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laurent cantamessi

  • Idiocratie, numéro moins 2 !...

    Nous vous signalons la récente parution du numéro moins 2 de la revue Idiocratie, version papier du site éponyme. Très riche, comme les deux numéros précédents, la revue comporte notamment, outre un dossier consacré au Système, où on trouvera un entretien avec Eric Werner, des entretiens avec les écrivains Patrice Jean et Mathieu Jung, ce dernier pour son remarquable roman Le triomphe de Thomas Zins.

    Il est possible se procurer cette revue à La Nouvelle Librairie à Paris ou de la commander ici.

     

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    " En dépit des efforts récemment déployés à l'échelle de la planète par Le Système pour nous bâillonner, les Idiots ne restent pas muets et poursuivent, confinés, leur œuvre de vérité. Préparez-vous, chers lecteurs, chères lectrices, pour la sortie du prochain numéro d'Idiocratie, consacré cette fois au « Système, sa vie, son œuvre. » Et en plus de ce dossier brûlant, Idiocratie, la revue, vous offre une série d'entretiens explosifs avec Eric Werner, Matthieu Jung et Patrice Jean, de passionnants articles, des fictions merveilleuses, de délicats poèmes et des recensions sans concessions. Aphra Behn, Vita Sackville-West, Virginia Woolf, Jean-Louis Chrétien, Michel Tonnerre, Jacques Vaché, John Balance et Uwe Boll se donnent rendez-vous pour célébrer les arts et les lettres dans nos pages en ce riant mois d'avril 2020. Sans oublier la revue des revues qui permet aux Idiots de donner un coup de pouce à des petits jeunes qui débutent dans le milieu. Laissez tomber les leçons de yoga sur Youtube et précipitez-vous pour commander ce nouvel opus disponible dès à présent sur le blog Idiocratie ! De toute façon, ce n'est pas comme si vous aviez vraiment quelque chose de mieux à faire, non ? "

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  • Idiocratie, la revue !...

    Nous vous signalons la parution des deux premiers numéros de la revue Idiocratie, liée au site du même nom. Très bien réalisés, superbement illustrés, ces deux numéros de plus de 80 pages ont un contenu particulièrement riche. On peut se les procurer en ligne à partir du site Idiocratie ou dans quelques librairies parisiennes, dont la Nouvelle Librairie, ainsi que chez un bouquiniste rennais.

     

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    Au sommaire du numéro 0 :

    Antimanifeste des idiots, par Les idiots

    Dossier : Critiques de la modernité

    Fiume à l'avant-garde de l'histoire, par Laurent Gayard

    Politique(s) des Modernes, par David Bisson

    Entretien avec Mathieu-Bock-Côté

    Dossier : Les perdants radicaux

    Merah-Breivik, les perdants radicaux, par Laurent Cantamessi

    Islamisme 2.0, la fantômisation du monde, par Alexis Michequine

    Contre-cultures

    Les  perdants magnifiques

    Cinéma

    Musique

    Fiction

    Varia

    Poésies

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    Au sommaire du numéro -1

    Memento mori

    L'empire du management

    Le management de soi, une religion du bien-être pour le XXIe siècle, par David Bisson

    Entretien avec Baptiste Rappin

    Management des radicalités, par Laurent Gayard

    Théodore Kaczynski : unabomber, par Robert Sabotage

    Management du terrorisme, par Jean de Juganville

    Managers, par Emile Boutefeu

    L'unique et sa destinée

    Stirner & Nietzsche. L'Unique en son royaume, par Laurent Gayard

    Anarchie et esprit : la vie en commun, par Alexis Michequine

    Entretien avec Edouard Jourdain

    Entretien avec Luc-Olivier d'Algange

    Contre-cultures

    Les perdants magnifiques

    Notoirement méconnus

    Saines lectures

    Audio Prestige

    Fictions

    Poésies

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  • Les snipers de la semaine... (126)

     

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    Au sommaire cette semaine :

    - sur le Figaro Vox, Laurent Cantamessi dézingue la frénésie politiquement correcte qui s'est emparée de Sciences Po...

    Hijab Day : quand Sciences-Po hisse les voiles du politiquement correct

     

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    - sur le Blog de la revue Eléments, Paul Matilion exécute posément Nuit Debout et son déni de la réalité...

    Nuit debout ou le royaume de l'illusion

     

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  • En finir avec le débat d'idées...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un point de vue de Laurent Cantamessi, cueilli sur Causeur et consacré à deux chiots de garde, nouveaux venus dans le chenil, qui veulent se faire remarquer et montrer qu'ils sont de bons petits roquets pour mériter eux aussi une jolie niche et une belle laisse...

    Laurent Cantamessi anime par ailleurs le site Idiocratie.

     

     

    edouard louis marcel gauchet

     

    En finir avec le débat d'idées

    Comment faire quand on est un jeune auteur à la mode qui surfe sur les thèmes en vogue et que l’on veut acquérir un peu plus de consistance, afin de s’assurer une date de péremption un peu plus tardive que le dernier vainqueur de The Voice ou n’importe quel autre produit médiatique ?

    Les choix sont multiples. Vous pouvez écrire un deuxième roman qui démontrera par sa qualité, sa maîtrise stylistique et la profondeur du propos que la littérature peut compter sur vous, voire vous introduire tout de suite au panthéon des Grands. Le problème est que votre talent risque dans bien des cas de n’être reconnu qu’après votre mort. Du coup, pour les parties fines avec des dizaines de top models dans des lofts extravagants et les flots de cocaïne sur la Riviera, faudra  repasser. Il faut bien reconnaître qu’à ce compte-là les rock stars, les vedettes de cinéma et les hommes politiques sont bien mieux lotis. Mais pas question de tenter The Voice si vous chantez comme une porte de Simca 1000 ou d’aller faire le tour des maisons de retraite de la Sarthe pour vous faire élire député-maire, il vous faut des résultats rapides.

    Dans ce cas, il est aussi possible de devenir sataniste et et de commettre un massacre de masse comme Charles Manson. Sur le plan médiatique, c’est un contrat gagnant-gagnant mais cela implique de passer le reste de ses jours en prison. Et, là encore pour les orgies dans les garçonnières high tech des métropoles mondialisées et les teufs de malade sur le yacht de Bolloré, faudra repasser. Il ne faut cependant pas désespérer, car ce serait faire trop peu de cas des plans de carrière fantastiques offerts aux jeunes créatifs dotés de deux doigt de jugeote. C’est ce que démontrent avec brio Edouard Louis et Geoffroy de Lagasnerie.

    Edouard Louis est ce « jeune écrivain de 21 ans » qui a bouleversé la dernière rentrée littéraire avec son roman En finir avec Eddy Bellegueule dans lequel il raconte son enfance et son adolescence martyre, la découverte de son homosexualité dans un milieu ouvrier étroit d’esprit, moche et méchant. Eddy Bellegueule a souffert, il a connu les moqueries, les brimades, dans sa famille ou au collège. Du coup, il s’est découvert non seulement homosexuel mais bourdieusien : les pauvres, c’est programmé pour enfanter des cons d’ouvriers et des imbéciles de caissières et quand on n’est pas un imbécile et qu’on veut voir autre chose dans sa vie qu’un tapis de supermarché ou de chaîne de montage, il vaut mieux fuir et écrire un livre talentueux qui assassine les parents indignes et les villageois infâmes auprès desquels on a grandi, ce qui ravira les éditeurs parisiens. Salauds de pauvres. Si les intéressés ont l’audace de se manifester pour protester et faire valoir que le trait a été un peu forcé, on se défend en disant qu’il s’agit de la liberté du romancier et que toutes les critiques adressées à ce coming out poético-bourdivin sont réactionnaires. Autofiction, ton univers impitoyable.

    Geoffroy de Lagasnerie a un patronyme qui sonne comme une ascension balzacienne. Il voit chez  Foucault un penseur des aspects émancipateurs du néo-libéralisme. Il est philosophe et journaliste, il n’a pas de fiche Wikipédia comme Edouard Louis, mais il aimerait bien être aussi connu quand Edouard Louis souhaiterait le rester. L’association de ces deux-là est une affaire qui roule, et la raison sociale de l’entreprise était toute trouvée : la rebellitude est un produit toujours vendeur. Ne restait à trouver que l’occasion de se lancer sur le marché néanmoins un peu surencombré de l’impertinence et de la révolte labellisées.

    Le 29 juillet, Edouard Louis et Geoffroy de Lagasnerie ont donc publié sur internet un appel à boycotter les « Rendez-vous de l’histoire » qui auront lieu entre le 9 et le 12 octobre et proposeront comme thème d’étude : « Les Rebelles ». Dans un texte vibrant, publié sous le titre « Célébrer les rebelles ou promouvoir la réaction ? », l’écrivain en vogue et le philosophe en devenir s’insurgent : « C’est donc avec stupéfaction et même un certain dégoût que nous avons appris que Marcel Gauchet avait été invité à en prononcer la conférence inaugurale. Comment accepter que Marcel Gauchet inaugure un événement sur la rébellion ? Contre quoi Gauchet s’est-il rebellé dans sa vie si ce n’est contre les grèves de 1995, contre les mouvements sociaux, contre le PaCS, contre le mariage pour tous, contre l’homoparenté, contre les mouvements féministes, contre Bourdieu,  Foucault et la « pensée 68 », contre les revendications démocratiques ? »

    Peut-être Edouard Louis et Geoffroy de Lagasnerie ont-ils trouvé que Blois est un peu sinistre en octobre. Ils ont plus sûrement flairé la bonne combine. Cela fait en effet un moment que Marcel Gauchet est identifié par l’intelligentsia comme un ennemi du progrès. En 2002, il était déjà fiché par Daniel Lindenberg comme « nouveau réactionnaire ». En 2008, il apparaît encore comme l’une des principales cibles de La pensée anti-68 de Serge Audier, qui est une sorte de réédition du bouquin de Lindenberg avec un nouveau titre. Et puis bien sûr, Gauchet est coupable du crime de lèse-majesté suprême, se permettant de critiquer l’héritage de Foucault et de Bourdieu, les deux divinités post-universitaires de l’ère post-moderne. Avec lui c’est le coup gagnant assuré et bien d’autres l’ont réalisé avant Edouard Louis ou Geoffroy de Lagasnerie. Vous choisissez une personnalité un peu sulfureuse (ou seulement un peu soupçonnable d’anti-progressisme, pas besoin de se casser la tête) dans le paysage intellectuel, vous lui opposez la pureté, la fougue et la spontanéité rafraîchissante de jeunes représentants de la nouvelle génération de défenseurs de l’humanisme, de la tolérance, de la générosité (etc, etc, etc.) et vous lancez la polémique sur n’importe quel sujet anodin en rappelant éventuellement le passé trouble de la personnalité incriminée (dans le cas de Marcel Gauchet, les grèves de 1995, vous pouvez ajouter au hasard le Pacs, l’homoparentalité, tout ce que vous voulez, de toute façon personne n’ira vérifier). Avec de la chance, Libération (ou le Monde, c’est selon) s’empare de la polémique pour lancer définitivement le feuilleton de l’été. François Bégaudeau avait fait de même avec Finkielkraut, ça avait marché du feu de Dieu. Il n’y a donc pas de raison que ça ne fonctionne pas ce coup-là avec Gauchet.

    On se permettra d’ailleurs de réactualiser un peu la critique adressée par Gauchet, et d’autres avec lui ou après lui, à l’adresse de Bourdieu et de ses disciples. De la même façon que l’on parlait après Marx des « petits-marxistes » qui ont ossifié et érigé en dogme rigide l’analyse du maître, Bourdieu a eu ses disciples fanatiques qui ont imposé aux milieux intellectuels la pensée bourdivine à l’égal des nouveaux Dix Commandements. Si l’on considère que la pensée de Bourdieu est déjà en elle-même figée dans une certaine conception mécaniste de la société que ses innombrables disciples accentuent jusqu’au fanatisme, on comprend mieux pourquoi Gauchet a pu parler de « désastre intellectuel » en qualifiant un héritage qui est devenu une véritable doxa officielle. Depuis la mort du Maître, ses successeurs cultivent avec jalousie le pré-carré mais une nouvelle génération semble sur le point d’émerger, prête non pas seulement à utiliser Saint Bourdieu comme un marchepied institutionnel mais désormais comme un véritable label commercial pour lancer une carrière médiatique. En ce sens, il est très amusant de voir Edouard Louis et Geoffroy de Lagasnerie reprocher à Gauchet de n’avoir pas été un « rebelle ». On se demande bien en effet contre quoi ces deux représentants très lisses d’une pensée très autorisée ont bien pu se rebeller eux-mêmes…On ne déniera pas à ces deux talentueux entrepreneurs de la provocation ciblée un certain talent commercial mais de là à se faire décerner comme ils l’entendent la médaille du mérite de la rébellion, il ne faut pas exagérer.

    Et puis d’un point de vue purement commercial, l’entreprise pourrait n’être pas si bonne que cela. Lancer un anathème un 29 juillet, entre les va-et-vient des juilletistes et des aoûtiens et, pire encore, au milieu du fracas des armes au Proche-Orient ou à l’est de l’Europe, cela relèverait presque de l’amateurisme. On souhaite toute la réussite possible aux deux ambitieux dans leur entreprise de dénonciation mais; tout de même, il faut penser à ce genre de choses. Le timing, c’est important et, à trop vouloir se précipiter, Edouard Louis et Geoffroy de Lagasnerie risquent de rester plantés entre deux pâtés de sable et trois coquillages, leur appel n’allant pas plus haut qu’un cerf-volant sur une plage de la Côte d’Opale. Ils pourront toujours dire que c’est la faute aux champs sociaux et à Marcel Gauchet.

    Laurent Cantamessi (Causeur, 4 août 2014)

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  • La Stasi pour tous...

    Nous reproduisons ci-dessous un article de Laurent Cantamessi, cueilli sur Idiocratie et consacré à la surveillance totale qui se met en place et à laquelle nous collaborons tous. Cet article a été publié initialement dans la revue Causeur.

     

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    La Stasi pour tous

    Si on la compare à d’autres polices politiques, et en particulier à celle du grand-frère russe, la Staatssicherheit (ou Stasi), police d’Etat est-allemande créée en février 1950, s’est montrée très modérément meurtrière. Même si la sinistre organisation s’est rendue coupable d’arrestations arbitraires, voire d’enlèvements pratiqués à l’ouest, de tortures et, de façon beaucoup plus exceptionnelle, d’assassinats politiques, la Stasi a adopté à partir de la fin des années cinquante une approche à la fois originale et très ambitieuse de la sécurité d’Etat, passant de la répression à la « prévention ». En accord avec l’ambition des dirigeants est-allemands de faire en sorte que le parti, le SED, englobe toute la société allemande, priorité est donnée, à « l’éducation des citoyens »,  et il n’est rien de dire que la Stasi a pris ce programme très à cœur. 

    Il est ainsi rapidement apparu plus utile à Erich Mielke, éternel chef de la Stasi de 1957 à 1989, de laisser en place les groupes d’opposition et de les infiltrer ou d’en isoler graduellement les membres en utilisant toutes sortes de stratagèmes : lettre de dénonciation, tracasseries administratives, gel de la promotion professionnelle, message anonyme envoyé à l’épouse ou l’époux pour dénoncer une infidélité imaginaire, ou encore aux amis pour dénoncer … un informateur de la Stasi ! Dans certains cas, les méthodes d’intimidation employées par la police politique témoignaient d’un degré d’inventivité extrême. Ainsi, les agents de la Stasi n’hésitaient pas à s’introduire chez les citoyens placés sous surveillance pour y dérober tous les rouleaux de papier hygiénique, déplacer les objets ou le mobilier de la maison ou tout simplement laisser le courrier ouvert bien en évidence dans la boîte aux lettres. 

    L’essentiel étant, plus encore que de surveiller, de faire savoir aux « suspects » qu’ils étaient surveillés ou susceptibles de l’être. Afin d’exercer un contrôle plus efficace sur la population, les services d’Erich Mielke s’appuyaient également sur presque 200000 Inofizielle Mitarbeiter, les « informateurs non-officiels », recrutés de manière très discrète parmi les habitants de toutes origines auxquels on proposait de rendre « un service », qui allait d’un simple dépôt de courrier dans une boîte aux lettres jusqu’à la rédaction de rapports circonstanciés et quotidiens sur les proches, les amis, voire l’époux ou l’épouse. Chacun était « libre » d’accepter ou de refuser les propositions de la Stasi. Il s’agissait simplement de tester la résistance à l’incitation, le dévouement à la cause du parti ou, au contraire, la déloyauté, invariablement consignés dans un rapport qui allait grossir les archives dont on a retrouvé plus de 180 kilomètres après la réunification allemande, en dépit des efforts désespérés pour en détruire le plus possible après l’annonce de la chute du mur. La Stasi employait 91000 personnes au plus fort de son activité et possédait au moins 5 millions de dossiers (sur un total de 17 millions d’habitants). Elle s’est employée, pendant quarante ans, à rendre les Allemands de l’est complètement paranoïaques. Pourtant, un quart de siècle après la chute du mur et de la DDR, les efforts de la sinistre agence de renseignement pour contrôler l’Allemagne de l’est apparaissent dérisoires en regard des moyens de contrôle dont disposent nos sociétés parfaitement démocratiques. 

    Le développement impressionnant de la vidéosurveillance en est un aspect. Le territoire français compte aujourd’hui 935000 caméras de surveillance ; chiffre qui paraît presque ridicule en regard de la couverture du Royaume-Uni : 65 000 à 500 000 caméras rien qu’à Londres et plus de 4 millions sur tout le territoire. Ce vaste réseau de surveillance promettait certainement d’être plus efficace que les fausses moustaches et les écoutes de la défunte Stasi rendues célèbres par le film La vie des autres.  Pourtant les critiques fusent depuis vingt ans, mettant sérieusement en cause  la stratégie de la  vidéosurveillance qui a un coût certain pour les finances publiques, en premier lieu parce qu’il ne suffit pas d’installer des caméras partout, encore faut-il payer des gens pour les regarder. Pourquoi d’ailleurs investir autant de moyens humains et financiers dans la surveillance quand on peut tout simplement laisser les individus faire ce travail eux-mêmes ? 

    Dans Surveiller et punir, Michel Foucault reprenait un célèbre motif, celui du panoptique de Jérémy Bentham, sorte de prison modèle dans laquelle un gardien, logé dans une tour centrale, avait la possibilité d’observer tous les prisonniers, enfermés dans des cellules individuelles autour de la tour, sans que ceux-ci puissent savoir s'ils étaient observés et sans qu’ils puissent s’observer les uns les autres. Ce dispositif devait, nous dit-on, créer un « sentiment d'omniscience invisible » chez les détenus, identique à celui que cherchait à créer les agents de la Stasi chez les malheureux dont ils subtilisaient de façon perverse les rouleaux de papier toilette. 

    Foucault avait pressenti quels types d’applications pouvait trouver le modèle du panoptique dans nos sociétés modernes, à l’ère de l’ « open space ». Le concept d’aménagement de « bureaux paysagers », conçu dans les années 1950 en Allemagne par les frères Eberhard et Wolfgang Schnelle, au moment où la Stasi été créée de l’autre côté du mur, a en effet influencé les pratiques, les manières d’être et les comportements de manière d’autant plus radicale que ce nouveau rapport au monde a été amplifiée par la révolution relationnelle et communicationnelle engendrée par l’avènement du Web 2.0. L’ère de « l’open space » est devenue l’ère de la transparence, dans laquelle la multiplication des revendications en termes de droits – et de désirs – individuels s’est mêlée à l’obsession de la visibilité. A la différence du panoptique de Bentham, les surveillés sont aussi les surveillants et s’observent les uns les autres avec autant d’assiduité qu’ils se donnent en spectacle. Sans sombrer dans le complexe de Big Brother, on admettra que certains chiffres donnent le tournis. Facebook compte aujourd’hui 1,3 milliards d’utilisateurs, Twitter, 242 millions, tandis que Linkedin, Tumblr, Pinterest, Google+ ou Instagram en rassemblent presque 800 millions. 

    Même si tout le monde ne se sent pas obligé de généreusement disperser données personnelles et photos de vacances sur son compte personnel, l’inflation de ce nouveau mode de socialisation numérique est en train de modifier graduellement le rapport que nous entretenons à notre propre intimité et la manière dont nous concevons les relations humaines, transformées en une véritable économie relationnelle par les réseaux sociaux. Sans compter les fiches de renseignement toujours réactualisées que nous remplissons dès la création d’un compte, le développement de ce village numérique, que Marshall Mc Luhan n’aurait pas envisagé dans ses rêves les plus fous, nous amène à quantifier très précisément la valeur des amitiés nouées sur internet à coup de « like », « tweet » et autres signalétiques qui permettent de gagner en popularité, monnaie d’échange plus précieuse que toute autre à l’ère 2.0. Ainsi, derrière le décor idyllique dépeint par les généreux discours sur le partage global se profile un futur moins séduisant : celui d’une société dans laquelle des relations codifiées à l’extrême par l’omniprésence des réseaux sociaux se mesureront seulement à l’aune de la maximisation du plaisir et du caractère strictement utilitaire des rapports sociaux, tout cela au nom de l’amélioration constante de la communication entre les hommes. Nous n’en sommes pas encore là, c’est certain, mais les ex-agents de la Stasi qui sont encore en vie de nos jours doivent se dire qu’ils ont loupé quelque chose. Peut-être le rapportent-ils très consciencieusement sur le statut de leur compte Facebook.

    Laurent Cantamessi (Idiocratie, 6 mai 2014)

     

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  • Tour d'horizon... (62)

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    Au sommaire cette semaine :

    - sur le site du Point, journal qui abrite le bloc-note de BHL, Armin Arefi produit un article embarassé à propos du rapport établi par le Massachusets Institute of Technology sur l'utilisation du gaz sarin dans la banlieue de Damas...

    Attaque chimique en Syrie : le rapport qui dérange

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    - sur le site de Causeur, Laurent Cantamessi rappelle les lourdes responsabilités de l'Union européenne dans la dégradation de la situation en Ukraine...

    Ukraine : Poutine : un coupable si idéal...

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