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sarkozy - Page 13

  • Halte à la diplomatie émotionelle !...

    Nous reproduisons ci-dessous un communiqué d'Aymeric Chauprade, publié ce jour sur le site Realpolitik et consacré à l'affaire Florence Cassez... 

     

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    Affaire Cassez : halte à la diplomatie émotionnelle !

    Le président de la République et sa ministre des Affaires étrangères ont choisi de sacrifier ala relation entre la France et l’un des pays les plus importants d’Amérique Latine, le Mexique, officiellement au nom de « l’innocence d’une Française », en réalité au nom d’une pitoyable stratégie de communication émotionnelle à usage purement intérieur.

    L’instrumentalisation du sentiment s’est désormais complètement substituée, dans tous les domaines (sécurité, justice, économie…), à la vraie politique, laquelle consisterait à traiter en profondeur la racine des problèmes. Nos gouvernants ne savent plus que larmoyer, devant des micros, tout en s’agrippant aux caméras des familles de victimes.

    Attardons-nous un instant sur le fond de cette lamentable affaire Cassez. En décembre 2005, l’arrestation d’Israel Vallarta Cisneros et de sa compagne française, Florence Cassez, sonne le glas d’un terrible gang de kidnappeurs, « Los Zodiacos » lequel s’est rendu coupable de dizaines d’enlèvements, d’assassinats, de tortures et de viols. Plusieurs victimes, hommes, femmes et enfants témoignent et accusent Florence Valdez d’avoir participé aux séquestrations d’otage (qui se passaient dans le ranch où elle vivait avec son compagnon).

    Voici un extrait du témoignage écrit de la dernière victime du clan « Los Zodiacos », paru dans la presse mexicaine et bien sûr occulté par la presse française :

    « Mon nom est Cristina Rios Valladares. J’ai été victime d’une prise d’otage, aux côtés de mon époux Raul et de mon fils Christian qui avait 11 ans (…) Nous avons appris la nouvelle de la peine de prison que Florence Cassez méritait, cette femme dont j’avais écouté la voix à maintes reprises pendant ma captivité. Une voix d’origine française qui bourdonne encore aujourd’hui dans mes oreilles. Une voix que mon fils reconnaît comme celle de la femme qui lui a pris du sang pour l’envoyer à mon époux, avec une oreille qui lui ferait penser qu’elle appartenait à mon fils (…) Maintenant j’apprends que cette Florence réclame justice et clame son innocence. Et moi j’entends dans ces cris la voix de la femme qui, jalouse et furieuse, hurlait sur Israel Vallarta, son petit ami et chef de la bande, que s’il recommençait à s’approcher de moi, elle se vengerait sur ma personne ».

    Contrairement aux partis dominants qui, à l’unisson, semblent vouloir faire de Florence Cassez un nouveau Dreyfus, nous ne voulons pas être définitifs sur cette affaire. La reconstitution spectaculaire devant les caméras de la télévision mexicaine, au lendemain de l’arrestation, en 2005, obéissait sans doute à une volonté de la part du gouvernement mexicain de médiatiser son action de répression de ce qui est un véritable fléau au Mexique : les enlèvements de personnes privées avec demande de rançon et mutilations. N’oublions pas que le président mexicain est confronté à des gangs criminels et des cartels qui, depuis 2006, ont fait plus de 30 000 morts dans ses forces de sécurité. Il s’agit d’une véritable guerre, et c’est la raison pour laquelle le petit caprice émotionnel du Tout-Paris n’impressionne guère les Mexicains. Il n’en demeure pas moins que cette reconstitution a contribué à ternir la procédure judiciaire mexicaine ; mais il faut raison garder : elle ne doit pas en effacer le contenu.

    La vérité, c’est que le Mexique, grand pays membre de l’ALENA, et puissance importante de l’Amérique Latine, dispose d’un vrai système judiciaire, et que les faits sont accablants pour Florence Valdez. Les témoignages sont là, et il est difficile par ailleurs (simple remarque de bon sens) de faire croire que Florence Cassez ait pu vivre pendant autant de temps dans un ranch où s’activaient une bande de tueurs, avec des armes et des munitions partout, des otages cachés et souvent torturés, ceci sans n’avoir jamais rien remarqué ! On la sent en tout cas beaucoup moins naïve depuis qu’elle s’occupe de sa défense et que, de derrière les barreaux et depuis son téléphone mobile, elle dicte au Président de la France la politique qu’il faut suivre.

    Au moment où la diplomatie française semble définie par la famille Cassez, il convient de remarquer que celle-ci n’a pas toujours dit la vérité. Ainsi, les parents de Florence Cassez ont-ils affirmé à la presse française qu’ils ne connaissaient pas le compagnon de Florence, Israel Vallarta. Manque de chance, la presse mexicaine a publié les photos de Bertrand Cassez, le père, en train de trinquer avec Israel Vallarta dans le ranch Las Chinitas, à 29 km de Mexico !

    Cette affaire me fait penser à celle des deux Françaises, Sarah Zaknoun et Cécile Faye, emprisonnées en 2008 en République dominicaine pour trafic de drogue, et graciées en décembre 2009 par le président dominicain à la suite d’une campagne médiatique puis politique, depuis Paris. Je suis personnellement bien placé pour savoir que dans cette affaire, le même impératif médiatique et émotionnel faisait office de politique et écrasait le fonds du dossier. Heureusement pour les deux gentilles « vacancières », le Président dominicain voulait faire plaisir à la France et à son président. Mais la justice dominicaine n’avait pourtant pas été prise d’hallucination collective, pas plus que celle du Mexique et des victimes qui ont témoigné !

    Il semble donc que dans notre pays, il y a des théories du complot autorisées et d’autres qui ne le sont pas. Il est par exemple autorisé et même encouragé de penser (reprenez les chroniques de pseudo-experts de la Russie après le récent attentat de l’aéroport de Moscou) que les Russes s’infligent des attentats tout seul, comme il est manifestement souhaitable de penser qu’une Française puisse être victime d’un gigantesque complot hier dominicain, aujourd’hui mexicain. Décidément, ne sont pas forcément xénophobes ceux que l’on croit. A lire la presse aujourd’hui, l’Amérique Latine c’est Tintin chez les Picaros ou l’Oreille cassée, au choix. Ah ces Mexicains, tous des « sergents Garcia » corrompus !

    Je pense aussi à l’affaire Cesare Battisti, ce terroriste italien d’extrême-gauche, que les médias français s’étaient mis en tête de faire libérer, au mépris de la justice italienne et des relations avec ce pays ami. On y a retrouvé les traditionnelles leçons de morale française, le mépris pour nos voisins et amis, le déni de justice et de souveraineté d’un partenaire de l’Union européenne.

    Je pense aussi à la gestion de l’affaire Bettancourt (la première, celle d’Ingrid), qui fut lamentable pour nos relations avec la Colombie.

    Nous avons tout faux dans ces affaires ! Non seulement, à chaque fois, il est beaucoup plus probable que nous nous préoccupions de coupables que d’innocents, mais qui plus est, nous affichons devant le monde entier une arrogance sans nom, un mépris pour la justice et la souveraineté de ces pays, comme si d’ailleurs notre justice et notre démocratie étaient exemplaires !

    En définitive, le problème fondamental de notre diplomatie en Amérique Latine ne tient-il pas au fait que nos gouvernants n’y aient aucune habitude de vacances ? S’ils avaient des villas en Colombie, ou s’ils se doraient sur les plages du Mexique, plutôt qu’en Tunisie ou en Egypte, peut-être feraient-ils preuve de moins d’arrogance ? Avec beaucoup d’humour, Elisabeth Levy suggérait que Florence Cassez avait la chance que le Mexique ne s’intéresse pas à l’avion Rafale, sinon elle serait oubliée depuis longtemps, par le pouvoir… et aussi par les médias !

    Ces opérations médiatiques à usage intérieur, qui visent ici, notamment pour la Ministre des affaires étrangères, à se refaire à bon compte une image émotionnelle positive après l’affaire de Tunisie, ne sont pas dignes du gouvernement de la France. Cette politique émotionnelle, « du coup médiatique », qui contamine jusqu’à notre politique étrangère, est devenue absolument insupportable ; elle finira d’ailleurs pas se montrer contre-productive pour ceux qui en usent. Car si les Français ont des émotions et peuvent tomber dans ce genre de piège, ils comprennent par ailleurs de plus en plus que le pays est gouverné dans l’instant, sans vision stratégique, et que sa tête se pose de moins en moins la question du Bien commun.

    Aymeric Chauprade (15 février 2011)

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  • Sarko l’Américain, ou les fausses confidences de Wikileaks...

    Nous reproduisons ici un excellent point de vue de Jean-Philippe Immarigeon, mis en ligne par De Defensa, consacré à l'américanolâtrie de notre président et à sa politique d'alignement sur les Etats-Unis... Auteur d'un Sarko l'Américain (Bourin, 2007) particulièrement clairvoyant, Jean-Philippe Immarigeon a aussi écrit deux essais critiques sur les Etats-Unis, American Parano (Bourin, 2006) et L'imposture américaine (Bourin, 2009), qui méritent tout particulièrement d'être lus ! 

     

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    Sarko l’Américain, ou les fausses confidences de Wikileaks

    On savait la fascination du président français pour une Amérique qu’il connaît d’ailleurs bien peu, et le peu qu’il connaît bien mal, représentation de clichés éculés et désormais dépassés, quand ils n’ont pas été toujours faux. De ce point de vue Wikileaks ne nous apprend pas grand chose. Le Monde vient de faire une synthèse instructive de ces fausses confidences. Par delà le portrait limpide d’un bonhomme d’un simplisme consternant qui voit dans l’Amérique autoritaire et paternaliste (ce en quoi il n’a pas tort, et c’est ce qui est intéressant dans son américanolâtrie) le substitut freudien d’un père parti quand il avait quatre ans et qui ne lui a jamais dit ni d’aller ranger sa chambre ni d’aller finir ses devoirs, il y a la confirmation que l’alignement de la France sur les Etats-Unis relève au mieux d’un parti-pris idéologique, au pire d’un caprice d’adolescent immature préoccupé à mettre bas, pour exister, un héritage gaullien trop grand pour lui.

    Passons sur les considérations peu amènes sur la vie privée cascadante de Nicolas, qui lui aurait barré toute carrière politique outre-Atlantique. Sur le fond et des sujets plus essentiels pour la nation, on a confirmation que, quelque soient ses protestations ultérieures, nous aurions eu Sarkozy président de la République dès 2003, l’armée française se rejouerait un remake de la Bataille d’Alger à Sadr City et dans les faubourgs de Bagdad. L’opposition résolue de nos généraux, au diapason de l’opinion publique, aura dissuadé le nouvel élu de trop insister par la suite. Mais ses visites aux Etats-Unis et ses entretiens avec les cercles les plus néoconservateurs, notamment à l’automne 2006 où il taxa d’arrogant le refus de la France et se répandit contre son pays et sa diplomatie, n’étaient ni innocentes ni protocolaires. Cela n’empêchait pas le candidat Sarkozy d’affirmer crânement le 14 janvier 2007 que «Jacques Chirac a fait honneur à la France quand il s’est opposé à la guerre en Irak, qui était une faute», puis, une fois élu, que «La France était, grâce à Jacques Chirac, et demeure hostile à cette guerre.»

    Mais il y a la guerre d’Afghanistan, qu’un chef d’état-major français qualifiait de merdier dans lequel la France n’avait rien à faire, quelques semaines à peine avant que Sarkozy ne nous y replonge. Et il a décidé cela en négation de son engagement vis-à-vis des électeurs, pris entre les deux tours de l’élection présidentielle, là où les paroles comptent. Souvenons-nous, c’était le 26 avril 2007 sur France 2 : «La présence à long terme des troupes françaises à cet endroit du monde ne me semble pas décisif. – (Arlette Chabot) Même s’il faut poursuivre une présence pour empêcher les Talibans de revenir au pouvoir… ? – Je vous ai dit qu’elle était ma réponse […] Le président de la République (Chirac) a pris la décision de rapatrier nos forces spéciales et un certain nombre d’éléments. C’est une politique que je poursuivrai. Et de toute manière si vous regardez l’histoire du monde, aucune armée étrangère n’a réussi dans un pays qui n’était pas le sien. Aucune, quelque soit l’époque, quel que soit le lieu.» Il ne s’agissait pas seulement de poursuivre la politique de son prédécesseur, il s’agissait d’expliquer pourquoi cette guerre est historiquement une ânerie.

    Or ce qu’indiquent les documents diplomatiques américains, c’est que Nicolas Sarkozy nous mentait effrontément pour être élu, et avait déjà pris la décision de faire au moins cette guerre-là pour plaire à Washington. Si nous étions adeptes des grands mots, celui de forfaiture s’imposerait. Et concernant l’Iran, dossier dans lequel la France joue les va-t’en-guerre avec d’autant plus d’aisance qu’elle n’a plus les moyens nécessaires à une participation, même symbolique, à une action contre la Perse, le mot duplicité s’impose. Qui affirmait le 26 février 2007 sur BFM TV son opposition à une intervention, précisant que : «quand on voit ce qui se passe avec l’Irak, qui peut croire que c’est une perspective crédible ?», ajoutant que les Etats-Unis étaient dans une « impasse » ?

    Concernant l’OTAN, les militaires français, qui ne cachaient pas leur perplexité devant la perspective d’une réintégration, peuvent désormais s’épargner le ridicule de trouver, a posteriori et sur ordre, des justifications controuvées. Les documents américains montrent que Nicolas Sarkozy l’avait décidée avant même son élection, qu’il n’était même pas question pour lui d’en discuter. La conséquence, bien visible, est double : d’une part aucune contrepartie n’a été obtenue puisque les Américains, à qui le candidat avait fait cette promesse, n’ont rien lâché, le fait étant par avance acquis. Mais les dictateurs chinois, libyens et autres, qui profitent des piètres talents de négociateur du président français, agissent de même depuis mai 2007. D’autre part, Nicolas Sarkozy n’a même pas fait semblant d’ouvrir un débat sur la question, et il ne faut pas s’étonner qu’aujourd’hui les Français cherchent les raisons de leur retour dans l’OTAN.

    Ce n’est pas tant que nos troupes soient sous commandement US, sans que notre président n’ait son mot à dire lorsqu’il s’agit de virer et remplacer celui qui commande à nos troupes en Afghanistan, qui est grave : c’est l’adoption inutile et à contretemps des standards américains, technologiques bien sûr malgré leur échec après 30 ans de RMA et de TransformationD>, mais aussi bureaucratiques qui assèchent nos forces d’un millier d’officiers désormais ronds-de-cuirs qui font défaut sur le terrain.

    Que dire alors du Livre Blanc de 2008 rédigé par une commission Mallet dont les membres furent sélectionnés en proportion de leur allégeance atlantiste, commande du prince où l’on invente un concept stratégique de résilience tiré de la psychanalyse de salon ? Discours dont on réalise la vacuité et l’inanité malgré une littérature acrobatique qui tente d’y mettre de la consistance, qui a rouvert la voie à une résurgence de l’extrême droite, mélangeant délibérément guerre étrangère et sécurité intérieure, voyant derrière chaque Beur des quartiers un Taliban en puissance ; discours que l’armée ne peut accepter sans devoir un jour intervenir sur le territoire national, alors qu’elle sait que, historiquement et constitutionnellement, elle ne le peut pas.

    Ceci étant dit, ou plutôt redit, et comme je l’avais écrit il y a trois ans dans mon Sarko l’Américain, l’avantage du personnage est sa consternante prévisibilité, à l’image de tous ceux qui se coulent dans le déterministe le plus étriqué. Il en avait donné un avant-goût six mois avant son élection, dans un retentissant entretien paru dans Philosophie Magazine, où il définissait la liberté uniquement sous l’angle de la transgression (ce en quoi il n’est finalement qu’un gamin de banlieue…) : il vient de récidiver la semaine dernière, en faisant du « non » systématique le signe du caractère responsable. Dès lors que la politique d’une vieille nation millénaire semble être rabaissée au rang de travaux pratiques du premier cours de première année de psychanalyse appliquée, l’étape suivante de cet homme qui se cherche encore la soixantaine venant sera, après la recherche du géniteur, celle du meurtre du père. « Ce sera le jour où Nicolas Paul Stéphane Sarkozy de Nagy-Bocsa trouvera la force et le courage de dire en notre nom à tous : Merde à l’Amérique ! ». Dans l’intervalle, Wikileaks aura été utile, non pour nous apprendre quoique ce soit que nous ne sachions déjà, mais pour nous confirmer que, depuis mai 2007, la France perd du temps, et que dans ce monde qui bouge trop vite, ce retard risque de lui être fatal.

    Jean-Philippe Immarigeon (De Defensa, 3 décembre 2010) 

     

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  • Alain de Benoist à propos du général De gaulle

    Nous reproduisons ici un entretien donné par Alain de Benoist au magazine Flash (18 novembre 2010) à propos du général De Gaulle, cueilli sur le site Mécanopolis.

     

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    Alain de Benoist, fondateur du GRECE, explique comment la réflexion fit de lui et de ses amis des gaulliens, à défaut d’être gaullistes… Entretien réalisé par Nicolas Gauthier.

    Nicolas Gauthier : Historiquement, le GRECE est né d’un milieu marqué par un fort antigaullisme, celui de 1945 comme celui de 1962. Pourtant, la revue « Eléments », qui en est proche, a été la première à poser la question en d’autres termes : à défaut d’être gaulliste, peut-on être gaullien ? Pouvez-vous nous expliquer ce cheminement ?

    Alain de Benoist : C’est surtout vrai de l’antigaullisme de 1962, ne serait-ce que pour une question de génération : mon adolescence, ce n’est pas la Libération, mais la guerre d’Algérie. Si la plupart des membres du GRECE n’en sont pas restés à cette époque, c’est qu’ils savaient qu’en politique, les rancœurs ne mènent pas à grand-chose. Face à une droite prisonnière de ses anciennes querelles, qui n’en finissait pas de remâcher ses amertumes, nous avons été plus réflexifs que réactifs. Le Général nous est vite apparu comme le seul homme qui disait « non ». Non à la politique des blocs héritée de Yalta, non à la dépendance vis-à-vis de Washington. Non aux partis, aux coteries, aux « comités Théodule ». Et oui à tous les peuples qui veulent être libres !

    Le tournant essentiel a été pour moi la décision du Général de quitter le commandement intégré de l’OTAN pour empêcher la France d’être vassalisée. C’était en 1966. L’extrême droite manifestait alors sa solidarité avec le Sud-Vietnam soutenu par les États-Unis. Moi, j’ai applaudi à la défaite américaine lors de la chute de Saïgon. J’ai aussi applaudi au discours de Pnom-Penh. Et à la tournée québécoise (“Vive le Québec libre !”, juillet 1967). Avec de Gaulle, le “monde libre” cessait d’être la seule alternative possible au système soviétique. C’était déjà l’ébauche d’une troisième voie.

    NG : Aujourd’hui, tout le monde se dit plus ou moins gaulliste, mais plus personne ne l’est vraiment. Votre avis ?

    AdB : « Le Général s’éloigne alors qu’on le célèbre », estimait tout récemment Philippe de Saint-Robert (Juin 40 ou les paradoxes de l’honneur, CNRS Editions). Tout le monde se dit-il encore aujourd’hui plus ou moins gaulliste ? Il me semble que c’est de moins en moins vrai. Les jeunes n’ont pas connu de Gaulle. Les moins jeunes l’ont souvent oublié. Les hommes politiques l’ont enterré – parfois sous les fleurs.

    En réalité, dès les années 1980, le « néogaullisme » était rentré dans le moule des droites classiques. Quoi qu’ils en aient dit, ni Pompidou, ni Giscard ni Chirac ne sont restés fidèles au Général. Ils n’ont en pas moins constamment allégué son souvenir. Nicolas Sarkozy a fait de même durant sa campagne présidentielle de 2007, lisant avec emphase les discours aux accents gaulliens rédigés par Henri Guaino, allant s’incliner à Colombey à la veille du premier tour, le 16 avril 2007, mais décidant, à peine élu, de fondre le RPR et l’UDF dans un seul et unique mouvement, l’UMP, doté dès sa fondation d’un programme nettement libéral et atlantiste.

    Avec le personnage qui se trouve aujourd’hui à l’Elysée, c’est en tout cas à une liquidation de grande envergure que l’on a assisté. Les coups de lèche à l’axe américano-israélien, les déculottades devant le président Bush, la politique en faveur des riches, la passion de l’argent, la vulgarité des mœurs et du style, avec « Sarkozy le petit », on est aux antipodes du « grand Charles ». La France est aujourd’hui revenue au bercail atlantique. Elle a rétrocédé, battu en retraite. Elle est allée à Canossa. Sarkozy a fait cadeau de la France à l’OTAN, sans même toucher les dividendes. Trente deniers, il est vrai, cela ne fait pas lourd à l’échelle du bling-bling. La petitesse et le néant.

    NG : D’ailleurs, est-il seulement possible de définir ce que fut le gaullisme et ce qu’il pourrait être désormais ?

    AdB : Le Général était étranger à tout esprit de système. On en a conclu qu’il ne saurait y avoir “d’idéologie” gaulliste. Après quoi, le gaullisme ayant été ramené à un “pragmatisme” peu éloigné de l’opportunisme, on l’a accommodé à toutes les sauces pour mieux en trahir l’esprit. Mais le gaullisme, s’il n’est pas une idéologie, est au moins une doctrine. Il a des principes, il se fonde sur des valeurs.

    Le gaullisme plaçait au-dessus de tout l’existence d’un lien direct entre le chef de l’État et le peuple (d’où le recours au référendum et l’élection du président de la République au suffrage universel) et l’indépendance du pays. Ce dernier mot était à comprendre sous toutes ses formes : affirmation de la souveraineté nationale, refus de la « vassalisation » par des organismes supranationaux ou des puissances étrangères, mais aussi des pouvoirs économiques et des oligarchies financières. Le reste en découlait tout naturellement : un pouvoir exécutif fort et stable, l’indifférence par rapport au clivage droite-gauche, la condamnation du tout-marché au profit d’une économie orientée, la construction d’une Europe des peuples et des nations, le refus de voir la politique soumise aux évolutions de la « Corbeille ».

    Le Général disait des choses simples. Que la France a fait de grandes choses dans le passé, quand elle était porteuse d’un projet collectif tendu vers un destin commun. Qu’elle entrait en déclin chaque fois qu’elle cédait à la tentation de se replier sur ses querelles intérieures. Qu’elle avait vocation à soutenir, partout dans le monde, les peuples qui ne voulaient plus être l’objet de l’histoire des autres. Qu’elle disparaîtrait elle-même lorsqu’elle se soumettrait à la volonté des autres. De Gaulle, en d’autres termes, se souciait du rang de la France. Il voulait lui rendre son rang.

    L’indépendance est la condition de l’affirmation de soi, mais aussi une des conditions de la grandeur. Elle est aussi conforme à l’honneur, parce qu’il est déshonorant de ne pas être libre. Mais voilà des mots – indépendance, grandeur, honneur – qui, quoique faisant encore partie du dictionnaire, ne veulent plus dire grand-chose aujourd’hui. Qu’ils ne signifient plus grand-chose n’aggrave pas le problème, mais constitue le cœur même du problème. « Le monde a tout ce qu’il lui faut, et il ne jouit de rien parce qu’il lui manque l’honneur », observait Bernanos dans Les grands cimetières sous la lune.

    De Gaulle ne disait pas ce qu’il fallait faire, il désignait la route à suivre. Or, c’est là le geste essentiel d’un chef politique : non pas discuter d’un bilan, bavarder sur un programme, jongler avec les chiffres, mais montrer le chemin qu’il convient de prendre. Tout chemin implique un horizon. Tout horizon implique un peuple en marche pour l’atteindre, sachant qu’une fois atteint, l’horizon se reporte toujours plus loin. Quant à l’actualité du gaullisme, le Général l’avait par avance évoquée dans ses Mémoires de guerre : « Puisque tout recommence toujours, ce que j’ai fait sera tôt ou tard une source d’ardeur nouvelle une fois que j’aurai disparu. »

    Propos recueillis par Nicolas GAUTHIER, pour la revue FLASH

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  • Sarkozy, l'individu patchwork

    Nous publions ici un extrait de l'entretien donné par le sociologue et philosophe Jean-Pierre Le Goff, auteur de La France morcelée (Folio Gallimard, 2008), au site Les influences - Des idées et des hommes, et consacré au président de la République.

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    "Qu’est ce qui vous frappe le plus dans la présidence Sarkozy ?

    Son discours politique qui s’aligne sur la logique d’émotion, de compassion et de spectacle des grands médias audiovisuels. Ce président se place au centre de l’arène médiatique, diffusant ses messages tout azimuts, et notamment les appels de soutien en faveur des victimes les plus diverses. Il ne l’a pas inventé mais il l’affirme : la compassion contribue à la structuration de la politique, parce que la société, elle, a sécrété un goût certain pour la victimisation. Etre une victime est désormais un élément important pour exister socialement, obtenir des subventions ou des réparations, être reconnu médiatiquement. Depuis la fin des années 1970, l’Etat a de plus en plus de mal à remplir la demande sociale, et préfère surfer sur une vague de plus en plus compassionnelle. Durant la campagne présidentielle, Sarkozy et Royal ont complètement joué de la compassion jusqu’à la surenchère de la larme à l’œil, mélangeant un christianisme plus ou moins sincère avec le sentiment de l’instant. La compassion est devenue un exercice de style du pouvoir.

    [...]

    Nicolas Sarkozy est d’abord en rupture avec l’héritage gaulliste ?

    Dans son style présidentiel en effet, il est sûrement plus proche d’un Giscard d’Estaing. Qui lui même était proche de l’héritage de Mai 68. Son gaullisme est ornemental. Il ne s’agit pas d’affirmer ici que Nicolas Sarkozy n’est pas sincère, mais lorsqu’il lit la lettre très émouvante de Guy Môquet, il est uniquement sur le registre de l’émotion et des sentiments, et dans une dépolitisation totale. En fait, tout comme Ségolène Royal, il fait partie d’une génération qui s’est formée et a fait son apprentissage politique dans les années 70-80, et vit avec la parité, la pipolisation, la recomposition familiale mais aussi le big bang audiovisuel, le culte de l’ego et l’emprise des émotions. Une autre évolution de la société les a marqués : la société s’est déconnectée de l’histoire et d’une vision historique, se laissant submerger par une montée de l’individualisme liée à l’exigence de bonheur. Nous sommes entrés dans une ère de grande sensibilité thérapeutique, d’où la prolifération des victimes. Royal et Sarkozy se retrouvent tout à fait dans ce que Castoriadis appelait « l’individu patchorwk », c’est-à-dire un éclectisme culturel.
    Pour Sarkozy, l’homme politique qui lui est bien plus proche que De Gaulle ou Bonaparte, s’appelle Bernard Tapie, le manager triomphant des années 80. Mais si vous me dites Sarkozy, est-ce la franche rupture politique ? Je vous réponds en aucun cas. Il incarne plutôt la fin d’un cycle politique vécu depuis une cinquantaine d’années, qu’un renouveau. Tout comme avec ses prédécesseurs, nous sommes dans une fuite existentielle, un présent flottant désarticulé du passé, déconnecté du futur. Le Président Sarkozy accélère le mouvement, court, sue, prend de l’avance, tendu mais vers quoi ? Ce qui me parait le plus spectaculaire est le point limite d’une évolution démocratique. Par rapport au gaullisme, le sarkozysme ne connaît pas de transcendance, ne discerne pas l’avenir. Il se place dans une position consumériste et immédiate, contrairement à Mitterrand et Chirac qui nous avaient au moins habitués à la distance. Toute la question est de savoir à quoi sert un Etat ? Jusqu’alors, un Etat semblait nécessaire à la société pour se penser comme une société, et non pas répondre à la moindre demande à la minute."

    Les influences (1er novembre 2010, propos recueillis par Emmanuel Lemieux)

     

    Il est possible de lire l'entretien complet d'Emmanuel Lemieux avec Jean-Pierre Le Goff sur le site Les influences.

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  • Un candidat de l'étranger...

    On nous a fait savoir depuis New York, par l'intermédiaire de l'hebdomadaire Newsweek daté du 31 octobre, que Dominique Strauss-Kahn, "the top guy", après avoir "sauvé" la finance mondiale, est prêt à diriger la France...

    Après Sarko l'Américain, DSK ?...

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  • Péril jaune ou péril jeune ?...

    Le numéro 47 de Flash, le journal gentil et intelligent, consacre son dossier à la culture "mangas"... On pourra aussi lire, notamment, un décryptage d'Alain Soral sur les manoeuvres autour de l'élection présidentielle de 2012...

    Nous vous rappelons qu'il est possible de s'abonner en ligne sur le site de Flash magazine !

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    Au sommaire

    Notre dossier : mangas, séries animées, jeux vidéo… Japonisation : péril jaune ou péril jeune ?

    Panorama du mouvement national japonais. Droite traditionnelle, droite du profit, nouvelle droite et droite délinquante… une mini-galaxie politique en somme.

    “Nationalistes de tous les pays, unissez-vous !” Retour sur le voyage de Jean-Marie Le Pen au pays du Soleil levant.

    “On s’est battus pour rien…” Témoignage d’un ancien antifa. Nostalgie d’une époque et espoirs déçus…

    Objectif 2012 ! Alain Soral nous annonce d’ores et déjà les manipulations politiques à venir. Sarkozy trop grillé ? Strauss-Kahn à l’Élysée ?

    Le King est mort, viv… Qu’il le reste ! Elvis Presley, la quintessence du bon goût américain. Par Nicolas Gauthier.

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