Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

salafisme - Page 4

  • Les errements de la pensée stratégique...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Pierre Conesa, cueilli sur son blog Chronique de la décadence heureuse et consacré à l'incohérence de la pensée stratégique française en matière d'alliances dans le monde arabo-musulman...

    Agrégé d'histoire et énarque, Pierre Conesa a fait partie dans les années 90 de la Délégation aux affaires stratégiques du Ministère de la défense. Il est l'auteur de plusieurs essais, dont Les Mécaniques du chaos : bushisme, prolifération et terrorisme (L'Aube, 2007) et La fabrication de l'ennemi (Robert Lafont, 2012) ainsi que d'un excellent polar géopolitique, intitulé Dommages collatéraux (Flammarion, 2002) .

     

    salafisme.jpg

    Les errements de la pensée stratégique
    Arabie saoudite, Pakistan, Iran : qui est l'ennemi principal ?

    Les négociations sur le programme nucléaire de la République islamique reprennent avec le régime de Téhéran. L’Iran est le seul pays contre lequel six ou sept ouvrages en vente en librairie appellent à la guerre, semblant ainsi occuper la place d’ennemi principal. Pourtant en Afghanistan et au Mali, nos soldats sont face à des islamistes, catégorie salafistes jihadistes, les mêmes qui cherchent aujourd’hui à détourner les révolutions du Printemps arabe en Tunisie, en Lybie, en Egypte, au Yémen, ou organisent des kidnappings et des attentats meurtriers en Irak. La matrice géopolitique de la famille religieuse des Salafistes ? l’Arabie saoudite, le Pakistan et accessoirement le Qatar.  Pourquoi donc un tel silence sur le phénomène? 
    Les droits de l’homme, Riyad en ignore le sens même (sans parler des droits de la femme). On peut avec raison critiquer les élections en Iran mais pas en Arabie saoudite où le concept est Haram (théologiquement mauvais).  Aucune pratique religieuse autre que l’Islam n’est tolérée sur tout le territoire saoudien, jusques et y compris dans les Ambassades étrangères. Le Conseil des oulémas réglemente la vie quotidienne de la théocratie saoudienne sans que cela ne suscite la moindre critique des intellectuels occidentaux. Une main de voleur coupée en Arabie saoudite devrait autant révolter qu’au Mali ou à Téhéran. 14 des 19 terroristes du 11 septembre venaient d’Arabie saoudite. Les Occidentaux veulent convaincre Téhéran d’abandonner Assad en Syrie mais se taisent sur  la répression de la révolution démocratique à Bahrein par… l’Arabie saoudite. La déclaration officielle de soutien de Riyad à l’opération française au Mali, se fait toujours attendre.  
    Le Wahhabisme, doctrine exclusive du régime saoudien est la forme la plus intolérante  des quatre écoles juridiques de l’Islam, l’Hanbalisme poussé à son paroxysme par Mohamed Ibn Abd El Wahhab. La destruction de sites « profanes » a commencé dés 1806 quand Ibn Saoud a rasé à Médine, le Baqi, cimetière qui contenait les restes des compagnons du Prophète. La tombe de Mahomet faillit également être démolie. Cette politique s’est poursuivie par la destruction des Bouddhas de Bamyan par les Taliban. C’est cette même idéologie qu’on a vu en action en Algérie pendant la guerre civile (destruction de sites maraboutiques, assassinat d’imams officiels, de fillettes qui allaient à l’école,….), ou au Mali aujourd’hui où les Salafistes ont pratiqué la lapidation suivant la même législation que celle applicable à Riyad (et pas seulement à Téhéran). Arabie saoudite et Pakistan envoient à travers le monde leurs prédicateurs et leurs livres propagandistes. Pour sa formation, c’est au Pakistan que s’est rendu Mohamed Merah, pays où Ben Laden et les chefs talibans ont trouvé refuge. Le seul réseau de vente de technologies nucléaires moderne, est celui d’Abdul Qadeer Khan, le père de la Bombe pakistanaise actuellement en résidence surveillée (et non pas en prison). 
    Dans la hiérarchie des ennemis des Salafistes, les grandes écoles juridiques de l’Islam, le soufisme ou le Chiisme sont à peine moins maléfiques que les autres religions monothéistes. Si bien que le monde islamique est aujourd’hui déchiré par une véritable guerre de religions. Les violences intra-musulmanes déchirent Syrie, Irak, Yémen, Afghanistan, Pakistan, Bahreïn, Liban… où Chiites (quels que soient leurs noms) et Sunnites se livrent des combats sanglants. En Arabie Saoudite, les Chi’ites n’ont aucun droit et à Téhéran, capitale de 13 millions d’habitants, la république islamique n’accepte aucune mosquée dédiée aux Sunnites… Les mosquées de Tombouctou et Gao, typiques du rite malékite, ont été détruites par les Khmers verts d’AQMI… Les relations deviennent violentes entre Frères musulmans et salafistes en Tunisie, en Lybie et en Egypte… La terreur jihadiste tue plus de musulmans que d’autres croyants. Les 100 000 morts de l’Algérie des années noires, l’Irak victime d’attentats kamikazes quotidiens durant la Choura, l’Afghanistan où les Hazaras chiites redoutent le retour des Taliban sunnites, démontrent que l’espace arabo-musulman est bel et bien déchiré par une sanglante guerre de religions.   
    L’aveuglement stratégique occidental est-il volontaire ou inconscient ? La seconde hypothèse ne peut jamais être totalement jamais exclue comme l’ont prouvé les invasions militaires catastrophiques, soviétique puis otanienne, en Afghanistan ou en Irak. Mais la résilience dans l’erreur pose problème. L’attention s’est longtemps fixée sur la poussée des Frères Musulmans, opposition la plus visible aux dictatures « modernistes » soutenues par l’Occident, sans prêter attention à la poussée des Salafistes financés par l’Arabie saoudite et le Qatar  et formés dans les madrasas pakistanaises. Le danger stratégique est aujourd’hui la matrice géopolitique salafiste. Notre aveuglement ne nous place-t-il pas de fait aux côtés d’un de nos pires ennemis, champion d’un des deux camps de la guerre de religion qui déchire le monde arabo-musulman, guerre dans laquelle nous n’avons aucun intérêt. Est il indispensable de soutenir l'un des camps dans la guerre de religion qui déchire le monde musulman? C'est pourtant ce que nous faisons en nous alignant sur le Qatar et l'Arabie saoudite. 
    Le sultan ottoman avait pris fait et cause pour les protestants durant nos guerres de religion. Pour quel bénéfice ?
     
    Pierre Conesa (Chronique de la décadence heureuse, 2 mai 2013)

    Lien permanent Catégories : Points de vue 0 commentaire Pin it!
  • Tour d'horizon... (44)

    Kim Jong-Un.jpg

    Au sommaire cette semaine :

    - sur Atlantico, le général Jean-Vincent Brisset apporte un éclairage intéressant sur l'idée délirante défendue par le gouvernement français de donner des armes aux rebelles syriens...

    Des armes pour les rebelles ?

    rebelles syriens salafistes.jpg

    - sur Ria Novosti, Fedor Loukianov dresse un bilan équilibré des quatorze années d'Hugo Chavez à la tête du Venezuela...

    Chavez, reflet de son temps

    Hugo-chavez.jpg

    Lien permanent Catégories : Tour d'horizon 0 commentaire Pin it!
  • Les convertis d'Allah...

    Nous reproduisons ci-dessous un excellent article de François Bousquet, cueilli sur le site de Valeurs actuelles et consacré au phénomène de la conversion à l'Islam, en particulier de la part de Français de souche...

     

    niqab.jpeg

     

    Les convertis d'Allah

    Ils sont de plus en plus nombreux, reconnaissables à leur profil européen dans les mosquées et dans les rues. Frappés d’amnésie, ils ne se reconnaissent que dans le Coran et tiennent la loi française pour illégitime. Certains basculent dans le djihadisme, comme Jérémie Louis-Sidney, récemment tué par la police.

    Désormais, les frontières de l’État passent à l’intérieur des villes, avait lâché le maire de Philadelphie, il y a presque un demi-siècle, après plusieurs nuits d’émeutes dans sa ville. Il ne croyait pas si bien dire. S’il y a une catégorie de la population qui lui donne raison, ce sont les convertis à l’islam. Amis ou ennemis ? Pour les djihadistes, la réponse ne laisse planer aucun doute. Le phénomène s’observe un peu partout : en France, au Royaume-Uni, en Belgique, en Allemagne. C’est « une sorte de terrorisme domestique qui a germé dans notre propre cour », selon les mots de Wolfgang Schäuble, aujourd’hui ministre des Finances du gouvernement Merkel.

    On en a eu tout récemment une illustration avec Jérémie Louis-Sidney, Français d’origine antillaise, délinquant de son état, converti à l’islam, soupçonné de l’attaque à la grenade d’une épicerie juive de Sarcelles, dans le Val-d’Oise, le 19 septembre dernier. Tué lors d’un échange de coups de feu avec la police venue l’interpeller, il appartenait à un groupuscule djihadiste. Sur les douze suspects interpellés, sept ont été déférés devant le parquet de Paris, dont Jérémy Bailly, peut-être l'inspirateur du groupe, un Français de “souche” converti. Tous se croyaient à Gaza-sur-Seine. La police les soupçonne d’avoir voulu préparer une série d’attentats contre des cibles juives.

    Petits délinquants et convertis “autoradicalisés” à l’école du cyber-djihadisme, le profil n’est pas nouveau, même si, comme le relève Mathieu Guidère, professeur d’islamologie et auteur des Nouveaux Terroristes (Autrement, 2010), « l’affaire Merah a fait sauter un verrou, celui du passage à l’acte ». Louis-Sidney et les autres sont cependant loin de constituer des cas isolés. On se souvient du braqueur Lionel Dumont, le “Gaulois d’Al-Qaïda”, membre du gang de Roubaix et auteur d’une tentative d’attentat contre le G7 en 1996, ou de Muriel Degauque, boulangère originaire de Charleroi, qui s’est fait exploser en Irak, en 2005, au passage d’une patrouille américaine. Et que dire des deux Français convertis impliqués dans la vague d’attentats de 1995, Joseph Jaime (alias Youssef) et David Vallat (alias Rachid), qui s’étaient rencontrés en Afghanistan, où ils se préparaient à la guerre sainte. Ils dirigeaient le réseau Chasse-sur-Rhône (Isère) en charge de la logistique. Au dernier moment, ils prirent peur. Le Groupe islamique armé algérien (GIA) recruta alors une autre équipe dans une cité voisine, à Vaulx-en-Velin. C’est là qu’intervient Khaled Kelkal, délinquant “réislamisé” en prison. Rappelons également qu’au temps de Ben Laden, Al-Qaïda était l’organisation islamique qui comptait le plus de convertis (10 à 20 %). On dénombre désormais, parmi ces djihadistes, de plus en plus de femmes converties (10 % des effectifs, selon Mathieu Guidère).

    À la suite des attentats du 7 juillet 2005 en Grande-Bretagne (qui impliquèrent quatre kamikazes, dont un converti d’origine jamaïquaine), les Renseignements généraux français avaient isolé un échantillon de 1 610 convertis repérés par la police comme prosélytes et impliqués dans des faits de délinquance. Plus de 50 % d’entre eux appartenaient à la mouvance fondamentaliste et 4 % s’étaient convertis en prison, où l’islam est majoritaire, au dire de Farhad Khosrokhavar, auteur de l’Islam dans les prisons (Balland, 2004), – « entre 50 et 80 % dans les établissements proches des quartiers sensibles ».

    À cet égard, on peut parler d’islam carcéral, “voyoucratie” adossée à une force pluriséculaire, le Coran, dont l’affaire Halimi – du nom de ce garçon enlevé, séquestré et torturé trois semaines durant par le “gang des barbares”, dirigé par Youssouf Fofana, petit caïd d’origine ivoirienne, emmuré dans sa folie antisémite, à moitié bègue, rongé par le ressentiment, en proie à une haine généralisée – a révélé l’étendue sous une forme pathologique.

    Dans Tout, tout de suite (Fayard, 2011), un livre brut de décoffrage consacré à l’affaire, le romancier Morgan Sportès s’est dit « effaré » lorsqu’il a découvert « que sur les vingt-sept personnes impliquées [toutes musulmanes], huit [s’étaient] converties à l’islam, simplement parce que l’islam était la religion de leurs copains ». Sportès ajoute que certains protagonistes, prédateurs sans envergure prêts à se damner pour une paire de Nike ou un lecteur MP3, écrasaient dans la journée leur cigarette sur Ilan Halimi tout en expliquant le soir à leurs amis que l’islam est « une religion de charité » ! Les spécialistes évoquent un “islamo-banditisme”, il serait plus juste de parler de “charia de la caillera”.

    Jusqu’aux années 1980, les conversions concernaient une élite en quête de spiritualité ou d’orientalisme, dont René Guénon et le chorégraphe Maurice Béjart demeurent les modèles. Le choix de l’islam passait souvent par le chemin escarpé du soufisme, forme mystique de l’islam. Au surplus, les conversions étaient individuelles.

    Désormais, elles acquièrent une dimension collective, comme au temps du Bas-Empire, quand les peuples vaincus épousaient la religion du vainqueur. C’est visible dans les banlieues, où une jeunesse sans repère embrasse la foi islamique pour se conformer au modèle dominant.

    « Épouser l’islam, note l’un des meilleurs connaisseurs du sujet, Samir Amghar, devient un moyen d’éviter la relégation, liée à son origine française, tout en acquérant des formes de prestiges symboliques : une respectabilité et une notabilité sociale fondée sur l’islam. » Selon le même Samir Amghar, « 25 à 30 % des effectifs salafistes [en France] sont d’origine franco-française et environ un sur dix chez les Ahbashs [courant néo-soufi originaire du Liban], prioritairement des jeunes d’origine antillaise et d’Afrique centrale ».

    L’alliance du consumérisme et du ritualisme

    Désormais, les conversions passent moins souvent par le Tabligh, mouvement piétiste à forte coloration sectaire qui a participé activement à la réislamisation des deuxième et troisième générations issues de l’immigration. Ce sont les salafistes, en phase avec ce que le sociologue Patrick Haenni a appelé « l’islam de marché », qui ont le vent en poupe. D’essence wahhabite, la branche la plus fondamentaliste de l’islam, ils vivent repliés du monde extérieur perçu comme impie et prêchent un littéralisme étriqué, tout en mêlant consumérisme effréné et ultraconservatisme, réislamisation du champ politique et américanisation de la société civile, nourriture halal et fast-food.

    L’autre grand pourvoyeur de recrues pour un islam prosélyte et missionnaire, est le mariage mixte. Interdiction pour une musulmane d’épouser un non-musulman (il en va différemment pour les hommes, mais dans tous les cas, les enfants seront musulmans). On dira que ce sont là des conversions de confort. Leur quasi-automaticité n’en constitue pas moins autant de renforts pour la religion de Mahomet.

    Se convertir, c’est souvent s’éloigner de ses proches, sinon même devenir un étranger, parfois un ennemi, que les parents ne reconnaissent plus. Les barbes poussent, les tranches de jambon restent dans l’assiette, les voiles masquent les visages. C’est un phénomène d’assimilation à l’envers doublé d’un rejet violent de la culture d’origine. Il n’est du reste pas rare que les convertis parlent des “céfrancs” comme s’il s’agissait d’étrangers.

    L’exemple de Ribéry est à cet égard édifiant, lui qui met autant d’énergie à ne pas chanter la Marseillaise qu’à faire sa prière publiquement. Ainsi les anciennes appartenances sont-elles rejetées au profit des nouvelles allégeances, sans aucun recul critique. C’est qu’il y a une faille psychologique chez les convertis, qui n’est jamais abordée dans une société laïque où prévaut le libre choix confessionnel : la question du parjure, ce qu’on appelait naguère les “renégats”. Elle conduit souvent les néomusulmans à en rajouter pour (se) prouver qu’ils sont bien des “born again” et ne pas avoir à interroger la part d’eux-mêmes qu’ils ont abandonnée.

    Le prix Nobel de littérature, sir V. S. Naipaul, qui a beaucoup enquêté sur l’islam dans les pays non arabes (Malaisie, Pakistan, Indonésie), faisait remarquer que l’islam, partout où il s’est implanté, à l’exception notable de l’Iran, a produit un phénomène d’acculturation foudroyant, effaçant les traces du très riche passé préislamique. Les populations, observe-t-il, sont frappées d’amnésie. Et de fait, dans la culture musulmane, le passé préislamique est renvoyé dans le monde de la jahiliya, l’“ignorance”.

    Or aujourd’hui, dans un contexte religieux déterritorialisé et déculturé, l’ignorance est un atout redoutable, ou plutôt « la sainte ignorance » analysée par Olivier Roy (notre entretien page 16). Elle est la pièce maîtresse du salafisme, suppléé par la schizophrénie de ses adeptes, qui conjuguent cyber-modernité et mythification d’un passé arabe reconstruit de toutes pièces par les chaînes satellitaires du Golfe et l’“islamosphère”. À les voir s’habiller à la saoudienne, on ne peut s’empêcher de penser que les salafistes se livrent à une surenchère religieuse pour masquer la précarité de leur islamité. Que dire alors des convertis européens, parmi lesquels ces marionnettes au regard vide que sont les djihadistes, qui ajoutent à la précarité de leur condition la facticité d’une arabité désespérément revendiquée ? Comment ne pas voir en eux des pièces rapportées qui n’ont de raison d’être que dans la mesure où l’Europe n’a rien à leur opposer, sinon sa propre amnésie historique et son refus d’assumer ses fondations chrétiennes ? 

    François Bousquet (Valeurs actuelles, 8 novembre 2012)

    Lien permanent Catégories : Points de vue 0 commentaire Pin it!
  • L'arbre et la forêt...

    Nous reproduisons ci-dessous la chronique d'Eric Zemmour, publiée dans le numéro d'avril de la revue Le Spectacle du Monde  et consacrée à l'affaire Merah et à ce qu'elle révèle...

     

     

    Eric Zemmour.jpg

     

    L'arbre et la forêt

    Un monstre. Un fou. Un malade mental. Un dégénéré. Un loup solitaire. Il y a, dans les mots choisis par les principaux candidats à la présidentielle, de Sarkozy à Hollande, de Mélenchon à Bayrou (et par les médias ainsi que la horde de psys en tout genre convoqués par eux), une volonté commune de sortir Mohamed Merah du commun, de la norme, même des criminels les plus terrifiants. De le psychiatriser. Le déshumaniser, même. Le dépolitiser. Le désislamiser, surtout.

    On remarquera que le processus inverse fut à l’oeuvre pour le Norvégien fou qui devint, son massacre accompli, le porte-parole malgré lui du retour du nazisme.

    On comprend bien les multiples objectifs poursuivis par cette (touchante ?) unanimité (dont même Marine Le Pen a du mal à s’extraire). D’abord, rassurer les populations. Si le meurtrier est un monstre, mis au ban de l’humanité, son périple criminel n’est pas près d’être imité. La parenthèse monstrueuse se refermera aussitôt après sa mort.

    Mais c’est la psychiatrisation du « forcené », sa sortie de l’humanité raisonnable – sa déshumanisation – qui permettra – permet déjà – sa victimisation. C’est le grand legs de la psychiatrie depuis les années 1970. Le fou n’est pas un monstre, mais un homme. Un homme fait de tous les hommes qui les vaut tous, pour paraphraser Sartre. Nous sommes tous des fous, ou aurions pu le devenir, c’est le message que nous a inculqué le politiquement correct psychiatrique. Il suffit d’une étincelle, d’une frustration, d’une persécution. Le fou même meurtrier n’est qu’une victime de la société. Tariq Ramadan n’a pas tardé à allumer cette flamme victimaire. Mohamed Merah ne serait, selon lui, qu’un produit excusable d’une intégration ratée. Du racisme profond de la société française, qui l’a rejeté en tant qu’immigré, en tant que musulman. Ses échecs professionnels sont le fruit d’une hostilité d’une société française malade de ses discriminations. Sa tentative vaine d’entrer dans la Légion étrangère prouve son désir d’intégration. Mohamed Merah, le Lacombe Lucien du terrorisme. Ses innombrables « bêtises » de multirécidiviste sont autant d’appels au secours. Le coupable devient une victime : on connaît le discours bien rôdé, le retournement sémantique de tous les psys, de tous les avocats. Déjà, sur Facebook, des sites – aussitôt supprimés, aussitôt rétablis – chantent la geste tragique du nouveau héros. Dans certaines classes, des profs n’ont pas osé imposer la minute de silence instituée par le président de la République en mémoire des enfants de Toulouse assassinés, car certains jeunes Maghrébins refusaient de « se lever pour des juifs ! » Ces réflexes d’identification spontanée n’ont que faire de la rhétorique savante des élites françaises – politiques, médiatiques et religieuses – pour désislamiser et dépolitiser la sarabande meurtrière du jeune homme.

    « Pas d’amalgame », tel est le cri poussé unanimement. Pourtant, alors que l’identité du tueur n’était pas connue, les grands prêtres de l’antiracisme s’étaient empressés d’amalgamer l’assassin aux « idées racistes », c’est-à-dire, en vrac, au Front national, mais aussi à Nicolas Sarkozy et à tous ceux qui refusent de se coucher devant les injonctions de nos maîtres-censeurs. « Pas d’amalgame entre l’islam et l’islamisme. » L’antienne nous fut inlassablement répétée. Avec les meilleures intentions du monde. Il ne s’agit pas, bien sûr, de prêter une quelconque responsabilité collective à des musulmans français, nos compatriotes, qui n’en peuvent mais. Il s’agit seulement de ne pas accepter des distinctions fallacieuses et des rhétoriques d’évitement. Dans le journal le Monde daté du 24 mars, un professeur de philosophie à Sophia Antipolis, Abdennour Bidar, écrit : « On dit d’un fanatisme de quelques-uns que c’est l’arbre qui cache la forêt d’un islam pacifique. Mais quel est l’état réel de la forêt dans laquelle un tel arbre peut prendre racine ? Une culture saine et une véritable éducation spirituelle auraient-elles pu accoucher d’un tel monstre ? » Mohamed Merah était un musulman de type salafiste. Il a établi sa conversion en lisant lui-même le Coran et lors de ses séjours fréquents en prison. La police soupçonne son grand frère Abdelkader de l’avoir formé et manipulé. Il était devenu un militant religieux et politique. Pas un monstre ni un fou.

    Le salafisme est la version de l’islam pratiquée en Arabie saoudite, grand allié des Etats-Unis et de l’Occident. Le mouvement salafiste a obtenu près de 20 % des voix aux élections en Egypte. Il est l’aiguillon islamiste en Tunisie, militant pour que la charia soit inscrite dans la Constitution, combattant dans la rue les laïcs.

    Le salafisme se répand dans nos banlieues comme une traînée de poudre, supplantant l’islam malékite prédominant dans le Maghreb, qui privilégiait les vertus viriles de l’honneur et de la piété filiale. On sacralise le Coran, texte sacré, décontextualisé qui s’appliquerait parfaitement à notre temps. Coran, prophète, charia, halal, tout est sacralisé. Tout est absolutisé. Les salafistes s’habillent comme le prophète, veulent vivre comme au VIIe siècle.

    Nos bons esprits aiment à distinguer entre islam et islamisme. Entre la pratique individuelle des musulmans et la récupération politique par des groupuscules dangereux. Avec la victoire des islamistes aux élections, dans tous les pays libérés par le « printemps arabe », les mêmes ont dû faire assaut d’inventivité sémantique : il y a désormais les musulmans modérés et les islamistes radicaux. Mohamed Merah est donc un islamiste radical.

    Cette subtile casuistique fait fi de la réalité historique de l’islam. Comme toutes les religions, l’islam est éminemment politique. Il légitime le pouvoir comme le catholicisme consacrait le roi de France. Mais, contrairement à l’Eglise, l’islam ne connaît pas de conflit entre le pape et l’empereur, de distinction entre le sacré et le profane. Selon Marcel Gauchet, dans son livre le Désenchantement du monde, le christianisme était prédisposé à cette séparation laïque, car il était la religion de la sortie de la religion. Au contraire, l’islam est le retour à la rigueur dogmatique du judaïsme après la grande subversion du christianisme, de l’incarnation et de l’amour. L’islam est un retour au pur monothéisme et à l’orthopraxie juive.

    L’islam n’a pas non plus connu la révolution des Lumières, qui a contraint, après plus d’un siècle de combats, à limiter la religion à l’espace privé. Le retour à l’islam travaille les populations arabes. Une rivalité féroce s’exerce entre les deux pôles sunnite et chiite, Arabie saoudite et Iran, pour la domination du monde musulman. C’est une surenchère permanente à qui sera le meilleur musulman, le plus pur, le plus dur aux infidèles.

    L’islam, comme le christianisme, a toujours été un universalisme. Une religion prosélyte qui se considère comme l’ultime révélation monothéiste. Et donc le dernier mot de Dieu. L’oumma est la communauté des croyants. Elle donne une identité musulmane à ceux qui ne se reconnaissent pas une identité nationale. Pas étonnant que Mohamed Merah, citoyen français, enfant d’une famille algérienne, ni français ni algérien, ait trouvé un moule identitaire dans l’islam.

    L’islam est un communisme avec Dieu. A la fois idéal de justice et d’égalité, mais aussi contrôle sourcilleux de la vie de chacun. Un des plus grands spécialistes de l’islam, Maxime Rodinson, interrogé un jour sur la signification de l’oumma, répondit par cette boutade : « l’oumma ? C’est l’Huma ! »

    Bien sûr, Mohamed Merah ne résume pas à lui seul le destin d’une immigration arabo-africaine depuis quarante ans. Il en constitue l’exception, ou plutôt la pente caricaturale. Son destin tragique met cependant en évidence les liens entre immigration et délinquance ; entre délinquance, terrorisme et islam. Des liens que le politiquement correct nous a longtemps interdit même de dénoncer. La faiblesse inconsciente d’une politique d’immigration sans contrôle. Les limites d’un droit du sol qui fait de citoyens français des ennemis fanatisés de leur pays. Les faiblesses d’une politique de la ville qui arrose des associations sans aucun contrôle.

    Selon les spécialistes comme Gilles Kepel, on assiste à la « halalisation » de territoires entiers de la République, quand une population massivement homogène instaure un mode de vie qui va au-delà de l’abattage des bêtes, mais concerne aussi le mariage, la famille, les relations entre hommes et femmes, etc.

    La délinquance aura permis de faire fuir les Français d’origine ou les descendants lointains de l’immigration européenne. Ce qu’un écrivain comme Renaud Camus appelle le « grand remplacement ». Les Mohamed Merah sont rares, mais réussissent – comme l’enseignent les salafistes – à semer la terreur parmi les mécréants. La démographie fera le reste. Et le retour à l’islam rigoriste donnera une couleur idéologique à la pression démographique. Des départements entiers comme la Seine-Saint-Denis deviendraient alors des sortes de La Rochelle au temps des protestants, où des hommes armés faisaient régner un ordre luthérien et pourchassaient les catholiques. Jusqu’à ce que le cardinal Richelieu entreprenne le siège de la place forte protestante. C’est à cette époque que Blaise Pascal disait : « Qui fait l’ange fait la bête. »

    Eric Zemmour (Le Spectacle du Monde, avril 2012)

    Lien permanent Catégories : Points de vue 0 commentaire Pin it!
  • "Ah, ces anti-racistes !"...

    Vous pouvez visionner ci-dessous la chronique matinale d'Eric Zemmour sur RTL, datée du 23 mars 2012 et consacrée à l'affaire du tueur islamiste de Toulouse, Mohamed Merah...

     


    Eric Zemmour : "Ah, ces anti-racistes !" par rtl-fr

    Lien permanent Catégories : Multimédia, Points de vue 0 commentaire Pin it!