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parodie

  • Ni Médine, ni Sardou : manifeste non-binaire !...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Xavier Eman, cueilli sur le site de la revue Éléments et consacré à ces polémiques stupides qui servent à détourner l'attention des vrais sujets...

    Animateur du site Paris Vox, rédacteur en chef de la revue Livr'arbitres et collaborateur de la revue Éléments, Xavier Eman est l'auteur de deux recueils de chroniques intitulés Une fin du monde sans importance (Krisis, 2016 et la Nouvelle Librairie, 2019), d'un polar, Terminus pour le Hussard (Auda Isarn, 2019) et, dernièrement, d'Hécatombe - Pensées éparses pour un monde en miettes (La Nouvelle Librairie, 2021).

     

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    Ni Médine, ni Sardou : manifeste non-binaire

    L’été a été particulièrement chaud et la faute n’en incombe pas uniquement au terrifique « réchauffement climatique » qui occupa pourtant une large part de l’actualité estivale. Car ce sont également les esprits qui se sont sérieusement échauffés au gré des diverses polémiques, plus terribles et fondamentales les unes que les autres, ayant rythmé les vacances des juillettistes comme des aoûtiens. Tempête dans les ricards et bagarres à coups de merguez garanties !

    Il y a eu tout d’abord « l’affaire Médine » qui permit à un obscur tâcheron de l’onomatopée rappesque de faire la une des magazines et des journaux télévisés, s’offrant ainsi une campagne publicitaire dont il n’aurait jamais pu seulement rêver. Le fond du drame ? L’invitation de l’histrion à l’Université d’été des écolos rouges-verts, malgré un assez lourd passif de déclarations à tendance islamiste et fort peu « républicaines ». Un non-événement concernant un micromilieu politique à l’occasion d’un rassemblement de quelques centaines de militants ? Que nenni ! Une « affaire d’État » qui allait faire gloser et s’écharper pendant plusieurs jours l’ensemble de la caste médiatico-politique avidement relayée par le gigantesque tout à l’égout des réseaux sociaux. Face à l’odieux scandale, la France se scindait en deux, prête à rejouer une nouvelle affaire Dreyfus pour soirée camping.

    Tout était alors bon pour défendre son « camp » : les – encore hier – farouches défenseurs de la liberté d’expression n’hésitant pas à se saisir d’un simple « tweet » assez idiot pour réclamer l’interdiction et la censure, tandis que les habituels sectateurs de la sainte Laïcité perdait la mémoire quant aux péroraisons islamistes de leur champion. Car, selon des mécanismes désormais bien rodés, il ne s’agissait bien sûr nullement d’être cohérents, honnêtes, justes ou même un tant soit peu objectifs, mais simplement de « gagner », de satisfaire les hystériques réunis sous sa bannière, quand bien même faut-il pour cela fouler aux pieds ses prétendues « valeurs » qui ne sont, on le sait désormais, que de poussiéreux anachronismes.

    Des combats parodiques

    On se fout de savoir si le sieur Médine, n’ayant pas été condamné pour ses propos « controversés », peut être invité à une « UDT », où l’on n’a pas l’intention de mettre les pieds et où personne n’est obligé d’aller l’écouter. Ce ne seront d’ailleurs sans doute pas les seules ni mêmes les pires conneries professées. Pourtant, pour certains, ne pas condamner cette invitation, c’est déjà trahir, c’est se rendre complice des « islamo-gauchistes » et donc, bien sûr, de « l’anti-France »… En revanche, priver les SJW (social justice warriors) à cheveux bleu d’EELV d’une allocution de Médine serait une grande « victoire », quand bien même des arguments identiques seront utilisés demain pour interdire Pierre Hillard de parole lors de Journées chouannes organisées par la maison d’éditions Chiré-en-Montreuil. Mais peu importe, car, répétons-le, il n’est nullement question de défendre des principes ou encore un moins une vision du monde, mais simplement de s’agiter pour récolter un maximum de « likes », de « pouces bleu », et de « followers »… qui peuvent éventuellement se transformer en dons sonnant et trébuchant. Mais ceci et une autre histoire…

    Il y a eu ensuite l’attaque odieuse d’une autre demi-solde de la variété musicale, Juliette Armanet, contre les « Lacs du Connemara ». L’ignominie montait d’un cran, le patrimoine national le plus glorieux était attaqué ! Si la jeune chanteuse s’était torchée avec le drapeau tricolore, cela n’aurait pas été pire ! Ne pas aimer les « Lacs du Connemara » ? Et puis quoi encore ? Autant dire que Johnny Hallyday n’est pas le plus grand chanteur de tous les temps ! Déchéance immédiate de nationalité ! Fort heureusement, une fois encore, toujours prête aux plus brillants et utiles combats, la droite française s’est mobilisée pour faire face à l’affront et invectiver comme elle le méritait l’insolente péronnelle ! Solidarité totale et absolue avec le vieux millionnaire réac, râleur et américanolâtre. C’est ça la France, mon bon monsieur ! Cette fois encore, se désintéresser de l’avis (qu’elle a bien le droit d’avoir) de l’inconnue Juliette Armanet et n’être qu’un fan assez relatif (du moins avant une heure du matin) de Michel Sardou vous rangeait immédiatement du côté des wokistes dégénérés et des insulteurs de la France éternelle. Le même processus se répétait d’ailleurs peu après avec la cérémonie d’ouverture de la Coupe du monde de rugby où chacun était sommé de choisir entre l’admiration béate du béret/débardeur de Jean Dujardin et les pathologies « anti-franchouillardes » des éditorialistes de Libé

    Le système est ainsi devenu maître dans l’art de jeter des os médiatiques à ses « oppositions », des os sur lesquels elles se jettent frénétiquement, les crocs acérés comme jamais, hargneuses et bien décidées à en découdre pour des futilités sans nom qu’elles prennent pour des combats « symboliques » quand ils ne sont que parodiques.

    Les beaufs contre les wokes

    Imposer des dichotomies simplistes, créer des « lignes de front » artificielles, quand elles ne sont pas ridicules, porter l’attention sur l’accessoire pour faire oublier le fondamental, diriger les énergies sur des luttes secondaires ou folkloriques, faire passer l’éructation pour de la radicalité, éradiquer la prise de distance, la mesure, la nuance… voilà quelle est la stratégie qui se révèle redoutablement efficace. Les beaufs contre les wokes, Amélie Poulain vs La haine, le musée ou la cité, nostalgie improductive ou progressisme mortifère, le gros rouge ou le petit joint… Simplisme et caricature à tous les étages, mais choisis ton camp camarade, il n’y en a que deux !

    Par le biais des réseaux sociaux et des chaînes d’information en continue, la confrontation des idées ou des opinions a été remplacée par une nouvelle forme de « supportérisme » sportif, tout aussi fin et nuancé que celui qui s’épanouit dans les virages des stades. Il n’y a plus de débats, mais seulement des parodies de combats de boxe, où chaque protagoniste, surdopé à l’ego, est soutenu par les aboiements déchaînés de son groupe de chiens de Pavlov. Et malheur à celui qui ne rejoint pas l’une ou l’autre des meutes ! La tyrannie du manichéisme ne tolère pas de dissidents.

    Xavier Eman (Site de la revue Éléments, 14 septembre 2023)

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  • L'antiracisme, prothèse de l'idéologie dominante...

    Nous reproduisons ci-dessous un texte incisif de Robert Redeker, cueilli sur le blog de cet auteur et consacré à la mascarade antiraciste...

    Professeur de philosophie, essayiste à l'origine classé à gauche, Robert Redeker vit depuis plusieurs années sous protection policière pour avoir publié dans le Figaro un texte hostile à l'islamisme.

     

     

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    L'antiracisme est une prothèse destinée à donner une illusion qui comble le vide politique. Il distille à ses intoxiqués l’illusion de la politique. Ce vide est aussi bien l'effet du temps, de l'usure de l’histoire, que d'une volonté fataliste : en finir avec les idéaux de la gauche et leur substituer une sorte de substitut ludique. L’antiracisme est un opium qui laisse croire qu'il est une réconciliation de la politique et de la morale. Alors qu'il n'est ni l'une ni l'autre, ni bien sûr leur synthèse.
    L'antiracisme permet de rejouer la politique. De la simuler. De jouer à la politique. Mais auparavant la politique aura été vidée de tous ses enjeux. D'un certain point de vue le concept marxiste d'idéologie décrit bien à l'antiracisme. D'un autre point de vue, il faut le compléter par celui, issu des écrits de Jean Baudrillard, de simulation. Chez Marx, l’idéologie – le noir barbu de Trêves vise surtout, à travers ce concept, la religion – est le dispositif par lequel la bourgeoisie masque la réalité de ses intérêts derrière les idées abstraites. Mais à la différence de la religion telle que Marx la perçoit, l'antiracisme masque moins des intérêts, qu'il ne conteste pas, qu'une disparition. Au contraire même, aux temps du triomphe de l'antiracisme, les intérêts sont, parallèlement, proclamés haut et fort. L'antiracisme est à la politique ce que le paintball est à la guerre. Il crée dans l'âme des naïfs et des rêveurs l’illusion que continuent d'exister des concepts, des analyses et des projets et des combats politiques, alors que toutes ces choses ont été jetées par-dessus bord.
    Qu'est-ce que la simulation ? Jean Baudrillard en propose une bonne définition : « L'ère de la simulation est ainsi partout ouverte par la commutabilité des termes jadis contradictoires ou dialectiquement opposés ». C'est l'époque mitterandienne qui a inauguré ces commutations, mères de l'âge de la simulation : capitalisme/gauche, argent roi/gauche, luxe/gauche, gestion/gauche. Il y a évidemment, tant qu'on s'en tient à la rationalité, à la dialectique,  une opposition entre la super-caste privilégiée de la galaxie du show business et du sport, voire de la mode, d'une part, et la misère des cités de banlieue, d'autre part. Or, l'antiracisme, pour assurer sa propagande, les rend commutables, chanteurs, rappeurs, acteurs et sportifs (à l'image de Lilian Thuram, de Djamel Debouze, de Joey Starr) passant sans gêne d'un rôle à l'autre, se régalant d'être pris pour des jeunes de banlieue. Alors que la politique, la gauche, l'horizon révolutionnaire, étaient engendrés par la théorie, la pensée, l'antiracisme est engendré par l'univers du show-business et les industries du divertissent. Alors que les réformes sociales (par exemple celles de 1936) étaient imposées par la pression politique des masses, des luttes, des grèves, qui électrisaient toute la société, bref par l’Histoire, les mesures antiracistes sont imposées par le monde doré de la variété, du show-business, du cinéma, de la télévision et du sport, par les industries du divertissement, autrement dit par la simulation parodique de l'Histoire.
    Dans l'index (qui, sous la forme d'un vocabulaire philosophique occupe une quarantaine de pages) de la classique et monumentale Introduction à la philosophie marxiste due à la plume érudite et militante de Lucien Sève , philosophe communiste français officiel, le mot racisme se signale par son absence. Autrement dit, en 1980, le racisme ne passe pas encore pour un problème majeur du côté des marxistes, sans doute de la gauche en général. Aujourd'hui, il suffit d'écouter un responsable politique d'un parti de gauche, de parcourir les colonnes d'un journal de gauche, Libération ou L'Humanité, pour se rendre à l'évidence: les mot « immigré » a remplacé le mot « prolétariat », le mot « antiracisme » a remplacé le mot « communisme », le mot « racisme » a remplacé le mot « anticommunisme », le mot « islam » a remplacé l'expression « conscience de classe ». A l'insu de tous et de chacun, la gauche s'est dissoute dans l'antiracisme. Les mots « racisme », « antiracisme », « immigré », « sans-papiers » remplissent toutes les pages du quotidien communiste L'Humanité alors qu'il y a trente ans cet honneur était réservé au mot « prolétaire ».
    L'antiracisme simule et parodie les luttes sociales, il simule et parodie la gauche. Mais, si l'on sait ce que remplace l'antiracisme, il faut demander auparavant : que remplace ce à quoi dans l'imaginaire dominant l'antiracisme s'oppose, le racisme ? D'abord il se substitue à une réalité métaphysique dont notre temps, à tout le moins en Europe de l'ouest, se refuse à prononcer le nom : le mal. Plus justement : le mal moral. Les sociétés consuméristes et hédonistes, celles dont Herbert Marcuse et Gilles Lipovetsky ont dessiné les traits les plus remarquables, apparues dans le monde occidental à partir des années 60, refoulent l'usage explicite du concept de mal. « Racisme » est le mot qu'elles ont mis en circulation pour dire ce que jadis on appelait le mal moral. Une grande partie des fautes naguère rangées sous la catégorie de mal sont devenues soit anodines soit des qualités. Voici l'envie vantée par la publicité comme une vertu ! La chanson de geste de la luxure inonde les écrans et les gazettes. La trahison, l'infidélité, la perfidie sont, d'écran publicitaire en spot de réclame, de téléfilm en jeu d'avant prime-time, valorisées. La cupidité – gagnez, gagnez... - est élevée au rang de l'exemplarité morale. L'école elle-même enseigne aux élèves des lycées sous couvert de réussir à savoir ce vendre ; autrement dit impose aux jeunes générations un impératif prostitutionnel. Plus : elle laisse entendre que le bien dans la vie collective se résume à une sorte de prostitution généralisée, où tout le monde se vend. Réussir, voilà la seule misérable ambition qu'elle propose aux nouvelles générations ! La dégradation des mœurs – qu'il faut entendre, insistons sur ce point, dans toute sa force inédite : cette dégradation n'est pas le résultat de vices privés, cachés, recouverts par la honte, qui prendraient le dessus en assumant la réprobation qu'elle s'attirerait, non, cette dégradation est voulue, organisée, dirigée parce qu'elle est le moteur de la société de consommation -  a vidé le mot mal de toute sa substance. C'est le souvenir de cette substance, de ce contenu, qui explique qu'un puissant tabou, plus sociétal que social, plane sur le concept de mal, paralysant son réemploi. Jusqu'ici n'existaient dans les sociétés qu'un seul temps durant lequel des conduites tenues pour vicieuses étaient louées comme vertueuses : le temps de la guerre (transformation du crime en vertu à l'origine de la désillusion de Freud devant l'homme). Tuer, violer, torturer, piller, mentir – ces crimes, en époque de suspension de la paix, deviennent dignes de louange. La société de la modernité tardive a inventé de l'inédit : ce n'est plus seulement de loin en loin que le vice devient officiellement vertu, c'est, sous les formes que nous venons d'exposer, en permanence. Sous l'aspect de la morale, la société de consommation est la guerre en temps de paix, elle entretient chez les hommes un état d'esprit de mercenaire sans foi ni loi en période de paix.
    L'antiracisme s'est substitué à l'engagement, à ce que les générations des décennies cinquante, soixante, soixante-dix, appelaient dans le sillage de Sartre l'engagement. Ce que les contemporains de Sartre désignaient sous ce vocable brisait le consensus social dominant. S'engager revenait à vivre dangereusement. De grands risques accompagnaient l’engagement, en particulier ceux de la mise-à-l’écart, de la marginalisation, de la censure. Des événements historiques – comme la guerre d'Algérie – faisaient planer sur l'engagement les menaces de la torture et d’exécution. La censure cherchait aussi àbâillonner l'engagement. Au contraire, jamais depuis que l'antiracisme s'est substitué àl'engagement politique aucune proclamation antiraciste n'a été censurée. Plus : ces proclamations ont toujours été mises en valeur à la fois par les services de l'Etat et par les médias. Elles ont toujours été relayées dans les écoles. L'engagement sartrien, parce qu'il n'était pas de nature parodique, n'a jamais bénéficié de pareilles largesses de la part du système social dominant. Pour s'engager, il fallait accepter de devenir un pestiféré. Le militantisme antiraciste ne court pas de pareils dangers. S'affirmer antiraciste revient à rejoindre le consensus dominant, adhérer à l'idéologie dominante ; s'engager revenait, inversement, à rompre, à divorcer d'avec cette idéologie dominante. Quand l’engagement des années quarante, cinquante, soixante, était âpre, le militantisme antiraciste contemporain est gratifiant, en procurant l'assurance de recevoir des approbations, voire d'être couvert de lauriers. Dans certaines professions, tout spécialement celles qui touchent à l’univers du spectacle, l’antiracisme est un passage obligé pour éviter de disparaître de l'affiche. De même, l'instituteur et le professeur verront leur enseignement couvert de louanges par les autorités académiques et les parents d'élèves s'il se moule dans de la propagande antiraciste. Le militantisme antiraciste est une parodie de ce que l'engagement a été.
    L'antiracisme est le fantôme décharné de ce que fut l'engagement. L'antiracisme vole aussi la place des luttes sociales. Il en usurpe le souvenir. Dans les années trente du siècle dernier la notion de classe est sortie victorieuse de son affrontement avec la notion de race. Après la seconde guerre mondiale, toute l'attention s'est focalisée sur la lutte des classes, à tel point que le concept de révolution, dans son acception marxiste, régnait sans partage sur les consciences. Les grandes idées de la gauche – transformation de la société à partir de la destruction de l'inégalité liée à la propriété, modification des rapports de production, etc...- ont été portées par des mouvements collectifs, des « masses-en-fusion » aurait dit Sartre, des révolutions (1848, 1917, la Commune de Paris, 1936, Budapest 1956), des partis politiques, des syndicats. L’antiracisme, lui, qui a pris le relais après l’évanouissement du projet révolutionnaire, est porté par le show-business. Avec beaucoup de cynisme, ce dernier s'est installé sans vergogne à la place du peuple. Il aime à parader dans le rôle de moteur du progrès moral, à condition que celui-ci ne risque pas de se muer en revendication de  progrès social. Il lui vole la parole au peuple, il parle à sa place, il donne des leçons à sa place, des leçons de moraline ! Le show-business souffle à l'oreille du peuple ce qu'il faut penser : non que l'inégalité et les privilèges, l'exploitation abusive du travail d'autrui, c'est mal, mais que le racisme est le plus grands de tous les maux. L’antiracisme replace au centre des débats la notion qui avait été, par la gauche, écartée au profit de la notion de classe, la race. C’est pourquoi, viagra politique de la gauche, l'antiracisme occupe, sur un mode aussi parodique que stérile, la place qui fut naguère celle de lutte des classes.
     

    Robert Redeker (Quand Redeker eut les cinquante-neuf ans, 10 août 2013)
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  • Happening partout, action nulle part !...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Romaric Sangars, cueilli sur Causeur et consacré aux formes parodiques de contestation que le système fait prospérer...

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    Happening partout, action nulle part

    Il existe de nombreuses manières d’agir sur le monde. La violence – que d’aucuns nommèrent l’ « action directe »- mais aussi tout un faisceau de possibilités plus subtiles qui se révèlent parfois d’une efficacité nettement supérieure. L’action sur les esprits et sur les cœurs, par exemple, n’est pertinente que si elle les dilate, les exhauce et les renforce.

    Aujourd’hui domine surtout une forme parodique de l’action liée à la pratique du « happening » : ce qui « arrive », se contente d’ « arriver » sans changer quoi que ce soit lorsque plus rien n’a lieu.

    Prenant le métro ce mois-ci, ce qui n’est guère dans mes habitudes, j’ai cru voir Paris délirer dans les affres d’une perpétuelle « Nuit blanche ». Station Porte de Montreuil, quelque incendiaire, à la grâce d’un cocktail Molotov, parvient à convaincre une bande de caricaturistes ringards qu’ils sont encore dans le camp de l’irrévérence, alors que leurs rôts de bourgeois 68 ne représentent que les mots d’ordre de la vulgate passés au Stabilo Boss.

    Station Châtelet, des catholiques « traditionalistes », qu’on aurait espérés moins perméables aux festivités ambiantes, se prennent au cirque moderne avec œufs et huile de vidange et réussissent l’exploit de faire passer pour subversif l’anti-christianisme « branché », ou suspecté tel1, d’une pièce qu’ils n’ont pas vue. Seule performance notable de leur happening : avoir fait applaudir les CRS venus les virer par un parterre de bobos frustrés de leur heure de transgression.

    Tous des « indignés », en somme. Faits pour perpétuer la farce. Tous vautrés dans le « happening » permanent. Voilà la réflexion que je me faisais, secoué par les zigzags abrupts de la rame que j’avais empruntée. Terminus La Défense. Claquement de portes, sirènes, couloirs. Puis, sur l’immense parterre glacial, nos « Indignés », copyrightés comme tels. Les paumes usées par le jonglage, les voix cassées d’avoir trop entonné les mêmes ritournelles débiles, ils s’autorisent une pause bien méritée pour reprendre leur souffle dans ce long marathon révolutionnaire : ceux qui le désirent, clame une organisatrice, pourront, après s’être tamponné un cœur sur la main, dispenser et recevoir de gros câlins roboratifs.

    Considérons et méditons la scène. Une jeunesse pas suffisamment pauvre pour prendre les armes, pas suffisamment éduquée pour élaborer des doctrines de combat ou des appareils critiques efficients, pas suffisamment mystique pour renoncer au monde qu’elle condamne et y tracer d’autres voies en déambulant vêtue de hardes, pas suffisamment imaginative pour proposer un autre spectacle que celui joué quarante ans plus tôt et à un niveau encore plus faible par les parents, une jeunesse sans aucune des forces de la jeunesse et avec toutes ses tares, s’effondre sur elle-même tout en se câlinant.

    Sous la grande arche blanche, bousculé par des cadres robotiques sans doute enjoints par leurs patrons d’adopter une quelconque « positive attitude » avant leur prochain séminaire de travail, non loin du ridicule pouce géant de César, j’observais simplement comment les rames les plus éloignées se rejoignent. Tous vautrés dans le « happening » permanent, tous configurés au Spectacle qui est la culture et les mœurs produites par la Marchandise. Qu’importe les couleurs ou les chiffres exhibés, les ennemis sont similaires et, à l’instar de la Finance qu’ils prétendent ou non combattre, multiplient de grandes bulles de vide qui explosent.

    Romaric Sangars (Causeur, 28 novembre 2011)

    1. En fait, « branché » depuis deux siècles sur le même canal
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