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Un avenir de sang et de guerre ?...

Auteur de plusieurs ouvrages de stratégie particulièrement intéressants comme Comprendre la guerre (Economica, 2001), Décider dans l'incertitude (Economica, 2004) ou encore La guerre probable (Economica, 2008), le général Vincent Desportes s'est surtout fait connaître du grand public pour avoir formulé, en juillet dernier, sur la guerre d'Afghanistan et sur la participation de la France à celle-ci des opinions hétérodoxes, qui ont déclenché l'ire du chef des armées et lui ont valu d'être sanctionné à quelques semaines de son passage en deuxième section.

Dans cet article publié par le Figaro du 26 janvier 2011, il rappelle quelques évidences : la guerre n'a pas disparu, et elle fait même partie de notre avenir...

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Ne craignons plus le mot "guerre"

Appelons les choses par leur nom : ne craignons plus le terme « guerre ». C’est à tort que nous autres idéalistes, enfants des Lumières et de la civilisation, pensons régulièrement que la guerre est morte. 

Ce n’est pas parce que nous, Européens, repus de guerre jusqu’à l’indigestion, avons réussi à la repousser loin de nos territoires que la nature des hommes a changé. Depuis toujours, la guerre et l’homme forment un couple indissociable parce que les hommes sont volontés - volonté de vie et volonté de domination - et que la confrontation est dans la nature même de leurs rencontres.

La dernière des guerres, aussi sanglante fût-elle, n’a été qu’un jalon de plus dans l’histoire de l’humanité qui est aussi l’histoire des guerres.

Ni la SDN, mort-née, ni l’ONU, fille d’un nouvel espoir, n’ont pu, bien sûr, tuer la guerre, parce que si la guerre tue, elle ne meurt pas. La guerre n’est pas morte à Versailles en 1919, pas plus qu’à San Francisco en 1945, pas plus que des espoirs nés de la dissuasion nucléaire ou de la chute du mur de Berlin. Au contraire, elle se répand et se renforce aujourd’hui d’avoir été, un temps, contenue. Vieilles querelles assoupies, nouvelles volontés de puissance, simples nécessités de survie, rareté des ressources et accroissement des besoins se conjuguent aujourd’hui aux fondamentalismes pour donner aux affrontements humains une force nouvelle.

La guerre revient et le réarmement l’accompagne : la planète ne cesse de se réarmer, les dépenses militaires mondiales ont dépassé aujourd’hui le niveau de la guerre froide. L’effondrement de l’empire soviétique nous a laissé croire, un temps, à « la fin de l’histoire ». Aveuglés par la fausse bonne idée des dividendes de la paix, nous avons réduit à la hache le format de nos armées. Le mot guerre, soudain, était devenu incorrect ; on lui substituait celui de crise, de conflit, voire d’opérations de paix… Implacable, pourtant, la guerre - tribunal de la force, (la guerre) forme extrême de l’affrontement des volontés humaines et politiques - est revenue s’imposer à nous sous d’autres visages, s’emparant de nouveaux espaces. Puisque l’éthique et la nouvelle transparence du monde contraignaient l’usage destructeur des armes classiques, la guerre s’est placée « hors limites » pour contourner la puissance militaire : « guerre contre le terrorisme », où la dissymétrie peine contre l’asymétrie ; « guerre économique », utilisant l’arme de la monnaie pour conquérir de nouveaux marchés, usant de l’espionnage industriel organisé par les États ou les grands groupes, faisant du commerce international un véritable « combat » ; «cyberguerre » désorganisant les marchés financiers ou perçant les secrets de défense les mieux gardés ; « guerre de l’information » pour manipuler la psychologie des marchés et des foules ; « guerres virtuelles », univers des adolescents accrochés à leurs consoles ; « guerre des banlieues », avec de véritables embuscades militaires. Dans un monde où les rapports humains se brutalisent, un monde hanté par la montée des égoïsmes et les crises de confiance, où le sens du bien commun s’amenuise, la violence est redevenue une valeur en soi.

Et le mot « guerre », hélas, a retrouvé son actualité, sa noblesse peut-être.

Les champs de guerre ont changé, ses moyens aussi : mais la guerre est là, qui nous cerne. L’espoir de paix comme horizon de l’homme lui est aussi consubstantiel que la guerre elle-même ; mais si nous nous contentons, benoîtement, d’observer la guerre depuis notre balcon, la violence, retenue encore devant notre porte, franchira vite son seuil. Nous devons nous préparer à la guerre et accepter que l’idée d’Europe n’ait pas tué le fait de guerre. 

Nous assoupir dans notre bulle artificielle  de sécurité, ce serait nous préparer de difficiles réveils lorsque, demain ou plus tard, de manière probablement imprévisible, la guerre reviendra chez nous, sous ses nouvelles formes armées. Il faut donc se réjouir

Il faut donc se réjouir qu’après deux années d’efforts et de persuasion, le Collège interarmées de défense, qui forme le corps de direction des armées, ait retrouvé jeudi dernier l’appellation « École de guerre ».  Dénomination simple et claire pour l’institution qui a la charge de préparer aux plus hautes responsabilités humaines l’élite militaire, celle qui, aux heures noires de l’avenir , pourrait porter à nouveau sur ses épaules le destin de la nation. Ne nous berçons pas d’illusions : si la guerre est notre passé, si elle est notre présent, elle est aussi notre futur.

 

Général Vincent Desportes (Le Figaro, 26 janvier 2011)

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