Les Presses universitaires de Rennes viennent de publier un essai de Robert Belot intitulé Lucien Rebatet - Le fascisme comme contre-culture. Historien et universitaire, Robert Belot est l'auteur d'une biographie de l'auteur des Décombres, Lucien Rebatet - Un itinéraire fasciste (Seuil, 1994), et on lui doit également la publication des Dialogues de vaincus (Berg, 1999) entre Pierre-Antoine Cousteau et Lucien Rebatet.
" L'attribution du prix Nobel de littérature 2014 a fait resurgir les fantômes des années noires de l’histoire française. Patrick Modiano a été le premier écrivain à explorer les tabous de notre mémoire et à s’introduire dans l’imaginaire des collabos. Dans Place de l’Étoile, dès 1968, il évoque ainsi Céline et Rebatet, le maître et le disciple, deux prophètes de «l’ordre nouveau» nazi fondé sur le rejet de la culture des Lumières. Les historiens se sont ensuite emparés du dossier qui a suscité des débats animés. Parmi les sujets encore discutés et disputés: la nature du régime de Vichy, les enjeux de la collaboration et l’existence d’un fascisme tricolore.
Ce livre se propose de réexaminer cette question à travers la biographie d’une des plus éminentes figures de la collaboration: Lucien Rebatet (1902-1972). Critique d’art renommé, signature emblématique de l’hebdomadaire fasciste Je suis partout, il est l’auteur du best-seller de l’Occupation avec Les Décombres, pamphlet torrentiel célébrant la défaite comme la promesse d’une Europe «libérée» de la démocratie et du judéo-christianisme. Condamné à mort à la Libération, puis gracié, c’est en prison qu’il tente de devenir le «véritable» écrivain qu’il rêvait d’être depuis toujours en publiant chez Gallimard un puissant et talentueux roman autobiographique, Les Deux Étendards. Rebatet en attendait un effet de rédemption littéraire et de relativisation de son engagement politique.
Comme chez d’autres écrivains collabos, on observe aujourd’hui une tendance de la mémoire à opposer et à rendre inconciliables l’engagement et l’œuvre. Comme si la culture pouvait immuniser contre le pire. Le point de vue de ce livre est différent, il défend l’idée que c’est en récusant cette vision binaire de l’itinéraire politico-littéraire de Rebatet que l’on peut accéder à la matrice originelle de son engagement: une vision crépusculaire de l’homme qui s’inscrit parfaitement dans l’idéologie pessimiste et agonique des fascismes européens. Or, cette conception n’a pu trouver audience en France autrement que sous la forme d’une contre-culture minoritaire, que ce soit sous la République ou sous Vichy, impuissante à ébranler les fondements de l’identité républicaine française. "