Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Fin de monde... Fin de mois

Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Michel Lhomme, cueilli sur Metainfos et consacré à la crise des Gilets Jaunes, comme acte inaugurale d'un nécessaire changement de modèle.

 

Gilets jaunes_Fin de monde.jpg

Fin de monde... Fin de mois

« Le monde antique sombra également, mais il n’en savait rien. Il croyait à une existence éternelle. Il vécut ses derniers moments avec une joie totale, chacun pour soi, comme un cadeau des dieux. Mais nous, nous connaissons notre histoire. Nous mourrons conscients et nous suivrons tous les stades de notre propre dissolution avec le regard infaillible du médecin averti ».

Oswald Spengler, Le Déclin de l’Occident.

L’écologiste Noël Mamère lors de la marche sur le climat à Paris du samedi 8 décembre liait la crise écologique à la question sociale. Rien de très original : les médias embrayent depuis le début sur cette récupération possible du mouvement autochtone. Les bobos sont donc aussi de la partie pour entraîner à terme la suppression des centrales nucléaires, le développement irréaliste de l’éolien et des voitures électriques un accroissement de la pollution par les métaux rares et les batteries, la bétonisation accrue de nos campagnes et des océans, la surtaxe permanente sur le prix de l’électricité sans garantie de ne pas être à l’abri demain d’un black électrique. Les décroissants disent autre chose : ils en appellent à la prise de conscience de la valeur réelle de la possession et de la marchandisation du monde. Ils réclament une fin de modèle.

Mais surtaxé, privé de ses biens, privé de la possibilité de consommer, le peuple des bas salaires  ne désespère-t-il pas en préférant la révolte de la destruction à l’effort du changement de modèle ? Pourtant, le changement de modèle est bien présent dans le mouvement en particulier devant les grands centres commerciaux de province, dans le retour par exemple à des parcours courts de distribution, à un enracinement local de la production et de la consommation, à une alternative écologique de vie comme celle de l’économie solidaire. 
Spengler avait souligné au début du vingtième siècle les raisons de notre décadence : notre monde est faustien. 

De fait, revenons sur le Faust II de Goethe. Dans le « grand monde », Faust se trouve pour la première fois confronté au problème de l’état politique. Après un passage satirique où Faust devient un haut dignitaire d’État, il entreprend une « descente chez les mères », déesses del’origine de toute chose. Ayant alors rapporté à la cour un trépied sacré, son regard soutient à peine la vérité révélée devant toute la cour par l’apparition magique d’Hélène de Troie : le but suprême de l’existence est la quête de la beauté. Les territoires périphériques, la banlieue c’est aussi d’abord et avant tout la défiguration du monde, l’enlaidissement de la nature, l’esthétique affreuse des rond-points. Voué à l’économisme, le politique enlaidit la cité et comme le soulignait des sites crées récemment comme l’Iliade (https://institut-iliade.com/)  ou Ligne droite (https://lignedroite.club/), il ne saurait y avoir de renouveau politique sans retour de l’esthétisation du monde et d’un certain baroque. A la fin de la tragédie de Goethe, Faust trouve le but de sa quête : « Vivre sur une terre libre au sein d’un peuple libre ». Il arrache alors à la mer un lambeau de terre afin de la rendre fertile pour le bien des hommes. Nonobstant, on n’a peut-être pas assez souligné que se confronte ici chez l’homme faustien du renouveau deux principes de civilisation accomplie : la cité grecque et le modèle hollandais caractérisé par la conquête de polders sur la mer. Ce sont les deux formes exemplaires de la culture occidentale. Ce sont ces deux paradigmes qui se retrouvent aujourd’hui en quelque sorte face à face.

Pour conquérir la mer, il faut travailler et la remplir de terre, il faut économiser le monde et veiller à la dépense   puis demain il faudra cimenter et ensuite déloger de force les paysans ou les pêcheurs nomades qui y seraient restés avec leur vie simple et idyllique. La conquête d’îles artificielles sur les mers, de pistes d’aéroports sur les tombants ne s’embarrasse pas des barrières de corail ou de préserver les mangroves. La montée des océans est liée, on ne dira jamais assez avant tout à la bétonisation généralisée en cours de tous les littoraux maritimes et par conséquent à ce modèle hollandais et faustien de la liberté par la possession de terres. Dès lors, les soucis matériels et les besoins, les fins de mois difficiles viennent rappeler à Faust la puissance destructrice du modèle économico-industriel d’exploitation de la nature.

Pour construire la cité, Sparte n’hésite pas à employer la force et la contrainte sur un peuple d’ouvriers, de cultivateurs et de petits artisans et ce sont alors les politiques qui sont chargés de la basse besogne pendant que les économistes et les marchands du port d’Athènes dépècent les forêts alentour pour construire leur marine marchande. Comment concilier l’exigence de liberté civile et l’oppression politique nécessaire à l’exploitation économique du monde et à son enrichissement ? De fait, l’idéal politique de la modernité technique n’est plus la démocratie mais la  technocratie car la technologie moderne sa cybernétisation  exige en permanence  des procédures gardées secrètes que l’on songe en particulier à la simple gestion d’une centrale nucléaire avec ces incidents quotidiens inévitables. Le monde de la technique devient inéluctablement celui des experts et des spécialistes, des ingénieurs de Centrale. Sur ces élites se greffe la ploutocratie politique, souvent les derniers incapables du fond de la classe (le modèle Castagnette à l’Intérieur) de hauts fonctionnaires énarques qui savent mieux que le peuple ce qui est bon pour lui, en somme  la pire des aristocraties,  celle de la moraline universaliste du Bien.

Or la liberté politique se conquiert par la lutte et le sentiment d’un corps social uni pour une cause commune. C’est seulement pour travailler à leur propre liberté quel’on peut forcer ses citoyens.

La liberté de l’homme vient de son activité perpétuelle de création et de construction d’un régime solidaire contre les forces de l’égoïsme et de l’accaparement, de la spoliation et de l’exploitation. Ces forces connaissent bien le poids de leurs dépravations physiques  puisque comme Méphistophélès elles ne cessent d’évoquer pour faire peur les menaces de la fin du monde , du réchauffement climatique, de la mer qui voudrait reconquérir ses droits sauf que le peuple sait une chose : il ne pourra lutter seul contre la mer. Contre l’alternance infinie de la création et de la destruction, il sait qu’il faut renoncer à croire que le collectif seul peut construire des polders pas l’individu. Le plus pernicieux par exemple  de la réforme Blanquer du futur lycée light qui en est même son soubassement idéologique  c’est de  faire croire par exemple que l’élève peut construire seul son parcours professionnel et son savoir, c’est ainsi vouloir  détruire la notion d’appartenance à un groupe en construisant des parcours individualisés, des classes inversées sans maître substituant aux cours traditionnels attachés au groupe classe, l’individu errant dans les couloirs à la quête de bribes de compétences. C’est ainsi vouloir casser l’union possible des promotions alors que le salut cosmologique de l’homme est justement la  transmission infinie de ses forces de générations en générations de groupes de jeunes  en groupes de jeunes C’est par la fondation des cités et des groupements, que l’homme peut en fait mourir en paix. C’est par l’activité sociale que l’homme atteint à l’éternité et non par la consommation individuelle ou l’éducation solitaire fut-elle numérisée.

Les élites intellectuelles bourgeoises paraissent aujourd’hui abasourdies par la force et la richesse du mouvement collectif, par le réveil d’une France rebelle, populaire et périphérique mais la convergence des différentes révoltes n’aura de sens que si elle aboutit à sortir du chaos libéral, de l’individualisme outrancier, du modèle hollandais, faustien et technocratique du monde. Nous faisons notre la revendication des Gilets jaunes de Dissolution de l’Assemblée nationale et de démission du chef de l’État mais il faut surtout démacroniser la société c’est-à-dire sortir des manipulations millénaristes de fin du monde, proposer le retour à une forme de communauté populaire authentique, enracinée et civique, rétablir le lien entre l’instant suprême de l’individu et l’immortalité d’un peuple libre et d’un collectif solidaire. L’existence est la lutte éternelle des hommes d’action pour conquérir la beauté sur la mer, la liberté sur la servitude, le collectif sur l’égoïsme, la solidarité sur le néant de la dématérialisation et de la marchandisation du monde.

L’homme faustien rejette parfois sur la décadence et l’idée de fin du monde la vanité qui lui est propre. Mais pris à son propre piège, on voit bien comment la crise écologique a glissé aussi vers une crise sociale d’une volonté débridée d’embrasser le monde par la surabondance matérielle et d’un excessif désir de liberté individuelle, la vision libertarienne. Le faustien perd sous nos yeux en menant le peuple aux fins de mois difficiles et à la destruction écologique du monde par un avenir en ciment armé. Mais on peut résister et vaincre : il suffit d’être soi-même un arbre enraciné qui saisisse la profondeur et le secret de la forêt collective et refuse l’achèvement de l’Histoire en une immense caserne, agenouillés et mains derrière la tête. En fait, nous ne voulons plus gagner de nouvelles cités sur la mer mais embellir celles que nous avons déjà construites.

Michel Lhomme (Metainfos, 9 décembre 2019)

Lien permanent Catégories : Points de vue 0 commentaire Pin it!

Les commentaires sont fermés.