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hervé juvin - Page 35

  • Quand le crime paie...

    Nous reproduisons ci-dessous un texte d'Hervé Juvin, publié sur son site Regards sur le Renversement du monde et consacré aux agissements criminels de la finance internationale...

     

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    Quand le crime paie

    Le monde de la banque et de la finance va-t-il s’émouvoir des accusations que, dans son dernier livre, John Le Carré porte sur elle ? En bref, et comme le résumait fort bien « le Monde des Livres » ( 6 avril 2011), l’argent de la drogue, des trafics et des mafias aurait sauvé les banques de la faillite en 2008, et plus généralement, en échange de quelles compensations, aurait servi à renflouer un système financier faisant eau de toutes parts. L’accusation n’est pas seulement romanesque. D’abord parce que les livres de John Le Carré ont toujours traduit un solide rapport au réel. Ensuite, parce que ce n’est pas la première fois que les maîtres du jour auraient considéré que l’argent n’a pas d’odeur, surtout quand il s’agit de survivre, eux, leur pouvoir et leurs gains. Surtout, parce qu’elle rejoint l’idée commune ; l’argent, il faut bien le trouver quelque part.

    C’est là précisément qu’il faut arrêter la comparaison, et cesser la spéculation romanesque. S’il est bien possible en effet que tel ou tel établissement ait été tenté de fermer les yeux sur la provenance de fonds qui lui étaient confiés, ou encore d’accueillir favorablement à son capital des actionnaires troubles, ou simplement inconnus, le système lui n’a aucun besoin d’accepter des capitaux, puisqu’il peut les créer. Les crédits font les dépôts. Les promesses de payer valent paiement. Paradoxe ? Non, réalité stratégique à l’œuvre, sachant que la capacité à promettre n’est fonction, en définitive, que de la puissance. C’est en particulier le tour de force des politiques dites de « quantitative easing », consistant, pour les Etats-Unis, à utiliser le privilège exorbitant d’émettre des dollars à un coût pratiquement nul ; 600 milliards de dollars de liquidités ont ainsi été émises par la Federal Reserve depuis l’automne 2010 ( voir l’article de l’Agefi actifs, 14-20 avril 2011) pour l’achat de treasuries, ce qui équivaut à un enrichissement sans cause des établissements bancaires et financiers américains, pour un montant que les mafias auraient du mal à concurrencer ! La Banque centrale européenne n’est pas à l’écart d’une démarche dont l’autre version consiste à accepter de racheter aux banques qui les présentent à ses guichets des papiers financiers de valeur incertaine, à leur valeur d’émission ; peu importe si le marché des investisseurs évalue à 80, à 60 ou à rien ce qui a été émis à 100, la Banque centrale rachète le papier à 100 ! Voilà une autre manière d’émettre de la fausse monnaie, et d’obtenir par un jeu d’écriture une autre forme de création de richesse, équivalent ici à un crédit gratuit, pour des montants supérieurs à tout ce que l’argent sale pourrait apporter dans les comptes des banques.

    Voilà pourquoi il n’y a guère besoin de l’argent du crime pour que la bulle financière se regonfle et que les acteurs des marchés financiers retrouvent leur superbe. Les techniques de refinancement permettent assez bien de faire disparaître la réalité des prix, comme la titrisation avait merveilleusement permis de faire disparaître la réalité des risques. Voilà aussi pourquoi, à l’évidence, les affaires monétaires et financières sont devenues des affaires stratégiques, de la plus haute importance pour la conduite des Nations, la confiance des individus et l’autonomie des peuples. Car ce n’est pas parce qu’elle n’a pas eu besoin de l’argent de la drogue et des mafias que la banque et la finance ne posent pas des questions de sécurité collective, de paix, et de sûreté. Les émeutes de la faim l’ont dit dès 2007 et commencent à le répéter ; la volatilité des prix tue. La paupérisation accélérée d’une partie de cette « classe moyenne » européenne qui croyait que les engagements étaient faits pour être tenus, va le dire bientôt ; la rupture du pacte social imposée par les marchés se paie. Et la réduction de la démocratie à l’accessoire – votez, nous nous occupons de ce qui compte vraiment ! – elle aussi se paiera, se paie déjà, dans les urnes et dans les rues. C’est que les peuples d’Europe ne sont pas dupes ; rarement un si petit nombre d’hommes aura autant nui à un si grand nombre, rarement une telle impunité aura été assurée à la mafia mondialiste des hedge funds, des intermédiaires financiers et des fabricants de prix de marché, rarement une telle captation publique aura été consentie à un si évident groupe de prédateurs. L’histoire l’enseigne ; quand quelqu’un prétend faire le travail de Dieu, il faut l’éliminer sans recours et sans délai. Le crime de démesure était le premier péché des Grecs. Que l’avons-nous oublié ?

    Tout regard sur les politiques des banques centrales, sur les décisions publiques de sauvetage des systèmes bancaires, sur l’organisation des marchés financiers, révèle à quel point les unes et les autres ont été les moyens d’enrichissement sans cause, d’acquisition d’actifs qui ne seront jamais payés, de détournement d’autres actifs, de destruction de la confiance et de mise sous dépendance de populations et de régions entière. Qui a dit que la finance de marché n’était pas stratégique ? Les Chinois semblent avoir bien compris ce que les Américains savaient déjà, à l’école il est vrai des Britanniques ; il est peu de gains de guerre que la finance de marché ne permette pas d’obtenir, sans la guerre. Affamer des populations ennemies ; se rendre maître des actifs stratégiques ; détruire des monnaies concurrentes ou rivales ; ruiner la foi publique, la confiance dans les engagements de long terme ; amener des systèmes sociaux à l’éclatement ; imposer la loi des investisseurs et des gérants, la loi universelle du plus fort rendement du capital investi, c’est-à-dire parachever la colonisation de la planète par la loi du capital, que le droit prépare, organise, et rend irrésistible ; drôle de paix, qui voit des situations d’appauvrissement et de déclassement, des mises sous dépendance et des ruines collectives comme seules les guerres avaient su les déterminer auparavant, tout cela au nom du développement, de la croissance et du Bien !.

    Face à ces situations, qui n’épargnent pas l’Europe, qui guettent l’Europe, l’historien rappelle que les prêts financiers non remboursés, d’Haïti à Madagascar et aux Philippines, ont été une constante raison de guerres et de colonisation. Le financier assure que rien n’a d’importance, tant que les affaires marchent. Le politique sera plus direct. Une partie de l’activité financière est à ranger parmi les activités criminelles, parce que leurs conséquences sont criminelles. Le déport magistral de richesse et de revenus vers la finance de marché est un enrichissement sans cause. Les facilités données aux établissements pour se refaire et continuer est un abus de biens publics. Les émissions de monnaie sans contrepartie sont une agression contre les autres monnaies, une OPA sur tous les actifs libellés dans ces monnaies, l’équivalent d’une agression contre les autres Nations souveraines. La volatilité des prix de la terre, des récoltes, de l’eau et de l’énergie, tue. Et les facilités de refinancement accordées par prise en pension de titres sans prix, sont une atteinte à la foi publique. Elle condamne l’avenir. Sans parler des situations de conflits d’intérêt systématiques en pareille situation, et des informations d’initiés abondamment utilisées. L’ensemble pose un tout autre problème, celui de la dérive criminelle de toute activité humaine sortie d’un territoire, d’une limite et du réel. Il suggère quatre décisions urgentes, nécessaires, vitales :

    -la suppression des opérations de marchés dérivés par compensation des positions prises ;

    -la séparation totale des opérations de dépôt-crédit et des opérations de marché, ces dernières ne disposant d’aucune garantie publique ;

    -la suppression de l’anonymat des acteurs des marchés, par les mécanismes de trustees et de nominees, aucune opération n’étant admise si l’opérateur final n’est pas identifié.

    -la renationalisation des Bourses, activité garante de la foi publique.

    Urgentes, nécessaires, exclues… N’est-ce pas le paradoxe de la situation politique actuelle, de l’affaiblissement de l’Etat et de l’épuisement des peuples, que des constats aussi aisés, des perspectives aussi graves, et un consentement aussi étendu à l’incapacité d’agir ? Et n’est-ce pas l’étonnement du présent ; la réalité dépasse la fiction ?

    Hervé Juvin, 15 avril 2011

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  • De la censure en France...

    Nous reproduisons ci-dessous un éditorial d'Hervé Juvin, auteur du Renversement du monde (Gallimard 2010), publié sur son site personnel, Regards sur le renversement du monde.

     

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    Censeurs, savez-vous bien ce que vous faites ?

    Ce n’est pas loin, 1976. Cette année-là, on a brûlé dans la cour du Palais de Justice, les bandes du film « L’Essayeuse », de Serge Korber, sur les plaintes d’associations familiales, en raison du caractère pornographique du film. C’était peu de temps après que le doux poète, André Hardellet, ait été condamné pour le livre « Lourdes Lentes » (publié en 1969, le livre fut condamné en 1973 par la 17è chambre correctionnelle pour « outrage aux bonnes mœurs ), au moment où le livre « Le Château de Cène », de Bernard Noël, lui aussi déclenchait les foudres des critiques et des ligues de vertu. Dans les mêmes années 1970, un grand et prestigieux éditeur français publiait, entre autres, « La Petite Marie» (1972), petit livre sous couverture bleue, racontant en termes choisis mais précis l’initiation d’une élève de treize ans par sa professeure et l’amant de celle-ci (1). Et qui se souvient des écrits de Tony Duvert, de Gabriel Matzneff et de tant d’autres ?

    Vingt-cinq ans plus tard, j’ai vu, sur une chaîne de télévision, à une heure de grande écoute, un film à peine coupé du même Serge Korber. Vingt-cinq ans plus tard, nul ne trouverait rien à redire sans doute à ce que le livre d’André Hardellet, celui de Bernard Noël, figurent dans des programmes d’enseignement ; mais il est clair que l’auteur, l’éditeur, les critiques favorables à « La Petite » seraient sans forme de procès embastillés, privés de défense et condamnés par l’opinion avant de l’être par la cour – pensez, une mineure de treize ans !

    Il faudra bien un jour écrire une histoire de nos sensibilités modernes, et prouver à une opinion incrédule à quel point les années, sur le même sujet, et sur les mêmes publics, condamnent ce qui était célébré, et célèbrent ce qui était condamné – en moins d’une génération ! Et il faudra aussi écrire l’histoire de la censure, pour montrer par quels procédés et par quels détournements ceux qui cultivent la haine du peuple et se défient des Français comme de la France, s’emploient à interdire aux Français de dire, de débattre et de décider. Un détour par les Etats-Unis, puritains si l’on veut, sidérés par les étalages de chair aux étalages de nos kiosques à journaux, mais qui titraient, en première page de USA Today, lors de la convention démocrate de Los Angeles, à Beverly Hills, en août 1999, « Est-il bon pour les Etats-Unis d’avoir un vice-Président juif ? » à propos de la désignation du sénateur Liebermann comme second d’Al Gore dans la course à la présidence (2), est significatif  ; une écoute de nouveaux arrivants musulmans, incrédules devant ce qu’ils ressentent comme une provocation sexuelle permanente, conscients de l’abandon de parts grandissantes du territoire aux mafias et aux clans, lucides devant le rôle des réseaux confessionnels dans l’organisation future de ces territoires, l’est tout autant ; et l’aveu récent de Chinois, hommes d’affaires multipliant récemment les allers-retours commerciaux sur la France, incrédules devant les plaintes portées contre des Préfets et des Ministres, et s’étonnant d’une population française bien étrangère à leurs représentations et à leurs attentes, confirme ce que suggère toute écoute d’une conversation de cantine professionnelle ou de table familiale ; « le renversement du monde » est aussi le renversement du domaine de la censure. La diversité humaine est devenue ce qu’était le sexe, ce qui ne se montre pas, ce qui se nie, ce qui se cache à tout prix. Censurer le politique pour débrider le commerce, voilà l’objet caché de la vertu moderne. Tout ce qui peut exciter, affamer, ou seulement réchauffer les désirs d’un consommateur saturé de sollicitations, est désormais autorisé ; et l’épuisement du plus fondamental des désirs humains, le désir sexuel, est programmé par sa sollicitation permanente et détournée vers son unique objet véritable ; le commerce et la banque. En revanche, et c’est le fait nouveau, tout ce qui peut arracher l’individu à sa condition de consommateur désirant sans fin, tout ce qui pourrait lui donner conscience d’une appartenance et d’un lien, d’une identité et d’une foi, d’une singularité et d’une autonomie, doit être interdit, banni et censuré. Vous êtes priés de ne pas penser, désirez seulement ! Le culte de l’indétermination de l’individu est présenté sous les couleurs chatoyantes de sa libération ; libéré de tout, même de lui-même, même de sa liberté et de son autonomie, l’individu isolé moins encore que désolé est livré à l’industrie de production du désir qui règne sans partage.

    Et voilà à quoi sert désormais la censure ; à empêcher que les Français disent ce qui leur importe, parlent de ce qui compte pour eux, et débattent des sujets politiques, c’est-à-dire de leur singularité, de leur circonscription et de leur projet. Passez, il n’y a rien à voir ! Interdit de voir, de compter et de nommer, en parler est déjà coupable ! L’instance mondialiste appuie à fond pour en finir avec la singularité française. Et voilà comment la France n’est plus le pays de la liberté de pensée, depuis qu’elle a laissé passé cette indignité qu’est une loi créant un délit d’opinion. Et voilà comment la France n’est plus une démocratie, depuis que ce qui fait la France et les Français ne peut plus être nommé, compté et désigné. Entre ce que disent les Français entre eux, sur les incivilités et l’insécurités, sur ce que signifie être Français, sur la nécessité d’introduire le droit du sang dans l’accès à la nationalité, sur leur confrontation à des mœurs, des comportements et des relations qui bafouent ce qu’ils ont appris être le Bien et le Vrai, moins du tiers est susceptible d’être exprimé en public, moins du tiers est susceptible d’éviter les foudres des ligues de vertu et des mouvements de dissolution de la France dans le grand tout mondialisé, globalisé et métissé qui habille si bien la haine de soi et des siens. 

    Chacun comprend l’intérêt des censeurs, qui garantissent des parts de marché à l’expression publique autorisée, qui assurent au capitalisme financier un recours illimité à l’esclavage et au trafic de main d’œuvre, qui confortent le pouvoir de mafias autoproclamées et autonettoyantes sur l’espace public médiatique, avec les rétrocommissions assurées. Mais attention ! Le réel se venge toujours. Il est grave que débat politique soit réduit au non-dit, aux sous-entendus, ou au déni. Il est grave que le débat d’idées soit arbitré par le juge, qui n’a ni qualité, ni légitimité, à déterminer ce que les Français peuvent dire, penser, et choisir. Ceux qui croient bon d’attaquer en justice un ministre ou un préfet, simplement parce qu’ils défendent la France et les Français, mesurent-ils l’affaiblissement de l’Etat et de la justice qui découle de ces parodies d’accusation, de défense et de jugement ? Les mensonges sur les vrais chiffres de l’immigration, sur ses coûts et ses avantages, quand ils contredisent si évidemment la réalité, détruisent la foi dans les comptes et les statistiques publics. Les mensonges sur la réalité des délocalisations et du libre-échange, la destruction de l’emploi industriel en France et les bénéfices qui en résultent pour les entreprises, détruisent la confiance dans la politique économique. Les mensonges de l’individualisme méthodologique opposés à l’évidence de la construction dans le temps d’un peuple et d’une Nation, notamment sur le nombre de générations qui font un Français, notamment sur le temps qui fait que tous, peut-être, seront de bons Français, mais dans vingt, trente ans, après quelles épreuves et quels errements !, le déni plus encore du droit des Français à savoir, à dire, et à décider, ne peuvent avoir qu’un effet ; le repli dans le malheur individuel d’abord, la violence de la dignité bafouée et de la survie menacée, ensuite. Ceux-là même qui entendent célébrer et la démocratie, et la République, doivent entendre le message que la démocratie américaine nous envoie ; il n’est aucune question, il n’est aucun sujet qui soit dans l’opinion qui ne puissent être exprimés, instruits, et débattus. Il est certainement des réponses, des propositions et des lois qui sont mauvaises, dangereuses, et qui doivent être refusées. C’est l’objet de la démocratie, et nul des bien pensants par tribu, des sachants par naissance et des autorisés d’eux-mêmes n’a qualité pour dire aux Français ce qu’ils doivent savoir, débattre, et déterminer. Contre la censure, contre le détournement du débat public, contre la confiscation de la démocratie, la tâche de ceux qui croient à la République, à la souveraineté du peuple, condition de l’autorité de l’Etat et de la justice rendue, est urgente, elle sera courageuse, c’est un nouveau combat de Libération qui requiert l’énergie la plus haute, celle de la liberté nationale. 

    Hervé Juvin (10 avril 2011)

    1 – L’éditeur s’appelait Gallimard… Ceux qui veulent prendre du recul sur l’hystérie contemporaine à propos des relations amoureuses entre adultes et mineurs liront avec intérêt l’affaire Gabrielle Russier, et plus encore les débats consacrés à la révision du Code pénal concernant la sexualité et l’enfance, en 1979, tels que le tome 2 consacré aux « Dits et Ecrits » de Michel Foucault ( Quarto, Gallimard), membre de la commission aux côtés de Guy Hocquengem, entre autres, en rend compte ( p. 763 et suivantes, par exemple ). 

    2 – pour conclure, après avoir présenté sur deux colonnes les arguments pour et contre, à l’intérêt pour le peuple des Etats-Unis, d’avoir à la vice-présidence un homme dont la vertu personnelle, la foi religieuse, la quête spirituelle et l’engagement communautaire garantissaient des valeurs fortes.

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  • Ni libre-échangisme, ni protectionnisme, pour des échanges choisis !

    Un nouveau texte d'Hervé Juvin cueilli sur son site Regards sur le renversement du monde...

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    Ni libre-échangisme, ni protectionnisme, pour des échanges choisis !

    Le débat sur la liberté des échanges fait une entrée encore discrète, mais puissante, dans la campagne présidentielle. Le constat est largement partagé ; la mondialisation des échanges nous emporte là où nous ne savions ni ne voulions aller. Elle a été engagée par la volonté de Roosevelt et de Churchill, lors du Pacte de l’Atlantique, en 1941, sous le signe de l’ouverture du monde aux entreprises anglo-américaines. Elle ne se réalisera que progressivement, à la faveur de l’occupation idéologique qu’assure le plan Marshall en Europe occidentale, puis de la montée en puissance des institutions supra-nationales et des investisseurs privés. L’affaiblissement parallèle des Nations et de leurs frontières, l’a rendue irrésistible à la fin des années 1970. Elle a tenu certaines de ses promesses. Elle a rempli les rayons des supermarchés, elle a dispensé l’Occident de faire face au vrai prix de son endettement, et elle a permis à une grande partie de ce qui était le Tiers-Monde, notamment en Asie, deux à trois décennies de croissance d’une extraordinaire vigueur ; la transformation de la Chine, réalisée à partir de la décision de Deng-Xiao-Ping en 1978 de faire entrer la Chine dans le marché mondial, est sans précédent dans l’histoire, et pour un pays de cette dimension ! Sortie de la pauvreté et de la peur du lendemain, accès de centaines de millions d’hommes à une aisance, au moins relative, enrichissement inouï des agents, des financeurs et des teneurs de péage des échanges mondiaux, qu’ils soient d’informations, de biens, de services, d’hommes ou de capitaux ; mais à quel prix ! La destruction du monde comme nature, comme gratuité et comme don, est en voie d’achèvement ; les « fake things » chères aux Américains comme aux Chinois, en ont fini avec la beauté du monde. La diversité, qui est l’humanité, se rétablira au prix d’une violence dont les prémices sont déjà là. Et les sociétés occidentales sont des sociétés éclatées, entre une caste qui détient l’accès aux media, fabrique les représentations qui la justifient, prélève sa rente sur tout ce qui bouge, et une caste sans cesse plus nombreuse qui subit la mobilité comme une agression, se voit peu à peu réduite à la survie, dépossédée de tout ce qui la rendait sûre d’elle, confiante dans l’avenir comme dans ses voisins. La décivilisation gagne une France, une Grande-Bretagne, qui ne peuvent nier la tiers-mondisation qui monte. Ceux qui ont parlé du bonheur français devront bientôt parler de l’enfer des classes moyennes, ces classes moyennes qui ont adoré la baisse des prix à la consommation, sans voir qu’elles achetaient la baisse des salaires et des emplois, ces braves gens qui se sont réjoui du développement de la Chine, de la Corée, comme de tant d’autres, grâce au libre-échange, sans voir qu’ils seraient bientôt payés comme un informaticien indien, comme un ouvrier chinois – ou perdraient leur emploi !

    La prise de conscience est rapide. L’interdépendance financière est la clé de l’extension dramatique de la crise, et le monde s’en est sorti grâce aux pays dont les monnaies ne sont pas convertibles, dont le système bancaire est fermé et le marché des capitaux protégé. La spécialisation internationale des cultures est le principe de la famine, et de la situation explosive d’Etats africains riches en terres, riches en actifs, et qui ne produisent pas de quoi nourrir leur population. Le libre échange a été une arme stratégique de destruction massive pour les pays dont une solide préférence nationale, ou un cynisme avéré, ne leur permettaient pas de résister, de défendre, de protéger. La France s’est voulu bon élève de l’Europe ; elle a voté des textes, elle les a même appliqué, ce que maints de ses concurrents se gardaient bien de faire. Elle célèbre le nombre de ses champions mondiaux ou européens, et la fortune de Bernard Arnault, devenu quatrième homme le plus riche du monde, oubliant que les trois quarts de l’activité de ces champions ont lieu loin de France, et qu’ils y paient de moins en moins l’impôt, quand ils en paient. Elle en est probablement à un degré de désindustrialisation qui fait perdre, non seulement des usines, des capacités de production, mais la possibilité même de produire ce qui a été délocalisé. Sa situation stratégique est particulière, y compris par rapport à certains de ses grands voisins européens ; pour un grand nombre de produits de la vie courante, comme de biens d’équipement, la production nationale est nulle, à la différence notable d’une Allemagne qui a conservé, même de manière marginale, une capacité à produire beaucoup plus diversifiée. Si l’indicateur de la capacité d’une économie à produire une part des biens et services nécessaires à sa population est bien un indicateur pertinent de la résilience stratégique, il faut mesurer la fragilité de la position stratégique vers laquelle le libre-échange et la supposée «  loi du marché » nous ont conduits !

    La question est posée ; comment en sortir ? Comment sortir d’une idéologie qui, du libre échange, a fait le libre échangisme comme dogme, comme croyance et comme interdit ? Et comment en finir avec les affirmations, aussi fausses que terroristes, qui veulent que tout économiste digne de ce nom soit favorable à la liberté des échanges ? D’abord en rappelant quelques vérités malséantes. Jamais le libre échange n’a été aussi de rigueur dans le monde qu’à la veille de la première guerre mondiale. Union postale internationale, Cour de la Haye, heure universelle GMT, câbles sous-marins, financement de toutes les aventures du globe par les rentiers britanniques et français… chacun connaît la suite de l’utopie planétaire qui régnait alors ! Jamais les Etats-Unis n’ont abandonné quoi que ce soit de leur souveraineté aux principes du libre échange, comme d’ailleurs aux prétendues règles du consensus de Washington, adoptant ce principe pour eux sage ; les institutions internationales sont pour les autres, leurs décisions s’appliquent aux autres, nous nous occupons très bien de nos propres affaires ! Et soyons certains que l’acquisition projetée d’une société de haute technologie par une société d’armement française, objet d’un examen par la commission américaine spécialisée, sera examinée sans préjugé, mais sans complaisance… au moment où un groupe chinois veut racheter Latécoère, il est bon de l’observer ! Jamais non plus le libre-échange n’a été universel, touchant tous les secteurs et tous les domaines ; l’agriculture est l’un des secteurs, avec la terre et l’éducation, dont seule une immense manipulation des esprits et de l’information a pu faire croire qu’il relevait d’un marché mondial !

    Ensuite en affirmant sereinement que le libre-échange actuel annonce la ruine du capitalisme et la destruction de nos démocraties occidentales. Car la question n’est plus, aux Etats-Unis comme en Grande-Bretagne, en France comme en Italie, de constater des écarts de revenus et de patrimoines entre membres de la même société, entre concitoyens ; la question est de constater que les écarts de revenus et de patrimoines font vivre les uns et les autres sur le même territoire, mais dans des mondes différents. Car la question est que l’augmentation des revenus et des patrimoines de tous ceux qui participent à l’aventure de la mondialisation, plus encore de ceux qui touchent les rentes de positions inexpugnables de péage sur les flux de la mondialisation – gérants de capitaux, avocats et fiscalistes, intermédiaires de marché et banquiers, etc. – les dispense de faire société avec ceux qui, autour d’eux, voient leur condition se dégrader parce qu’ils sont soumis, de plus en plus durement, et de plus en plus près, à la concurrence des nouveaux entrants sur le marché mondial du travail, des compétences ou de l’énergie. Le modèle n’est pas celui du Moyen-Age, où, comme le rappelait Adam Smith, le seigneur était responsable de tous ceux qui vivaient sur sa seigneurie ; le modèle est celui de l’esclavage, où quelques maîtres disposent des milliers d’esclaves qu’ils vendent, échangent, déplacent à leur guise. Avec les produits du tiers-monde, nous importons aussi le tiers-monde. Le libre-échange à la fois se nourrit et accélère la destruction des cadres institutionnels qui faisaient société entre nous. Incapacité de dire le droit ; incapacité de décider des normes et des règles ; incapacité de choisir de l’extérieur quoi et qui on accepte, quoi et qui on refuse ; le libre-échange entend réaliser concrètement la malédiction de Margaret Thatcher, « There is nothing as a society», qui contient la négation de l’Europe, puisque l’Europe est d’abord la société européenne. Et il le fait en permettant que tout devienne moyen de la concurrence ; tout, c’est-à-dire la destruction de l’environnement, l’esclavage, la manipulation de l’opinion, la vente à perte, etc.

    Enfin, en posant des principes. Le premier s’applique notamment à l’industrie et à l’agriculture ; le libre-échange, ce n’est pas le renard libre dans le poulailler libre ! Le moins-disant réglementaire, environnemental, social, n’est pas un facteur structurel de compétitivité ; ce qui signifie qu’il est parfaitement légitime d’en corriger les effets et de rétablir les bases d’une concurrence juste et non faussée. Le second en appelle à la conscience nationale, et promeut le « buycott » plutôt que le « boycott » ; l’origine des produits, la localisation de la valeur ajoutée, doivent redevenir des motifs d’achat, ils doivent permettre l’expression de la préférence pour soi des Français et des Européens. Il faut, et il suffit, que l’appellation « Fabriqué en France », ou bien « Fabriqué en Europe » et l’indication de la part de la valeur du produit crée en France ou en Europe figure sur l’étiquette. Le troisième ouvre le chantier de la taxe environnementale et sociale. Chantier impossible ? Chantier évident au contraire, puisqu’une hausse de la TVA permet très bien de faire payer aux produits importés une contribution à la protection sociale des Français et à l’amélioration de leur milieu de vie – TVA qui peut être modulée en fonction des engagements sociaux, nationaux et environnementaux des entreprises productrices. Le quatrième chantier commence par l’identification des secteurs stratégiques, ceux qui commandent la résilience de la Nation, ceux dans lesquels une dépendance vis-à-vis de l’extérieur peut limiter ou condamner l’indépendance des choix de la France. Information et spectacle ; alimentation ; énergie ; télécommunications ; marchés financiers, banque et gestion de capitaux ; conseil aux entreprise et audit ; utilities ; dans ces domaines, l’interdépendance est une dépendance, et limite la souveraineté. C’est pourquoi il faut ouvrir, dans chacun de ces domaines, l’analyse et la recherche de modèles de propriété qui allient la propriété du capital, la connaissance des associés, et l’intérêt territorial ou national. A l’évidence, la forme coopérative est l’un des modèles, sinon le modèle à étudier. C’est pourquoi aussi, dans tous les domaines de fournitures aux collectivités publiques, un « small business act » à la française, réservant une part des commandes à des entreprises de taille petite ou moyenne, doit être étudié. Le cinquième chantier est d’une toute autre nature. L’impérialisme de l’économie n’a pu s’affirmer qu’à la faveur de l’individualisme souverain, du désarmement du peuple par le droit, le contrat et le marché. L’identification des Français à un projet collectif, la mobilisation des Français pour la reconquête de leur autonomie collective, la préférence des Français pour ce qu’ils sont et pour ce qu’ils font, est la seule condition d’une véritable maîtrise des échanges. Les Français ne survivront pas qu’ils ne l’aient pas voulu, choisi et mérité.

    Hervé Juvin, 21 mars 2011

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  • Vers une insurrection des différences ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un texte de Christopher Gérard consacré à l'essai d'Hervé Juvin, Le renversement du monde, et au roman de Jean Raspail, Le Camp des Saints. Christopher Gérard, ancien directeur de la revue d'études polythéiste Antaios, est l'auteur de plusieurs essais, ainsi que de romans : Le songe d'Empédocle (L'Age d'Homme, 2003), Maugis (L'Age d'Homme, 2005) et La porte Louise (L'Age d'Homme, 2010).

     

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    Vers une insurrection des différences ?

    "N’est homme de culture que celui qui fait passer la vie de son ennemi après sa foi ou les siens. " Hervé Juvin

     

    Deux livres bien différents, un essai d’une rare densité et un roman prophétique, illustrent avec courage et pertinence le basculement du monde auquel les Européens assistent les bras croisés, comme sidérés par un étrange sentiment de dépossession.

    Aux yeux de l’économiste Hervé Juvin la récente crise financière se révèle avant tout morale et politique, puisqu’elle sanctionne des nations anesthésiées par la théologie de la croissance infinie, privées de réelle souveraineté et dociles aux diktats de Wall Street : c’est ce qu’ il appelle le renversement du monde. Dans Le Camp des Saints, roman prophétique publié pour la première fois en 1973, Jean Raspail décrit la liquéfaction d’un peuple soumis à une rapide colonisation de peuplement et qui se résigne à un changement de population aux allures de cataclysme.

    Tous deux, l’intellectuel et l’artiste, trouvent les mots justes pour poser un diagnostic clair sur l’aveuglement d’Européens fatigués de faire l’histoire et qui croient qu’il suffira de payer pour jouir encore d’une paix que nul ne compte plus acheter.

    L’artiste - et de quelle ampleur ! – propose un conte : un matin, une flottille de navires chargés d’un million de miséreux venus du Gange accoste dans le Midi de la France. Faible et pitoyable, cette avant-garde d’autres flottes déjà en route espère avoir atteint la Terre promise. Que feront les Français, que le monde entier observe et juge ? En vingt-quatre heures, le sort de l’Occident est joué. Une sorte de tragédie classique aux personnages hauts en couleurs, comme toujours chez ce sorcier de Jean Raspail. Avec quel brio, avec quelle douloureuse jubilation, l’écrivain analyse à la loupe le lâche abandon d’une civilisation qui accepte d’être submergée. Livre visionnaire, et qui scandalisa les belles âmes dès 1973,  Le Camp des Saints serait impubliable aujourd’hui à cause des lois qui cadenassent la liberté d’expression, d’autant que, dans une préface intitulée Big Other, Raspail met le doigt là où cela fait mal : d’ici une trentaine d’années, si les flux migratoires ne cessent de s’amplifier, une bonne moitié de la population active des villes d’Europe devrait être extra-européenne. Jour après jour, ce basculement démographique, cette mutation anthropologique deviennent une probabilité, un héritage que nous laisserons à nos descendants. D’ici 2050, les Européens de souche, aujourd’hui majoritaires, pourraient se retrouver en minorité sur leur propre sol. Ce que Hervé Juvin exprime quant à lui de la sorte, sans fards : « ceux qui y sont ne sont pas ceux qui y seront ». Cette réalité se trouve niée au nom d’une utopie mixomane faisant du métissage rédempteur – l’ouverture à l’Autre - le dogme central d’un humanisme transgénique. Car, comme le précise Raspail dans préface, Big Other veille : « le Fils unique de la Pensée dominante, comme le Christ est le Fils de Dieu et procède du Saint-Esprit. Il s’insinue dans les consciences. Il circonvient les âmes charitables. Il sème le doute chez les plus lucides. Rien ne lui échappe. (…) Sa parole est souveraine. Et le bon peuple suit, hypnotisé, anesthésié, gavé comme une oie de certitudes angéliques… » Au nom d’une escroquerie historico-sémantique, voilà donc l’Europe et ses racines niées avec un acharnement pathologique, comme si le sacro-saint métissage avait pris la place dans notre imaginaire déliquescent de l’ancien complexe de supériorité …

    Quoique différent, le propos d’ H. Juvin rejoint l’apocalypse de Jean. Pour cet économiste à la solide culture historique et philosophique, le krach de 2008 constitue la première phase d’une révolution et la fin d’un conte de fées, celui d’une unification planétaire sous l’égide de l’individualisme marchand. Aux sources du désastre, la croyance que l’économie constitue le destin et l’oubli de l’antique règle d’airain des civilisations classiques, énoncée il y a vingt-cinq siècles par Héraclite : « Le conflit est le père de toutes choses ». La négation ou le refoulement par des intelligences atrophiées des antagonismes fondateurs désarme et asservit les peuples ahuris par un catéchisme mondialiste seriné sur tous les tons par des myriades d’experts, de technocrates, et de politiciens naïfs ou stipendiés. Ses dogmes ? Le marché comme horizon indépassable (« il Mercato ha sempre raggione »), la croissance infinie comme seul avenir concevable, la singularité comme obstacle au doux commerce et, partant, la nécessaire déconstruction des mœurs et des héritages comme panacée. Bref, l’économisme contre la civilisation. Ou le formatage des âmes, des corps et des esprits par un crédit comparable au Dieu de Pascal, dont le centre est partout, et la circonférence nulle part, comme tactique de contrôle des masses, plus efficace que les mises au pas totalitaires. La liquidation (Juvin parle aussi de gazéification) des sociétés humaines « par l’utopie des droits de l’homme, par l’effacement des frontières et la négation des identités ». Juvin fait d’ailleurs remarquer que seule l’Europe, par un masochisme qui lui est propre, refuse d’accorder son système économique à ses valeurs ancestrales, au contraire de l’Inde ou de la Chine, atelier et banque du monde (OPA en cours) qui ne tourne pas le dos à son héritage confucéen. Même la Russie de Poutine, sinistrée par des fous sanguinaires puis par des pirates sans scrupules, suit désormais ses propres pas, et redécouvre sans complexe son héritage orthodoxe et eurasien. Seule l’Europe accepte de se laisser occuper, espionner, rançonner, et déposséder de son héritage au nom d’une prétendue gouvernance, terme ambigu qui tend à usurper la place de démocratie, sans doute suspect d’ethnocentrisme en raison de ses origines helléniques. Seule l’Europe admet de voir systématiquement critiquées par les idéologues du sans-frontiérisme (Big Other) sa souveraineté, sa légitimité et son unité millénaire. Seule l’Europe se complaît dans cet état d’apesanteur né d’une fuite du réel, d’une amnésie programmée notamment par des escouades de pédocrates gagnés aux dogmes égalitaires autant que travaillés par un ahurissant complexe de haine de soi, opportunément grimée en amour de l’Autre, version postmoderne du Veau d’Or, devant lequel se prosternent nos élites. Ni les Américains du Nord, ni les Chinois, ni les Mahométans n’entendent nier leur identité avec pareil zèle. Face au retour d’empires autocentrés, qui savent déjà que la frontière et la discrimination constituent des conditions de survie, les Européens continuent de nier la prépondérance de cette triade fondamentale: le sang, le sol et l’esprit. Négation de l’histoire au profit d’abstraites constructions juridiques, négation de la géographie par un étouffant conformisme qui interdit de désigner les menaces, et enfin négation des racines spirituelles au nom d’un nihilisme satisfait. Big Other veille. Décérébré, extrait de force de toutes ses déterminations, le citoyen cède la place à l’homme de marché, zombie inculte, ignorant et amnésique; désarmé et captif d’une bulle empoisonnée, le voilà asservi : telle est la mutation anthropologique du néo-libéralisme, qui dissout les liens religieux, ethniques et familiaux au profit d’un dogme unique, celui de l’intérêt individuel (et immédiat) comme seule priorité acceptable par la doxa dominante, celle des usuriers et des marchands d’illusions irénistes (« l’abondance, c’est la paix »). Avec lucidité, Juvin commente cette métamorphose : « le nouveau projet libéral mondialiste conduit au dépassement des structures collectives au nom des droits de l’homme, devenus les droits de l’individu absolu, c’est-à-dire la capacité illimitée de l’individu à se désengager, à se délier, à se défaire de la relation avec les autres, avec la nature et avec lui-même. » Ou, presque lyrique : « Non, les hommes ne sont pas les mêmes, et nous n’en avons pas fini avec la terre qui est sous nos pieds, avec la couleur de la peau et la langue de nos rêves*. (…) Non, nous n’en avons pas fini avec la puissance, le pouvoir et l’ennemi ».

    Alors que, dans Le Camp des Saints,  Raspail décrit avec brio la résistance d’une phalange de résistants qui meurent avec panache (le syndrome « casoar et gants blancs »), Juvin propose des pistes pour sortir de la crise et préparer l’insurrection des différences ou le retour du divers. Tout d’abord un travail pédagogique de réveil à l’histoire, de retour au réel (sang, sol et esprit tous trois équilibrés pour éviter le péril totalitaire, qui réduit souvent la triade à un couple bancal), de rétablissement des limites, des portes et des distinctions (à commencer par celle, vitale, entre l’ami et l’ennemi). Bref, un retour au politique ; une exaltation de la diversité réelle et non fantasmée : « si le monde est fini, compté, et petit, la politique redevient l’effet de la puissance, et le fondement de la société politique est la survie de ses membres, à côté, ou bien contre, celle des autres. »

    Juvin plaide aussi pour une décolonisation de l’Europe sous peine de voir un jour s’éteindre un type d’homme, en rappelant que l’immigration incontrôlée qui modifie le visage de nos villes n’a jamais fait l’objet d’un choix démocratique, puisque décidée d’en haut au nom d’un économisme à courte vue qui peut se traduire en langue cynique par  « il faut des esclaves pour que la plantation prospère ».

    Il en appelle au retour des frontières comme limites bien plus que comme barrières (l’autarcie absolue étant un fantasme), à la proximité culturelle et économique comme critère de choix politique, à rebours des modes et des utopies vénéneuses.

    Esprits libres, Raspail et Juvin nous exhortent à décoloniser notre imaginaire et à nous réapproprier notre légitime volonté d’être et de durer.

     

    Christopher Gérard

     

    Publié dans La Libre Belgique le 15 mars 2011

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  • Eléments : 40 ans et toutes ses dents !...

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    Une très belle nouvelle formule de la revue Eléments vient de paraître !

    Sur le front du combat des idées depuis 40 ans, le magazine, pour son numéro 139, s'offre une nouvelle jeunesse avec notamment une maquette plus nerveuse, un retour en force des illustrations et des articles à la fois plus nombreux et plus courts.

    Le contenu concocté par le nouveau rédacteur en chef, Pascal Eysseric, qui succède à Michel Marmin, est à la hauteur des attentes avec un dossier consacré au déclin de l'Occident, dans lequel on peut découvrir les signatures de l'historien Dominique Venner, du philosophe Jean-François Mattéi, de l'essayiste Hervé Juvin, de l'économiste et ancien ministre libanais George Corm et du penseur italien Costanzo Preve.

    Au sommaire, outre les excellentes pages Cartouches, on trouve aussi l'analyse coup de poing d'Alain de Benoist sur « l'immigration, armée de réserve du capital », un entretien avec Pierrick Guittaut pour son polar Beyrouth-sur Loire, un article de François Bousquet sur Malaparte, de Thibaud Isabel sur l'ordre moral néo-bourgeois, de Ludovic Maubreuil sur le cul militant, de Jean-François Gautier et aussi de Frédéric Guchemand sur Wagner et de Robin Turgis sur Céline... Bref que du bon !

    Le magazine peut être acheté en kiosque ou commandé sur le site Eléments. Il est possible de s'abonner au prix de 25 euros pour 5 numéros.

    Contact : http://www.revue-elements.com/index.php

     

     

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  • Où comment le gaz de schiste incarne la menace du néocolonialisme...

    Un texte absolument remarquable d'Hervé Juvin, cueilli sur son site Regards sur le renversement du monde, qui souligne le caractère emblématique de la question de l'exploitation du gaz de schiste en France...

     

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    Où comment le gaz de schiste incarne la menace du néocolonialisme

    Nant, Saint-Jean du Bruel, Sauclières… qui aurait dit que ces villages de l’Aveyron, entre Causses et Cévennes, feraient la une de journaux télévisés et seraient cités dans les colonnes du Wall Street Journal ou du Financial Times ? C’est qu’on y vit bien, dans ces villages nichés au creux de la vallée de la Dourbie, au pied du Saint-Guiral, d’autant bien et d’autant mieux que le monde s’arrête, quelque part du côté de Millau et du fameux viaduc, à l’ouest, ou bien de la plaine à vignes des grandes migrations du travail ou du soleil, là-bas, vers Montpellier ou Béziers. C’est qu’on y vit d’autant mieux que, depuis les guerres de religion qui ont dévasté la région, les grands tumultes du monde ont pour l’essentiel épargné la zone, malgré les coupes sombres dont témoignent les monuments aux morts de 14-18.
    Nant, Saint-Jean-du-Bruel ou Sauclières se retrouvent, sans l’avoir voulu, aux avant-postes du combat qui vient, et qui n’épargnera pas un pays comme la France, des régions comme le Midi-Pyrénées, les Causses ou les Cévennes. Les permis d’exploration de gisements de gaz de schistes, accordés à des sociétés pétrolières, dont Total, suscitent d’abord l’inquiétude de populations ni consultées, ni informées, et qu’effraient les images de ces Montagnes Rocheuses éventrées par l’exploitation de gisements analogues. Ils suscitent ensuite le combat de ceux qui n’entendent pas laisser coloniser leurs Causses par les géants pétroliers, les fonds d’investissements et la logique du marché mondial. Et ils provoquent surtout cette prise de conscience ; nous aussi sommes concernés par la nouvelle colonisation du monde, nous aussi sommes des indigènes en lutte pour leurs terres, leurs mœurs et leur liberté d’être et de demeurer.
    Ce combat annonce un affrontement planétaire, celui qui va opposer, partout dans le monde, les colons et les indigènes. Nous n’en sommes qu’au début. Pensez-y un instant ! Chaque année, c’est l’équivalent de la surface agricole utile de la France qui est achetée par des fonds d’investissements ou des industriels de l’agro-alimentaire étrangers au pays où ils investissent. Ce combat est celui qui oppose les droits de l’exploitant, au nom de la valorisation économique, et les droits de l’occupant, au nom de ses racines, de ses liens, et de son bien-être. Nous n’en avons pas fini avec la quête d’autonomie des sociétés humaines, une quête d’autonomie qui est le moteur des révolutions arabes actuelles, une quête d’autonomie qui ne se tourne plus contre le missionnaire ou le soldat, mais contre cette forme moderne de colonisation qu’est le marché international des droits de propriété, d’exploitation et de vente. Et ce combat est ce qui oppose une économie de marché dont l’extension aux hommes et à la terre promet des bouleversements géoéconomiques et des affrontements géopolitiques violents, à des sociétés qui savent ce qu’elles se doivent, qui se préfèrent à la croissance et à l’argent, et qui n’entendent pas céder à la loi du rendement maximal et de l’actionnaire tout puissant. Bandung, c’est pour demain, l’insurrection des peuples libres contre la colonisation interne du taux de rendement et du retour sur investissement. Car liberté s’appelle gratuité, frontières, et séparation.
    Le débat vient de loin. La terre appartient à ceux qui l’exploitent ; l’égoïsme des uns ne peut entraver le progrès des autres ; les peuples primitifs doivent céder à la loi du colonisateur venu leur apporter la civilisation, la morale et l’efficacité… En Ethiopie, voici deux mois, j’entendais des représentants de fonds d’investissement justifier ainsi le déplacement de quelques 60 000 membres de tribus du Sud pour construire un barrage… Il faut bien éclairer les tours que construisent les Chinois, et fournir du courant aux ordinateurs ! Ce n’est pas d’aujourd’hui que s’affrontent des logiques, des raisons et des principes. Mais cet affrontement prend un tour différent. C’est que, pour la première fois avec cette violence, ce sont des terres de France, parmi les plus emblématiques de la France de toujours, à moutons et bergers, à jambon et à Roquefort, qui sont touchées. C’est que, dorénavant, c’est la France et c’est l’Europe qui se sentent frappées par le choc en retour des chiens de l’universel qu’elles ont lancés sur le monde. C’est qu’il s’agit de fouiller les entrailles de la terre, de faire exploser des montagnes et d’ouvrir la terre pour y trouver des sources d’énergie, cette énergie dont l’abus manifeste par ailleurs détruit la vie. C’est qu’il s’agit de concéder à des sociétés privées quelques uns des derniers espaces de gratuité, de liberté et de beauté français.
    La raison est simple. La course aux matières premières, à la terre, à l’eau, à l’énergie, à l’espace, ne fait que commencer. La seule phrase qu’il faut retenir en ce début d’année est celle de Bruno Lemaire, prévenant les Français que la baguette de pain, le kilog de riz ou de pâtes vont coûter plus cher, beaucoup plus cher dans les années à venir. Se chauffer, s’éclairer, se nourrir, va redevenir un problème pour une partie de la France et pour des Français qui n’échapperont pas à la tiers-mondisation que produit le libre-échange. Et le mouvement est rendu irrésistible par l’abaissement des frontières, des limites et des priorités qu’une Nation pouvait opposer aux prédateurs étrangers, aux envahisseurs affamés ou aux pillards financiers. Ce ne sont pas les Safer et ce ne sont pas les baux ruraux qui préserveront la terre de France des fonds d’investissement, ce ne sont pas les coopératives qui maintiendront le revenu de l’agriculteur et le pouvoir d’achat des Français, comme ce ne sont pas les conseils généraux ou les fonctionnaires chargés des territoires qui bloqueront l’accès aux pétroliers texans ou aux gaziers chinois. Nous nous sommes gorgés depuis trois siècles des bénéfices du trafic colonial, du monopole de la détention du capital et de l’emploi du travail gratuit en Chine et ailleurs, nous allons être confrontés aux retours d’une mondialisation qui a changé de sens, et qui fait de nous une cible, de nos systèmes publics une proie convoitée et de nos territoires des ressources à exploiter.
    Serons-nous, dans nos vallées du Tarn et de la Dourbie, sur nos Causses et nos Cévennes, ces Indiens déportés en masse, parqués et enfermés dans des réserves pour laisser le colon exploiter leurs terres, détruire toute la diversité qui s’y trouvait, pour assurer le meilleur rendement au capital investi ? L’image est tentante, mais attention !  Le débat est moins simple qu’il n’y paraît. Car la quête de l’autonomie, le retour de la souveraineté, passent par une indépendance énergétique et par un accès à la puissance industrielle dont l’exploitation de gaz de schistes pourrait bien être l’un des moyens. Car l’opposition entre colon et indigène est bien vite dépassée, quand ce sont les indigènes dont l’intérêt sonnant et trébuchant les conduit à concéder leur terre aux plus offrants, ou à rêver de transformer leurs champs en lotissements ; quel paysan proche de la retraite n’a pas cédé à la tentation !
    Car il se pourrait bien que le débat soit plus fondamental. Le sacrilège symbolique est au fond de la rébellion ; on n’a pas le droit de faire ça ! Pas le droit d’éventrer les montagnes pour faire rouler des voitures, pas le droit de détruire des paysages pour que plus d’avions transportent plus de voyageurs qui ne vont nulle part, puisque tout sera bientôt pareil, dans les endroits où se posent les avions. Pas le droit de toucher ce qui est plus que l’homme, plus que les vies humaines qui se succèdent, et qui se nomme le sacré d’un lieu, d’une terre, d’un lien. Un pays n’est pas une marchandise ; une société humaine ne s’achète pas au prix du marché ; et ce qui n’a pas de prix est au-dessus de ce que les prédateurs apatrides et les marchands coloniaux peuvent toucher. Et voilà ce qui pourrait bien être la clé d’une identité de projet et d’une nouvelle civilisation. Ce qui fait aujourd’hui l’identité d’un Cévenol, d’un Caussenard, ce n’est pas la naissance, ce n’est pas même l’accent, c’est la volonté de se battre et d’agir pour que Cévennes et Causses ne soient pas seulement une marchandise, un calcul de rendement, une ressource promise à qui l’exploitera au mieux.

    Hervé Juvin – Le 2 mars 2012

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