieu d’afficher la prétention ridicule de “sauver la planète” à tout bout de champ, on ferait mieux de sérier méthodiquement les risques majeurs et réels.

    Deuxième point : conséquence du tsunami, la catastrophe de Fukushima relance le débat sur le nucléaire. Ce basculement de perspective n’est pas anodin. On sort du rationnel, on glisse dans un autre registre. Puisqu’on ne peut pas faire de la nature un bouc émissaire, on se retourne contre le nucléaire pour clouer au pilori ceux qui l’ont prôné. Qui “on” ? Pour des raisons différentes (audimat d’un côté, manipulation économico-politique de l’autre), certains groupes exploitent les peurs sans vergogne. L’émotionnel est poussé à son paroxysme. Depuis Prométhée, c’est la même rengaine. L’homme doit être puni d’avoir volé le feu aux dieux. À cette morale bon marché s’ajoutent des amalgames douteux. Le Japon n’est pas la France. Notre industrie nucléaire est la plus sûre du monde et la plus chère, ce qui nous fait d’ailleurs perdre des marchés à l’international. L’État la contrôle étroitement. Alors, pourquoi ce procès à notre encontre ? Parce que la grille de lecture du réel de ceux qui font l’opinion privilégie le compassionnel ou l’idéologique, non l’analyse objective de la situation.

    Troisième point : derrière les idiots utiles, il y a des groupes de pression, dont le rôle est de réactiver des peurs pour mieux peser sur les gigantesques enjeux géostratégiques du moment. Les fruits de décennies de recherches et d’efforts sont ainsi menacés par une overdose émotionnelle exploitée à des fins géo-économiques. Ces opérations psychologiques que l’on voit se déployer en arrière-plan obéissent à des intérêts opposés aux nôtres. Ils visent à paralyser une industrie nucléaire dont la France est la meilleure élève. En réduisant notre indépendance énergétique, en ruinant notre industrie, certains veulent faire tomber en sujétion notre pays par le simple jeu d’idées, triées et orientées. À qui profite le crime ? Qui en sont les complices ? Comment fonctionnent-ils ? De quelle façon peut-on inverser la tendance, peser dans les débats et remettre les pendules à l’heure ?

    C’est là le dernier point : il est vital de réagir. Que doit faire l’industrie énergétique française ? L’erreur serait de se borner à opposer seulement des arguments techniques et rationnels. La rigueur de l’ingénieur est impuissante face aux opérations de manipulation. Cessons d’être réactifs, montrons-nous proactifs. Opérons autrement. Et d’abord pensons le problème en amont, sur le plan des idées. Les directions de la stratégie et de la communication de nos grands groupes doivent entamer une réflexion de fond débouchant sur l’engagement de stratégies d’influence positives. C’est là un travail sur le long terme, qui exige surtout de changer de perspective. La communication de “Bisounours”, avec ses discours infantilisants et sa langue de bois aussi niaise que contre-productive, a montré ses limites. Pourquoi ne commencerait-on pas par réhabiliter la notion de risque assumé ?

    Le hasard veut que le thème du IIIe Festival de géopolitique et de géo-économie, qui se tient jusqu’au 27 mars à Grenoble, soit “Risques et défis géopolitiques d’aujourd’hui”. En ces temps où le compassionnel bon marché fait florès, l’initiative mérite d’être saluée. Oui, le risque est inhérent à la vie. Il est même consubstantiel à la volonté d’accomplissement d’un destin. Un peuple qui entend rester maître de son devenir doit s’en donner les moyens. Une entreprise qui développe des activités stratégiques aussi. Toute volonté d’agir comporte des risques. C’est en les intégrant lucidement dans notre perception du monde, dans une stratégie collective, que l’on peut se donner les moyens de les réduire. Mais le risque zéro n’existe pas. Il nous faut réapprendre à vivre avec le risque. À cet égard, les Japonais nous donnent un bel exemple de dignité et de stoïcisme. Comme quoi le critère différenciant dans une situation d’exception reste bel et bien l’état d’esprit des hommes, leur volonté et leur faculté de résilience. C’est sur ce socle que peut se construire une stratégie d’influence digne de ce nom. Le combat pour notre indépendance énergétique et le nucléaire français doit prioritairement intégrer ce paramètre. 

    Bruno Racouchot (Valeurs actuelles, 24 mars 2011)

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