Nous reproduisons ici un texte de Nicolas Gauthier, rédacteur en chef de Flash magazine, paru au cours du mois d'août et consacré à la Grèce...
Grecs !
2010. Imaginez un pays pas très riche, mais dont les pauvres ne sont pas miséreux ; bref, avec cent fois moins de mendiants qu'à Paris. Si peu d'insécurité qu'en centre-ville, le samedi soir, la présence policière se limite à deux pandores joviaux dont la seule occupation tangible consiste à draguer les jolies touristes. A la supérette, le caissier rend la monnaie clope au bec. Les motards y roulent sans casque et les automobilistes sans ceinture, téléphone portable greffé à l'oreille. Sur les routes, les panneaux annoncent des radars dont on attend encore l'hypothétique installation, les argousins se contentant, lorsqu'il ne fait pas trop chaud, de verbaliser mollement les chauffards en ayant fait un peu trop. Dans les rues, les chiens se promènent sans laisse tandis que les chats sont partout chez eux, sur les trottoirs et dans ces restaurants où il est licite de fumer et conseillé de boire le petit verre de plus qui ne s'impose pourtant pas. Ici, pas de panneaux publicitaires. Pas d'obèses et de Mac Do. Et encore moins de brigade hygiéniste vous intimant l'ordre de manger cinq fruits et légumes par jour. Et, non content d'être aimable et accueillant, l'autochtone est habillé avec goût; ses enfants aussi, contrairement aux nôtres, si souvent déguisés en profs de gym...
Ce pays de cocagne existe: c'est la Grèce, le berceau d'Homère, d'Aristote, de Platon et même de Georges Moustaki ; bref, celui de notre civilisation européenne, celle de la Mare Nostrum. Jean Cocteau disait des Italiens qu'ils étaient des Français qui seraient de bonne humeur. L'adage vaut pour ce peuple, nationalisme sourcilleux en prime, lequel s'explique aisément par ces invasions à répétition ayant, paradoxalement, contribué à renforcer son âme et son identité: Francs, Romains, Perses, Vénitiens, Turcs - quatre siècles durant - Allemands, puis tutelle anglaise, américaine, et désormais, bancaire, façon FMI et spéculateurs transnationaux.
Mais, exception grecque oblige, c'est ici que, durant la Seconde guerre mondiale, le général fasciste Metaxas refuse à Benito Mussolini droit de passage ,sur le territoire national. C'est encore là que plus tard, le Parti communiste local est l'un des seuls - et l'un des premiers avec son homologue italien à refuser de prendre ses ordres à Moscou. Et c'est sur cette terre que le principal grief fait à la junte des colonels, dans les années 70 du siècle dernier, ne doit rien à l'autoritarisme du régime mais à son inféodation à la CIA. Dès lors, on comprend mieux n pourquoi les Grecs entendent, envers et contre tout, demeurer grecs.
Au fait, vous savez comment faire perdre son légendaire sourire à un Grec? Glissez-lui seulement ces deux mots à l'oreille : "Goldman Sachs" ... Ou encore ces deux autres: "Commission européenne" ... Ainsi, plusieurs fois on me dira: "Ces gens-là veulent nous obliger à vivre comme des Hollandais. Mais nous, est-ce qu'on oblige les Hollandais à vivre comme des Grecs ? On nous parle de notre dette ... Mais celle des Anglais est bien plus importante. Seulement la City, la banque, les médias qui font l'opinion, c'est chez eux, pas chez nous ..." Vous l'aurez évidemment deviné, je reviens de ce pays enchanteur, où j'ai passé deux semaines à écouter pousser ma barbe et à contempler une autre Europe. Celle où l'on déjeune à trois heures de l'après-midi et où la soirée commence à minuit. Celle qui fait la jonction entre les deux rive de la Méditerranée, dans laquelle l'Orient n'est jamais bien loin. Celle, pour finir, en forme de joyeux bordel qui n'est autre qu'un bordel joyeux; lequel vaudra, toujours mieux que le goulag aseptisé dans lequel nous sommes actuellement consignés.
Nicolas Gauthier (Flash magazine, 12 août 2010)