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bobigny

  • Vote ouvrier et crise criminelle...

    Nous reproduisons ci-dessous ce point de vue de Xavier Raufer paru dans l'hebdomadaire Valeurs actuelles. Un point de vue intéressant car l'auteur, criminologue de son état, s'adresse à ses "bons amis" les dirigeants de la droite et leur livre une analyse qui souligne cruellement leur échec patent dans la lutte contre la criminalité...

     

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    Vote ouvrier et crise criminelle

    Dans la culture chinoise, la notion de “bon ami” est cruciale car elle permet la vie sociale : entre “bons amis”, on se dit tout, la franchise est de rigueur. Adoptons donc cette culture millénaire et parlons franc, entre bons amis, aux dirigeants de la droite. Qu’à la future élection présidentielle, 36 % des ouvriers disent vouloir voter pour Marine Le Pen – la presse parle même de “plébiscite ouvrier” – n’est pas étonnant.

    Que ces ouvriers voulant voter Le Pen aient plus que doublé depuis la présidentielle de 2007, ne surprend pas davantage.

    Le diagnostic est même enfantin à poser : les ouvriers vivent, et sont condamnés à vivre, dans des quartiers toujours plus ravagés par une criminalité sans cesse plus grave – et ils ne le supportent plus. Pour l’essentiel, leur vote est ainsi un pur appel de détresse. Que des socialistes de salon et autres bobos gauche caviar osent ici parler de “repli” est carrément infâme – car il ne s’agit pas d’états d’âme ou de tourments fictifs – mais de peur, pour sa vie et celle des siens.

    Que se passe-t-il en effet dans les fameux “quartiers populaires” ? Ceci : début avril, « quatre hommes cagoulés, habillés de noir et portant des gilets pare-balles investissent un pavillon de Villepinte (Seine-Saint-Denis). Ils forcent Bilal, 20 ans, à s’agenouiller dans le salon familial, et – devant ses parents – lui tirent deux balles de 9 mm dans la tête ». Dans le même département, les braquages s’enchaînent au quotidien – trois bijouteries en trois jours à la fin avril.

    Le 9-3 n’a pas le monopole des homicides. À la fin avril encore, Nordine (23 ans) est abattu à Chelles (Seine-et-Marne) par un “proche”, pour un motif “toujours inconnu”. Paris n’est pas épargné. Encore à la fin avril, des “gens du voyage”, certes “sédentarisés” mais pas apaisés pour autant, s’entretuent à la Kalachnikov, en plein jour, en pleine rue, dans le populaire XIVe arrondissement : 2 morts, un blessé grave. Dans le même temps, un incendie criminel et prémédité fait 5 morts et 6 blessés graves dans le non moins populaire XIXe arrondissement.

    Cela tous les jours, à longueur d’année, et sans répit, dans ces mêmes “quartiers populaires”. Pourquoi ce déchaînement criminel, qui terrorise les populations ouvrières de toutes origines ? Parce que – quelles qu’en soient les causes et les responsabilités réelles – la justice ne fait plus son travail : de l’aveu même du ministère de la Justice, « 100 000 peines de prison ne sont pas exécutées », les peines prononcées étant « en attente d’exécution ». Traduisons : par dizaines de milliers, des bandits sont dans les rues, libres de voler, voire de tuer. Où cette situation est-elle le pire ? Dans les ressorts de justice de Bobigny, Évry, Pontoise, Marseille, Lille, etc.

    Parce qu’aussi, une partie de la police peine à s’adapter. D’abord, ces propos médiatiques un peu troublants, car montrant un net déficit d’expertise entre enquêteurs « ne négligeant aucune hypothèse » et porte-parole ne tenant pas pour « spécialement privilégiée » la piste d’un règlement de comptes. Certes, la police réagit du mieux qu’elle peut – mais cela suffit-il ? Elle attrape les malfaiteurs qu’elle voit – , mais alors c’est trop tard, le crime est commis. Pour preuve, observons la Seine-Saint-Denis, l’oeil du cyclone criminel. Le préfet court d’une scène de crime à l’autre – il remporte même “le tableau d’honneur en termes de réactivité”. Réagir – réactivité : c’est bien sûr là où le bât blesse. Qui a jamais gagné une bataille en laissant l’initiative à l’ennemi ? En se bornant à réagir ?

    Faute de renseignement criminel pointu et précoce, la situation ne peut qu’empirer. Il faut ici un effort massif – l’État doit en savoir le plus possible et le plus tôt possible sur l’action, les effectifs et les préparatifs des gangs commettant l’essentiel des crimes inquiétant la population. Et ce, pour les surprendre en flagrant délit, les démanteler, les mettre pour de bon hors d’état de nuire. Telle devrait être la mission reine de la Direction centrale du renseignement intérieur. Or on sent cette belle machine policière plutôt absente du combat, pourtant décisif, du renseignement criminel.

    Tel est l’engrenage crucial : pas de renseignement intérieur efficace en matière criminelle, pas de progrès possible dans la lutte contre les gangs – donc reflux toujours plus massif des votes populaires vers ce qui est, à l’instant, la seule posture politique anticriminelle déterminée. Ce problème est d’évidence politique. C’est au sommet de l’État que doit se décider et se conduire la grande bataille préventive anticrime, vouée à pacifier les quartiers populaires. Avec des généraux qui veulent se battre. 

    Xavier Raufer (Valeurs actuelles, 12 mai 2011)

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  • Un Etat qui se délite...

    L'Etat, en France, se délite... Philippe Bilger, magistrat et homme libre, en livre un nouvel exemple dans ce texte consacré au tribunal de grande instance de Bobigny, tiré de son blog Justice au singulier, que nous vous invitons à consulter régulièrement.

       

     

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    Quatre jours à Bobigny

    Récemment, je suis allé durant quatre jours au tribunal de grande instance de Bobigny pour être ministère public dans une affaire criminelle concernant trois accusés dont l'un ne se voyait reprocher qu'un délit et était détenu pour une autre cause. A l'issue des débats, ce dernier a été acquitté tandis que les deux autres ont été condamnés aux peines requises.

    Ce n'est pas le procès que j'ai envie de raconter même si, mené dans une atmosphère tendue mais courtoise et sans incident, il m'a donné l'impression parfois que certains jurés se vivaient moins comme des juges objectifs et sereins que comme des serviteurs de tel ou tel communautarisme.

    Ce qui m'a frappé dans ce palais de justice, ce n'est pas la population qui y déambulait, africains, maghrébins ou européens, ni la survenue d'événements significatifs qui auraient mérité une attention particulière.

    A dire le vrai, j'ai surtout ressenti, partout où je suis passé et notamment dans le secteur où mon activité me conduisait, sur le plan matériel comme un délabrement à la fois insinuant et irrésistible, une morosité crépusculaire, une dégradation nette. D'autant plus triste qu'elle semblait fatale et à l'abri de toute intervention humaine. J'étais venu à Bobigny quelques mois auparavant et j'ai retrouvé certains travaux dans le même état d'inachèvement avec un escalier métallique et des protections en plastique immuables. Je n'évoque même pas le bureau destiné à l'avocat général aux assises qui le laissait dans une obscurité presque totale puisque la plupart des lampes étaient mortes. Je glisse sur l'état honteux des toilettes où, si le président de la cour d'assises ne s'en était pas mêlé, des malheureux, dans le noir complet, se seraient perdus et cognés aux murs. On aboutit à cette leçon qu'au moins dans ces domaines, Paris est une réussite !

    Constatant à Bobigny un tel état des lieux, dont je veux bien croire qu'il ne mettait pas en péril forcément l'administration de la justice mais clairement son apparence, son image et la confiance dans la fiabilité de sa gestion, je ne pouvais pas m'empêcher de songer au livre blanc 2010 sur l'état de la justice en France publié par l'Union syndicale des magistrats (Le Parisien, marianne2, nouvelobs.com). Plus de 165 juridictions avaient été visitées et un inventaire de toutes les difficultés, des financières aux matérielles, des judiciaires aux infiniment basiques, était dressé qui montrait à quel point, avant même le fond de la justice, ses possibilités de fonctionnement élémentaire et de décence quotidienne étaient affectées. Michèle Alliot-Marie, devant un tel tableau, l'avait jugé "ridicule" et manifestait qu'elle aurait dû s'appliquer à elle-même cet adjectif. Heureusement, Michel Mercier l'a pris au sérieux et ce serait un axe fondamental de son action que de "se contenter" de favoriser une restauration, sur tous les plans, de ces lieux en péril. 

    Autre chose m'étonne au sujet du tribunal de Bobigny. Je sais bien qu'à la tête des juridictions le triumvirat - président, procureur et greffier en chef - ne favorise pas l'efficacité et la cohérence. Je connais le président Philippe Jeannin qui a fait son stage comme auditeur de justice quand j'étais affecté au parquet de Bobigny, il y a longtemps. J'ai suivi son parcours et il a été notamment un très bon président de la Chambre de l'instruction à Paris. Je ne l'imagine pas rester insensible devant ce que j'ai décrit. Le plus surprenant c'est que le procureur François Molins, qui n'a sans doute pas été pour rien dans l'acceptation résignée de ce lent et mélancolique délitement, s'est retrouvé directeur de cabinet de MAM puis, paraît-il sur la suggestion étrange de Jean-Louis Nadal, de Michel Mercier. J'espère qu'il traitera la justice en général autrement que Bobigny en particulier.

    Il n'y aucune fatalité pour que, sur le plan judiciaire comme sur d'autres, la Seine-Saint-Denis soit laissée à une forme d'abandon matériel et social. Certes, ce que j'ai vu à Bobigny est fragmentaire et limité et n'a rien à voir par exemple avec Sevran, où, Cité des Beaudottes, "les dealers contrôlent les habitants". Il n'empêche qu'on ne peut continuer à appréhender des difficultés tellement préoccupantes, lancinantes et structurelles qu'elles sortent de l'ordinaire, par des moyens et selon des modalités usuels. Pourquoi ne pas prendre exemple sur la nomination du préfet Lambert ? En face de telles carences, pourquoi la Justice ne nommerait-elle pas en urgence des "proconsuls" avec un mandat d'un an et toute latitude et tous pouvoirs pour remettre en état de marche des juridictions où il est miraculeux d'observer que, malgré des contextes aussi lourds, la qualité de la justice n'a pas sombré ? Ils seraient jugés à l'expiration de leur mission.

    En cas d'échec, il ne faudrait pas les "bombarder" directeurs de cabinet !

    Philippe Bilger (Justice au singulier, 3 décembre 2010) 

     

     

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