Vous pouvez découvrir ci-dessous un entretien donné par Xavier Raufer à Boulevard Voltaire et consacré à la lutte contre le gangsterrorisme islamiste. Criminologue, Xavier Raufer a dernièrement publié Criminologie - La dimension stratégique et géopolitique (Eska, 2014).
Comment lutter contre le "gangsterrorisme" ?
Après la tuerie perpétrée dans les locaux de Charlie Hebdo, les officiels, notamment le Premier ministre, avouent des « failles » dans le dispositif antiterroriste. Qu’en pensez-vous ?
C’est un réel plantage du Renseignement intérieur, la DGSI. C’est même le quatrième à la file : Merah, Nemmouche, le « Bilal » de Joué-lès-Tours et maintenant le double drame journal Charlie Hebdo – magasin Hyper-Casher. Issu d’une fusion ratée entre les ex-Renseignements généraux et la DST, ce service semble ignorer que les terroristes djihadistes « pur sucre » à la Ben Laden n’existent plus et que, désormais, le péril vrai vient d’hybrides, voyous « réislamisés, toxicomanes… alcooliques parfois… psychotiques », même agissant seuls ou en petits noyaux familiaux, fratries, etc. Même si, soyons juste, le refus de l’instance de contrôle de prolonger des écoutes sur Kouachi, au nom des « libertés », n’a rien fait pour arranger les choses …
Enfin, que ces hybrides dangereux n’évoluent pas en Irak/Syrie, mais en France même, sous leur nez – regardez où adviennent les attaques, et d’où partaient ces « gangsterroristes » : Toulouse… Joué-lès-Tours… Charleville-Mézières.
Il y a donc eu une vraie erreur de diagnostic sur la nature et la localisation du péril crucial – ce que j’ai écrit dix fois depuis un an. Or, maintenant, on a la preuve de cela. Lors même de la prise d’otages de l’Hyper-Casher de Vincennes, le terroriste Coulibaly a déclaré à un média « n’être pas parti en Syrie pour ne pas attirer l’attention ». Or, des mois durant, ensemble, des médias, des ministres et autres officiels du ministère de l’Intérieur ont seriné que le vrai et seul danger émanait des djihadistes rentant d’Irak ou de Syrie : ils se sont fait berner par les Kouachi, Coulibaly & Co.
Voici, comme le disent gentiment certains journalistes, comment ces assassins ont pu « passer sous le radar ». Là est exactement le problème car les ministres et hauts fonctionnaires sont justement payés pour voir, et voir à temps, les dangers réels sur ces fameux « radars », pas pour expliquer après coup qu’ils n’ont rien vu, ou trop tard – ce qui revient au même. En pareil cas, les Texans disent « fermer l’écurie à clé après que le cheval a été volé ». Il serait bon que le Renseignement intérieur sorte de cette logique et détecte à temps les vrais terroristes, les bombes humaines à la veille d’agir.
Mais ces « gangsterroristes » ne sont-ils pas trop nombreux pour qu’on les surveille tous ? Ces jours-ci, ces consternantes déclarations sont tenues par divers retraités, patrons du Renseignement intérieur ou magistrats.Y a-t-il 5.000 djihadistes dangereux et faut-il vraiment 25 policiers pour les surveiller chacun ? C’est absurde. Dans les 5.000, en entonnoir, on a tout, depuis le jeune énervé se défoulant sur Internet (des centaines, minimum) jusqu’à la bombe humaine prête à exploser (quelques-uns). Ce qu’est une telle bombe humaine, on le sait – ou on devrait le savoir – depuis le « prototype » Merah. C’est précisément de tels individus qu’il faut surveiller de près. Or, les Kouachi et Coulibaly sont d’exacts clones de Merah. Si vous surveillez les Kouachi avant l’attaque de Charlie, vous les voyez voler une voiture… accumuler cagoules et armes de guerre… sans doute rôder vers les locaux de Charlie – cible islamiste majeure et connue de tous –, vous surveillez leurs téléphones… Que préparent-ils ? Faut-il être Sherlock Holmes pour le comprendre et réagir à temps ?
Que faire pour éviter que de tels drames ne se reproduisent ?
Une administration est quasiment incapable de se réformer seule et en temps utile. C’est au politique d’exiger la réforme – au besoin, en bottant quelques fesses. Rappel d’un exemple célèbre, Clemenceau en 1917, au ministère de la Guerre : « Nécessité d’y rétablir l’autorité du ministre qui n’existait plus, disloquée qu’elle était entre les directeurs et les états-majors… Tout le monde y commandait sauf le ministre ; les bureaux plus que jamais y étaient les maîtres. Il fallait commencer par tout réformer. » (1)
Le 10 septembre 2001 encore, la CIA était enchantée du boulot qu’elle faisait sur Ben Laden et Al-Qaïda. Jusqu’au lendemain… Ici et maintenant, il faudra virer des incapables, donner les commandes à des patrons comprenant les dangers nouveaux, les hybrides, etc. Sachant déceler à temps des signaux faibles et des ruptures d’ambiance, analyser et réagir sur le champ… Cela se fait déjà, et bien, au Renseignement de la région parisienne. Pourquoi ne pas étendre cette expérience, cette pratique, à l’échelle nationale ? Cette décision, il revient au pouvoir politique de la prendre. Un pouvoir politique qui, sur ces mêmes sujets, a beaucoup vacillé ces deux dernières années...
Xavier Raufer, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 13 janvier 2015)
Note :
(1) Henri Mordacq, Le ministère Clemenceau, journal d’un témoin, Plon, 1930.