Après la publication de la biographie accusatrice et diffamatoire de Victor Farias, Heidegger et le nazisme, en 1987, puis celle de l'essai absurde et malhonnête d'Emmanuel Faye, Heidegger, l'introduction du nazisme dans la philosophie, en 2005, une nouvelle « affaire » Heidegger commence à poindre avec la publication prochaine en Allemagne des Cahiers noirs d'Heidegger, dans lesquels résiderait la preuve tant attendue par certains de son antisémitisme...
Ces Cahiers noirs, dont la publication doit mettre un point final à l'édition allemande des œuvres complètes du philosophe, constituent un journal de pensée, tenu par le philosophe entre 1930 et 1970. Les trois premiers tomes, couvrant la période 1930 – 1941, qui sortent en Allemagne en mars prochain, comportent plus de mille pages. On a donc là un document exceptionnel appelé à rentrer en résonance avec l’œuvre publique d'Heidegger.
Mais las ! Il semblerait que, dans ce massif imposant, on ait découvert une quinzaine de passages dans lesquels l'auteur d’Être et Temps aborde la question juive. Il évoquerait ainsi l'esprit de calcul des Juifs et leur « déracinement hors de l’Être » et renverrait dos-à-dos nazisme, psychanalyse, judaïsme, christianisme et même antisémitisme... A priori, pas de quoi, donc, faire d'Heidegger un émule d'Edouard Drumont ou de Julius Streicher, et, a fortiori, pas de quoi remettre en cause les milliers de pages qu'il a écrits. Mais il n'en faut pas plus aux éternels contempteurs du philosophe pour relancer le procès en sorcellerie et pour reproduire inlassablement l'équation Heidegger = Nazisme = Shoah.
Car il est dangereux le philosophe qui écrit :
« La décadence spirituelle de la terre est déjà si avancée que les peuples sont menacés de perdre la dernière force spirituelle, celle qui leur permettrait du moins de voir et d'estimer comme telle cette dé-cadence (conçue dans sa relation au destin de " l'être "). Cette simple constatation n'a rien à voir avec un pessimisme concernant la civilisation, rien non plus, bien sûr, avec un optimisme ; car l'obscurcissement du monde, la fuite des dieux, la destruction de la terre, la grégarisation de l'homme, la suspicion haineuse envers tout ce qui est créateur et libre, tout cela a déjà atteint, sur toute la terre, de telles proportions, que des catégories aussi enfantines sont depuis longtemps devenues ridicules. »
ou
«Le commencement est encore. Il ne se trouve pas derrière nous comme ce qui a été il y a bien longtemps ; tout au contraire il se tient devant nous. En tant que ce qu'il y a de plus grand, le commencement est passé d'avance au-dessus de tout ce qui allait venir, et ainsi déjà au-dessus de nous-mêmes, pour aller loin au-devant. Le commencement est allé faire irruption dans notre avenir : il s'y tient comme la lointaine injonction à nous adressée d'en rejoindre à nouveau la grandeur (…) Nous nous voulons nous-mêmes. Car la jeunesse, la plus jeune force de notre peuple – celle qui, par-dessus nous, déjà tend au loin – la jeunesse a déjà décidé. La magnificence pourtant et la grandeur de cette rupture et de ce départ, nous ne la comprenons entièrement que si nous portons en nous le profond et ample consentement d'où la vieille sagesse grecque a puisé cette parole: Tout ce qui est grand s'expose à la tempête... »
Dossier :
Heidegger, la preuve du nazisme par le « Cahier noir » ?, par Nicolas Weil
Heidegger et l'antisémitisme, par Peter Trawny
Heidegger : une pensée irréductible à ses erreurs, par Hadrien France-Lanord
"Ni accuser ni défendre", par François Meyronnis
Du nouveau sur Heidegger et les « Cahiers noirs », par Nicolas Weil
Heidegger ensorcelé, par Stéphane Zagdanski
Faire face à l'ouverture des "Carnets noirs" d'Heidegger, par Gérard Guest
Pour suivre l'évolution de l'"affaire", on pourra suivre le blog heideggerien : Sur l'antisémitisme de Martin Heidegger
Pour découvrir Heidegger et sa pensée, on pourra lire ou consulter :
- l'article de Robert Steuckers dans le dernier numéro de Réfléchir et Agir (n°46, hiver 2014), Heidegger - La tradition, la révolution, la résistance et l'"anarquisme" ;
- d'Alain de Benoist, l'article Heidegger critique de Nietzsche
- le numéro 37 de la revue Nouvelle Ecole, Lectures de Heidegger (passionnant mais difficile à trouver...);
- de Silvio Vietta, Heidegger critique du national-socialisme et de la technique (Pardès, 1993) ;
- de Georges Steiner, Martin Heidegger (Champs, 2008) ;
- de François Fédier, Entendre Heidegger (Pocket, 2013) ;
- le Dictionnaire Martin Heidegger (Cerf, 2013) ;
- de Heidegger, Essais et conférences.