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Vers la fin de la Fête des mères...

Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Mathieu Bock-Côté publié dans le Figaro Vox et consacré au remplacement de la Fête des mères, dans certaines écoles, par la "fête des gens qu'on aime"...

Québécois, Mathieu Bock-Côté est sociologue et chroniqueur et est déjà l'auteur de plusieurs essais comme Le multiculturalisme comme religion politique (Cerf, 2016), Le nouveau régime (Boréal, 2017) ou L'empire du politiquement correct (Cerf, 2019).

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Fête des mères ou fête des gens qu’on aime ?

La presse nous apprenait cette semaine que, dans un nombre croissant d’écoles françaises, la Fête des mères est remplacée par une étrangement nommée « fête des gens qu’on aime ». La raison donnée est souvent la même : la Fête des mères serait discriminatoire à l’endroit des enfants issus de familles monoparentales ou homoparentales, ou, plus encore, pour ceux qui seraient victimes de maltraitance parentale. Pourquoi dès lors enfermer l’amour dans une figure exclusive à laquelle tous n’auraient pas accès ?

Derrière ce pragmatisme sentimental revendiqué, se dévoile un tout autre mouvement, que nous avons pris l’habitude d’associer à la déconstruction. Il s’agit, au nom de la diversité, d’effacer tous les symboles culturels ou anthropologiques clairement marqués, pour les remplacer par des termes plus généraux, souvent flottants, et même insaisissables, jugés plus « inclusifs » et moins contraignants. C’est dans cet esprit qu’en 2019, en France, certains ont voulu, sans y parvenir cette fois, substituer à la référence au père et à la mère la référence aux parents 1 et 2. La modernité avancée culmine à la fois dans le mythe de l’indifférenciation des sexes et de l’interchangeabilité des fonctions.

En fait, il ne s’agit plus seulement de s’en prendre à la mère, mais à la figure même de la femme. On le voit notamment avec la radicalisation de l’idéologie trans, qui vide le référent femme de toute dimension corporelle objective, pour permettre à tous ceux qui se « ressentent femme » de s’identifier légalement ainsi. C’est ce qu’on appelle l’autodétermination de genre. La novlangue diversitaire s’y met : on n’utilise plus le terme «femme », mais celui de « personne avec un utérus », ou encore, de «corps qui accouche ». Dans certains hôpitaux britanniques, on ne parle
plus du vagin mais du « trou d’en avant » (sic) et les maternités sont renommées services périnataux. La femme est « décorporée », transformée en idée spectrale, pour que tous ceux qui le souhaitent puissent se l’approprier.

Je ne peux m’empêcher de noter qu’il y a quelque malveillance à associer la sublime figure de la mère à un symbole d’exclusion. Cela dit, ce mouvement d’indifférenciation dépasse largement la seule question de l’identité sexuelle. On se souvient ainsi que la Commission européenne, il y a quelques mois à peine, avait proposé d’en finir avec la référence à Noël, jugée discriminatoire pour les populations non chrétiennes s’installant en Europe. Peut-être est-ce aussi pour cela qu’une partie de la classe politique sacrifie aisément la référence à la France pour se vouer exclusivement à la République, comme si la première était trop charnelle, à la différence de la seconde, qui serait déchargée d’un substrat identitaire trop particulier ?

Le régime diversitaire aseptise la culture, il la désymbolise, comme s’il était pris d’une ivresse nihiliste. Rien ne doit lui résister. Il repose en quelque sorte sur une anthropologie de l’indifférencié, et, finalement, sur une forme de culte du néant, comme si l’homme, arrivé au terme de la déconstruction, pouvait retrouver sa liberté originelle, antérieure à toute formation culturelle, antérieure à toute incarnation aussi, comme s’il pouvait ainsi renaître en se donnant le rôle de démiurge, pour recommencer le monde à zéro, en lui prêtant la signification qu’il souhaite, sans être orienté par un héritage dont il se sera enfin débarrassé.

L’être humain a toutefois besoin de vivre dans un monde structuré, et la déconstruction, qui arrive à son terme, exige une reconstruction inversée de l’ordre social et symbolique. Le point d’aboutissement de cette logique est déjà connu : on trouve aujourd’hui des femmes de naissance, s’identifiant désormais comme homme, sans avoir subi d’opération de changement de sexe et qui prétendent accoucher. En 2022, dans le monde occidental, il est désormais considéré comme possible qu’un homme soit « enceint » et qu’il accouche. Il serait même urgent de combler le « vide juridique » entourant leur statut. Plus encore, ceux qui contesteront cette possibilité seront comme il se doit suspectés de transphobie.

On comprend ainsi la nature de ce vaste mouvement qui va de l’abolition de la Fête des mères à la reconnaissance de la possibilité pour un homme d’accoucher. L’abolition du monde symbolique qui était traditionnellement le nôtre conduit moins à l’extinction du sens qu’à son renversement. La marge devient la norme, et la norme la marge. On devine la réaction de certains : cet effacement de la Fête des mères est bête, mais ne faudrait-il pas se garder de surinterpréter sa signification ? Cette prudence est une forme sophistiquée d’aveuglement. Quand la figure de la mère est effacée, quand l’idée même de la femme est déconstruite, c’est bien le signe que la révolution culturelle écrase tout sur son passage. Encore faut-il savoir la nommer pour y résister.

Mathieu Bock-Côté (Figaro Vox, 28 mai 2022)

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