Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Marc Crapez, cueilli sur le site de Marianne et consacré à l'anti-populisme de l'oligarchie...
Chercheur en sciences politiques, Marc crapez est l'auteur de plusieurs essais comme La gauche réactionnaire (Berg, 1998), L'antisémitisme de gauche au XIXe siècle (Berg, 2002), Défense du bon sens (Rocher, 2004).
Le populisme ne veut plus rien dire
Depuis la mort de Raymond Aron, la science politique française s’est endormie. Son lexique a banni des notions comme l’affairisme, la bureaucratie, l’élitisme, l’oligarchie et, parallèlement, promu outrancièrement celle de populisme.
Aux Etats-Unis, le sociologue Richard Florida vante la notion de « classe créative » pour désigner une classe mobile et qualifiée, définie en trois « t » : technophile, talentueuse et tolérante.
Les sciences sociales apportent donc, sur un plateau, des théories qui font rosir de contentement les élites. Il est gratifiant d’être large d’esprit et à la pointe du progrès.
De regarder les peuples comme des retardataires en leur faisant la leçon.
D’être exonéré d’avance de travers tels que la bureaucratie ou l’oligarchie.
D’intimider toute velléité de contestation en menaçant de la traiter de populiste.
La France est la plus atteinte. Tandis que le Financial Times a cessé la surenchère en recommandant un « populisme précautionneux », notre pays reste quadrillé par des élites qui se serrent les coudes et se montrent agressives dès qu’on les met en cause.
Elles détestent la critique et la remise en cause de leur credo. Assimilé à de la démagogie et à du conservatisme, le populisme ne veut plus rien dire.
C’est devenu une annotation sévère que l’élite inscrit sur le bulletin de notes du peuple à la moindre incartade.
Le filon anti-populistique est inépuisable. Des intellectuels focalisent l’attention sur cet épouvantail qui permet de se faire peur tout en surfant sur le consensus.
Ils ressassent de pseudo-inquiétudes sur un risque imminent de montée du populisme par carriérisme ou opportunisme certes, mais surtout de bonne foi par ignorance.
Le fantasme du populisme repose sur une version biaisée de l’histoire que tout le monde répète en chœur.
Selon cette légende, l’histoire du continent européen serait une longue suite de guerres, c’est la démocratie qui aurait porté le nazisme au pouvoir et Hitler aurait déclenché la guerre pour permettre à son peuple d’assouvir ses bas instincts.
Par conséquent, ce serait la construction européenne qui a permis la paix et la guerre serait, pour les peuples européens, une fatalité à exorciser par une thérapie de groupe, sous la dictée de leurs élites.
En réalité, le nazisme n’a pas été porté au pouvoir par les urnes mais par une sorte de coup d’Etat. Les guerres correspondent à certains traits de la nature humaine soumise à certaines circonstances sociales.
Ce ne sont pas les peuples qui déclenchent les guerres mais les élites, à la fois parce qu’il s’agit de possibilités inhérentes à l’évolution des sociétés et pour préserver leurs propres intérêts, masquer leur incompétence ou appliquer leur idéologie.
Depuis 1945 en Europe, la paix procède de contraintes géopolitiques telles que la superpuissance américaine et la dissuasion nucléaire (l’Otan face au pacte de Varsovie), une prise de conscience de l’ensemble des populations et une surveillance accrue des peuples sur les initiatives des élites.
C’est la paix qui a permis l’Union européenne et non l’inverse. La non-belligérance franco-allemande est la cause et non l’effet de l’édification européenne.
En début d’année, aux cérémonies anniversaires de l’amitié franco-allemande, les Allemands ont joué le jeu, en organisant des festivités dans leurs écoles, réitérant à la base leur souci de bonne entente.
Les peuples européens adhèrent à la paix et à la prospérité et c’est dans le cadre de ce consensus qu’une partie d’entre eux est mécontente et apporte ses suffrages à des formations politiques qui se présentent en alternative aux élites en place qu’elles contestent. Le parallèle avec les années 30 est, pour le moment, dénué de fondement.
Marc Crapez (Marianne, 16 avril 2013)