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geoffroy de lagasnerie

  • Les imposteurs de la philo...

    Les éditions Le Passeur ont publié voilà quelques mois un essai de Henri de Monvallier et Nicolas Rousseau intitulé Les imposteurs de la philo, avec une préface de Michel Onfray. Professeurs agrégés de philosophie, Henri de Monvallier et Nicolas Rousseau traquent les impostures de la pensée contemporaine. Ils sont auteurs de Blanchot l'obscur ou la déraison littéraire (Autrement, 2015).

     

    Monvallier-Rousseau_Les imposteurs de la philo.jpg

    " Quel est le point commun entre Raphaël Glucksmann et Charles Pépin ? Entre Raphaël Enthoven, Vincent Cespedes et Geoffroy de Lagasnerie ? Ils sont omniprésents dans les médias, enchaînent couvertures de magazines, interviews radio et plateaux télés.

    On ne les critique quasiment jamais quand on les invite, parce qu’on ne les lit pas ou parce que ceux qui les lisent (ou les feuillettent) ne disposent ni de la culture ni de l’esprit critique nécessaire pour mettre en perspective leurs propos. Ils passent pour des analystes pertinents de l’actualité, capables de « donner du sens » aux événements et de nous aider à comprendre notre présent.

    Or, à lire de près ce qu’ils écrivent, on s’apercevrait pourtant que, derrière le vernis de leur discours, leurs idées sont creuses et indigentes, et ne font la plupart du temps que régurgiter l’air du temps quand elles ne tombent pas simplement dans le ridicule le plus achevé.

    Ils représentent ainsi une nouvelle génération d’imposteurs, ceux que Hugo, dans un néologisme fameux des Misérables, qualifiait de « filousophes » et que les auteurs, en reprenant précisément leurs livres et leurs textes, dénoncent ici sans concession. "

     
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  • Les pétitionnaires de l'exclusion...

    Nous reproduisons ci-dessous un article de l'Observatoire des journalistes et de l'information médiatique qui décrypte finement la pseudo-affaire Gauchet, déclenchée cet été par deux jeunes rebellocrates plein d'avenir, qui ont voulu faire du philosophe une figure de la réaction et la "France moisie" ...

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    Edouard Louis et Geoffroy de Lagasnerie

     

    Les pétitionnaires de l'exclusion

    La pétition d’Édouard Louis et de Geoffroy de Lagasnerie contre le philosophe Marcel Gauchet a lancé la traditionnelle polémique de la rentrée début août. Mais cette fois, ce fut un flop.

    Le 31 juillet, l’écrivain Édouard Louis et le sociologue Geoffroy de Lagasnerie publient une tribune dans Libération pour appeler au boycott des « Rendez-vous de l’Histoire » de Blois qui se tiendront du 9 au 12 octobre prochain, événement auquel ils étaient conviés et dont ils viennent de se soustraire, sous prétexte que celui-ci serait cette année inauguré par Marcel Gauchet, qualifié de « militant de la réaction ». En 2012, ce fut l’écrivain Richard Millet ; en 2013, l’acteur et historien amateur à succès Lorant Deutsch ; cette année, c’est donc le philosophe Marcel Gauchet qui se trouve sur le bûcher dressé par les inquisiteurs pour aborder la rentrée par une bonne purification idéologique, comme c’est devenu une habitude dans ce pays autrefois célèbre pour sa passion du débat et sa liberté de ton. Si Millet fut socialement consumé et Deutsch vaguement chahuté, cette fois-ci le feu n’a pas pris, et peut-être même que l’affaire aura pour une fois davantage décrédibilisé les chasseurs que la prétendue sorcière. Pourquoi ? La mécanique s’enraye-t-elle ? Édouard Louis est-il trop jeune et encore novice dans la pratique du lynchage de l’adversaire ? La stratégie trop maladroite ? L’attaque précipitée ? Le bouc émissaire mal choisi ? Un peu tout cela à la fois. Voici en tout cas l’occasion pour l’OJIM de revenir sur cette affaire comme sur l’alliance politique entre intellectuels et médias, de sa phase héroïque à son virage inquisiteur.

    L’intellectuel insurgé

    Si cet événement consistant à voir des intellectuels s’insurger avec virulence dans la presse contre un fait déclaré inacceptable est si classique en France, c’est qu’il s’appuie sur un héritage particulièrement glorieux dans notre pays, au point d’être constitutif des mythes nationaux. Le modèle initial en est bien sûr Voltaire, dont le rayonnement fut considérable tant en France qu’à travers toute l’Europe au siècle des Lumières. L’écrivain s’illustrait notamment dans l’affaire Calas ou celle du chevalier de La Barre, prenant la défense de victimes d’erreurs judiciaires, condamnées par l’instinct de lynchage de la foule et les inclinaisons du pouvoir contre les minorités (protestants ou libres-penseurs). L’autre grand moment de cette geste est le fameux « J’accuse ! » d’Émile Zola dans L’Aurore où c’est, cette fois, au cours de l’affaire Dreyfus, le préjugé antisémite qui conduit à l’erreur judiciaire. Monument du genre, la tribune de l’écrivain naturaliste a redoublé son impact avec le temps du fait des événements du XXème siècle qui conférèrent à sa révolte de 1898 une dimension visionnaire. De ces actes de bravoure s’est donc forgée une figure légendaire de l’intellectuel défiant par voie de presse l’opinion et le pouvoir afin de réparer des injustices et mettre en garde contre les dérives criminelles de l’air du temps.

    Postures et impostures

    Cependant, la première chose à noter, c’est que les conditions dans lesquelles intervenait l’intellectuel héroïque du XVIIIème ou de la fin du XIXème siècle ont fortement changé, et que, par conséquent, il ne suffit pas d’en reproduire la posture pour en imiter la bravoure. À l’époque de Voltaire, la presse est alors un vrai contre-pouvoir naissant permettant de développer des discours alternatifs aux discours officiels et autoritaires émanant de l’Église ou de l’État royal. Aujourd’hui, non seulement l’Église a perdu toute influence, ou presque, dans le débat public, mais surtout, le pouvoir médiatique est quasiment devenu le premier pouvoir auquel même le politique se trouve souvent soumis. En somme, s’exprimer dans Libé ne revient pas à prendre le maquis, mais bien à monter en chaire devant les fidèles. Ensuite, le courage d’un Voltaire ou d’un Zola tient au fait qu’ils se dressent d’abord seuls contre l’instinct de lynchage et la pression du pouvoir. Lors de l’affaire Millet, en 2012, Annie Ernaux vient avec 150 signataires demander l’éviction d’un écrivain. Il ne s’agit donc pas de se confronter à une foule enfiévrée par la haine, mais seulement à un intellectuel, et de s’y confronter tous contre seul, avec l’appui officieux du pouvoir, en témoignera l’intervention du premier ministre de l’époque, Jean-Marc Ayrault. Après l’appel au boycott des rendez-vous de Blois, et étant données les premières réactions négatives, Louis et Lagasnerie se fendront d’une nouvelle tribune le 6 août, renforcés d’une tripotée de signataires, pour faire nombre contre leur cible. Une grande partie des crimes moraux qui sont cette fois reprochés à Gauchet comme des arguments imparables – ses réticences au mariage gay ou ses mises en garde contre les dérives de l’antiracisme – sont ainsi des désaccords avec la politique du gouvernement en fonction ! La posture rejoint donc la pire des impostures, et si nous devions transposer l’attitude des Ernaux ou des Louis au siècle des Lumières, nous ne verrions pas une armée de Voltaire s’insurgeant contre l’injustice, mais bien des curés du parti dévot désignant au roi et à la vindicte populaire un protestant isolé et suspect pour ne pas communier à la religion officielle. De même que les nazis se déguisaient en chevaliers teutoniques en se comportant comme de vulgaires équarisseurs, nos pétitionnaires se glissent dans la panoplie de Zola pour jouer in fine les délateurs de service.

    Le parti de l’intelligence

    Une autre des distorsions frappantes entre le mythe originel et la réalité de ces attaques devenues rituelles, c’est qu’il s’agit dans le premier cas de l’insurrection d’une intelligence libre contre les passions de la foule et les intérêts du pouvoir, alors que les cibles actuelles, quand elles se trouvent être Richard Millet ou Marcel Gauchet, sont des intellectuels de premier ordre, avec lesquels on ne souhaite pas débattre mais que l’on exige de voir bâillonnés. Ce sont les accusateurs qui sont soumis à la passion militante et ce sont eux, encore, qui ont un intérêt en jeu, celui de se faire un nom sur le dos de l’homme à abattre. Il n’est qu’à voir la liste des signataires qu’avait réunis Ernaux : la plupart n’étaient que des écrivaillons médiocres et obscurs qui obtinrent la démission d’un des plus grands écrivains français vivants du comité de lecture de Gallimard. Quant aux noms célèbres qui paraphent la seconde tribune de Louis et Lagasnerie, ils posent tout de même quelques questions. Voir la chanteuse de variétés Jil Caplan ou le chansonnier Dominique A. demander le boycott de Marcel Gauchet, c’est un peu comme si Annie Cordy et Michel Sardou avaient exigé l’annulation d’une conférence de Jean-Paul Sartre ! Quant à Édouard Louis lui-même, sa renommée très fraîche tient au succès de son premier roman En finir avec Eddy Bellegueule, sorti cette année même au Seuil, livre où il décrit la difficulté, quand on est homosexuel, de grandir au milieu des beaufs racistes de province. Ce garçon, un vrai cliché littéraire à lui tout seul, grisé par son petit triomphe, s’empresse donc d’endosser un autre cliché en attaquant Marcel Gauchet, et c’est ainsi que le plumitif de 21 ans (!) paré d’un vague succès de librairie, se met en tête d’avoir celle d’un ponte de la philosophie contemporaine allant sur ses soixante-dix ans…

    Rebellocrates associés ©

    Mais le plus comique dans cette histoire, là où elle rejoint presque littéralement un texte de Philippe Muray, c’est le cœur même de la discorde, soit l’intitulé des « Rendez-vous de l’Histoire » de cette année qui devaient se dérouler autour de la figure du rebelle, nos pétitionnaires jugeant Gauchet indigne d’aborder un tel sujet pour n’être pas un rebelle conforme. Si l’on suit Louis et Lagasnerie, un rebelle autorisé est un rebelle favorable aux grèves de 95, adhérant aux associations féministes et antiracistes ultra subventionnées et favorable au « mariage pour tous » aujourd’hui bel et bien inscrit dans nos textes de lois… Et il est par ailleurs évident qu’un rebelle est quelqu’un de particulièrement vigilant quant à l’intégrité idéologique d’un événement institutionnel auquel il a été convié en raison de ses bons services en termes de rébellion… En somme, suprême paradoxe orwellien, un rebelle est un conformiste bien en cour qui ne plaisante pas avec les directives du pouvoir en place. Après « l’intellectuel insurgé » forcément juste et rebelle, on retrouve un autre poncif d’une certaine gauche, celle du « rebelle », forcément juste et moralement admirable. D’où le syllogisme : s’il est juste d’être pour le mariage gay, il est rebelle de l’être. Sauf que contextuellement, les rebelles actuels sont plutôt à chercher du côté des militants de la Manif pour tous, de Dieudonné, des décroissants, des maires FN ou des sympathisants d’Al Quaida. La posture rebelle n’infère en elle-même aucune qualité morale particulière. Rebelle, Satan l’est comme Jeanne d’Arc, Antigone, de Gaulle ou les membres de l’OAS…

    La mythologie contre la pensée

    Si cette pseudo intelligentsia médiatique ne voit même plus l’ampleur de ses contradictions, c’est précisément parce que cela fait un certain temps qu’elle a déserté le champ de la pensée pour ne plus souscrire qu’à une mythologie datée qui lui tient lieu de programme et de vertu. On pourrait soulever dans son discours une autre contradiction qui, bien que gisant entre les lignes, n’en est pas moins formidable. Suivant l’autre réflexe mythologique selon lequel la figure de l’immigré est fatalement positive, à l’instar de celle de l’intellectuel insurgé ou du rebelle, nous pouvons être absolument certains que les Louis et les Lagasnerie se mobiliseraient demain avec la même énergie pour défendre le droit des masses d’immigrés venues d’Afrique de s’installer en Europe, d’y bénéficier des mêmes avantages que les citoyens européens, d’y être nourries, logées et soignées. Pourtant, il est également certain que les masses en question, de par leurs origines culturelles, partagent dans leur quasi intégralité les réticences de Marcel Gauchet quant au mariage gay et sa prétendue vision de la femme « naturellement portée vers la grossesse. » Des positions que les Louis et les Lagasnerie jugent pourtant odieuses et inacceptables. Considéreront-ils donc qu’un bon immigré est un immigré qui ouvre sa bouche pour qu’on le nourrisse ou pour réclamer des droits, mais qui doit résolument la fermer s’il s’agit d’exprimer ses opinions personnelles ?

    Un flagrant échec

    Atteignant donc, avec cette pétition, un degré de caricature et de parodie un peu plus outrageux qu’à l’ordinaire, nos rebelles conformes au service de l’État ont cette fois-ci subi un revers. Non seulement leur coup n’a pas porté, puisque les « Rendez-vous de l’Histoire » ne sont pas soumis à leurs objurgations et l’ont fait savoir dans le même journal d’où était partie l’attaque, le 8 août ; mais encore, ils n’ont reçu le soutien d’aucun des très nombreux journalistes qui avaient rejoint la cabale d’Annie Ernaux en 2012 contre Richard Millet (la liste est longue et détaillée ici). Pire, le seul écho médiatique à leur action fut pour la condamner, provenant des mêmes voix qui s’étaient élevées contre le lynchage de Millet et qui furent les seules, en ce mois d’août, à commenter l’affaire. Soit Élisabeth Lévy dans Le Point, Pierre Jourde sur son blog du Nouvel Obs, Pierre Assouline dans La République des Lettres, Gil Mihaëly de Causeur et le fondateur de Marianne, Jean-François Kahn, sur le site Atlantico, sans compter l’intervention de Mathieu Block-Côté sur Figaro Vox.

    Bilan de l’affaire

    Quel bilan tirer donc de cette cabale ratée ? Tout d’abord, que nul n’est à l’abri d’un lynchage orchestré par les intellectuels d’extrême gauche, même quand on est à la fois un ponte honoré de l’intelligentsia française et un homme « de gauche » donnant les gages nécessaires à la Pensée unique, comme c’est le cas de Marcel Gauchet ; même quand les accusateurs ne sont à peu près rien dans le débat public, puisque leur conviction d’appartenir au « Camp du Bien » leur permet toutes les impudences avec la meilleure conscience qui soit. Ensuite, qu’en forçant trop sur la dose, l’inquisiteur du politiquement correct peut lui aussi commettre des « dérapages » en mettant à nu trop crûment la nature de ses réflexes. Enfin, que les indignations surjouées de nos belles âmes reposent sur une mythologie qui n’a plus aucun rapport avec le réel et dont les ressorts sont tout sauf vertueux. Que les prétendus intellectuels insurgés sont en fait des dévots et des délateurs ; que les pseudo-rebelles appartiennent à la pire espèce d’idéologues conformistes ; que les généreux partisans de l’immigration de masse n’ont pour les immigrés qu’un intérêt purement stratégique et narcissique ; que la principale obsession de ces grands esprits est de tuer, en France, toute véritable vie de l’esprit. Pour finir, et en attendant la prochaine « affaire », on peut souhaiter que toutes celles qui eurent lieu durant les années 2000 et 2010 soient relues à l’aune de l’affaire Gauchet, moment où apparaît si clairement le vrai visage de ces mascarades à visées totalitaires.

    Observatoire des journalistes et de l'information médiatique (25 août 2014)

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  • En finir avec le débat d'idées...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un point de vue de Laurent Cantamessi, cueilli sur Causeur et consacré à deux chiots de garde, nouveaux venus dans le chenil, qui veulent se faire remarquer et montrer qu'ils sont de bons petits roquets pour mériter eux aussi une jolie niche et une belle laisse...

    Laurent Cantamessi anime par ailleurs le site Idiocratie.

     

     

    edouard louis marcel gauchet

     

    En finir avec le débat d'idées

    Comment faire quand on est un jeune auteur à la mode qui surfe sur les thèmes en vogue et que l’on veut acquérir un peu plus de consistance, afin de s’assurer une date de péremption un peu plus tardive que le dernier vainqueur de The Voice ou n’importe quel autre produit médiatique ?

    Les choix sont multiples. Vous pouvez écrire un deuxième roman qui démontrera par sa qualité, sa maîtrise stylistique et la profondeur du propos que la littérature peut compter sur vous, voire vous introduire tout de suite au panthéon des Grands. Le problème est que votre talent risque dans bien des cas de n’être reconnu qu’après votre mort. Du coup, pour les parties fines avec des dizaines de top models dans des lofts extravagants et les flots de cocaïne sur la Riviera, faudra  repasser. Il faut bien reconnaître qu’à ce compte-là les rock stars, les vedettes de cinéma et les hommes politiques sont bien mieux lotis. Mais pas question de tenter The Voice si vous chantez comme une porte de Simca 1000 ou d’aller faire le tour des maisons de retraite de la Sarthe pour vous faire élire député-maire, il vous faut des résultats rapides.

    Dans ce cas, il est aussi possible de devenir sataniste et et de commettre un massacre de masse comme Charles Manson. Sur le plan médiatique, c’est un contrat gagnant-gagnant mais cela implique de passer le reste de ses jours en prison. Et, là encore pour les orgies dans les garçonnières high tech des métropoles mondialisées et les teufs de malade sur le yacht de Bolloré, faudra repasser. Il ne faut cependant pas désespérer, car ce serait faire trop peu de cas des plans de carrière fantastiques offerts aux jeunes créatifs dotés de deux doigt de jugeote. C’est ce que démontrent avec brio Edouard Louis et Geoffroy de Lagasnerie.

    Edouard Louis est ce « jeune écrivain de 21 ans » qui a bouleversé la dernière rentrée littéraire avec son roman En finir avec Eddy Bellegueule dans lequel il raconte son enfance et son adolescence martyre, la découverte de son homosexualité dans un milieu ouvrier étroit d’esprit, moche et méchant. Eddy Bellegueule a souffert, il a connu les moqueries, les brimades, dans sa famille ou au collège. Du coup, il s’est découvert non seulement homosexuel mais bourdieusien : les pauvres, c’est programmé pour enfanter des cons d’ouvriers et des imbéciles de caissières et quand on n’est pas un imbécile et qu’on veut voir autre chose dans sa vie qu’un tapis de supermarché ou de chaîne de montage, il vaut mieux fuir et écrire un livre talentueux qui assassine les parents indignes et les villageois infâmes auprès desquels on a grandi, ce qui ravira les éditeurs parisiens. Salauds de pauvres. Si les intéressés ont l’audace de se manifester pour protester et faire valoir que le trait a été un peu forcé, on se défend en disant qu’il s’agit de la liberté du romancier et que toutes les critiques adressées à ce coming out poético-bourdivin sont réactionnaires. Autofiction, ton univers impitoyable.

    Geoffroy de Lagasnerie a un patronyme qui sonne comme une ascension balzacienne. Il voit chez  Foucault un penseur des aspects émancipateurs du néo-libéralisme. Il est philosophe et journaliste, il n’a pas de fiche Wikipédia comme Edouard Louis, mais il aimerait bien être aussi connu quand Edouard Louis souhaiterait le rester. L’association de ces deux-là est une affaire qui roule, et la raison sociale de l’entreprise était toute trouvée : la rebellitude est un produit toujours vendeur. Ne restait à trouver que l’occasion de se lancer sur le marché néanmoins un peu surencombré de l’impertinence et de la révolte labellisées.

    Le 29 juillet, Edouard Louis et Geoffroy de Lagasnerie ont donc publié sur internet un appel à boycotter les « Rendez-vous de l’histoire » qui auront lieu entre le 9 et le 12 octobre et proposeront comme thème d’étude : « Les Rebelles ». Dans un texte vibrant, publié sous le titre « Célébrer les rebelles ou promouvoir la réaction ? », l’écrivain en vogue et le philosophe en devenir s’insurgent : « C’est donc avec stupéfaction et même un certain dégoût que nous avons appris que Marcel Gauchet avait été invité à en prononcer la conférence inaugurale. Comment accepter que Marcel Gauchet inaugure un événement sur la rébellion ? Contre quoi Gauchet s’est-il rebellé dans sa vie si ce n’est contre les grèves de 1995, contre les mouvements sociaux, contre le PaCS, contre le mariage pour tous, contre l’homoparenté, contre les mouvements féministes, contre Bourdieu,  Foucault et la « pensée 68 », contre les revendications démocratiques ? »

    Peut-être Edouard Louis et Geoffroy de Lagasnerie ont-ils trouvé que Blois est un peu sinistre en octobre. Ils ont plus sûrement flairé la bonne combine. Cela fait en effet un moment que Marcel Gauchet est identifié par l’intelligentsia comme un ennemi du progrès. En 2002, il était déjà fiché par Daniel Lindenberg comme « nouveau réactionnaire ». En 2008, il apparaît encore comme l’une des principales cibles de La pensée anti-68 de Serge Audier, qui est une sorte de réédition du bouquin de Lindenberg avec un nouveau titre. Et puis bien sûr, Gauchet est coupable du crime de lèse-majesté suprême, se permettant de critiquer l’héritage de Foucault et de Bourdieu, les deux divinités post-universitaires de l’ère post-moderne. Avec lui c’est le coup gagnant assuré et bien d’autres l’ont réalisé avant Edouard Louis ou Geoffroy de Lagasnerie. Vous choisissez une personnalité un peu sulfureuse (ou seulement un peu soupçonnable d’anti-progressisme, pas besoin de se casser la tête) dans le paysage intellectuel, vous lui opposez la pureté, la fougue et la spontanéité rafraîchissante de jeunes représentants de la nouvelle génération de défenseurs de l’humanisme, de la tolérance, de la générosité (etc, etc, etc.) et vous lancez la polémique sur n’importe quel sujet anodin en rappelant éventuellement le passé trouble de la personnalité incriminée (dans le cas de Marcel Gauchet, les grèves de 1995, vous pouvez ajouter au hasard le Pacs, l’homoparentalité, tout ce que vous voulez, de toute façon personne n’ira vérifier). Avec de la chance, Libération (ou le Monde, c’est selon) s’empare de la polémique pour lancer définitivement le feuilleton de l’été. François Bégaudeau avait fait de même avec Finkielkraut, ça avait marché du feu de Dieu. Il n’y a donc pas de raison que ça ne fonctionne pas ce coup-là avec Gauchet.

    On se permettra d’ailleurs de réactualiser un peu la critique adressée par Gauchet, et d’autres avec lui ou après lui, à l’adresse de Bourdieu et de ses disciples. De la même façon que l’on parlait après Marx des « petits-marxistes » qui ont ossifié et érigé en dogme rigide l’analyse du maître, Bourdieu a eu ses disciples fanatiques qui ont imposé aux milieux intellectuels la pensée bourdivine à l’égal des nouveaux Dix Commandements. Si l’on considère que la pensée de Bourdieu est déjà en elle-même figée dans une certaine conception mécaniste de la société que ses innombrables disciples accentuent jusqu’au fanatisme, on comprend mieux pourquoi Gauchet a pu parler de « désastre intellectuel » en qualifiant un héritage qui est devenu une véritable doxa officielle. Depuis la mort du Maître, ses successeurs cultivent avec jalousie le pré-carré mais une nouvelle génération semble sur le point d’émerger, prête non pas seulement à utiliser Saint Bourdieu comme un marchepied institutionnel mais désormais comme un véritable label commercial pour lancer une carrière médiatique. En ce sens, il est très amusant de voir Edouard Louis et Geoffroy de Lagasnerie reprocher à Gauchet de n’avoir pas été un « rebelle ». On se demande bien en effet contre quoi ces deux représentants très lisses d’une pensée très autorisée ont bien pu se rebeller eux-mêmes…On ne déniera pas à ces deux talentueux entrepreneurs de la provocation ciblée un certain talent commercial mais de là à se faire décerner comme ils l’entendent la médaille du mérite de la rébellion, il ne faut pas exagérer.

    Et puis d’un point de vue purement commercial, l’entreprise pourrait n’être pas si bonne que cela. Lancer un anathème un 29 juillet, entre les va-et-vient des juilletistes et des aoûtiens et, pire encore, au milieu du fracas des armes au Proche-Orient ou à l’est de l’Europe, cela relèverait presque de l’amateurisme. On souhaite toute la réussite possible aux deux ambitieux dans leur entreprise de dénonciation mais; tout de même, il faut penser à ce genre de choses. Le timing, c’est important et, à trop vouloir se précipiter, Edouard Louis et Geoffroy de Lagasnerie risquent de rester plantés entre deux pâtés de sable et trois coquillages, leur appel n’allant pas plus haut qu’un cerf-volant sur une plage de la Côte d’Opale. Ils pourront toujours dire que c’est la faute aux champs sociaux et à Marcel Gauchet.

    Laurent Cantamessi (Causeur, 4 août 2014)

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