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laurent alexandre

  • Tour d'horizon... (256)

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    Au sommaire cette semaine :

    - sur la Lettre de Comes Communication, Arnaud de Morgny, directeur-adjoint au sein du Centre de recherche appliquée de l'Ecole de guerre économique, plaide en faveur d'une utilisation offensive de l'influence...

    Passer à l'offensive dans la guerre économique, quelle place pour les opérations d'influence ?

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    - sur son site, la Fondation Identité et Démocratie publie les actes d'un colloque organisé en juin dernier et consacré à l'intelligence artificielle, avec notamment un débat entre Laurent Alexandre et Olivier Rey...

    Relever le défi de l'intelligence artificielle en Europe

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  • Penser le transhumanisme avec la Tradition...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Julien Rochedy, cueilli sur son blog et consacré à la question du transhumanisme.

     

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    Penser le transhumanisme avec la Tradition

    La guerre des Intelligences de Laurent Alexandre

    Le livre du docteur Laurent Alexandre « La guerre des intelligences » est à mettre dans toutes les intelligences. Son objet est sans appel : nous sommes en train de vivre une véritable révolution anthropologique, peut-être la plus importante de toute notre histoire, et personne ou presque, en Europe, ne s’y intéresse véritablement. Est-ce encore un signe de la volonté presque maladive des européens de sortir définitivement de l’Histoire et, donc, du jeu des puissances ? Peut-être bien, hélas, mais ce ne sera pas le sujet de cet article.

    J’aimerais réfléchir à haute voix sur la thèse de Laurent Alexandre – laquelle me semble difficilement contestable – et sur la réaction philosophique et politique que nous devons avoir à son égard. Quand je dis « nous », je parle bien sûr des Français, et plus généralement des Européens, mais chacun comprendra que je me concentre plus encore sur les réactions des penseurs « de droite », « conservateurs » et/ou traditionalistes, dont je fais parti, car cette révolution qui est à l’œuvre nous invite aussi à révolutionner nos idées.

    Résumons rapidement la thèse du docteur Alexandre : l’intelligence artificielle et la dépendance à son égard ne cessent de croitre. Celle-ci dépasse déjà les capacités humaines en bien des domaines et pourrait logiquement détruire la plupart des métiers que l’on croyait autrefois dévolus aux hommes et aux hommes seuls (comme la médecine par exemple). Afin de « concurrencer » cette IA, et, surtout, de pouvoir la manier, l’homme devra nécessairement améliorer ses capacités cognitives, sous peine d’être complétement dépassé. Dès lors, tous les progrès de l’IA appellent par nature des progrès de ce que l’on appelle le « transhumanisme », l’un ne pouvant aller sans l’autre. Ainsi, sauf à cesser toutes recherches sur l’IA, et à détruire dès maintenant les smartphones que nous avons entre les mains, les études et les pratiques sur le génome, le cerveau et notre corps ne s’arrêteront pas et bouleverseront très bientôt notre expérience de l’humain. Inutile de dire que personne ne détruira son Smartphone, et que, de toutes façons, si un pays décidait unilatéralement l’arrêt des recherches, la Chine et les Etats-Unis, qui se conçoivent encore comme des puissances (contrairement à nous), ne sont pas prêts, eux, de cesser.

    Que tous ceux qui doutent de cette thèse lisent le livre de Laurent Alexandre avant de continuer de lire cet article. Je le crois très convainquant, et je partirai donc du postulat que sa thèse est véridique.

    Le bio-conservatisme et la peur du transhumanisme

    La première réaction des « gens de chez nous » face au transhumanisme et au progrès de l’IA est la peur, voire le dégout. Ceux-ci nous font entrer dans un monde que nous ne connaissons pas et nous sommes naturellement gorgés de fantasmes à son propos. Nous imaginons un monde déshumanisé où règnerait la froide technique, rempli de manipulations génétiques accomplies par de patibulaires scientifiques à l’accent allemand. De surcroit, nos conceptions holistes et communautaires regimbent face à l’idée d’un homme-Dieu démiurge de lui-même, sorte d’acmé de l’individualisme libéral occidental, prêt à abolir les règles de la Création pour satisfaire son Ego et sa soif de puissance. La réaction « instinctive » d’un être humain est de plisser les yeux en signe d’inquiétude et de défiance. Si cet « être humain » est de droite, c’est à dire plus rétif que les autres à ce que l’on appelle « le progrès », il les plissera d’autant plus en signe d’agressivité, souhaitant s’enfermer dans une idéologie « bio-conservatrice » dont l’unique objet ne peut être qu’un statu quo, lui-même ne voulant pas revenir sur les progrès de la médecine et de ses superordinateurs qu’il utilise déjà.

    Je suis personnellement parti de cet instinct, que je crois normal et plutôt sain. J’ai partagé de prime abord les conceptions « bio-conservatrices ». Mais désormais, je les crois vaines. Le transhumanisme passera comme sont passées toutes les autres révolutions techniques et humaines, laissant toujours les conservateurs dans leurs larmes au bord de la route. Depuis au moins deux siècles, les conservateurs perdent toujours car ils ne peuvent, en définitive, que perdre, la vie et l’Histoire étant par essence des fleuves mouvants que nul ne peut arrêter. Les conservateurs n’arrêtent jamais rien, ils ajoutent seulement de l’aigreur aux tremblements de terre qui agitent périodiquement l’humanité. Il faut être sûr de cela : ne pas accepter la révolution à l’œuvre, pour des raisons morales et éthiques, n’empêchera en rien que celle-ci suive son cours.

    Je crois, dès lors, qu’il faut non pas aborder cette question avec des positions conservatrices, mais plutôt traditionalistes. La différence est énorme. Le conservatisme est une défiance et une prudence qui peuvent dégénérer en sclérose. Il faut garder la défiance et la prudence, mais se garder de la sclérose. C’est en quoi la pensée traditionaliste est utile.

    Objectifs de la pensée traditionnaliste

    La pensée traditionnaliste n’est pas, contrairement à ce que l’on peut croire, « réactionnaire ». Elle s’intéresse plutôt au sens donné à l’humanité et aux exigences particulières qui lui échoient. Deux éléments la caractérisent depuis l’origine : la volonté d’amélioration de l’homme et l’harmonie avec l’Univers auquel il doit accéder. Voyons donc si ces deux ambitions peuvent se marier avec le « transhumanisme ».

    Contrairement à la pensée roussauiste du « bon sauvage », la pensée traditionnelle n’a de cesse de valoriser depuis ses origines l’éducation et la sélection. L’homme n’est pas, par nature, quelque chose ayant une « valeur en soi », mais plutôt quelque chose qui peut, potentiellement, accéder à la valeur, par ses actes et ses pensées, ses réflexions et ses réalisations. Depuis le jeune hindou à l’école du maître brahmane jusqu’au polytechnicien actuel, l’on sait qu’un être humain nécessite d’être formé, instruit et éduqué, voire parfois « dressé », pour atteindre le véritable statut « d’homme » qui seul, lui fait honneur. C’est en travaillant sans cesse sur son corps et sur son esprit que l’homme peut se différencier de l’animal, produire de l’art et de la philosophie, amplifier son influence dans le monde, se protéger des périls et développer au mieux ses capacités. L’éducation, du moment que l’on valide son principe, a pour objectif d’accroitre les capacités cognitives et physiques de l’être humain, et ce depuis l’origine.

    Cette éducation et son corollaire, la sélection, ont fondamentalement pour objectif d’améliorer l’espèce, laquelle est ainsi capable d’explorer l’univers, de percer les mystères de l’Esprit, de mieux comprendre la nature du monde à travers la philosophie et la spiritualité, et de produire l’art, c’est à dire, précisément, ce qui excite l’imagination et la création au service de la beauté et de l’émerveillement. C’est à travers ces objectifs que l’humanité trouve son sens depuis la nuit des temps, un sens qui lui est propre, qui la différencie des autres espèces mammifères et qui seul, lui fait honneur.

    Quel est l’objectif suprême de cette éducation, de cette volonté d’améliorer l’homme et de l’augmenter ? A la source de la pensée Traditionnelle, les brahmanes de la période védique, celle des incomparables Upanishads, orientaient les hommes afin qu’ils puissent intégrer et comprendre « l’âtman », c’est à dire « l’âme du monde », afin d’être véritablement en contact avec la Création, avec l’Univers. Cette faculté d’atteindre l’âtman, le stade ultime, demandait des capacités cognitives de hautes volées, et toute la société brahmanique était tournée vers cet objectif suprême. Le christianisme médiéval n’était pas loin non plus de partager un objectif similaire, invitant les « meilleurs », c’est à dire les saints, à se « connecter » à Dieu par des exercices spirituels, philosophiques et métaphysiques qui n’étaient assurément pas à la portée de tout le monde. Dans l’Islam soufi, la plus spirituel qui existe, l’objectif n’est pas différent : il faut être capable de pénétrer l’ « Un », sorte de resucée de l’âtman védique. Ainsi, tous les grands courants de pensées spirituels, les plus élevés de l’histoire humaine, ont toujours réclamé plus d’intelligence, plus de capacités et plus de force.

    Nature et dignité de l’homme

    En somme, lorsque l’on résume la pensée traditionnelle, les objectifs qu’elle demande à l’humanité et les différents moyens pour les atteindre, l’on constate que tout était fait pour améliorer l’humanité (et notamment son intelligence) afin de mieux comprendre l’Univers. C’est là le sens de la « dignitas » de l’homme autrefois théorisé dans l’humanisme classique. Dans les possibilités qu’offre le transhumanisme, notamment l’amélioration du QI et la force du corps, il n’y pas de différences de nature avec le « sens » de l’Homme que donnait autrefois la Tradition, seulement une différence de degré. A partir du moment où nous sommes d’accord avec l’idée que l’homme trouve sa dignité dans l’amélioration de lui-même par l’éducation et le dépassement en vue de mieux conquérir l’Univers, de mieux le comprendre, et dans sa capacité à créer, il n’y a dès lors pas lieu d’incriminer les nouveaux moyens pour y parvenir. C’est comme si l’on trouvait raisonnable d’aller d’un point A à un point B à cheval et déraisonnable d’y aller en voiture. C’est comme si l’on trouvait raisonnable de tuer un homme avec un gourdin mais pas de le tuer avec une arme à feu. Cela serait absurde. Le principe reste le même, seuls les moyens changent. Par conséquent, si le conservateur « valide » le principe, il doit s’ouvrir aux nouveaux moyens au service du même principe, sous peine d’être illogique en plus d’être aigri.

    On pourrait me rétorquer que les différents moyens autrefois utilisés pour atteindre ces objectifs humains appartenaient encore à la nature quand les méthodes transhumanistes ne sont que techniques. A ceux-là, une réflexion : le philosophe allemand Schelling, à la fin du XVIIIe siècle, introduisit dans la pensée occidentale la « philosophie de la nature », sorte de prémisse du romantisme allemand du siècle suivant, lequel, après deux siècles de pensées rationalistes et abstraites, renouera quelque peu avec la pensée de la Tradition et de son lien charnel avec la Nature. Or, que nous dit Schelling ? Que les accomplissements de l’homme, puisque lui-même fait parti de la Nature, sont à interpréter comme des accomplissements de la Nature elle-même. La technique, l’art et les constructions humaines ne sont pas des tentatives d’échapper à la Création, mais bien des phénomènes issus de la Création elle-même. Le transhumanisme et l’intelligence artificielle sont aussi des créations de la Nature, car il est dans la nature même de l’homme de créer.

    L’enjeu : le sens donné au transhumanisme

    L’enjeu sur la question du transhumanisme appartient davantage au sens avec lequel l’humanité doit l’utiliser plutôt que sur la question de savoir s’il faut l’abolir ou non. Afin que les choses soient claires, prenons des exemples concrets : le transhumanisme doit-il servir à l’homme médiocre qui ne veut plus que jouir, en se faisant greffer trois vagins et deux anus pour prendre plus de plaisir, comme dans un roman de Houellebecq ? Ou doit-il plutôt servir l’homme qui augmenterait ses capacités intellectuelles et physiques pour mieux atteindre les objectifs que la Tradition lui a prescrit: créer, conquérir et comprendre ? L’IA doit-elle permettre aux hommes médiocres de ne plus travailler, la robotique remplaçant tous les travaux, et par conséquent se complaire dans une inactivité oisive sous curatelle d’un revenu universel, ou au contraire pousser l’homme à chercher de nouveaux théâtres d’expansion, qu’ils soient physiques (l’univers, l’écologie) ou intellectuels (l’art, la spiritualité) ? Plus prosaïque encore : l’IA et le transhumanisme ne doivent-ils servir que la puissance de nos concurrents que sont les Etats-Unis et la Chine, ou doivent-ils aussi permettre à l’Europe de rester une puissance mondiale ?

    Toutes ces questions montrent que la droite a tort de s’enfermer dans un posture négative à l’égard de ce progrès technique, car en vérité celui-ci demande absolument qu’on lui détermine un « sens » pour son utilisation. Ce sens, si la pensée de la Tradition ne lui donne pas en souhaitant échapper au débat et en fermant les yeux, lui sera alors procuré par des individus en effet peu recommandables, des apprentis sorciers imbus d’eux-mêmes et aux instincts médiocres. Je le répète : la question du sens donné au transhumanisme doit seul être l’enjeu, le débat, pas le transhumanisme en lui-même qui, de toutes façons, est déjà là.

    Il y aurait encore bien des choses à dire. Je m’arrête là pour aujourd’hui, mais les perspectives que nous offrent ces nouvelles technologies, si elles peuvent nous faire tourner la tête, demandent justement une colonne vertébrale solide. C’est pourquoi la Tradition peut parfaitement épouser les progrès techniques et humains : elle doit être la colonne grâce à laquelle nos têtes tiendront, surtout si celles-ci deviennent, demain, plus lourdes d’intelligence.

    Julien Rochedy (Blog de Julien Rochedy, 29 mars 2018)

     

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  • La stratégie secrète de Google...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien avec Laurent Alexandre, publié dans le Journal du dimanche et consacré à la stratégie du géant de l'internet, Google. Médecin et diplômé d'HEC, président d'une société de séquençage d'ADN, mais également expert d'internet, Laurent Alexandre est l'auteur d'un roman d'anticipation inquiétant intitulé Google démocratie (Naïve, 2011).

     

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    "La Stratégie secrète de Google apparaît..."

    Google est le premier embryon d'intelligence artificielle au monde, selon vous. Pourquoi?
    L'objectif des dirigeants de Google est de transformer leur moteur de recherche en intelligence artificielle. Progressivement ils s'en rapprochent. En fait, personne ne l'a vu venir, ni les utilisateurs quotidiens du moteur de recherche, ni ses concurrents. Il a fallu du temps pour que la stratégie des dirigeants de Google soit comprise. Je suis bluffé par la vitesse à laquelle cette société contrôle les industries clés du XXIe siècle.

    Expliquez-vous…
    Regardez la vague de rachats de start-up et de sociétés auxquels Google procède! En deux ans, cette entreprise a réussi à préempter trois marchés clés. Celui de la lutte contre la mort : elle a créé Calico, une filiale qui a cet objectif fou d'augmenter l'espérance de vie de vingt ans d'ici à 2035. Elle a investi dans le séquençage ADN avec sa filiale 23andMe, mais aussi dans un projet de lentilles intelligentes pour les diabétiques, qui mesurent en temps réel votre glycémie. Parallèlement et en moins d'un an, Google a racheté les huit principales sociétés de robotique. Dont Boston Dynamics, qui crée le chien robot "BigDog" pour l'armée américaine, ou Nest, leader mondial de la domotique et des objets intelligents… Pendant ce temps, sa Google Car, un mélange incroyable de robotique et d'intelligence artificielle, roule seule sur des milliers de kilomètres sur les routes de Californie sans accident. Si en l'an 2000 vous évoquiez l'idée d'une voiture robot autonome, tout le monde riait! En 2025, elle sera démocratisée. Enfin, depuis quelques années, Google débauche les plus grands noms de l'intelligence artificielle. Comme Ray Kurzweil, le "pape" du transhumanisme, qui vient d'être nommé ingénieur en chef du moteur de recherche.

    Quel est le lien entre l'idéologie "transhumaniste" et Google?
    Cette idéologie est née dans les années 1950. Elle considère légitime d'utiliser tous les moyens technologiques et scientifiques pour augmenter les capacités de l'homme – son corps, son cerveau, son ADN – et pour faire reculer la mort. À l'époque, c'était de la science-fiction ; aujourd'hui cela devient concret. Google soutient cette idéologie et maîtrise toutes les technologies qui la sous-tendent : la robotique, l'informatique, les moteurs de recherche et l'intelligence artificielle, les nanobiotechnologies, le séquençage ADN dont le coût a été divisé par 3 millions en dix ans…

    Quel est le but de cette croissance tentaculaire?
    Une société qui maîtrise l'intelligence artificielle – et Google est la plus avancée sur ce terrain –peut potentiellement entrer dans n'importe quel domaine. Elle le fait d'ailleurs : elle est même présente dans les VTC qui concurrencent les taxis avec Uber, une filiale de Google Ventures! En réalité, Google est beaucoup plus qu'une société informatique. Les principaux acteurs de la robotique viennent de le comprendre ; mais trop tard, Google a déjà racheté les meilleurs d'entre eux à bon prix. Cette stratégie est bluffante… Google a été la première à comprendre la puissance de la révolution des technologies NBIC, cette convergence de quatre vagues (nanotechnologies, bio-ingénierie, informatique et cognitique) qui va construire le XXIe siècle et donner une puissance extraordinaire à la lutte contre la mort. Car ces technologies NBIC constituent en réalité une seule et immense industrie, qui contrôlera toutes les autres.

    Aucun concurrent de taille pour ébranler ce géant?
    Si les rumeurs assurant qu'Apple débauche les principaux spécialistes de la santé électronique se vérifient, si le projet de montre iWatch consiste bien en un instrument de mesure en continu des variables de santé… alors Apple pourrait peut-être le concurrencer sur l'ensemble des NBIC. Mais il en est encore très, très, très loin.

    Qui contrôle Google aujourd'hui?
    Personne, en dehors de ses actionnaires. Or il me semble indispensable d'encadrer l'intelligence artificielle au niveau mondial, de poser des garde-fous. Les États-Unis y réfléchissent sérieusement. L'Asie aussi. En Europe? On est largué, on regarde le train passer… Google est une société magnifique. Pourtant, si elle devient leader en matière de lutte contre la mort, d'intelligence artificielle, de robotique, de domotique, de voitures intelligentes, il faudra vraiment réfléchir à la démanteler! Elle pourrait devenir plus puissante que les États.

    Le tableau est effrayant… N'est-ce pas trop tard?
    Il n'est jamais trop tard. Mais la croissance très rapide des technologies NBIC rend possible ce qui relevait jadis de la science-fiction. La bataille entre le microprocesseur et le neurone a commencé, et l'intelligence artificielle arrive à grands pas. Selon la loi de Moore, la puissance informatique double très rapidement. Le nombre d'opérations réalisées par les plus gros ordinateurs est multiplié par 1.000 tous les dix ans et donc par 1.000.000 en vingt ans. En 1950, un ordinateur effectuait 1.000 opérations par seconde. Aujourd'hui, on atteint 33 millions de milliards d'opérations par seconde. Ce sera 1.000 milliards de milliards en 2029! Autour de 2040 émergeront des machines dotées de la capacité du cerveau humain. Et d'ici à la fin du siècle, elles nous dépasseront en intelligence, ce qui poussera l'homme à vouloir "s'augmenter" par tous les moyens. Imaginez si de tels robots, plus forts que nous, ayant accès à l'intelligence artificielle et à l'impression 3D, connectés et contrôlant Internet, existaient… Leur pouvoir de manipulation serait quasi illimité. Quand "BigDog" aura un fusil d'assaut M16 dans les mains, il vaudra mieux ne pas se promener en forêt!

    Laurent Alexandre (Journal du dimanche, 8 février 2014)

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  • Une humanité éclatée ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un article de Laurent Alexandre, publié dans le quotidien Le Monde et consacré aux fissures que font apparaître la paléontologie et la génétique dans le dogme rassurant de l'unité de l'espèce humaine...

     

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    La paléogénétique révèle une humanité éclatée

    Le séquençage de l'ADN ne concerne pas que les êtres vivants. Il est désormais possible de séquencer l'intégralité des chromosomes d'individus morts depuis bien longtemps et donc des espèces disparues. L'ADN se conserve près de cent mille ans à condition que l'environnement ne soit pas trop chaud et humide. A partir des quantités infimes d'ADN résiduel dans les squelettes, les généticiens peuvent reconstituer la totalité du génome grâce à la technique d'amplification qui permet de multiplier un grand nombre de fois les séquences. La paléogénétique, cette nouvelle science qui aurait semblé utopiste il y a seulement dix ans, clarifie à grande vitesse l'histoire de l'humanité. 

    Depuis cent mille ans, plusieurs espèces d'hommes ont disparu - Neandertal il y a moins de trente mille ans, Denisovan en Sibérie, l'homme de Flores en Indonésie . Le séquençage de Flores (Homo floresiensis) - homme de faible corpulence possédant un crâne (et donc un cerveau) très petit, vivant en Indonésie - a échoué à deux reprises tant l'ADN a été abîmé par le climat tropical de la zone de sépulture. Mais Neandertal et Denisovan ont été séquencés avec succès alors même que cette dernière espèce nous est connue uniquement par un fragment de phalange et deux molaires !

    La comparaison des génomes de Neandertal, de Denisovan et de l'homme moderne éclaire d'un jour nouveau notre histoire. On sait aujourd'hui que certains humains (notamment les Mélanésiens modernes) ont hérité d'environ 6 % d'ADN de Denisovan lors du passage de leurs ancêtres en Asie. Ce mélange génétique ne se retrouve pas chez les Européens ou les Africains. On sait aussi qu'il y a eu un métissage des Eurasiens avec Neandertal, qui se serait produit lors de la sortie d'Homo sapiens d'Afrique , il y a environ soixante-quinze mille ans. Son ampleur reste à préciser parce que le premier séquençage réalisé n'est pas assez précis : la technique utilisée en 2010 est moins performante que celle mise au point en 2012 pour séquencer Denisovan. 

    Autrement dit, certains groupes d'hommes vivant aujourd'hui sur Terre sont issus du métissage, il y a quelques dizaines de milliers d'années, après leur sortie d'Afrique, d'hommes modernes et d'hommes archaïques. Grâce au séquençage des ossements présents dans les armoires des paléoanthropologues, il est probable que nous découvrirons de nombreux autres métissages, peut-être même avec des hommes encore plus archaïques - par exemple des Homo erectus. Le séquençage des restes humains génère déjà des conflits politiques. Celui d'un Aborigène australien, par exemple, a été réalisé sans l'accord des représentants de ce peuple ; il a révélé que les Aborigènes constituaient un rameau particulier de l'espèce humaine. La conception - politiquement essentielle - d'une humanité unique est en train de voler en éclats. Plus préoccupant, certaines des séquences génétiques héritées du métissage avec des hommes archaïques concernent des gènes gouvernant l'organisation cérébrale et impliqués dans le fonctionnement des synapses neuronales. Le débat sur la notion de race, sur l'égalité entre elles, que l'on espérait à jamais enterré, pourrait resurgir . Les humanistes devront être vigilants et veiller à ce que ces troublantes découvertes paléogénétiques ne deviennent pas des arguments aux mains des idéologues racistes.

    Laurent Alexandre (Le Monde, 13 septembre 2012)

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