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michéa

  • La dictature de l'ego...

    Les éditions Larousse viennent de publier un essai de Mathias Roux intitulé La dictature de l'ego - En finir avec le narcissisme de masse. Normalien et agrégé, Mathias Roux enseigne la philosophie au lycée Dumézil à Vernon. Il a récemment publié, avec Emmanuel Roux, Michéa l'inactuel (Le bord de l'eau, 2017).

     

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    " Notre époque valorise toutes les manifestations de l’ego. Les injonctions «  soi toi-même, tu le vaux bien, fais-toi plaisir  » portées par le développement personnel mais aussi par les réseaux sociaux nous encouragent à toujours plus de mise en avant de notre ego et de déballage de notre intimité.
    Cet ouvrage propose de prendre le contrepied critique de cette apologie du narcissisme et propose de réhabiliter la pudeur, la retenue et la réserve. Toutes ces qualités indispensables à la formation de la personnalité comme à la vie en société, pourtant considérées à notre époque comme suspectes.
    L’auteur oppose ainsi à ces fausses promesses de libération une véritable perspective d’émancipation fondée sur des pistes philosophique  et s'appuie pour cela sur de nombreux penseurs et exemples pris dans la vie de tous les jours. "

     

     

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  • Au secours : les intellectuels reviennent... par la droite !

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un point de vue de François-Bernard Huyghe, cueilli sur son blog, Huyghe.fr, et consacré à l'assaut des intellectuels dits "réacs" contre la doxa politico-médiatique et son refus du réel...

     

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    Réac attaque

    Les intellectuels reviennent et par la droite. Ou plus exactement, pendant que la gendarmerie de la pensée (Libé, télé & co.) s'épuise à constater les dérapages et franchissements de ligne rouge, quiconque a le malheur de commettre un livre d'un peu de portée se voit aussitôt soupçonné de faire partie du complot réac. Comme si penser c'était désormais regretter. Dès 2002, la première alarme fut tirée par le livre de Lindenberg "Le rappel à l'ordre" : il s'inquiétait du succès d'une intelligentsia odieuse à ses yeux - Gauchet, Finkielkraut, Besançon, Houelbecq, Ferry, Muray, Lévy, Taguieff, Nora et d'autres. Il étaient coupables de nostalgie identitaire, de déclinisme. Ils présentaient les symptôme contagieux des phobies qui nous ont fait tant de mal - refus de l'évolution des mœurs, des droits de l'homme, du métissage, etc..

    Treize ans plus tard, il suffit d'ouvrir n'importe quel hebdomadaire pour voir combien font débat chaque nouveau livre ou nouvelle déclaration des inévitables Debray, Onfray, Houelbecq, Finkielkraut, Michéa, Zemmour, sans oublier Renaud Camus, Elisabeth Lévy, Richard Millet, Olivier Todd, Christophe Guilluy, etc. ( gens dont nous convenons volontiers qu'ils ne pensent pas la même chose). Ils risquent le tribunal, du type ONPC où l'on commence par vous dire que vous êtes partout, que vous dominez le débat et que vous ne cessez de vous exprimer avant de vous reprocher la moindre ligne et de vous intimer de vous repentir. Et si possible de vous taire. Ou alors pour votre salut et repentance, vous devriez faire quelque opuscule propre à édifier les masses, tenir des propos antiracistes et pro-européens, exalter la mondialisation et la modernité, chanter l'Autre et le changement. Nous expliquer en somme que le monde tel qu'il est est le moins mauvais possible, employer votre énergie à une cause enfin courageuse et anticonformiste comme lutter contre le réchauffement climatique, Poutine, le Front National, la France crispée et le populisme, devenir de vrais rebelles, quoi !
    Pour ne prendre qu'un exemple, au cours des deux dernières semaines Onfray, Debray, Finkielkraut ont chacun fait la couverture d'un des principaux hebdomadaires. Ce sont de longs dossiers qui aideront le lecteur cadre à décider s'il doit croquer dans la pomme : d'un côté ces gens là disent des choses que l'on comprend. Leurs fulminations contre la bien-pensance ont un côté Bad Boys bien séduisant. De l'autre, il ne faudrait quand même pas faire le jeu de l'innommable et la blonde est en embuscade... On a moins hésité avant de goûter son premier joint.
    À chaque époque l'évolution des idées dominantes, montée et le déclin des représentations hégémoniques - se développe dans un rapport complexe. Il se joue entre la situation des producteurs d'idées, leurs organisations collectives, la forme des moyens de transmission, les groupes d'influence ou les détenteurs d'autorité, la doxa populaire et -il faut quand même le rappeler- la situation objective. Nous n'avons pas la place d'en traiter ici, mais il nous semble qu'il y a au moins deux phénomènes majeurs sur lesquels nous reviendrons :
    L'alliance qui s'esquisse entre la haute intelligentsia (producteur de thèses et idées générales) et le peuple ou du moins les tendances de l'opinion populaire. Elle se constitue autour d'un accord pour nommer un réel que refusent les politiquement corrects (basse intelligentsia, commentateurs médiatiques, classes urbaines assez matériellement protégées pour être soucieuses des "valeurs"). En clair, le conflit oppose ceux qui osent et ceux qui refusent d'aborder les sujets tabous - identité, effondrement de l'éducation, danger islamiste, existence d'ennemis, souveraineté, nation, peuple, culture et mœurs, continuité historique - autrement que comme des fantasmes répugnants nés des "peurs". Ceux qui s'inquiètent d'une permanence du tragique contre les partisans de ce qu'il faut bien nommer l'orde établi. Selon eux, ses principes seraient excellents, le triomphe historique inéluctable et il conviendrait seulement de corriger les excès et dérives avec un peu plus du même : plus de libéralisme, de gestion, de tolérance et d'ouverture, de gouvernance, d'Europe, de technologie et de vivre ensemble. À certains égards, cette bataille se fait à flancs renversés. Les positions entre pessimistes critiques s'attaquant aux élites et aux dominations idéologiques d'une part et, d'autre part universalistes moraux et bons gestionnaires ont été comme échangées entre "réacs" et "progressistes".
    Le retrait des seconds sur des positions purement défensives voire répressives (on n'a pas le droit de dire que..., on sait où cela nous mène). Une hégémonie idéologique peut-elle survivre en n'expliquant rien, en ne promettant rien, mais en se contentant de dire que ses ennemis sont méchants ? La criminalisation de la critique et le recours au tabou nous semblent plutôt être les armes du suicide idéologique. C'est, en tout, cas une question sur laquelle nous reviendrons ici.

    François-Bernard Huyghe (Huyghe.fr, 8 octobre 2015)

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  • Le complexe d'Orphée...

    Les éditions Climats viennent de publier le dernier essai de Jean-Claude Michéa intitulé Le complexe d'Orphée - La gauche, les gens ordinaires et la religion du progrès. Au cours des dix dernières années, Jean-Claude Michéa est devenu un des critiques du système les plus radicaux et les plus talentueux, dont les livres font date. Ses analyses à la fois subtiles et percutantes sont servies par un style d'une grande clarté. Une lecture indispensable !

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    "Semblable au pauvre Orphée, le nouvel Adam libéral est condamné à gravir le sentier escarpé du "Progrès" sans jamais pouvoir s'autoriser le moindre regard en arrière.
    Voudrait-il enfreindre ce tabou - "c'était mieux avant" - qu'il se verrait automatiquement relégué au rang de Beauf, d'extrémiste, de réactionnaire, tant les valeurs des gens ordinaires sont condamnées à n'être plus que l'expression d'un impardonnable "populisme". C'est que Gauche et Droite ont rallié le mythe originel de la pensée capitaliste : cette anthropologie noire qui fait de l'homme un égoïste par nature.
    La première tient tout jugement moral pour une discrimination potentielle, la seconde pour l'expression d'une préférence strictement privée. Fort de cette impossible limite, le capitalisme prospère, faisant spectacle des critiques censées le remettre en cause. Comment s'est opérée cette, double césure morale et politique ? Comment la gauche a-t-elle abandonné l'ambition d'une société décente qui était celle des premiers socialistes ? En un mot, comment le loup libéral est-il entré dans la bergerie socialiste ? Voici quelques-unes des questions qu'explore Jean-Claude Michéa dans cet essai scintillant, nourri d'histoire, d'anthropologie et de philosophie."
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  • Vous avez dit populisme ?...

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    Une petite pépite sur le populisme, tirée d'une note du petit ouvrage de Jean-Claude Michéa, réédité par les éditions Climats, Les intellectuels, le peuple et le ballon rond.L'illustration est de Waljé, peintre wallon de Courcelles...

    "Il faut toujours rappeler qu'il y a peu de temps encore, le terme de «populisme»était employé de façon tout à fait positive pour désigner certains mouvements révolutionnaires issus des traditions russes et américaines de la deuxième moitié du XIXe siècle. Ce n'est que depuis quelques années que « Le Monde » et les autres médias officiels se sont employés, avec beaucoup de cynisme, à conférer à ce terme (en lui-même irréprochable pour un démocrate) le sens infamant qui est maintenant le sien ; cela à seule fin, bien sûr, de pouvoir diaboliser comme fasciste toute inquiétude ou perplexité du peuple à l'endroit des décisions qui le concernent et que prend solitairement l'oligarchie régnante après consultation de ses prétendus «experts»."

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  • Les intellectuels, le peuple et le ballon rond...

     "[...] Ce qui déplaît visiblement à certains adversaires du sport est qu'il soit éminemment populaire -  que le peuple, ainsi qu'il l'a toujours fait, s'enthousiasme pour les compétitions sportives (d'autant plus qu'à notre époque, il n'a plus guère d'occasion de s'enthousiasmer pour autre chose). Or le prestige du champion est indissociable de la fierté du groupe auquel il appartient et qui se reconnaît en lui : la compétition sportive implique un monde commun et des valeurs partagées.[...]"  Robert de Herte, Règne des records ou gloire des champions ?, in Eléments n°125, été 2007 

     

    Dans Les intellectuels, le peuple et le ballon rond, que les éditions Climats rééditent sept ans après sa première sortie, Jean-Claude Michéa, auteur de L'empire du moindre mal et de Impasse Adam Smith, défend le football en tant que grand sport populaire et dénonce sa marchandisation. A lire avant la déferlante télévisuelle de la Coupe du monde !... 

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    "Ce texte est d’abord prétexte à rendre hommage à Football, ombre et lumière, un grand livre de l’écrivain uruguayen Eduardo Galeano, paru aux éditions Climats en 1998. Mais Jean-Claude Michéa ne se contente pas ici de signaler l’intérêt philosophique indéniable de cet ouvrage, ni d’écrire de très belles pages sur ces footballeurs qui défièrent la gravité et donnèrent leurs noms à des gestes impensables. En dévoilant les mécanismes du mépris entretenu par une bonne partie des classes éduquées à l’encontre des sports populaires en général, et du football en particulier, il approfondit sa critique de l’Économisme, et de cette “ minorité civilisée ” chargée de mettre en pratique ses diktats. Le texte de Jean-Claude Michéa, introduit par une note de présentation de l’éditeur, sera accompagné de quelques nouvelles d’Eduardo Galeano, tirées de son livre, Football, ombre et lumière. Beckenbauer et Baggio y côtoient en bonne intelligence Camus et Pasolini. "

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  • Michéa contre le libéralisme

    A l'occasion de la sortie en collection de poche du livre de Jean-Claude MichéaL'empire du moindre mal, nous reproduisons ici un article de Pierre Bérard, initialement paru dans la revue Eléments (n°128, printemps 2008).

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      Jean-Claude Michéa contre le « moindre mal » du « meilleur des mondes » libéral !

     

    Auteur fondamental, Jean-Claude Michéa s'est toujours opposé à la « servitude libérale ». Son dernier essai s'inscrit dans cette veine, et l'approfondit : L'« empire du moindre mal », c'est notre civilisation. Dont l'état est plutôt morose...

    À l'opposé des «mutins de Panurge», ces légions de faux rebelles que le « système » fabrique à la chaîne pour qu'ils saturent de leurs bavardages l'espace dévolu à la contestation autorisée, Jean-Claude Michéa n'est pas un subversif à gages. Il est inconnu à la télévision et pratiquement impossible à interviewer. Disciple d'Orwell et de Christopher Lasch, il publie avec L'empire du moindre mal un livre brillant et, certes, érudit, mais troussé d'une ironie mordante qui donne à sa lecture un indéniable plaisir.

    La thèse soutenue dans ce livre peut se résumer de manière lapidaire. Contrairement à ce que l'on entend souvent dire, il n'y a pas lieu de distinguer le libéralisme politique et culturel défini comme l'avancée illimitée des droits et la libération permanente des mœurs, qui a les faveurs de la « gauche », du libéralisme économique, qui rallie les suffrages de la «droite ». Si le libéralisme réellement existant présente plusieurs facettes, il est conceptuellement tout d'un bloc, chacun de ses aspects s'articulant logiquement à tous les autres. C'est un ensemble cohérent au point qu'adopter l'un de ses fragments, c'est aussitôt devoir s'accommoder de tous les autres.

    Pour dissiper la persistante confusion intellectuelle qui préside à l'utilisation de ce vocable polysémique, Michéa se livre d'abord à une étude généalogique de la pensée libérale, dont il situe classiquement les prémisses au XVIIe siècle. Les penseurs de cette époque rompent en effet avec l'humanisme de la Renaissance et introduisent de nombreux paradigmes novateurs qui bouleversent l'ancienne représentation du monde. Le premier de ces paradigmes apparaît avec l'invention de la science expérimentale de la nature et la physique galiléenne, «l'un des traits les plus singuliers de l'Occident moderne».

    Généalogie du libéralisme

    Cette véritable révolution théorique donne à la notion de progrès une «assise métaphysique particulièrement solide », qui favorise la croyance selon laquelle l'extension de la méthode galiléenne à l'étude de la nature humaine pourra, à l'avenir, permettre de développer une véritable «physique sociale» et créer ainsi les conditions indispensables, enfin «scientifiques» et «impartiales », pour résoudre le problème du politique. Hobbes et Spinoza sont les premiers, alors, à définir les postulats de cette «science politique» dont Auguste Comte reprit plus tard l'ambitieux dessein. Selon Michéa, il ne fait aucun doute que la révolution galiléenne a forgé une grande partie des outils philosophiques nécessaires au déploiement de l'imaginaire moderne, dont le libéralisme constitue l'énoncé le plus radical.

    Un second paradigme surgit simultanément d'une réflexion sur les guerres de religion qui, pendant des décennies, ont mis le continent à feu et à sang. Par leur ampleur, ces conflits ont causé un traumatisme durable et tous aspirent désormais à la paix civile. Question posée: comment éviter à l'avenir la «guerre de tous contre tous» ? Forme de guerre qui serait, selon l'hypothèse de Hobbes, la guerre «primitive» par excellence. La hantise du «plus-jamais-ça» conduit alors les penseurs à définir les conditions qui permettront au genre humain de bannir définitivement ce type de conflit. Ce refus une fois établi, la seule guerre qui demeure imaginable est la guerre de l'homme contre la nature, guerre de substitution conduite avec les armes de la science et de la technologie. Dans cette perspective, se rendre « comme maître et possesseur de la nature », selon le mot d'ordre prométhéen formulé par Descartes, devient un impératif moral. Transférer dans le travail d'arraisonnement de la nature l'énergie précédemment consacrée à la guerre peut être considéré comme une revanche du marchand, figure jusqu'alors universellement méprisée. Cette évolution vers le «doux commerce», la «vie tranquille» et un «repos historique bien mérité », en sollicite deux autres. En effet, si les «deux principales causes de la folie guerrière sont, d'une part, le désir de gloire des Grands et, de l'autre, la prétention des hommes [...] à détenir la Vérité sur le Bien», il va s'agir dorénavant de «déconstruire» l'idée même de vertu héroïque (et la disposition au sacrifice ultime qu'elle encourage), et de dénoncer l'arrogance de ceux qui s'estiment compétents pour décider du salut des autres pour leur imposer une conception de la « vie bonne » (forcément arbitraire). Le travail de «démolition du héros» (selon l'heureuse expression de Paul Benichou) est mené à terme aussi bien par Port-Royal et l'augustinisme janséniste que par La Rochefoucauld, qui dépouillent la « gloire» de son aura historique en la rabattant sur des explications prosaïques, comme l'amour-propre et l'intérêt privé. Le sublime n'est plus que le masque de l'hypocrisie.

    « Les structures impersonnelles du marché et du droit »

    Cette évolution démystificatrice fait dire à Michéa que la « modernité occidentale apparaît [...] comme la première civilisation de l'histoire qui ait entrepris de faire de la conservation de soi le premier (voire l'unique) souci de l'individu raisonnable, et l'idéal fondateur de la société qu'il doit former avec ses semblables ». Ce déblayage radical de l'ancienne éthique de la honte et de l'honneur prépare évidemment le terrain à l'irrésistible assomption du « bourgeois », comme le note encore Michéa : «L'essence de l'Homme va commencer à être lue de manière privilégiée à travers le modèle du bourgeois, ce négociant bien commode, que toute l'époque s'accorde maintenant à définir comme prosaïque, paisible et inoffensif». Évolution dont Nietzsche a parfaitement résumé le parcours dans un aphorisme de son livre Aurore 173) où il écrit que dans une société « qui adore la sécurité comme la divinité suprême », le travail constitue nécessairement la «meilleure des polices».

    Quant à l'idée, désormais réputée criminelle, selon laquelle il serait légitime de conserver à la société un socle de valeurs communes lui conférant, dans la perspective du « bien commun », une cohérence culturelle sans laquelle le vivre ensemble pourrait s'avérer problématique, il n'en est plus question pour les modernes, selon qui l'harmonie implique « qu'il n'y ait plus jamais lieu de faire appel à la vertu des sujets ».

    Une fois posés ces linéaments, l'auteur peut exposer le « double mouvement parallèle qui conduit le libéralisme philosophique à proposer l'utopie d'une société rationnelle, plaçant le fondement même de son existence pacifiée dans la seule dynamique des structures impersonnelles du Marché et du Droit», chacune de ces instances étant appelée à fonctionner de manière «mécanique» (sur le modèle des théories physiques) sans qu'il n'y ait plus jamais nécessité de convoquer une morale surplombante ou de faire appel à la vertu des sujets. Michéa concède bien volontiers que le libéralisme du droit, ou libéralisme politique, est historiquement distinct du libéralisme du marché, mais, souligne-t-il, l'un et l'autre sont dans les faits historiquement adossés et avancent de conserve, s'épaulant théoriquement.

    Le postulat inaugural du libéralisme politique est la neutralité axiologique de l'État, simple organisme de régulation et d'harmonisation de libertés individuelles désormais concurrentes. Son outil principal est le droit, dont la mission est d'assurer la primauté du juste sur le bien en se contentant d'ajuster au mieux les passions rivales. Le moins d'État possible donc (c'est l'État veilleur de nuit) et surtout, un «État qui ne pense pas». Ainsi s'opère la transition entre le gouvernement des hommes et la simple «administration des choses» (Saint-Simon).

    Michéa ne manque pas de souligner les nombreuses apories auxquelles conduit un pareil axiome. Car ce qui pourrait paraître judicieux dans l'épure se révèle à l'usage souvent hasardeux. Si chaque individu est, en effet, libre de vivre selon sa propre définition du bonheur, dès lors qu'elle n'entrave pas la liberté de ses semblables, «comment par exemple trancher d'une façon strictement "technique" entre le droit des travailleurs à faire grève et celui des usagers à bénéficier du service public? Comment trancher entre le droit à la caricature et celui du croyant au respect de sa religion? »1. L'évolution continue des mœurs et la reconnaissance qu'exigent impérativement les nouvelles modes comportementales accentuent la pression que les «problèmes de société» exercent sur le cours de la justice au point que celle-ci n'a plus d'autre choix que de s'engager dans la «voie d'une régularisation massive de tous les comportements possibles et imaginables» et à ne trancher qu'en fonction des rapports de force.

    La «libération des mœurs» est devenue synonyme «d'avancée du droit» dans une surenchère incessante dont Philippe Muray sut tenir la chronique bouffonne avec une appétence et un humour auxquels Michéa n'est pas resté indifférent. Au final, qu'en résulte-t-il? Outre la multiplication des «victimes» et leur inexorable concurrence, c'est l'inflation de la chicane et, à terme, l'abolition des libertés. En effet, écrit Michéa, «comme n'importe quelle prise de position politique, religieuse ou morale suppose, si elle est cohérente, la critique des positions adverses, elle sera toujours, en droit, suspecte de nourrir une "phobie" (consciente ou inconsciente) à leur endroit. La "phobophobie" libérale (c'est à dire la "phobie" de tous les propos susceptibles de "nuire à autrui" en osant contredire son point de vue ou critiquer ses manières d'être) ne peut donc aboutir - à travers la multiplication des lois instituant le "délit d'opinion", et sous la menace permanente de procès en diffamation - qu'à la disparition progressive de tout débat politique "sérieux" et, à terme, à l'extinction graduelle de la liberté d'expression elle-même, quelle qu'ait été, au départ, l'intention des pouvoirs libéraux».

     

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    Des alliages provisoires

    Dans son précédent livre2, Jean-Claude Michéa reconnaissait volontiers l'indéniable réussite d'un système qui s'est imposé à la presque totalité des hommes. Il reprenait cependant une intuition de Marcel Mauss développée par Cornelius Castoriadis et suggérant que l'utilitarisme ne pouvait pas être la cause principale de ces succès. Castoriadis écrit en effet ceci: « Le capitalisme n'a pu fonctionner que parce qu'il a hérité d'une série de types anthropologiques qu'il n'a pas pu créer lui-même: des juges incorruptibles, des fonctionnaires intègres et wébériens, des éducateurs qui se consacrent à leur vocation, des ouvriers qui ont un minimum de conscience professionnelle, etc. Ces types ne surgissent pas et ne peuvent pas surgir d'eux mêmes, ils ont été créés dans des périodes historiques antérieures, par référence à des valeurs alors consacrées et incontestables: l'honnêteté, le service de l'État, la transmission du savoir, la belle ouvrage, etc. Or nous vivons dans des sociétés où ces valeurs sont, de notoriété publique, devenues dérisoires, où seule comptent la quantité d'argent que vous avez empochée, peu importe comment, ou le nombre de fois où vous êtes apparu à la télévision »3. D'où l'analyse de Michéa, qui soutient que c'est parce que les conditions de l'égoïsme libéral n'étaient pas encore réalisées que le marché a pu conserver, un temps, équilibre et efficacité. Tout comme le mécanisme de la pendule est stabilisé par l'inertie du balancier, la dynamique du libéralisme fut longtemps canalisée par le stock de valeurs et d'habitus constitué dans les sociétés « disciplinaires » antérieures et que lui même est par nature incapable d'édifier. Ce stock une fois épuisé, l'échange marchand ne connaît plus de frein et sombre dans l'hubris.

    Le raisonnement de Castoriadis montre que le libéralisme n'est historiquement viable que si les communautés où son règne est expérimenté sont, sociétalement, suffisamment solides et vivantes pour en contenir les aspects dévastateurs. Cette solidité tient autant à l'enracinement des systèmes de limitations culturelles et symboliques depuis longtemps intériorisés qu'aux régulations politiques d'un État qui ne s'était pas encore résolu à n'être qu'une structure d'accompagnement « facilitatrice » des « lois du marché ». C'est ce qui explique, par exemple, que dans la France des années soixante (la France du général de Gaulle) la « croissance » connaisse un rythme soutenu et génère une augmen­tation réelle et générale du bien-être alors que, entre autres données sociologiques très parlantes, le taux de délinquance demeurait à son plancher. La prégnance des anciens modèles comportementaux était encore dominante, et c'est sur cette base qu'ont pu s'accomplir les « Trente Glorieuses ». Dans les années suivantes, quand s'estompe la préoccupation du collectif et que triomphent les ego « émancipés », promus tant par les doctrinaires libertaires que par les slogans publicitaires, tous ces anticorps commencent à se dissoudre4.

    La période actuelle constitue pour Michéa l'aboutissement ultime d'une logique libérale désormais sans ailleurs et donc livrée à sa propre démonie. D'un côté, l'extension indéfinie de la sphère marchande et, de l'autre la multiplication des conflits nés du relativis­me moral. Autant de luttes qui se traduisent par de nouvelles contraintes et l'établissement d'une société de surveillance aux mailles sans cesse plus serrées.

    Contre le style libéral

    Le refus radical que nourrit Jean-Claude Michéa à l'encontre du libéralisme peut sembler, à première vue, épouser des passions françaises assez largement partagées. Il n'en est rien cependant, puisque son refus est justement «radical» tandis que la majorité de nos contemporains, quelles que soient les préventions qu'ils affichent, continuent, imperturbablement, de se mouvoir politiquement dans le référentiel droite-gauche et adoptent, volens nolens, des modes de vie qui les inscrivent dans la dynamique du libéralisme triomphant. Plus que des adhésions formelles, ce sont des styles de vie que le libéralisme requiert et ce consentement, massivement fabriqué par l'industrie de la persuasion, lui est plus précieux que les connivences idéologiques proclamées à grand renfort de tambours. De ce point de vue, c'est une banale évidence, les dissidents ne sont pas légion.

    En se définissant, à la suite d'Orwell, comme « anarchiste tory », Jean-Claude Michéa se situe d'emblée au delà des polarités conformes, polarités caduques que d'innombrables faussaires maintiennent, consciemment ou par paresse, sous perfusion constante afin de différer l'irruption de nouveaux clivages. L' oxymore orwellien a le grand mérite de suggérer un positionnement qui renvoie les « affrontements » mis en scène par le système à leur nature publicitaire (et par conséquent, mystificatrice et anesthésiante) et à leur vérité impolitique5.

    Dans ces conditions, il va de soi que Michéa se veuille réfractaire à une « gauche » qu'il étrille autant que possible. S'il n'est pas « de gauche », il se réclame, en revanche, du socialisme inaugural et sait fort bien, comme l'a établi Marc Crapez6, que ce socialisme français s'est fondu dans la «gauche» pour s'y abolir à la fin du XIXe siècle. Ce qui distinguait ce socialisme «utopique» (syntagme dépréciatif que lui accolèrent les tenants du «matérialisme dialectique ») était un double refus de l'Ancien Régime et de la modernité bourgeoise. Spontanément opposés à cette modernité bourgeoise, les socialistes de cette époque affirmaient le primat du social et refusaient d'envisager l'individu comme une monade détachée du corps organique de la communauté. C'est aussi pourquoi, contre Marx et ses épigones, ils se refusaient à définir l'économie comme étant toujours et partout déterminante «en dernière instance ». Quoiqu'ils n'aient jamais conceptualisé ce qui leur paraissait comme une évidence, ils pensaient l'économie comme une réalité incorporée (« encastrée » selon l'expression de Polanyi) dans la texture sociale, toujours prééminente. Opposés tout aussi bien à l'Ancien Régime, ils ne rêvaient pas de «contre-révolution» et ne cherchaient pas à se réfugier dans l'utopie d'une restauration de la transcendance comme point d'appui de l'ordre social. Suffisamment «modernes» pour se défier de l'hétéronomie des sociétés antérieures, ils affirmaient le principe d'autonomie selon lequel les citoyens seuls ont mission de penser, sans le secours abusif du ciel, les formes d'un « être-ensemble» qui respecte l'héritage sans jamais se laisser envoûter par ses sortilèges.

    De la philia des Anciens à la common decency des prolétaires londoniens qui inspirèrent Orwell, il y a un fil d'Ariane et comme un réservoir inexploré de valeurs. C'est dans ce trésor que Jean-Claude Michéa nous propose de puiser les armes théoriques du combat nécessaire contre l'horreur libérale.

    Pierre BÉRARD

     

    1. «Jean-Claude Michéa et la servitude libérale», propos recueillis par Élisabeth lévy; in Le Point, 6 septembre 2007.

    2. Jean-Claude Michéa, Impasse Adam Smith. Brèves remarques sur l'impossibilité de dépasser le capitalisme sur sa gauche, Climats, 2002, 185 p.

    3. Cornelius Castoriadis, La montée de l'insignifiance, Seuil, 1996. Cf. en particulier le chapitre intitulé «le délabrement de l'Occident», p. 68.

    4. Jean-Claude Michéa ne se prive pas de dénoncer l'imposture de Mai 68. Cet épisode constitue selon lui un moment clef pour avoir "fait table rase» des derniers obstacles à la marchandisation généralisée. Principale victime de cette «terrible confusion», le peuple, qui n'aura connu d'autre changement que le «remplacement du vieux despotisme de l'avenue Foch par la tyrannie, indéniablement plus décorative, de la place des Vosges et du Marais».

    5. Selon Carl Schmitt, cité par Michéa p. 16-17, il n'y a pas de politique libérale sui generis, mais seulement une critique libérale de la politique.

    6. Marc Crapez, Naissance de la gauche, suivi de Précis d'une droite dominée, Michalon, 1998.

     

    o Jean-Claude Michéa, L'empire du moindre mal. Essai sur la civilisation libérale, Champs Flammarion, 2010, 8€.

     

     

     

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