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  • Immigration : le directeur de Frontex jette l’éponge, les No Border jubilent...

    Nous reproduisons ci-dessous un article de Paul Tormenen, cueilli sur Polémia et consacré à l'affaire Frontex. Edifiant...

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    Immigration. Le directeur de Frontex jette l’éponge, les No Border jubilent

    Le 28 avril, le directeur exécutif de l’agence européenne de garde-côtes et garde-frontières Frontex, Fabrice Leggeri, a présenté sa démission à son conseil d’administration. Cette décision, lourde de conséquences, intervient après une longue campagne de dénigrement de l’activité de Frontex. Au-delà du cas individuel de F. Leggeri, sa démission illustre le rapport de force au sein des institutions européennes, qui a clairement penché en faveur des partisans de l’ouverture inconditionnelle des frontières aux extra-Européens. Le changement attendu des modalités d’intervention de Frontex va sans aucun doute entraîner une accélération des flux d’immigration clandestine à destination de l’Europe. La jubilation des militants sans frontières à la suite de cette annonce n’a d’égal que l’aveuglement d’Emmanuel Macron qui évoquait dans son programme en vue de la récente élection présidentielle « l’Europe des frontières qui lutte contre l’immigration clandestine ».

    Des campagnes d’opinion à répétition contre Frontex

    Les critiques les plus virulentes contre le rôle et l’action de Frontex ont commencé en 2012. Il s’agissait – déjà – de dénoncer le fait que la politique migratoire européenne faisait supposément prévaloir la sécurité des frontières sur la protection des personnes. Le réseau Migreurop organisait alors une campagne auprès de l’opinion publique visant rien de moins que la suppression de Frontex (1).

    Peu après, une campagne appelée « Frontexit » était lancée à partir de mars 2013 pour recenser les « violations des droits humains » par certains des agents du corps de garde-côtes et garde-frontières (2).

    Durant les dernières années, de nombreux médias et des politiciens ont également mené un véritable travail de sape contre les actions de Frontex visant à endiguer l’immigration clandestine à destination de l’espace Schengen. Il est dans le contexte actuel utile d’en rappeler quelques faits marquants.

    On ne compte plus les articles dans les médias de grand chemin accusant Frontex de pratiquer une chasse aux migrants, d’être une « armée d’occupation » (!), d’avoir un « océan d’impunité », d’exercer son action en toute opacité, etc. (3). Au-delà des accusations « morales », des journalistes d’investigation ont cherché à argumenter leurs griefs à l’encontre de Frontex. Ils ont pour cela bénéficié d’importants moyens financiers.

    En octobre 2020, l’hebdomadaire allemand Der Spiegel et le site d’investigation Bellingcat rendaient public une enquête à charge contre Frontex. Se basant sur l’exploitation d’informations en accès libre et sur des témoignages d’ONG, Bellingcat accusait l’agence Frontex d’avoir pratiqué plusieurs refoulements de clandestins en mer Égée, entre la Turquie et la Grèce, entre les mois d’avril et d’août 2020 (4). Ces accusations ont été reprises par l’hebdomadaire allemand Der Spiegel dans un article du 22 octobre 2020 et ont ensuite été très largement médiatisées, souvent sans aucun recul critique (5).

    Les journalistes du Spiegel précisent à la fin de l’article consacré à l’enquête que celle-ci a été financée par l’Investigative Journalism for Europe (IJFO), une fondation qui soutient le journalisme d’investigation dans l’Union européenne. L’IJFO ne cache pas, sur son site, avoir comme cofinanceur l’Open Society Foundations et… la Commission européenne (6).

    Le site d’investigation Bellingcat a, quant à lui, reçu entre 2016 et 2018 383 000 dollars de l’Open Society Foundations. Il fait partie du Global Investigative Journalism Network, dont la vocation est la formation et l’échange d’informations entre journalistes d’investigation. Cette association a reçu entre 2017 et 2019 1,1 million de dollars de l’Open Society Foundations (7). Le créateur de l’Open Society Foundations n’est autre que le milliardaire américain George Soros, qui a abondé sa trésorerie de la modique somme de 18 milliards de dollars en 2017 (8).

    Mais, en dépit de son retentissement, cette première charge ne devait pas être suffisante. Le 27 avril 2022, plusieurs médias dont Le Monde, Der Spiegel et Lighthouse Reports renouvelaient leurs critiques contre la direction de Frontex. Les conclusions de leur nouvelle enquête publiée notamment dans le journal Le Monde mettent une nouvelle fois en exergue la pratique de refoulements en mer Égée, qui seraient connus mais tolérés ainsi que le fait que Frontex aurait « maquillé des renvois illégaux de migrants » (9). Une nouvelle fois, l’ombre de George Soros n’est jamais loin. L’Observatoire du journalisme a, en effet, dans un article récent, mis en lumière les liens, à tout le moins financiers, entre Lighthouse Reports et l’Open Society Foundations et l’Open Society European Policy Institute (10).

    Pourquoi mentionner le financement – direct ou indirect – de ces enquêtes ? Parce que George Soros œuvre depuis de nombreuses années pour l’accueil le plus large de migrants en Europe. Il a même été qualifié par le journal Valeurs actuelles de « militant de la submersion migratoire » (11). Et c’est bien sous le prisme unique du droit inconditionnel des migrants à s’installer en Europe que ces enquêtes ont été réalisées, indépendamment de toute considération pour les populations autochtones, notamment leur droit à la continuité historique

    La guérilla contre Frontex au sein de l’UE

    Les accusations contre Frontex ont également été portées dans et parfois par les institutions européennes.

    En décembre 2020, des parlementaires européens d’extrême gauche et écologistes demandaient à la suite de la parution du reportage du Spiegel et de Bellingcat une enquête sur le fonctionnement de Frontex. Certains d’entre eux exprimaient – déjà – sans équivoque le souhait que Fabrice Leggeri démissionne (12).

    En janvier 2021, l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) annonçait de façon laconique engager une enquête sur Frontex, sans toutefois dévoiler le périmètre de sa mission (13).

    En avril 2021, une majorité de parlementaires européens refusaient d’approuver le budget de Frontex de l’année 2019. Outre des considérations d’ordre financier, la pratique des refoulements par des agents de Frontex était mise en accusation (14).

    Si ce budget a été finalement approuvé, une majorité de parlementaires demandaient en octobre 2021 à la Commission européenne de geler une partie de celui de l’année 2022. Les conditions posées au déblocage des fonds étaient les suivantes :

    • le recrutement de vingt officiers aux droits fondamentaux et de trois directeurs exécutifs dotés de qualifications suffisantes ;

    • la mise en place d’un mécanisme de signalement des incidents graves aux frontières extérieures de l’UE et la création d’un système opérationnel de surveillance des droits fondamentaux (15).

    Le 24 mars 2022, l’ONG. no border Front-LEX adressait une mise en demeure de treize pages à la commissaire européenne aux affaires intérieures, Ylva Johansson. Dans ce document, Front-LEX enjoignait la Commission européenne d’engager une procédure visant à la démission de Fabrice Leggeri (16). L’ONG. menaçait par ailleurs d’engager des poursuites devant la Cour de justice de l’Union européenne en cas d’inaction de la part de la Commissaire européenne.

    Le 31 mars, une majorité des membres de la commission de contrôle des comptes de l’UE refusait de valider les comptes de Frontex, principalement pour le motif de pratiques de refoulement de migrants et de demandes d’asile refusées en Hongrie (17).

    Leggeri « lâché » par la France ?

    C’est dans ce contexte d’accusations incessantes que s’est tenu le conseil d’administration de Frontex le 28 avril. Avant même la publication du rapport de l’OLAF sur la gestion de l’agence, avant même que l’association Front-LEX ne poursuive la commissaire européenne aux affaires intérieures devant la CJUE. et que celle-ci statue sur ses griefs, le conseil d’administration de Frontex a donc décidé d’accepter la démission de Fabrice Leggeri. Le soutien au directeur exécutif de Frontex des représentants de certains pays, la Grèce, la Hongrie et la Pologne, n’aura donc pas été suffisant (18).

    On peut se demander si l’élément déclencheur déterminant de la démission de Fabrice Leggeri n’est pas la fin du soutien que lui apportaient le gouvernement français et le président de la République, Emmanuel Macron…

    Amer, l’ancien directeur de Frontex a envoyé un dernier courriel au personnel de l’agence, qui résume les principaux enjeux liés à sa décision de démissionner :

    « Tout au long des deux dernières années, j’ai pu voir un narratif discret mais efficace envahir notre environnement. Selon ce narratif, l’activité centrale de Frontex devrait être transformée en celle d’une espèce d’agence des droits fondamentaux encadrant ce que font les États membres à leurs frontières extérieures. Mais le mandat qu’a eu Frontex en 2016 et encore plus en 2019, est d’être l’agence européenne de garde-côte et garde-frontière. […] Ma vision était et est encore que Frontex est, avec son rôle opérationnel, une agence agissant pour faire respecter la loi en soutien des États membres et qui contribue au bon fonctionnement de l’espace commun européen de sécurité, de liberté et de justice. J’avais cru comprendre que c’était ce qu’attendent les États membres et les citoyens européens de nous. Je constate que cette vision des choses n’est plus partagée au niveau politique. C’est la raison pour laquelle j’ai pris la décision de démissionner, ne pouvant rester pour mettre en œuvre ce qui n’est pas le mandat de l’agence. J’espère que cette démission va favoriser un débat politique au niveau européen afin de clarifier la mission que l’on attend de Frontex, en espérant que la vision du législateur qui prévalait en 2019 continue à prévaloir dans le futur… » (19). 

    « L’Europe des frontières », pierre angulaire du programme de Macron

    La démission de Fabrice Leggeri met en lumière l’impérieuse nécessité de faire évoluer le principe jusqu’ici intangible du non-refoulement. Il devient en effet de plus en plus manifeste que priver les agents de Frontex et ceux des États européens du pouvoir de décider qui entre sur leur territoire et qui n’y entre pas revient à remettre en cause le principe de régularité du séjour, et, in fine, à abolir les frontières. Cela est d’autant plus vrai que les migrants franchissent la frontière vers l’Europe à partir de pays limitrophes qui leur offrent la possibilité d’exercer leurs droits et où ils n’y sont pas persécutés. On ne peut également pas passer sous silence la motivation économique de ces migrants qui font des milliers de kilomètres pour s’installer en Europe. Il s’agit beaucoup trop souvent de mettre un pied dans la porte d’un pays européen en utilisant un droit individuel, pour n’en plus repartir.

    Lors de la campagne électorale en vue de sa réélection, Emmanuel Macron a fait de « l’Europe des frontières qui lutte contre l’immigration clandestine » l’une des pierres angulaires de son programme en matière migratoire. Quatre jours après son élection, le directeur exécutif de Frontex était débarqué en raison de l’activité de certains de ses agents pourtant conforme à la mission première de l’agence : lutter contre l’immigration clandestine.

    Pire, cette démission, qui devrait se traduire par plus de laxisme et moins de refoulements, intervient dans un contexte d’accélération des flux migratoires. Le nombre de franchissements illégaux détectés des frontières extérieures de l’Union européenne a en effet retrouvé le niveau de 2016, pour atteindre 40 300 entre janvier et mars 2022, soit 57 % de plus qu’en 2021 (20). Et le retour de l’été ne fera, comme les années précédentes, que renforcer cette tendance. Les chiffres sont encore plus inquiétants sur une période longue : durant les sept dernières années, près de trois millions de franchissements illégaux ont été détectés aux frontières extérieures de l’Union européenne. En France, ces flux viennent inéluctablement grossir le nombre de demandeurs d’asile et celui des clandestins qui se maintiennent illégalement sur le territoire.

    Mais l’affaire ne s’arrête pas. L’ONG Front-LEX veut visiblement que d’autres têtes tombent au sein de Frontex. Il est vrai que, une fois l’ancienne équipe de direction de l’agence décimée, il devrait être plus facile de remplacer sa vocation de garde-côtes et garde-frontières par celle d’accueil et d’orientation des migrants clandestins. Front-LEX vient à ce sujet de soumettre une requête auprès de l’OLAF afin d’avoir communication des noms des autres cadres de Frontex « impliqués dans les refoulements systématiques » (21).

    Il ressort de cette affaire qu’un vent mauvais souffle sur les pays membres de l’espace Schengen. Nos dirigeants se privent consciencieusement de tous les outils nécessaires à la maîtrise des flux migratoires. La démission de Fabrice Leggeri doit dans ce cadre être interprétée comme un nouvel aveu d’échec dans une véritable protection des frontières extérieures de l’UE.

    Paul Tormenen (Polémia, 03 mai 2022)

    Sources :

    (1) « Faire sombrer Frontex ». Plein droit. 2014.
    (2) « Frontex : un océan d’impunité ». Politis. 13 mars 2019.
    (3) Requête Frontexit. 29 janvier 2021.
    (4) « Frontex at Fault: European Border Force Complicit in ‘Illegal’ Pushbacks ». Bellingcat. 23 octobre 2020.
    (5) « EU Border Agency Frontex Complicit in Greek Refugee Pushback Campaign ». Spiegel International. 23 octobre 2020.
    (6) Site du Investigative journalism for Europe. « about ». Consultation le 29 janvier 2021.
    (7) Open Society Foundations. Grants. Requête « Global Investigative Journalism Network ». Consultation le 29 janvier 2021.
    (8) « George Soros Transfers Billions to Open Society Foundations ». The New York Times. 17 octobre 2017.
    (9) « Frontex, l’agence européenne de gardes-frontières, a maquillé des renvois illégaux de migrants en mer Égée ». Le Monde. 27 avril 2022.
    (10) « L’offensive médiatique contre la défense des frontières européennes s’intensifie. Seconde partie ». OJIM. 25 décembre 2021.
    (11) « Soros, le militant de la submersion migratoire et de l’islamisme ». Valeurs actuelles. 11 mai 2018.
    (12) « EU Parliament pressing for inquiry into Frontex ». EUobserver. 20 janvier 2021.
    (13) « EU anti-fraud office launches probe into Frontex ». EUobserver. 11 janvier 2021.
    (14) « Immigration : l’agence Frontex sanctionnée par le Parlement européen ». Le Monde. 30 avril 2021.
    (15) « Le Parlement demande le gel d’une partie du budget de Frontex jusqu’à ce que des améliorations clés soient apportées ». Communiqué de presse du Parlement européen. 21 octobre 2021.
    (16) Courrier du 24 mars 2021 de Front-LEX à Ylva Johansson.
    (17) « EU lawmakers refuse to sign off Frontex budget ». EUobserver. 1er avril 2021.
    (18) « EU border agency chief resigns after critical watchdog probe ». Politico. 29 avril 2022.
    (19) Tweet de Steffen Lüdke, 29 avril 2022.
    (20) Bulletin de situation. Frontex. 14 avril 2022.
    (21) Tweet de Front-LEX. 29 avril 2022.

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  • Border...

    Nous reproduisons ci-dessous un billet de Bruno Lafourcade, cueilli sur son site personnel et consacré à la question de la frontière. Écrivain talentueux, Bruno Lafourcade a publié ces deux dernières années, deux romans, L'ivraie (Léo Scheer, 2018) et Saint-Marsan (Terres de l'ouest, 2019) ainsi que deux pamphlets, Les nouveaux vertueux (Jean-Dézert, 2017) et Une jeunesse, les dents serrées (Pierre-Guillaume de Roux, 2019). Pour la rentrée, il publie un polar, Le Hussard retrouve ses facultés, chez Auda Isarn, et un roman, Tombeau de Raoul Ducourneau, aux éditions Léo Scheer.

     

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    Border

    La question centrale est celle de la frontière : tout vient d’elle. Il s’agit d’ailleurs de ne pas la limiter à la géographie, à la façon étroite des No Border : comme il y a une frontière entre l’homme et l’homme, entre l’indigène et l’étranger, il y en a une entre l’homme et la femme, entre l’homme et l’animal, entre l’homme et la machine – et toutes ces frontières doivent être abolies. Les antifas, les féministes, les végans et les trans-humanistes sont des No Border spécialisés : on a pris son panier recyclable, sa bicyclette citoyenne, et on a pédalé jusqu’au marché équitable de la discrimination ; là, on a choisi sa frontière, son mur et sa statue, à franchir, casser et abattre, en fonction de ses origines, de ses intérêts et de son cul (on sous-estime les dégâts causés par les culs sous-estimés). On s’entend bien, d’ailleurs, entre abolisseurs : chacun respecte l’abolition de l’autre ; en tout cas, on s’entend comme peuvent s’entendre des chefs de rayon, confrères un peu concurrents, d’une même grande surface : il faut seulement se mettre d’accord sur les nouveaux produits, les animations commerciales et les têtes de gondole.

    « Encore Greta ! Et mes Femen, j’en fais quoi ?

    ― Mais y a longtemps que ça ne se vend plus ! D’ailleurs, j’aurai du Richard Gere, la semaine prochaine : ça optimise bien, ça, comme produit, le Richard Gere… »

    Le progressiste voit dans la frontière le signe d’une arriération contraire aux droits de l’Homme, de la femme, de l’enfant et du moustique [1], puisqu’elle est responsable des guerres, de Trump, du bonnet d’âne et des bombes insecticides ; pour le réactionnaire, elle est au contraire l’essence même de la civilisation, qui jamais ne se conçut autrement que bornée, limitée, encadrée, emmurée. Les deux y voient une hiérarchie, une inégalité : l’étranger, l’élève et le moustique n’ont pas les mêmes droits que l’indigène, le professeur et M. Aymeric Caron ; une discrimination salvatrice pour le réactionnaire, fasciste pour le progressiste.

    Si en anglais border signifie frontière, « border », en français, peut signifier « protéger » : la mère borde son enfant – et c’est bien, pour le réactionnaire, le rôle de la frontière, en effet, que de protéger et défendre toutes choses, pour qu’aucune ne ressemble à une autre. Pour le progressiste, c’est exactement l’inverse : la frontière interdit, bride et tue ; en la supprimant, la femme, le migrant et le moustique auront la chance de devenir des mamans comme les autres, des Juifs allemands et des citoyens du monde.

    Cependant, le progressiste utilise la question des frontières nationale, raciale et genrée comme un prétexte. D’abord, il ne croit pas à l’égalité : la femme, l’enfant et le migrant doivent dominer ; il ne croit pas davantage à la justice : les Blancs doivent payer ; surtout, il y trouve un double intérêt.

    Il y a d’abord la vertu : ça l’intéresse beaucoup, au progressiste, d’être un saint. Il fallait la voir, la prude actrice américaine, dans son pull à col roulé, balancer son porc, des sanglots dans la voix ; il fallait le voir, l’ancien acteur crypto-bouddhiste, rayonner de contentement de soi, à bord de l’Open Arms ; il fallait le voir, Aymeric Caron, parler, avec la bêtise de l’amoureux, de la maman moustique. Il faut la voir, la laideur narcissique du progressiste, pour comprendre à quel point ça l’intéresse, la vertu, à quel point il jouit de se voir si saint dans son selfie. Il en jouit doublement, puisque le pouvoir l’attend. Il ne veut pas seulement le renverser, il le veut : il y a des lieux à vider et des sièges à prendre – le pouvoir est au bout des followers.

    Il produira des émissions, dirigera des journaux, tournera des films, écrira des livres : il y a tant à faire, il y en a tant à éduquer. Ça n’empêche pas la sincérité, d’ailleurs. Sincère, il serait même préjudiciable que le progressiste ne le soit pas ; évidemment, ça rend con comme la Lune, la sincérité, mais ça rend aussi efficace : l’intelligence et l’autodérision, ça vient du doute, ça freine, et ce frein, c’est l’effet du doute sur les certitudes – et c’est pourquoi les humoristes d’aujourd’hui sont tellement sinistres : la bêtise de leur certitude n’a pas de frein.

    Sincère, le progressiste l’est en conscience et inconsciemment : la petite journaliste de BFM, le jeune député macroniste, la primo-romancière de la maison Grasset ne se posent pas la question de la légitimité de leurs préjugés, ils ne doutent pas que la vertu consiste à balancer son porc, accueillir les migrants et respecter le « lundi sans viande » de Mme Binoche – le Bien ne doute pas de lui-même. C’est d’ailleurs l’inverse exactement de toute la tradition occidentale, qui consistait à partir du Mal, du péché originel, pour espérer l’amélioration de soi et l’élévation jusqu’au Bien ; le progressiste a fait d’emblée le plus dur : il est arrivé à la sainteté du premier coup et sans effort, il ne peut que s’y maintenir par la surenchère. Il ne peut surtout que chuter : tous les progressistes, de Dominique Sopo à Asia Argento, sont appelés à tomber au moins une fois de leur statue – et tout est à refaire. Les pauvres, c’est tellement plus intéressant de commencer par être un salaud : tout est à faire.

    Bruno Lafourcade (Site de Bruno Lafourcade, 23 août 2019)

     

    Note :

    [1] Les mamans moustiques, explique M. Aymeric Caron, « cherchent dans le sang de leur victime des protéines pour nourrir leurs œufs en développement et donc leurs bébés. » Lorsque l’on « est attaqué par un moustique, [on] a en fait affaire à une mère, qui essaie de remplir son rôle de future mère. Donc, ce moustique qui nous agace, est en fait une dame qui risque sa vie pour ses enfants en devenir ».

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