Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

jeff koons

  • La détestation du réel...

    Nous reproduisons ci-dessous entretien avec Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire, dans lequel il évoque la détestation du réel, notamment dans sa dimension biologique. Philosophe et essayiste, directeur des revues Nouvelle École et Krisis, Alain de Benoist a récemment publié Le moment populiste (Pierre-Guillaume de Roux, 2017), Ce que penser veut dire (Rocher, 2017) et Contre le libéralisme (Rocher, 2019).

    Alain de Benoist 2.jpg

     

    Alain de Benoist : « Entre PMA et GPA, le réel est perçu comme une menace inacceptable pour la liberté individuelle… »

    En marge des débats sur la et la GPA, on a vu, ces derniers temps, diverses personnalités tenir des propos surprenants. Jean-Louis Touraine, député LREM : « La mère était jusqu’ici la femme qui accouche. Eh bien, ce n’est plus le cas. Aujourd’hui, c’est celle qui décide d’être mère. » Agnès Buzyn, ministre de la Santé : « En rien un donneur de gamètes n’est un père. Un père, ce peut être n’importe qui. » Hervé Saulignac, député de l’Ardèche : « Il va peut-être falloir suspendre la mention du sexe à l’état civil tant que l’enfant n’est pas en mesure de dire librement quel est son choix. » Ignorance, provocation ou délire ?

    Agnès Buzyn est praticienne hospitalière, Jean-Louis Touraine est professeur de médecine. Sans surestimer leurs capacités cognitives, je suppose qu’ils savent quand même que les enfants ne naissent pas dans les choux. Leurs déclarations sont donc grotesques, mais elles ne sont pas innocentes. Du point de vue de la théorie du genre, elles sont même parfaitement logiques. Pour Judith Butler et ses disciples, la vie sexuelle n’a strictement rien à voir avec le sexe au sens biologique du terme. Elle relève exclusivement du « genre », lequel peut à tout moment faire l’objet d’un choix personnel. Affirmer que la filiation n’est pas biologique, mais qu’elle n’est qu’une construction sociale – car c’est bien ce que disent les personnalités que vous citez – relève du même raisonnement. Il s’agit de masquer qu’un enfant ne peut avoir qu’un seul père biologique et une seule mère biologique. Bien entendu, ce père ou cette mère peut être absent ou défaillant, et quelqu’un d’autre peut être amené à les remplacer, mais ces remplaçants, si excellents qu’ils puissent être, n’en deviendront pas pour autant de véritables parents car ils ne sont pour rien dans le stock génétique de l’enfant.

    Un enfant est le produit du croisement de deux hérédités, l’hérédité maternelle et l’hérédité paternelle – et au-delà, il récapitule aussi ses ancêtres, qu’il actualise d’une certaine façon en sa personne. C’est très précisément ce que l’on cherche à faire oublier à une époque où le mariage a cessé d’être une alliance entre des lignées pour ne plus être qu’un contrat entre des individus. L’allusion à la « construction sociale » ne doit ici pas faire illusion. Bien sûr que la vie sexuelle est en partie une construction sociale, et il en va de même de l’engendrement. Mais une construction sociale ne se fait jamais à partir de rien : il y a toujours une réalité biologique pour en constituer le fond. Et c’est aussi pour cela que le « choix » est lui-même limité : on ne choisit une « construction sociale » que sur la base des tendances innées qui nous portent vers ce choix.

    Vous remarquerez, par ailleurs, l’incohérence de ces propos. Ce sont les mêmes qui affirment que l’origine compte pour rien et qui soutiennent le droit des enfants nés sous X à connaître l’identité de leurs géniteurs. Comment justifier ce droit si l’origine biologique est sans importance ? Ce sont les mêmes, aussi, qui déclarent qu’une adolescente n’est pas capable de consentir librement à une relation sexuelle avec un adulte et qui proclament qu’elle est, en revanche, parfaitement capable de décider de son sexe ! On est en plein délire.

    De la Révolution française aux totalitarismes du siècle dernier, la théorie d’un « homme nouveau » ne date pas d’hier. Mais pourquoi la détestation du réel est-elle en passe de devenir la religion de notre temps ?

    Tout simplement parce que le réel est perçu comme une menace inacceptable pour la liberté individuelle. L’idée que nous ne puissions pas tout choisir ou décider par nous-mêmes, que nos choix et nos décisions puissent être en partie déterminés par quelque chose qui se situe en amont de nous, est insupportable à nos contemporains. Leur attitude envers les géniteurs biologiques ne diffère pas de leur attitude envers le passé ou les traditions. Le passé n’a rien à nous dire, il représente un poids inutile dont il faut s’affranchir. L’hérédité est une « fatalité ». C’est la forme postmoderne de la damnatio memoriae.

    Kant a ouvert la voie en affirmant sottement que nous sommes d’autant plus humains que nous nous affranchissons de la nature. L’idée que la culture contredit la nature n’a cessé d’être reprise depuis lors par des gens qui ne parviennent pas à comprendre qu’elles se complètent l’une et l’autre. Les philosophes des Lumières, de leur côté, considéraient les enfants à la naissance comme une cire vierge ou une table rase. La personnalité était censée résulter de la seule influence de l’éducation et du milieu. Sous Staline, Lyssenko prétendait démontrer l’hérédité des caractères acquis, thèse absurde qui resurgit pourtant constamment. Je l’ai souvent constaté chez des parents adoptifs. Ils vont chercher des nouveau-nés à l’autre bout du monde et sont convaincus qu’avec une bonne éducation, ils en feront d’excellents petits Français. Moyennant quoi, vingt ans plus tard, ils se retrouvent avec, dans leur foyer, un sympathique Sénégalais ou un petit Chinois qui raisonne comme un Chinois. D’innombrables travaux empiriques ont montré qu’un enfant, tant sur le plan physique qu’intellectuel ou tempéramental, ressemble toujours plus à ses parents biologiques, même quand il ne les a pas connus, qu’à ses parents adoptifs, qui l’ont pourtant élevé. Rappeler l’existence de l’hérédité fait aujourd’hui froncer les sourcils. Et malheureusement, ceux qui l’admettent très bien croient trop souvent que « génétique », « héréditaire » et « héritable » sont des synonymes !

    L’objectif final, c’est l’indifférenciation des sexes, c’est-à-dire l’annulation de la différence sexuée qui est fondatrice dans toutes les espèces d’animaux supérieurs, à commencer par la nôtre. S’y ajoute l’offensive des harpies qui pensent que, pour combattre le patriarcat, il faut en revenir au matriarcat supposé des sociétés pré-néolithiques. Leur drapeau symbolique pourrait être le bouquet de cols de l’utérus implanté dans les jardins du Petit Palais par l’« artiste contemporain » Jeff Koons, qui nous les présente comme des « tulipes » !

    Lien permanent Catégories : Entretiens 0 commentaire Pin it!
  • Requins, caniches et autres mystificateurs...

    Les éditions Albin Michel viennent de publier une enquête de Jean-Gabriel Fredet intitulé Requins, caniches et autres mystificateurs - La bulle dorée de l'art contemporain. L'auteur est journaliste à Challenge.

     

    Fredet_Requins caniches et autres mystificateurs.jpg

    " Il se passe toujours quelque chose sur la scène de l'art contemporain. Le célèbre artiste Maurizio Cattelan exposait récemment à New-York, – au musée Guggenheim ! – son dernier chef-d'oeuvre : une cuvette de WC en or massif. Au printemps 2017, Jeff Koons, autre star du milieu, détournait sans vergogne les chefs-d'oeuvre classiques pour lancer une ligne de sacs d'une grande marque de luxe reproduisant des tableaux célèbres de Léonard de Vinci ou de Rubens ! A Venise, pour signer son grand retour, son ami Damien Hirst proposait, lui, une exposition hollywoodienne, 200 pièces récupérées d'une épave engloutie : en fait, elles ont été entièrement fabriquées dans ses ateliers ! Prix affichés, entre 400 000 et 4 millions de dollars. Dans cet univers sans foi ni loi, des managers affûtés manipulent les prix à l'abri des regards et dictent leur volonté au marché dans l'indifférence de la critique comme des conservateurs de musée qui regardent ailleurs, tétanisés par la crainte de rater les " nouveaux impressionnistes ". Provocation des artistes, conformisme des amateurs : l'art contemporain devait nous aider à comprendre le monde. Il danse aujourd'hui sur un volcan. Bulle des prix, bulle des ego, bulle des gogos : après le Jardin des délices, la Nef des fous ? "

    Lien permanent Catégories : Livres 0 commentaire Pin it!
  • Quand Richard Millet repasse par la station Châtelet-Les-Halles...

    "Je prends quotidiennement le RER, pour moi la station Châtelet-Les-Halles à six heures du soir c'est le cauchemar absolu, surtout quand je suis le seul blanc. Est-ce que j'ai le doit de dire ça ou pas ?" Richard Millet, Ce soir ou jamais, 7 février 2012

     

    Nous reproduisons ci-dessous une chronique de Richard Millet, cueillie sur son site personnel et consacrée au complexe commercial et ferroviaire de Châtelet-les-Halles. Ecrivain et polémiste, Richard Millet a récemment publié Le corps politique de Gérard Depardieu (Pierre Guillaume de Roux, 2014) ainsi qu'un hommage au compositeur finlandais Sibelius, intitulé Sibelius - Les cygnes et le silence (Gallimard, 2014).

     

    richard millet,baudelaire,châtelet-les-halles,condorcet,jeff koons,paul mccarthy,jean d'ormesson,jacques vergès

    Retour à Châtelet

     

    Je n’aime pas déchoir ; c’est pourquoi j’évite autant que je le peux le complexe commercial et ferroviaire de Châtelet-les-Halles, à la célébrité duquel j’ai pourtant contribué en révélant combien il m’arrive de m’y sentir ontologiquement seul, préférant donc au RER le métro et, malgré la distance, la marche dans le bois de Vincennes où les corneilles criaillent sur les ruines de notre civilisation, m’avait dit, la veille, une blonde jeune femme.

    La civilisation française est morte à Châtelet-les-Halles, penserais-je, le lendemain soir, vers six heures, au moment où, faute d’autre solution, je suis entré dans le grand remugle humain, toutes races et ethnies confondues en un corps fiévreux et en quête de légitimité sociale, tandis que j’examinais sincèrement si je n’étais pas la proie d’une de ces « crispations » que les dévots stigmatisent par l’épithète d’« identitaires », prônant ainsi un état idéal qu’on peut appeler post-identitaire, pour bien se démarquer des « crispés » encore porteurs des cellules-souches héritées d’Athènes et de Jérusalem.

    Ce qui m’a frappé, ce soir-là, c’est l’hébétude générale. Ce laboratoire post-racial, cet accélérateur de particules multiculturelles, cet utérus de l’inversion radicale de toutes les valeurs ne parvenait qu’à produire cet état si caractéristique de  la servitude contemporaine dans quoi l’humain s’oublie au point de se sourire à lui-même, au sein d’un grouillement babélien où chacun ignore autrui tout en le surveillant du coin de l’œil et en redoutant de se laisser assimiler par le corps mystique de la nation française, lequel est pourtant mort. J’étais descendu dans un des cercles de l’enfer mondialisé, avec ses damnés frénétiques ou absents, ses sourcilleux djihadistes, ses brebis trottinant d’un pas morne, ses victimes en quête d’un épisode sacrificiel, et nombre de narcissistes, hommes, femmes, enfants, humanoïdes moins soucieux de liberté que d’un surcroît de servitude, pensais-je en remontant vers l’air libre, non sans avoir cherché du regard les gardes rouges de l’antiracisme – incultes écrivains qui, à la suite de l’émission de télévision où j’avais, j’y reviens, évoqué ma détresse à me sentir quelquefois le seul blanc en ce lieu, entendent prouver que je me trompe et que, contre l’évidence, l’« écrasante majorité » non-européenne demeure une « minorité », nonobstant le fait que je m’y retrouve, moi, le minoritaire par excellence, mais sans le « droit » de le dire, un des acteurs officiels du régime m’ayant en outre assuré, lors de cette émission, avec une compassion d’homme de cour, que rien ne lui était plus agréable que de descendre au plus profond de ces entrailles.

                Ces collabos postmodernes n’étaient sans doute pas de service, ce soir-là, ou bien écoutaient-ils le chef de l’Etat discourir, à la Porte Dorée, sur les bienfaits de l’immigration. J’ai bientôt fait sonner le granit du pont Neuf où soufflait un vent froid qui m’a délivré des miasmes. J’ai salué la statue d’Henri IV devant laquelle une espèce de fou tempêtait contre le gouvernement, un exemplaire de Vingt mille lieues sous les mers dans une main, dans l’autre une boîte de raviolis. J’ai préféré regarder, brillant dans la lumière des phares, les jambes soyeuses d’une passante, en hommage à Baudelaire qui a tout dit, en matière de désir comme en politique. Le quai de Conti est plutôt sombre, la nuit, quand on débouche du pont et qu’on le prend sur la droite. La nuit semble même s’y approfondir, ai-je pensé, devant l’hôtel de la Monnaie où se tenait une exposition consacrée à l’ « usine à chocolat » de Paul McCarthy, mouleur de sex toys et gonfleur de ballons dont l’un a récemment connu la gloire d’un détournement néo-situationniste, place Vendôme : une débandade, un fiasco, eût dit Stendhal, un renvoi à l’air du temps, un pet silencieux. Il était d’ailleurs là, ce godemiché sodomique, au premier étage du vénérable hôtel, dans sa verte et discrète gloire, auprès d’un autre gonflage rouge en forme d’étron dressé sous les lambris et les lustres, tandis que Koons, autre industrieux gonfleur, ce qui montre bien la dimension propagandiste du Culturel, exposait non loin de là, au Centre Pompidou, ses chiens constitués de préservatifs noués ensemble, dont un de la « Pinault collection » (ce qui est mieux, nous sommes en France, n’est-ce pas, que la collection Pinault), Koons enculant néanmoins McCarthy quant à la notoriété et à l’argent, constatais-je, depuis le quai venteux, avant de reprendre ma marche et d’arriver devant la statue de Condorcet, entourée par deux étages de blancs bâtiments de type Algeco qu’un puissant projecteur éclairait en donnant à l’auteur du Mémoire sur le calcul des probabilités et des Réflexions sur l’esclavage des nègres l’air, à contre-jour, debout sur le piédestal, d’un Terminator qui eût débarqué non pas du futur mais d’un passé oblitérant tout futur, parce que celui-ci a déjà lieu dans la catastrophe civilisationnelle au cours de laquelle on renie toute forme d’héritage au profit d’un hédonisme ludique et absoluteur, répondais-je à Elie qui m’attendait devant l’Institut de France dont la coupole, pourrait-on lire dans un roman de Jean d’Ormesson, brillait sous une lune éclairant d’un jour blafard la place en hémicycle, déserte, balayée par le vent, en face de la passerelle des Arts aux rambardes surchargées de cadenas aussi clos et insignifiants que le temps où vivent les amoureux venus signaler là leur existence par cet « accrochage » koonsien, penserais-je, quelques heures plus tard, après avoir dîné au Voltaire, en-dessous de l’appartement où est mort l’auteur de l’Essai sur les mœurs, et où j’avais dîné, deux ans auparavant, exactement, en compagnie de Jacques Vergès qui désirait me connaître, après qu’une meute de chiens excités par une romancière à face de vieille fesse, m’eut accompagné aux lisières des forêts intérieures.   

                Un dîner raffiné, au cours duquel Vergès me disait, entre autres choses, que Robespierre n’aurait pas toléré qu’on manquât à la syntaxe, murmurait-il en levant son cigare dans une pénombre qui sentait la fin d’un temps, m’étais-je dit en pensant que c’était le seul point sur lequel je donnerais raison à Robespierre, ce maître de la mort française, comme je me le redirais en quittant le Voltaire, cet autre soir, pour déboucher sur le quai qui porte son nom et gagnant l’autre rive afin de longer le Louvre, sur le quai qui porte le nom de Mitterrand, autre fossoyeur de la France. La décadence de ce pays se lit aussi dans le nom des quais et des rues, et Paris est une ville morte, la capitale de l’insignifiance française et du renouvellement d’un peuple par son contraire, disais-je à Elie que j’ai laissé au pont Neuf pour me diriger vers le grand collecteur des Halles, où je suis descendu entre des clochards et de très jeunes filles qui défiaient le froid, jusqu’au quai quasi désert du RER où une équipe d’ouvriers vêtus de combinaisons blanches et de casques intégraux s’apprêtait à désosser le revêtement mural de la station, quelques lettres du nom Châtelet étant déjà tombées de sorte que le nom devenait une énigme archéologique, sous l’œil résigné de quelques Chinois, de Tamouls et d’Africains, ces frères humains qui, comme moi, attendaient l’ultime convoi de la nuit.

    Richard Millet (Site officiel de Richard Millet, 18 décembre 2014)

    Lien permanent Catégories : Points de vue 0 commentaire Pin it!