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  • Une montagne, un fusil, un lac...

    Les éditions Paulsen viennent de traduire le huitième roman du romancier norvégien Lars Ramslie intitulé Une montagne, un fusil, un lac.

     

    Ramslie_Une montagne, un fusil, un lac.jpg

    " Norvège, été 1983.
    Lars grandit à l’ombre d’un père hors du commun : aventurier parti en mer dès l’adolescence, amateur de femmes, accro à la bouteille, parfois violent. Qu’importe, Lars voit en lui une force de la nature et l’aime d’un amour inconditionnel. Il n’a que neuf ans lorsque son père le soumet à un dangereux rite initiatique pour faire de lui un homme et lui apprendre à survivre dans le monde sauvage. Lars n’a pas idée des épreuves qui l’attendent. Quarante ans plus tard, il raconte avec une acuité saisissante cette journée qui aurait pu être la dernière.
    Un bouleversant roman d’apprentissage où la tendresse d’un fils et la férocité d’un père avancent main dans la main. "

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  • Nietzsche et le dépassement de la métaphysique...

    Nous reproduisons ci-dessous une réflexion de Pierre le Vigan autour du rapport de Nietzsche à la métaphysique cueillie sur le site de la revue Éléments.

    Philosophe et urbaniste, Pierre Le Vigan est l'auteur de plusieurs essais comme Inventaire de la modernité avant liquidation (Avatar, 2007), Le Front du Cachalot (Dualpha, 2009), La banlieue contre la ville (La Barque d'Or, 2011), Nietzsche et l'Europe (Perspectives libres, 2022), Le coma français (Perspectives libres, 2023), Clausewitz, père de la théorie de la guerre moderne ou tout récemment Les démons de la déconstruction - Derrida, Lévinas, Sartre (La Barque d'Or, 2024).

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    Il n'y a nul doute sur le fait que Nietzsche a voulu penser un monde sans arrière-monde, un monde sans principe extérieur à lui-même, un monde sans dualisme entre un créateur et une création. A bon droit, on a appelé cela une critique radicale de la métaphysique. C’est-à-dire de toutes les métaphysiques précédentes, à commencer par celle de Platon, accusée de préférer l’Idée, le Beau abstrait, au sensible, au réel, au déjà-là. Nietzsche, destructeur « au marteau » de la métaphysique : telle est l’image que l’on en a. Une vision que Pierre Le Vigan interroge au regard des analyses de Martin Heidegger.

     

    Nietzsche et le dépassement de la métaphysique

    Martin Heidegger, quelque cinquante ans après Nietzsche, a vu sa pensée comme une nouvelle métaphysique. Et il l’a dit dans des textes qui, dans le contexte de l’époque, voulaient interdire toute récupération de Nietzsche par le national-socialisme allemand. Le surhomme ? La volonté de puissance ? Ce serait la métaphysique ultime. Avec ce thème de la volonté de puissance, Nietzsche aurait contribué à la dernière manifestation de la métaphysique : le règne de la technique. La volonté de puissance comme hypostase (ce qui soutient, ce qui est la substance) de la domination de la technique : voilà le bilan de Nietzsche selon Heidegger. Nietzsche : un philosophe immense, mais qu’il ne faut pas surtout pas suivre ?  Cela mérite d’aller y voir de plus près. D’autant que Heidegger lui-même porte sur Nietzsche un regard plus complexe que ce qui parait au premier abord.

    Au-delà de la métaphysique

    Dépasser la métaphysique, c’est une affaire, dit Nietzsche, qui exige « la plus haute tension de la réflexion humaine. » La  métaphysique, c’est le lieu qui essaie de penser l’étant, et donc l’être (l’essence) de l’étant. Elle cherche à définir le principe de cet être de l’étant (Dieu comme créateur du monde avec les monothéismes, la coïncidence de l’histoire avec le Soi de l’homme et le Soi du monde avec Hegel, le sens de l’histoire comme sens de l’homme avec Marx, etc). Ce programme parait à première vue légitime. Pourtant, selon Martin Heidegger, ces différentes tentatives de métaphysique tendent à nous éloigner de l’essentiel, qui est l’attention au monde, l’écoute de l’être. Une contemplation. « Il est vrai, écrit Heidegger, que la métaphysique représente l’étant dans son être et pense ainsi l’être de l’étant. Mais elle ne pense pas la différence de l’Être et de l’étant […]. La métaphysique ne pose pas la question de l’Être lui‑même. » (Lettre sur l’humanisme, 1947). Et c’est ici que Nietzsche est rencontré, mais il est rencontré comme un obstacle.

    « La pensée de Nietzsche, explique Heidegger, est, conformément à la pensée occidentale depuis Platon, métaphysique. » (Achèvement de la métaphysique et poésie, Gallimard, 2005, cours de 1941-42 et 1944-45). En outre, souligne Heidegger, la question : « Quel est l’être (ou l’essence) de l’étant ? » n’est qu’une ontologie régionale (de même qu’il existe des géographies régionales). Le monde ne se réduit pas à ce qui existe, il inclut différentes possibilités d’être. Ou, si on préfère, ce qui existe n’est pas simplement ce qui se voit, ce qui se manifeste.  Il faut aussi comprendre que toute pensée de l’étant existe du point de vue de l’homme. Elle implique donc une anthropologie, elle est aussi une entreprise historiale car l’homme est l’histoire constitutive de lui-même, à la différence de l’animal.

    La métaphysique consiste donc à dire quelque chose à propos de ce qu’est l’étant. De ce point de vue, Nietzsche ramène la métaphysique à ce que l’on peut strictement dire de la physique (phusis : la nature). C’est une hyperphysique. Nietzsche est destructeur d’idoles et accoucheur d’étoiles. Pour Nietzsche, l’essence de la physique, c’est-à-dire de l’étant, c’est la volonté de puissance. Son mode d’existence, c’est l’Éternel Retour. Son horizon, c’est le nihilisme qu’il faut faire toujours reculer, mais qui ne doit pas disparaître de notre horizon. S’il disparaît de notre horizon, si nous ne le voyons plus, c’est que nous sommes devenus le nihilisme. C’est que le nihilisme est caché en nous.

    Mais au nom de quoi lutter contre le nihilisme ? Au nom du vrai ?  Qu’en est-il alors de celui-ci ? La vérité dans la métaphysique est une notion délicate chez Nietzsche. On pense parfois que Nietzsche récuse la notion de vérité et on passe à autre chose. Nietzsche contre « la vérité » ? Ce n’est pas tout à fait cela. La vérité selon Nietzsche, c’est la justice dans le tragique. C’est l’amour du destin (amor fati). L’être, c’est la vie, Être, c’est vivre, et la persistance de l’être n’est pas autre chose selon Nietzsche que la volonté de vie. « L’être – nous n’en avons pas d’autre représentation que le vivre. Comment alors quelque chose de mort peut-il être ? »

    Volonté de vie. Cette volonté produit des valeurs qui sont sans cesse menacées de ruine et doivent constamment être régénérées et métamorphosées. Chaque nouvelle valeur produit de nouvelles vérités. La vérité existe donc, mais elle est historiale. Elle correspond à des époques historiques.  Elle varie en fonction des paradigmes que l’homme se donne et qui lui permettent de se produire et de se reproduire lui-même à différentes époques et en fonction de différentes représentations du monde (notion centrale qui veut dire que le monde se présente à nous différemment en fonction des époques). 

    Dans cette perspective, l’éternel retour est éternel retour du surpassement des valeurs et donc de la volonté de puissance. Abolition et dépassement (Aufhebung). Ce qui est vrai, c’est ce qui est juste, et ce qui est juste, c’est ce qui permet la pérennité, et donc la réinvention permanente, de la puissance. Le surhomme est l’horizon de l’homme en tant qu’il nie et dépasse l’homme sans cesse, afin de mieux saisir l’être de l’étant, c’est-à-dire afin de mieux affirmer la vie de l’étant. Le surhomme est Selbstüberwindung, dépassement de soi. Le surhomme est donc au plus près du nihilisme, il est inscrit dans le même horizon, mais il lutte contre ce nihilisme (pour lutter, il faut être au contact). C’est pourquoi l’homme doit accepter d’être cyclique et sphérique comme l’est le monde. « Il me faut, pareil à toi [soleil] décliner… redevenir un être humain. » (Le Gai savoir, XII, 254-255). « Et ce sera le grand Midi quand l’homme sera au milieu de sa route entre la bête et le surhomme, quand il fêtera, comma sa plus haute espérance, son chemin qui conduit au soir, car c’est la route d’un nouveau matin. » (Ainsi parlait Zarathoustra, XIII, 99).

    Vérité du sensible ou vérité du supra-sensible ?

    Une vérité inscrite dans l’éternel retour de la volonté humaine, telle est la vérité selon Nietzsche. Cette conception de la vérité  est au rebours de celle développée par Platon. Si pour Platon, l’art est une imitation de l’apparence de la vérité (apparence qui n’est pas son essence), pour Nietzsche, l’art est une invention de la vérité. La vérité n’est pas derrière nous, elle est devant nous. C’est à nous de l’inventer. En poussant à peine les choses, on peut dire que pour Nietzsche, il n’y a de vérité que dans l’art. Ce qui est vrai et ce qui est juste, c’est ce qui donne de la force à la puissance. De la puissance à la puissance.

    Selon Nietzsche, contrairement à Platon, l’art et le sensible sont plus importants que la vérité et le supra-sensible. Ceci explique que selon Heidegger, Nietzsche renverse le schéma de Platon, mais ne le détruit pas. La volonté sans telos (finalité) devient, selon la lecture de Nietzsche par Heidegger, volonté de volonté, tournant sur elle-même, dans la lignée de la notion d’impetus (théorie expliquant le mouvement et son progressif épuisement). Une preuve que la volonté veut exister à tout prix, indépendamment de tout telos, est énoncée ainsi par Nietzsche : « L’homme préfère encore avoir la volonté du néant que de ne point vouloir du tout. »  (La Généalogie de la morale). 

    Mais du point de vue de Heidegger, la volonté de volonté débouche sur la dernière étape de la métaphysique, à savoir le triomphe de la technique. Cela n’a rien d’évident. Pourquoi la volonté de volonté serait-elle le prélude à une métaphysique de la technique plutôt que, par exemple, à une métaphysique de la guerre ? Pourquoi ne serait-elle pas plutôt un conatus spinoziste ? Conatus : énergie de persister. On peut questionner la thèse de Heidegger sur la métaphysique de la technique. Est-elle vraiment sans telos, cette technique qui constitue désormais la trame de notre monde commun ? Ou les hommes qui produisent et maîtrisent la technique ont-ils un telos en vue ? Reste que l’on ne peut contester le constat comme quoi la technique envahit tout le monde humain.

    L’idée de la puissance novatrice de la technique se trouve chez Nietzsche lui-même.  « La machine [existe] en tant qu’enseignante. » (Humain trop humain II). Ce qui veut dire que la machine a des choses à nous apprendre, et à nous apprendre sur nous. D’autant que Nietzsche doute que l’on puisse connaître de l’être humain « autre chose que ce qu’il est en tant que machine » (L’Antéchrist). Nietzsche se voit du reste lui-même comme « une machine prête à exploser. » La figure de la machine n’est ainsi pour Nietzsche pas le contraire de la figure humaine, Elle en est une représentation, y compris dans sa dimension d’accident et d’imprévisibilité.  Et la machine fascine Nietzsche : « Je songe beaucoup à m’acheter une machine à écrire » (Lettre à Peter Gast, 17 janvier 1882).

    Le moteur comme figure de l’éternel retour

    Heidegger relève que « le moteur est une figure très convaincante de l’éternel retour de l’identique » (In Essais et conférence, Gallimard, 2010). Et pour cette raison même,  Heidegger affirme que Nietzsche n’a pas annoncé la fin de la métaphysique mais un nouveau stade de celle-ci, qui serait la volonté de puissance culminant dans l’appel au surhomme. Le nietzschéisme : la forme métaphysique de l’ère de la technique. Nietzsche, dit Emmanuel Chaput suivant les traces de Heidegger, renverse le platonisme « aboutissant à l’accomplissement de la métaphysique dans la figure historiale de la technique ».

    Mais la figure du surhomme peut être vue sous différents angles, comme Nietzsche nous apprend à le faire pour toute chose. Heidegger lui-même, après-guerre, voit le surhomme nietzschéen d’une manière moins négative que ce fut le cas auparavant. Le surhomme de Nietzsche ne serait-il pas proche du « berger de l’être », que Heidegger nous demande d’imaginer et d’accueillir ? C’est ce que suggère le texte Qu’appelle t-on penser (1951-1952). C’est aussi l’interrogation de « Pourquoi des poètes ? » qui refait surface (in Chemins qui ne mènent nulle part, 1962) : « Plus la nuit du monde va vers sa mi-nuit, plus exclusivement règne l’indigence, de sorte que son essence [du monde] se dérobe. Même la trace du Sacré est devenue méconnaissable. La question de savoir si nous éprouvons encore le Sacré comme trace de la divinité du divin, ou bien si nous ne rencontrons plus qu’une trace du Sacré, reste indécise. Ce que pourrait être la trace de la trace reste confus (undeutlich : indistinct). Comment une telle trace pourrait se montrer à nous demeure incertain. » (« Pourquoi des poètes ? »in Holzwege-Chemins  qui ne mènent nulle part).

    Or, c’est bien de marcher sur cette trace qu’il est question avec le surhomme. « Le surhomme est plus pauvre, plus simple, plus tendre, plus dur, plus calme, plus généreux, plus lent dans ses décisions et plus économe dans sa langue. », dit Heidegger (Qu’appelle t-on penser ?).  Cette révision de la critique de Nietzsche par Heidegger amène à se poser une autre question : Nietzsche se contente-il de renverser la platonisme sans rien changer à sa structure ? Se contente-t-il de valoriser  le sensible en lieu et place du supra-sensible ? Le ressenti au lieu de l’Idée ? Le Zarathoustra ne nous fait-il pas entrer dans un au-delà de la distinction entre le sensible et le supra-sensible ?

    Réponse : le monde des phénomènes comporte lui-même la dimension de profondeur qu’on veut lui dénier et à quoi on veut l’opposer. « Mon moi m’a enseigné une nouvelle fierté, je l’enseigne aux hommes : ne plus cacher sa tête dans le sable des choses célestes mais la porter fièrement, une tête terrestre qui crée le sens de la terre. » (Ainsi parlait Zarathoustra). Pour l’ultime Heidegger, la figure de Zarathoustra peut relever d’un au-delà de la métaphysique, et donc d’un au-delà de sa dernière manifestation qu’aurait été la volonté de puissance nietzschéenne. Le philosophe de Sils Maria pourrait lui aussi avoir prôné une écoute de l’être qui est la définition même de ce que Heidegger appelle un « au-delà de la métaphysique ». En tout cas un « au-delà » de toutes les métaphysiques antérieures voulant rendre compte, de manière rationnelle, de l’existence éternellement mystérieuse du monde.  C’est le retour, comme l’écrit Gilbert Durand dans L’âme tigrée, du « grand nocturne du symbole, de la pensée indirecte, [c’est] le renouveau du mythe, la prédilection pour l’intimisme. »

    Pierre Le Vigan (Site de la revue Éléments, 27 août 2024)

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