Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Xavier Eman, cueilli sur le site de la revue Éléments et consacré à la violence de la répression policière face à la contestation politico-sociale. Une violence qui tranche avec la prudence habituelle de la réponse policière face aux émeutes récurrentes dans les banlieues de l'immigration...
La Police est-elle la milice du Système ?
Ces derniers mois, à coups de primes et de promesse de conservation de régime spécial, la police française semble clairement s’être transformée en garde rapprochée de cette oligarchie qui a fait sécession, qui a rompu avec son propre peuple.
La dénonciation des violences policières et la lutte contre celles-ci sont très longtemps restées l’apanage de l’extrême gauche et des activistes libertaires. Pour la « droite », les « condés » incarnaient avant tout les gardiens de cet « ordre » qu’elle chérit tant, ils ne pouvaient donc en aucun cas être critiqués et lorsqu’un manifestant se retrouvait la gueule en sang sur le trottoir, c’est qu’il l’avait « bien cherché ».
Les choses ont un peu évolué avec la Manif pour tous, lorsque les Versaillais découvrirent avec stupeur et horreur qu’il n’y avait pas que les prolos et les « crasseux » qui pouvaient prendre des coups de matraque et se faire gazer. Il y eut alors un moment de flottement, les slogans : « La Police avec nous ! » s’étranglèrent dans les gorges et on assista même à quelques gestes d’exaspération face au zèle des CRS et des gardes-mobiles. On continuait à penser qu’ils ne « faisaient que leur travail », mais on trouvait quand même qu’ils avaient la main un peu lourde, surtout vis-à-vis de la sociologie de population qui leur était ordinairement la plus favorable.
Mais la défiance ne fut que de courte durée et, dès les gardes à vue terminées et les quelques bosses soignées, l’amour immodéré de la droite pour la maréchaussée reprit le dessus. Ce n’était qu’un malentendu, il était temps de pardonner et de passer à autre chose…
Pourtant, la répression relativement « musclée » de LMPT n’était que les prémisses d’une dérive qui devait atteindre son paroxysme face aux Gilets jaunes : la transformation des forces de police en garde prétorienne gouvernementale faisant usage d’une violence jamais vue depuis des dizaines d’années.
En effet, depuis le début du mouvement des Gilets jaunes, prolongé par l’actuelle agitation sociale, pas une journée ne passe sans que soient diffusées une ou des vidéos rapportant des actes indéfendables commis par des membres des forces de l’ordre : tabassage collectif, tirs de LBD à bout portant, coups gratuits, ripostes disproportionnées, insultes… Le tout en bénéficiant à la fois de la plus parfaite impunité (un seul policier condamné jusqu’à présent pour le jet d’un pavé sur des manifestants…) et d’un invraisemblable silence médiatique. Les médias, jadis si prompts à hurler au loup et à mobiliser les belles âmes à la moindre gifle reçue par un voyou de banlieue, se montrent aujourd’hui d’une extrême discrétion quant aux innombrables exactions commises par des membres des forces de sécurité. Pour un peu, ils les justifieraient, et les excuseraient même. Il est vrai que les victimes ne sont au final que des sales populistes, des sans-dents haineux et rétrogrades qui cherchent à entraver la glorieuse marche progressiste initiée par le président Macron.
Pourtant, la radicalisation de la répression policière des mouvements sociaux n’a rien d’anodine ni d’anecdotique. D’une part, elle marque le raidissement du pouvoir, la dictature « soft » l’étant de moins en moins ; et de l’autre, elle entérine le divorce entre le peuple et les forces de l’ordre. Les policiers ne sont désormais plus des « gardiens de la paix », mais des fauteurs de guerre civile. Il faut avoir vu ce policier tirant en série au LBD en hurlant « a voté » à chaque fois qu’il touchait un manifestant, ou ces autres se masquant l’œil de la main, rigolards, en toisant les Gilets jaunes, pour en être convaincu.
Ces derniers mois, à coups de primes et de promesse de conservation de régime spécial, la police française semble clairement s’être transformée en garde rapprochée de cette oligarchie qui a fait sécession, qui a rompu avec son propre peuple.
Bien sûr, être policier est un métier « ingrat et difficile », nul ne le nie ; bien sûr, l’institution compte dans ses rangs des gens qui sont individuellement de « bonnes personnes », et, bien évidemment, aucun régime ne peut se passer d’une police. Mais ceci étant dit, rien ne peut expliquer – et encore moins légitimer – les comportements sadiques, les agissements de voyous, le zèle agressif et vindicatif que toute personne ayant participé à l’une ou l’autre des récentes manifestions a pu constater, si ce n’est par une rupture complète de la police avec son rôle premier, qui est la protection des « honnêtes gens », une rétractation sur-elle-même, sur un corporatisme étroit et calculateur, des considérations uniquement matérielles et carriéristes et un désintérêt total pour le reste de la population. Une situation particulièrement inquiétante et dangereuse pour ce qui reste de démocratie en France.
Xavier Eman (Éléments, 14 janvier 2020)