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  • Mobilisation totale ?...

    Les Presses universitaires de France viennent de publier un essai de Maurizio Ferraris intitulé Mobilisation totale. Philosophe, Maurizio Ferraris est déjà l'auteur de T'es où ? - Ontologie du téléphone portable (Albin Michel, 2006).

     

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    " Toutes les cinq secondes en moyenne, votre portable se manifeste à vous. Cet ouvrage se penche sur ce phénomène de société et montre comment cette sollicitation permanente se transforme en dispositif de mobilisation.
    Qui dit mobilisation dit militarisation. Ainsi le mobile nous transforme en militaires, abolissant la distinction entre public et privée, entre jour et nuit, entre travail et repos, en nous mobilisant en permanence : nous voilà sommés d'être sans cesse responsables, de ne rien oublier ni pardonner. Le portable aurait-il contribué à l'émergence d'un nouvel état de guerre ? "

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  • Eric Zemmour : « la logique du burkini libre c’est la ségrégation libre »...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous la chronique de rentrée d'Éric Zemmour sur RTL, datée du 30 août 2016 et consacrée à la polémique autour du port du burkini sur les plages françaises...

     


    "La logique du burkini libre c'est la... par rtl-fr

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  • Le Grand Hospice occidental...

    Les éditions Bartillat ont la bonne idée de rééditer Le Grand Hospice occidental, un excellent essai polémique d'Edward Limonov, publié initialement en 1993 aux Belles Lettres (en pleine période d'hystérie sur le complot rouge-brun ourdi dans les locaux de L'Idiot international, le journal de Jean-Edern Hallier, auquel Limonov collaborait) et depuis longtemps difficilement trouvable. Figure de la littérature et de la politique russe, Edward Limonov a récemment publié en France Le Vieux (Bartillat, 2015). On peut retrouver ses chroniques publiées dans L'Idiot international dans un recueil intitulé L'excité dans le monde des fous tranquilles (Bartillat, 2012). Pour se faire une idée du personnage, on consultera également, avec profit, le superbe article que Thierry Marignac lui a consacré dans la revue Eléments ( «Retrouvailles avec le vieux pirate», n°158 - janvier-février 2016).

     

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    " Vivre dans les sociétés occidentales, est-ce vivre à l'hospice ? Un hospice sagement géré et peuplé de malades sous sédatifs, qui se conduisent le plus docilement du monde ? Paisibles et laborieux, ils sont choyés par l'Administration : dans l'Hospice, l'ennui est la règle.

    L’« agitation » est le crime le plus grave qu'on puisse y commettre.

    Au cours de son séjour parisien dans les années 1980 et 1990, Edward Limonov observe avec un regard aigu le fonctionnement des sociétés démocratiques modernes. Dans un monde où l'héroïsme a disparu, où les loisirs s'imposent comme un instrument de la violence molle, quelle liberté reste-t-il à l'individu ? Avec courage, l’auteur du Livre de l’eau apporte sa contribution au débat.

    Publié en 1993, cet essai, d’une force intacte, s’est imposé comme un classique d’Edward Limonov qui a écrit pour cette nouvelle édition une préface inédite. "

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  • Qu'est-ce qu'une Base autonome durable ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un texte de Michel Drac , cueilli sur le site Scriptoblog et consacré au concept de Base autonome durable. Publié initialement dans la revue Rébellion en 2011, il n'en garde pas moins tout son intérêt. Responsable des très dynamiques éditions Le Retour aux sources, Michel Drac est également l'auteur de plusieurs essais intéressants, dont dernièrement Triangulation - Repères pour des temps incertains (Le Retour aux sources, 2015).

     

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    Le concept de Base Autonome Durable

    Le concept de Base Autonome Durable (BAD) est dérivé d’une proposition initialement formulée par Hakim Bey : la Temporary Autonomous Zone (TAZ). L’idée fut à la fois retenue et critiquée par les principaux courants autonomes. Retenue, parce que la TAZ fournissait la possibilité d’une action, même incomplète, même symbolique, face à un ordre devenu trop puissant pour ses opposants. Critiquée, parce le caractère temporaire d’une base autonome sous-entendait que l’autonomie était ici réduite à un simulacre. Par définition, une autonomie temporaire est toujours une autonomie trompeuse. Pour dépasser la TAZ, on inventa donc la BAD : la même chose, mais sous la forme de base, « en dur », « durable ».

    De plus en plus de « militants » se transforment en « résistants » sous l’influence du courant survivaliste américain, et ces « résistants » glissent tout doucement vers la conclusion que résistance rime avec résilience, puisqu’au fond, tout commence avec l’autonomie : on ne résiste à un système que si on ne dépend pas de lui. A l’action politique telle qu’on la pense traditionnellement en France, on adjoint ainsi une autre façon de penser le combat : une méthode non-politique servant des fins politiques. Il s’agit non de peser directement sur la vie de la Cité, mais au contraire de s’en abstraire pour la conditionner indirectement, ou plutôt pour en contester le conditionnement par le Pouvoir. « Je ne dis pas que je veux changer les lois de la Cité, je dis que je veux suivre les lois de ma propre cité, hors la Cité » : tel est le slogan. J’avoue que pour ma part, je me reconnais tout à fait dans cette sensibilité.

    Ici, nous devons admettre que nous avons affaire, une fois n’est pas coutume, à une forme positive d’américanisation. Et après tout, pourquoi pas ? Depuis des décennies, la France importe pour son malheur toutes les pathologies du modèle américain. Il est justice qu’elle importe aussi quelques-uns des antidotes partiels que l’Amérique réelle a fini par inventer, pour se défendre contre ses démons. A une époque où le Pouvoir se nourrit de la dislocation de la Cité, se mettre à l’avant-garde de ce mouvement de dislocation peut être, pour les résistants, un moyen de battre le Prince à son propre jeu. Il faut considérer l’hypothèse, à tout le moins.

    Mais la raison pour laquelle la mode « autonome » peut durer, la raison pour laquelle il faut s’y intéresser, est ailleurs : elle tient au contexte. Le grand effondrement a commencé.

    Accrochez-vous, ça va tanguer !

    Passons aux choses sérieuses : de plus en plus de gens réalisent que le conte de fées consumériste/productiviste contemporain est un château de cartes, et que le château de cartes peut s’écrouler du jour au lendemain. Il y a quelques années, quand vous expliquiez que la « prospérité » occidentale reposait sur un incroyable trou noir de dettes, que cette économie de casino pouvait s’effondrer comme l’URSS en son temps, et qu’en outre, vu le très haut niveau d’intégration de toutes les chaînes logistiques, il en résulterait une destruction de valeurs et des troubles bien pires que lors de la chute du système soviétique, on vous riait au nez. Aujourd’hui, plus personne ne ricane quand vous tenez ce genre de propos.

    Que s’est-il passé entretemps ? C’est simple : les gens ont entraperçu le gouffre au bord duquel ils marchaient jusque là en toute inconscience. La crise des subprimes, les évènements de Grèce, la faillite quasi-avérée de nombreux Etats fédérés américains, la menace d’une cessation de paiement de l’Etat fédéral US même : les occidentaux en général, et les Français aussi donc, viennent de réaliser que le malheur, ça n’arrive pas forcément qu’aux autres. La psychologie collective évolue. Le désastre soudain réintègre le champ des possibles. Même la catastrophe globale devient pensable.

    Et il y a d’excellentes raisons de penser que cette évolution va se poursuivre et s’accentuer.

    Les dirigeants américains et européens peuvent gesticuler : en réalité, on voit bien qu’ils n’ont aucune réponse adaptée aux défis contemporains. C’est particulièrement sensible aux USA – un Empire global qui rappelle de plus en plus l’Empire espagnol dans ces dernières années, rongé par la corruption, affaibli par des guerres ingagnables, drogué par l’abondance d’une monnaie de pillage, une monnaie si abondante qu’elle avait fini par vampiriser toutes les forces productives authentiques. Mais l’effondrement est presque aussi sensible en Europe, ou plutôt dans l’Eurozone et dans ce qui reste du Royaume-Uni, transformé en base financière offshore. Londres achève en ce moment de sacrifier le peuple anglais pour sauver temporairement la City. Paris et Rome sombrent dans le ridicule, avec des chefs d’Etat tout juste capables d’organiser des partouzes (le sympathique Berlusconi) ou de contester à la famille Grimaldi les pages People de Paris-Match (le même-pas-sympathique Sarkozy). La seule capitale occidentale qui semble encore capable de penser l’avenir est Berlin, mais l’avenir qu’on pense là-bas est pour l’instant limité à la vision faussement rassurante d’une épicerie bien gérée. C’est évidemment mieux que Sarkozy ; mais c’est très, très loin de constituer une réponse à la hauteur des défis contemporains.

    Pendant ce temps-là, contraste dramatique, l’hémisphère occidental sombre lentement dans le chaos, tandis que l’Asie poursuit une croissance rapide mais malsaine. L’amoncellement de dettes privées et publiques est devenu tel que la simple évocation de son remboursement intégral provoque l’hilarité. La combinaison des produits dérivés et des politiques de taux aberrantes a fini par créer une situation inextricable, dont il est de plus en plus évident qu’on ne pourra sortir que par une faillite globale pure et simple – autant dire que la crise financière en gestation fera passer le 1923 allemand pour une simple péripétie. Personne n’a de réponse satisfaisante à apporter aux questions énergétiques soulevées par les défaillances du nucléaire, la déplétion pétrolière, la déception probable sur l’énergie de fusion. Personne ne sait vraiment comment conjuguer les perspectives démographiques à l’horizon 2030/2040 (+ 2 milliards d’hommes) et les risques que la crise énergétique fera peser sur une production agricole mondiale largement dépendante de l’économie pétrole (engrais, acheminement, mécanisation). Personne ne sait comment, dans ce contexte, réguler les flux migratoires potentiels venant d’Afrique ou du sous-continent indien. Bref, personne n’a de réponse globale à proposer.

    La conjonction d’une carte financière ingérable et d’un territoire politique, économique et social réel fragilisé laisse craindre un effondrement pur et simple de toute l’économie contemporaine – quelque chose qui pourrait ressembler à la dislocation de l’espace économique méditerranéen de la chute de Rome à la conquête musulmane, mais à une vitesse bien plus rapide, comme un film passé en accéléré. Il s’agirait alors d’un de ces ajustements brutaux, que l’humanité a déjà connu jadis, et qui viennent sanctionner l’excès de croissance à la fin d’une phase ascendante – la Peste Noire à la fin des grands défrichages en Europe, l’effondrement cataclysmique d’une Chine surpeuplée manquant la révolution industrielle, au XIX° siècle… L’originalité serait que, cette fois, mondialisation oblige, l’ajustement pourrait bien être planétaire.

    Bien sûr, ces scénarios noirs ne sont pas les plus probables. Les instruments technologiques contemporains peuvent rendre possible la gestion d’une décroissance harmonieuse, dans certaines limites. On ne peut ni ne doit exclure par hypothèse un atterrissage progressif, une sortie raisonnée de la société de consommation et l’émergence d’une conception plus juste des richesses, des sociétés, des fins mêmes du politique – devant l’imminence de la catastrophe, peut-être l’humanité saura-t-elle se sublimer. Mais le simple fait que la catastrophe globale ait cessé de constituer un scénario absurde, le simple fait qu’il faille prendre en considération la possibilité avérée d’une évolution cataclysmique à moyen terme, suffit à changer radicalement la psychologie collective.

    Il va en résulter, en fait il en résulte déjà partiellement, une réévaluation des critères de la décision dans la plupart des domaines susceptibles d’impacter nos vies. A la logique de maximisation du rendement moyen dans un cadre général stable, logique actuellement dominante, va progressivement se substituer une logique de minimisation de la perte latente dans un cadre général dégradé. La robustesse d’une solution sera jugée plus précieuse que sa performance « quand tout va bien ». Seules les très grandes entreprises multinationales n’ont pas encore modifié la hiérarchie de leurs critères de décision, parce que leur fonctionnement est si parfaitement adapté à la mondialisation tous azimuts que la remise en cause du mode de production délocalisé/intégré constitue une révolution mentale difficile pour elles. Les autres acteurs de l’économie, eux, ne s’y trompent pas – particuliers qui recherchent l’autonomie de leur approvisionnement énergétique, même avec des solutions à faible rentabilité, PME s’évadant d’une situation de sous-traitance qui les place en grande vulnérabilité face à des donneurs d’ordre eux-mêmes fragilisés, etc. Dans l’ensemble, un mouvement de raccourcissement des chaînes logistique s’enclenche discrètement.

    Dans ce contexte, la BAD est plus qu’une simple alternative impolitique au conditionnement politique. Elle est aussi une idée tendance – et pour de bonnes raisons. C’est pourquoi les dissidences vont vraisemblablement s’en emparer de plus en plus : non seulement c’est un bon moyen de prendre à revers le système tant qu’il fonctionne, mais c’est aussi une garantie de survie s’il s’écroule. Bref, c’est un concept polyvalent, dans une période de grande incertitude sur les ruptures de contexte possibles à court et moyen terme.

    On vit ensemble, on meurt ensemble

    Au-delà de ces constats sur l’évidente opportunité de la BAD, la vraie question, pour qui tente d’enclencher une démarche en ce sens, est sa faisabilité –les conditions pour rendre faisable un projet de BAD. Et c’est là que les choses deviennent compliquées. Comprendre que la BAD est une bonne idée n’est rien ; le vrai sujet, c’est : comment mettre cette idée en pratique ?

    Pour l’instant, la mouvance dissidente et les divers projets survivalistes en sont encore au stade des premières expérimentations. Le concept est de toute manière très polyvalent, et il est probable, souhaitable même, que diverses solutions seront élaborées, adaptées aux situations particulières de tel ou tel sous-groupe. Pour l’instant, l’avancement des expérimentations permet tout au plus de lister les questions-clefs, de les hiérarchiser – on ne peut répondre à tout, mais on commence à avoir une idée précise des domaines où la réponse ne sera pas simple à élaborer. C’est un début.

    Les trois enseignements principaux, à ce stade, sont : la complexité de la solution organisationnelle, la nécessité du réseau, l’importance de la préparation psychologique.

    Trouver le lieu d’une BAD n’est pas difficile. Dégager le financement peut être plus compliqué, mais finalement, si la motivation est là, on se débrouille toujours. Le vrai problème, c’est d’organiser cette motivation, de lui donner le cadre à l’intérieur duquel les individus se coordonnent.

    Ce sont d’abord des questions très concrètes. Par exemple : faut-il acheter le lieu en SCI ? En indivision ? Diviser le bien ou acheter des biens mitoyens ou en tout cas proches ? A combien ? Quel statut pour les membres du projet ? N’y a-t-il qu’un seul type de membre ? Faut-il distinguer des membres permanents et des membres associés ? Quelle fonction exacte pour les uns et les autres ? Comment répartit-on les tâches ? Qui est chargé de contrôler quoi ?

    Mais à l’expérience, on s’aperçoit vite que ce dont il est question ici, ce n’est pas simplement de gérer quelques points d’intendance. Il s’agit potentiellement d’inventer la structure de base d’une nouvelle société. Tout simplement parce que derrière la gestion des choses, il y a celle des gens qui vont construire, entretenir et utiliser ces choses.

    Or, édifier cette structure de base est un projet à la fois indispensable et très difficile.

    Indispensable, parce que toutes les expérimentations en cours confirment la nécessité impérieuse de ne pas penser la BAD comme une monade isolée, mais comme un nœud au sein d’un réseau. Très vite, dès qu’on commence à sortir du « système », on mesure sa vulnérabilité. Certains rêveurs s’imaginent pouvoir déconstruire la matrice qui enserrait leur vie par leurs seules forces. Ce qu’il faut dire à ceux qui nourrissent semblables illusions, c’est qu’il est temps de grandir et de regarder les réalités en face. Un individu isolé, même un petit groupe sans liens avec d’autres groupes, est parfaitement démuni en face des menaces qui peuvent peser sur lui.

    Vous n’affrontez pas l’Etat tout seul – au mieux, il prendra le temps de vous manipuler sournoisement avant de vous écraser. Seul, vous ne pouvez même pas assurer votre propre sécurité : les gens qui viendraient armés de mauvaises intentions ne vont pas les afficher à la porte de votre BAD pour que vous puissiez les reconnaître et les repousser aisément. Même contre un autre individu, un individu ne peut pas se protéger seul si son adversaire a l’initiative du lieu et de la méthode. En fait, un individu isolé ne peut même pas se défendre contre lui-même ; il est très vulnérable à toutes les tentatives de manipulation d’un réseau qui voudrait l’inclure pour l’utiliser. Il est d’ailleurs probable que les récents attentats en Norvège fournissent une belle illustration de ce cas de figure.

    Si vous êtes seul, vous pouvez avoir l’illusion d’une forme d’indépendance, mais puisque votre sûreté dépend des juges et des policiers de la machine d’Etat, ce n’est, précisément, qu’une illusion. Si vous voulez être réellement indépendant, il faut constituer un réseau d’une taille suffisante pour qu’un adversaire, n’importe quel adversaire, soit paralysé par la menace des mesures de rétorsion que le groupe, soudé, solidaire, prend si l’on attaque un de ses membres. C’est pourquoi la réalité de l’indépendance, de l’autonomie, de la souveraineté, commence toujours par la fabrication d’un collectif.

    Prenez la mafia. Evidemment, pas en exemple : moralement, c’est indéfendable. Mais à titre d’illustration du principe d’organisation contre la machine d’Etat. Comme adversaire, pour l’Etat, la mafia, c’est un peu plus sérieux que n’importe quel individu isolé. Il est certain qu’un champion de boxe thaïe est beaucoup plus fort physiquement qu’un quadragénaire fatigué d’1 mètre 70 – le portrait type du soldat dans la mafia italo-américaine. Mais, n’en déplaise aux amateurs de boxe thaïe, comme défi lancé à l’Etat, la mafia, c’est un peu plus sérieux qu’un club de boxe thaïe. Pourquoi ? Parce que nos mafieux à physique al-pacinesque savent se coordonner ; ils ne sont pas une réunion d’individus, ils sont une organisation. Ce ne sont pas des bandits sans foi ni loi. A tout le moins, ils ont une loi : la leur. Eh bien, donnez-moi quelques dizaines de ces types aptes à conduire des manœuvres invisibles coordonnées, et même si ces gars-là sont individuellement inoffensifs, je vous garantis qu’ils formeront collectivement une force redoutable.

    Voilà pourquoi la BAD doit d’abord être pensée comme le lieu d’incubation des structures de base d’une nouvelle société, ou plutôt d’une contre-société. Parce que la seule chose qui peut triompher d’un système social, c’est un autre système social.

    Le problème, c’est que cette tâche indispensable est rendue aujourd’hui très difficile par la psychologie que les réseaux du système en place ont su instiller aux individus qu’ils entendent dominer. Voilà le principal obstacle qui se dressera concrètement sur le trajet de tous ceux qui tenteront de constituer une BAD : nos contemporains ont désappris à se penser comme parties d’un tout. Chaque individu est enfermé dans la perception de son existence propre comme devant nécessairement être justifiée par elle-même.

    Quand vous construisez un projet de BAD, vous réalisez vite que la première ligne de défense du système d’hétéronomie est implantée à l’intérieur même de vous : c’est votre héritage psychologique, modelé par la culture du narcissisme et la dégénérescence pathologique du modèle de la famille nucléaire, devenu anti-modèle de la famille décomposée et mal recomposée. Ne nous attardons pas à multiplier les exemples. Juste une observation : combien de temps faut-il à nos contemporains pour employer sincèrement le pronom « nous » quand ils forment un groupe ? Réponse : ils n’emploient jamais ce pronom – jamais sincèrement, en tout cas.

    C’est précisément cette incapacité à penser le collectif qui explique ce syndrome très répandu : le fantasme de toute-puissance. La proportion de personnalités borderline parmi nos contemporains, et particulièrement parmi les personnes encore dotées d’un minimum d’esprit critique, est probablement très supérieure à ce qu’elle était jadis. Cela vient du fait que les individus, se sachant en fait parfaitement impuissants mais, en même temps, restant incapables de sortir de leur individuation radicale, se réfugient dans une posture, voire dans un univers semi-onirique. D’où la multiplication, dans les milieux non conformistes, de survivalistes du dimanche capables d’arrêter une armée à eux tout seuls, de boxeurs de rue imaginaires, etc. Il n’est pas évident de constituer un réseau de BAD à partir d’une population constituée majoritairement d’individus atteints par ce type de pathologies.

    La vraie question

    En synthèse, la BAD apparaît aujourd’hui comme un concept polyvalent, adapté à un contexte instable. Ce concept séduit parce qu’il propose une voie d’action accessible. Plus profondément, l’esprit du temps entre spontanément en résonnance avec l’idée d’autonomie, à un instant de l’Histoire ou un très grand système fédérateur totalement intégré menace de se disloquer. Mais la réussite ou l’échec de ce concept, dans la pratique et au sein des divers courants de la dissidence, dépendra non de son opportunité, évidente, mais de sa faisabilité. Et cette faisabilité dépend elle-même de la capacité qu’auront les groupes concernés à inventer, pour s’opposer au système qu’ils combattent, la brique de base d’un contre-système – une nouvelle manière d’insuffler une dynamique collective à une masse d’individus atomisés.

    Le premier territoire à libérer, avant même celui de nos futures BAD, est donc l’espace mental constitué par l’interconnexion de nos cerveaux. En ce sens, la première BAD est mentale, à l’intérieur de nous. Si l’esprit n’est pas au rendez-vous, la matière ne suivra pas. Au reste, le véritable enjeu du combat a-t-il jamais été ailleurs ?

    Michel Drac (Scriptoblog, 26 août 2016)

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  • Aux sources de l'exception américaine

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    La Nouvelle Revue d'Histoire est en kiosque (n° 86, septembre - octobre 2016).

    Ouvert par l'éditorial de Philippe Conrad ("L'idéologie américaine"), le dossier central est consacré aux source de l'exception américaine. On peut y lire, notamment,  des articles d'Evelyne Navarre ("Le puritanisme fondateur"), de Philippe Conrad ("La République américaine se dote d'une Constitution" ; "La «destinée manifeste» de l'Amérique"), de Arnaud Imatz ("Thomas Molnar, critique lucide du rêve américain"), de Jean Kappel ("Le sort malheureux des Indiens"), de Philippe Parroy ("Le vent d'Amérique souffle sur la France" ; "Le mythe de la frontière") et de Eric Mousson-Lestang ("La part allemande de l'Amérique"), ainsi qu'un entretien avec Nicolas Kessler ("La nature de l'exception américaine").

    Hors dossier, on pourra lire, en particulier, un entretien avec Georges-Henri Soutou ("Historien des relations internationales") ainsi que des articles de Gérard Hocmard ("La bataille d'Hastings"), de Franck Buleux ("Guillaume le Conquérant dans la mémoire anglo-normande"), d'Olivier Zajec ("Albert Mathiez"), de Philippe d'Hugues ("Pierre Boutang, philosophe engagé"), de Rémy Porte ("Gallieni, créateur d'Empire et défenseur de Paris"), de Sylvain Pérignon ("Chanter la Marseillaise"), de Pascal Cauchy ("Paul Reynaud et la fin de la IIIe République") et d'Emma Demeester ("Blaise de Montluc, un acteur du «temps des troubles»"), ou encore les chroniques de Péroncel-Hugoz et de Philippe d'Hugues....

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  • Burkini : derrière la laïcité, la nation...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Mathieu Bock-Côté, cueilli sur le Figaro Vox et consacré à la polémique autour du burkini. Québécois, l'auteur est sociologue et chroniqueur à Radio-Canada et est déjà l'auteur de plusieurs essais. Il vient de publier Le multiculturalisme comme religion politique aux éditions du Cerf.

     

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    Burkini : derrière la laïcité, la nation

    Longtemps, devant la poussée de l'islamisme conquérant et la progression des mœurs qu'on lui associe, la France a cru que la laïcité était sa meilleure, et peut-être même sa seule ligne de défense. C'est en son nom que la France a cherché, sans trop y parvenir nécessairement, à contenir la progression du voile musulman, qui s'est d'abord présentée comme une revendication politique à l'école. Il fallait, disait-on, lutter contre les signes religieux ostentatoires et éviter le débordement des religions dans l'espace public mais on refusait plus souvent globalement de nommer l'islam, qui ne poserait pas de problèmes spécifiques. Tout comme la République avait remis le catholicisme à sa place en d'autres temps, elle se tournerait aujourd'hui vers l'islam. C'était le grand récit de la laïcité sûre d'elle-même.

    Au fil du temps, toutefois, on a constaté que la laïcité était moins efficace que prévu devant une religion qui n'était pas simplement un double du catholicisme - toutes les religions ne sont pas interchangeables, d'ailleurs. Les mauvais esprits notèrent que la laïcité se montra à l'endroit de l'islam bien plus clémente qu'elle ne l'avait jamais été envers le catholicisme. Surtout, on a constaté que la laïcité laissée à elle-même, détachée de ce qu'on pourrait appeler les mœurs françaises, peut-être retournée contre les objectifs qu'on lui avait assignés. Ces dernières années, on a assisté à une redéfinition minimaliste de la laïcité, qui ne devrait plus chercher à contenir publiquement l'expression des religions. Et si un individu entend exprimer ses préférences spirituelles avec des vêtements particuliers, il devrait en être libre, même si la chose peut choquer une majorité vite accusée d'être frileuse et bornée.

    On accusera surtout la laïcité de ne pas être neutre culturellement. La laïcité à la française serait d'abord et avant tout française. On lui reprochera même d'être le masque universaliste d'une culture particulière, qui chercherait, à travers elle, à maintenir et reconduire ses privilèges - c'est d'ailleurs le mauvais procès qu'on fait souvent au monde occidental, en oubliant que l'universalité n'est jamais immédiate et qu'elle a besoin, conséquemment, de médiations. Ceux qui souhaitent une société absolument universaliste, purifiée de son ancrage historique particulier, désirent en fait une société déracinée et désincarnée, délivrée de son expérience historique. Le modèle du patriotisme constitutionnel habermassien n'est pas adapté à l'homme réel. La culture n'est pas extérieure à l'homme, elle est constitutive de son identité.

    Paradoxalement, il y a une part de vérité dans ce procès: la laïcité à la française est effectivement inscrite dans une culture particulière, mais elle n'a pas à rougir de cela. Elle en représente certainement un pan important: c'est à travers la laïcité que la France entend réguler politiquement les religions. On ne saurait toutefois faire de la laïcité la seule expression légitime de l'identité française, qui la transcende et la déborde. Mais les nations occidentales, et la France ici connaît le même sort que les autres, ont tellement de difficulté à penser et assumer leur particularisme historique et leur héritage culturel singulier qu'elles ne savent plus vraiment comment lui assurer une traduction politique. Dès lors qu'on ne définit plus la nation comme une réalité historique mais comme une communauté de valeurs, on tombe dans ce piège qui condamne la nation à l'impuissance parce qu'elle ne parvient plus à expliciter son identité.

    C'est tout cela que fait ressortir la querelle du burkini, qui ne porte pas que sur un morceau de vêtement, mais qui est un des signes visibles d'une forme d'agressivité identitaire à l'endroit des sociétés occidentales. La question du burkini, autrement dit, révèle l'impensé culturel de nos sociétés. C'est ce que disait à sa manière Henri Guaino en soutenant qu'elle posait moins un problème à la laïcité au sens strict qu'un problème de civilisation. En d'autres mots, on ne saurait se contenter d'une défense désincarnée de la civilisation occidentale, mais on devrait et on devra trouver une manière d'assumer politiquement la notion d'identité collective, chaque nation le faisant à sa manière, naturellement. De quelle manière conjuguer la citoyenneté avec les mœurs et inscrire l'identité dans la vie commune?

    La chose n'est pas simple. Un certain libéralisme a complètement remodelé l'imaginaire démocratique en poussant à la privatisation complète des cultures, au point même de dénier leur existence. En parlant sans cesse de leur hybridité ou de la leur diversité, on en vient à croire qu'elles sont insaisissables et dénuées d'ancrages dans le réel. C'est faire fausse route. Si une culture n'est pas une essence, non plus d'une substance à jamais définie, comme si elle était dégagée de l'histoire, elle n'est pas sans épaisseur concrète non plus. Une culture, en fait, se noue dans un rapport à l'histoire et en vient à modeler l'expérience humaine de manière particulière. Elle s'exprime à travers des mœurs, qui lient une société au-delà des simples formes juridiques. Toutefois, car on ne saurait codifier juridiquement les mœurs sans les tuer ou les étouffer, de quelle manière conserver une culture sans pour autant l'enfermer dans un carcan juridique?

    La thèse est proscrite dans la sociologie officielle, mais toutes les cultures ne sont pas faites pour cohabiter dans un même espace politique. Ce qui heurte autant le commun des mortels dans le burkini, c'est qu'il représente un symbole agressif et militant du refus de l'intégration au monde occidental par une frange de l'islam qui ne doute pas de son droit de conquête. Il est devenu emblématique d'un communautarisme qui se définit contre la société d'accueil et qui entend même contester de la manière la plus visible qui soit sa manière de vivre et ses représentations sociales les plus profondes. Si le burkini heurte autant, c'est qu'il symbolise, bien plus qu'un refus de la laïcité. Il représente un refus de la France et de la civilisation dans laquelle elle s'inscrit. C'est le symbole militant d'une dissidence politique hostile qu'un relativisme inquiétant empêche de voir.

    Le burkini inscrit une frontière visuelle au cœur de l'espace public entre la nation et un islam aussi rigoriste que radical qui réclame un monopole sur la définition identitaire des musulmans, qu'il ne faudrait d'ailleurs pas lui concéder. Combattre le burkini s'inscrit ainsi dans une longue bataille qui s'amorce à peine contre un islamisme conquérant qui veut faire plier les sociétés européennes en imposant ses codes, et cela, en instrumentalisant et en détournant plus souvent qu'autrement les droits de l'homme, car il travaille à déconstruire la civilisation qui a imaginé les droits de l'homme. C'est dans une même perspective que la France a décidé d'interdire le voile intégral dans les rues ou les signes religieux ostentatoires à l'école. Il n'y a rien de ridicule à prendre au sérieux la portée politique de tels vêtements.

    En un sens, il faut pousser l'islam à prendre le pli du monde occidental. Une pédagogie compréhensive ne suffira pas: il faut, d'une manière ou d'une autre, rappeler que la civilisation occidentale n'est pas optionnelle en Occident et que la culture française n'est pas optionnelle en France. C'est ainsi qu'à terme pourra émerger un islam de culture française acceptant d'évoluer dans un pays laïc de marque chrétienne. De ce point de vue, l'interdiction du burkini est légitime, même si certains peuvent préférer d'autres solutions. Les pays anglo-saxons qui se gaussent et ridiculisent la France en l'accusant de faire de la politique autour d'un maillot de bain témoignent d'un aveuglement politique effarant. En sermonnant la France, ils célèbrent leur propre vertu de la tolérance, sans se rendre compte qu'ils ont déjà capitulé en banalisant des pratiques ségrégationnistes.

    Et encore une fois, la gauche multiculturaliste se laisse prendre dans un piège qui l'amène à embrasser une pratique communautariste objectivement régressive qu'elle dénoncerait vigoureusement si elle se réclamait de la religion catholique. Mais elle est tellement habitée par le fantasme d'un Occident néocolonial et islamophobe qu'elle embrasse systématiquement tout ce qui le conteste. La sacralisation des minorités et de leurs revendications, quelles qu'elles soient, repose d'abord sur une diabolisation des majorités, toujours accusées d'être frileuses, portées au repli identitaire et animées par une pulsion xénophobe qu'il faudrait étouffer. Le burkini devient alors paradoxalement le nouveau symbole du combat pour les droits de l'homme, désormais associé aux revendications d'un islam qu'on s'imagine persécuté en Occident.

    On me permettra une dernière considération. Pour peu qu'on reconnaisse qu'une civilisation, fondamentalement, noue ses premiers fils anthropologiques dans la définition du rapport entre l'homme et la femme, on peut croire que c'est la grandeur du monde occidental d'avoir mis de l'avant l'idée d'une visibilité de la femme, appelée à prendre pleinement ses droits dans la cité. Le burkini témoigne d'un tout autre rapport au monde: la femme, dans l'espace public, doit être voilée, masquée, dissimulée. Elle est ainsi niée et condamnée à l'effacement culturel. La question du burkini témoigne moins d'une querelle sur la laïcité que d'un conflit des anthropologies et d'une contradiction des codes les plus intimes qui les définissent. Quelle que soit la solution politique ou culturelle retenue, le monde occidental ne doit pas céder aux illusions humanitaires qui l'amèneraient à banaliser un symbole aussi ouvertement hostile à son endroit.

    Mathieu Bock-Côté (Figaro Vox, 18 août 2016)

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