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confiance

  • Insécurité: les chiffres ne disent pas tout !...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Pierre-Marie Sève, cueilli sur Figaro Vox et consacré à la question de l'insécurité. L'auteur est délégué général de l’Institut pour la Justice.

     

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    Insécurité: les chiffres ne disent pas tout

    Le 1er septembre dernier, au micro d’Europe 1, le ministre de la Justice, Éric Dupond-Moretti, a réfuté la notion «d’ensauvagement» en expliquant que celle-ci développait «le sentiment d’insécurité», qui est «pire que l’insécurité». «L’insécurité, il faut la combattre, le sentiment d’insécurité, c’est plus difficile car c’est de l’ordre du fantasme». Il a terminé en expliquant que ce «sentiment» était nourri par «les difficultés économiques», «certains médias» mais aussi «le discours populiste».

    Pour ne pas employer un terme polémique - l’ensauvagement - le garde des Sceaux a utilisé une expression tout aussi polémique - le sentiment d’insécurité - qui n’a d’ailleurs pas manqué de susciter des réactions passionnées.

    La passe d’armes autour de ces termes entre le ministre de l’Intérieur et celui de la Justice n’a rien d’anodine, et le choix des mots est devenu un marqueur politique.

    D’un côté, la notion de «sentiment d’insécurité» est utilisée pour minimiser, voire discréditer, les préoccupations du public au sujet de la montée de la délinquance. Les Français auraient le «sentiment» que leur sécurité se dégrade, mais ce «sentiment» ne serait pas corroboré par les statistiques de la délinquance, les sacro-saints chiffres! Ce sentiment serait donc de l’ordre du «fantasme», comme le dit Éric Dupond-Moretti, et le travail des pouvoirs publics serait alors d’expliquer aux Français en quoi cette peur est infondée.

    De l’autre côté, ceux qui pensent que l’insécurité augmente rejettent l’expression de «sentiment d’insécurité» et scrutent les statistiques, les contorsionnant parfois au passage, pour qu’ils confirment la réalité de l’ensauvagement.

    Dans les deux camps, tout le monde considère donc, implicitement ou explicitement, que les statistiques de la délinquance sont l’arbitre ultime en matière de sécurité. Or, et nous allons le démontrer, les chiffres ont des limites, qui, en matière d’insécurité peuvent réellement changer la donne. En effet, certains des aspects les plus importants du phénomène de l’insécurité ne se laissent pas appréhender par les chiffres.

    Nous ne devons ni négliger les statistiques ni nous arrêter à elles si nous voulons avoir une image fidèle de la réalité. Commençons donc par examiner très rapidement ce que nous disent les statistiques de la délinquance, avant d’expliquer en quoi elles sont insuffisantes.

    Il est incontestable que le nombre de crimes et délits, rapporté à la population, a très fortement augmenté entre la deuxième moitié des années 1960 et le milieu des années 1980. Entre 1964 et 1984, le taux de criminalité passe en effet de 13,54 pour mille à 67,14 pour mille. Depuis, ce taux fluctue tout en restant à un niveau très élevé, aux alentours de 60 à 70 pour mille. Si ces grands agrégats statistiques restent des ordres de grandeur, la hausse est néanmoins trop forte, trop longue et trop durable pour ne pas être considérée comme un changement majeur. Cette augmentation spectaculaire de la délinquance à partir des années 1960 a de plus été constatée dans un grand nombre de pays occidentaux, ce qui corrobore cette analyse.

    En constatant la stabilité relative des chiffres depuis 1980, on pourrait relativiser la notion d’ensauvagement récent. Mais le fait que le taux global de criminalité paraisse relativement stable depuis la fin des années 1980 signifie-t-il que la situation a cessé de se dégrader? Ce serait une grave erreur que de tirer une telle conclusion.

    Tout d’abord, il y a des évolutions structurelles de la délinquance. On constate notamment une diminution de la part des vols dans la criminalité globale, et une augmentation de la part des atteintes aux personnes, notamment chez les mineurs délinquants. Cette augmentation a été particulièrement marquée ces dernières années, tant en ce qui concerne les homicides et tentatives d’homicides que les coups et blessures volontaires. En considérant que l’ensauvagement concerne les actes les plus traumatisants, l’augmentation des violences par les mineurs y participerait certainement.

    D’autre part, il faut lire, dans la stagnation du nombre d’actes enregistrés, la baisse de la confiance de la population dans l’appareil judiciaire et ainsi subséquemment, les précautions prises par celle-ci dans sa vie quotidienne. Une hausse forte et durable de la délinquance, comme celle qui a eu lieu depuis les années 1960, a logiquement eu pour résultat une détérioration de cette confiance.

    Première conséquence: le taux de plainte a diminué, puisque de plus en plus de gens parviennent à la conclusion que «ça ne sert à rien». Les effectifs et les moyens de la police ne s’étant pas multipliés au même rythme que la délinquance (le ministère de l’Intérieur n’a pas multiplié par 5 la taille de ses bureaux en 20 ans), le nombre de plaintes pouvant être géré est resté lui aussi limité.

    Seconde conséquence: la population s’est adaptée à la nouvelle réalité. C’est cette conséquence qui explique que la culture ambiante des années 1960 voulait qu’on ne ferme pas sa voiture à clé, qu’on laisse les clés sur le contact en allant acheter du pain, que personne n’ait de système d’alarme chez soi, alors qu’aujourd’hui, les voitures sont des forteresses roulantes, chacun a intériorisé le fait de surveiller son sac à main, on se méfie des gens dans le métro qui ont les mains baladeuses, etc...

    Autrement dit, une hausse forte et durable de la délinquance est normalement suivie d’une phase en plateau, la cause de cette stabilité est l’adaptation de la population à une situation dégradée et non pas une stabilisation réelle.

    Enfin, Il faut admettre que le niveau absolu de la délinquance n’est pas le cœur du problème dans le débat sur l’insécurité. Le cœur du débat se situe sur le terrain moral.

    Plus précisément, la plainte au sujet de la montée de l’insécurité trouve sa source principale dans la perception que la délinquance est hors de contrôle ou est en train d’échapper à tout contrôle. Cette perception se fonde sur trois constats: la montée des incivilités, la croissance des «violences urbaines» et enfin, la justice, et plus largement les autorités publiques, ne traitent plus le crime comme elles le devraient.

    Chacun de ces points mériterait de longs développements. Penchons-nous simplement sur le dernier.

    En réalité, le grand public n’attend pas uniquement une réponse de diminution effective et réelle de la criminalité, mais également une réponse morale.

    Autrement dit, il attend que les autorités enlèvent les criminels des rues, mais aussi qu’elles donnent sa juste place au crime: au ban de la société. Qu’elles marquent nettement la différence qui existe entre le criminel et l’honnête homme, l’agresseur et la victime. Le crime doit valoir à son auteur un châtiment proportionné à sa gravité et le châtiment doit être prononcé et administré avec solennité. Le système doit également être prévisible: son fonctionnement doit être compréhensible par l’homme du commun, et ce que disent les autorités doit être fait.

    Or, le système pénal français ne répond plus à cette demande depuis des décennies. Aujourd’hui, dans la justice française, tout est fait pour envoyer les délinquants en prison le plus tard possible et le moins longtemps possible. Les peines exécutées n’ont plus qu’un lointain rapport avec les peines prononcées.

    Tous les Français constatent, année après année, que les magistrats font preuve de grande clémence à l’égard de délinquants endurcis. Ils constatent, année après année, qu’une partie des intellectuels, des universitaires, des hommes politiques tiennent un discours contestant la montée de la délinquance pourtant ressentie par tous, et discréditant même parfois ceux qui tentent de tirer la sonnette d’alarme - souvenons-nous du «mur des cons» sur lequel était notamment épinglé mon prédécesseur à l’IPJ, Xavier Bébin, aux côtés de parents de victimes ...

    Ils constatent que ceux qui ne manquent pas de verve pour critiquer les forces de l’ordre, la justice ou la prison, paraissent en revanche trouver beaucoup d’excuses aux délinquants forcément dominés, opprimés, victimes du racisme de l’État ou de la société française. Ils constatent, car il est impossible de ne pas le constater, que «la culture de l’excuse» est très présente non seulement dans les médias mais aussi au sein de l’État, parmi ceux dont la mission est de combattre le crime. Et inévitablement, ces constatations engendrent une inquiétude légitime.

    Éric Dupond-Moretti se trompe donc doublement: le sentiment d’insécurité n’est pas un fantasme, il est la conséquence d’une correcte perception de la réalité. Et ce qui alimente en priorité ce sentiment, ce n’est pas le «discours populiste» mais des déclarations comme les siennes.

    Pierre-Marie Sève (Figaro Vox, 15 septembre 2020)

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  • Mettre au pas les marchés financiers !...

    Dans cette chronique, mise en ligne sur Realpolitik.tv,  Hervé Juvin revient sur la crise qui secoue les marchés financiers et souligne la necessité urgente de leur redonner une place subordonnée à l'économie réelle...

     


    L'organisation des marchés au service de la... par realpolitiktv

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  • Réinventer la société de confiance

    Nous reproduisons ici un texte intéressant de la philosophe franco-italienne Michela Marzano, intitulé "Réinventer la société de confiance" et publié par le quotidien Le Monde le samedi 6 novembre 2010.

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    Réinventer la société de confiance

    Voilà quinze ans, dans un livre consacré à la "société de confiance", Alain Peyrefitte, pourtant ancien ministre du général de Gaulle, nous vantait les mérites des modèles anglo-saxons, affirmant notamment qu'ils permettaient à chacun de se dépasser constamment dans des "entreprises risquées mais rationnelles".

    Ces dernières années, les élites françaises ont cherché sans relâche à promouvoir ce modèle idéal de "confiance compétitive". Il fallait "être performant" et "ne jamais se soucier des autres". La confiance n'était plus synonyme que de "self estime". L'une des raisons du succès de Nicolas Sarkozy, en 2007, a été justement sa capacité à mobiliser les électeurs autour de l'idée de réussite personnelle.

    Le fameux "travailler plus pour gagner plus". Pour quel résultat ? La crise a mis à jour les contradictions d'un tel discours. Elle a montré les limites d'un volontarisme à outrance. Les manifestations récentes contre la réforme des retraites ne sont pas, on le sait, une simple protestation contre un allongement de quelques années de cotisation mais aussi le symptôme d'une grande déception et d'un grand désarroi. Peut-on se limiter à croire, comme un Claude Bébéar, que les citoyens ne seraient descendus en masse dans la rue que parce qu'ils "dénigrent le travail, se disent fatigués et aspirent aux congés et à la retraite" (Le Monde du 1er novembre) ?

    Une chose est sûre. La fatigue française est bien réelle. Mais elle n'est pas une propriété intrinsèque du "Français-paresseux-par-nature" comme voudraient le faire croire certaines élites, se berçant de telles niaiseries pour éviter de se remettre en cause. La fatigue actuelle est le résultat d'une longue suite de contes de fée et de mensonges auxquels les citoyens avaient fini par adhérer et dont ils découvrent depuis peu l'inanité.

    Ce peuple qui, depuis 1789 et 1848, n'avait cessé d'opposer aux puissants du monde le rire moqueur de Gavroche, s'était progressivement laissé convaincre par les sirènes d'un certain management. Il avait accepté l'idée qu'il suffisait de croire "en soi-même" et de ne jamais compter sur les autres pour réussir sa vie. La société se partageait entre les "winners" et les "loosers", entre ceux qui croyaient n'avoir besoin de rien, ni de personne, et ceux qui avaient la faiblesse de croire aux autres.

    La crise a eu le mérite de montrer qu'il ne suffit pas de "vouloir pour pouvoir" et que, sans coopération et solidarité, "notre monde peut être un enfer", comme le disait déjà Hannah Arendt. Tous les jours, dans les entreprises, ils sont des milliers à le vivre dans leur chair. Pas besoin d'aller chercher des exemples dramatiques chez France Télécom ou Renault.

    EXEMPLARITÉ

    Prenons ce salarié qui, à l'approche de la cinquantaine, et après s'être voué à son travail en essayant d'être toujours "flexible", se voit remercié car "trop coûteux". Ou ces seniors qui connaissent un véritable parcours du combattant, se traînant d'entretien en entretien, à la recherche d'un nouvel emploi. Qui dit que ces Français ne veulent pas travailler ? Qui croit qu'ils dénigrent le travail ? Ne voudraient-ils pas simplement une société plus juste ?

    Globalisation et mutation technologique poussent certes au changement. Mais elles ne poussent pas nécessairement aux dérives oligarchiques et au cynisme triomphant. Une société plus juste est toujours possible. Elle est même la condition du retour de la confiance en l'avenir. Elle passe par le refus de cette fausse "société de confiance" vantée par l'idéologie néolibérale moribonde.

    Il faut retrouver le chemin de la coopération et de la confiance mutuelle. Mais cette confiance-là ne se décrète pas. Pour qu'elle puisse surgir à nouveau dans ce pays et se développer, elle doit pouvoir s'appuyer sur des preuves tangibles. Pas de confiance sans fiabilité. Or, c'est là que le bât blesse. Tout ce qui manque à nos élites, aujourd'hui, c'est d'être fiable. On dira que ce propos est "populiste". L'accusation est commode. Jugeons sur actes. Les chefs d'entreprise, les politiques, les médias parlent d'exemplarité. Mais ce sont toujours, comme par hasard, les autres qui doivent être exemplaires. Pas ceux qui demandent des efforts. Pis. En France, un grand manager est désigné comme "courageux" lorsqu'il taille dans ses effectifs, tandis qu'il négocie âprement, et parfois en douce, ses stocks options et sa retraite chapeau.

    Le pouvoir politique n'est pas en reste. Les ministres sarkozystes susurrent à l'oreille des Français la petite musique des "sacrifices nécessaires et partagés" pendant qu'ils redonnent à Mme Bettencourt et à ses semblables des millions d'euros au titre du bouclier fiscal. On pourrait multiplier à l'envi les preuves de ce double discours. Comment s'étonner que les Français doutent de la fiabilité de ceux en qui ils sont censés placer leur confiance ? C'est là que réside, en profondeur, le malaise du pays.

    En a-t-il toujours été ainsi ? Les esprits cyniques tentent de s'en convaincre. Sans doute n'est-il pas aisé de demander à ceux qui nous gouvernent de ressembler aux vrais héros de l'Antiquité, toujours prêts à se sacrifier eux-mêmes avant de demander le sacrifice des autres. Mais il est des modèles plus réalistes. En 1940, les Anglais savaient bien qu'en leur proposant du "sang et des larmes", Churchill prendrait sa part de l'effort et qu'il n'irait pas se prélasser sur un yacht ou dans un paradis fiscal… A la même époque, les élites françaises de la "drôle de guerre" donnaient, elles, la triste image de pantins désabusés et insouciants, comme l'avait souligné Marc Bloch dans L'étrange défaite (Gallimard, 1990). En va-t-il si différemment aujourd'hui ?

    Cette crise étrange, qui frappe l'économie réelle mais épargne les profits de la finance, empêche probablement les plus fortunés de bien en saisir les enjeux. Les élites de cette "drôle de crise" sont un peu comme les élites de la "drôle de guerre". Elles se trompent de diagnostic. Souhaitons qu'elles sortent vite de leurs illusions pour reconquérir la confiance des Français et croire en un avenir commun.

    Michela Marzano, philosophe, professeur des universités à Paris-Descartes (Le Monde, 6 novembre 2010)

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