Lutte contre les stupéfiants : le plan antidrogue qui n’en était pas un
Christophe Castaner a présenté mardi 17 septembre un nouveau plan antidrogue avec notamment la création d’un organisme, l’Ofast, « chef de file unique de la lutte contre les trafics de drogue, sur le modèle de la DGSI pour la lutte anti-terroriste ». L’organisation reste pilotée par un commissaire de police.
Cette réforme prétend s’appuyer sur le modèle de la DGSI. Quelles seront les spécificités de ce nouvel organisme ? Est-ce un modèle cohérent pour lutter contre un problème de l’ampleur du trafic de drogue ?
La France a un grave problème de stupéfiants. Pour la cocaïne, c’est même une inondation. Pour 2017-2018, ont été saisies en France plus de 32 tonnes (32 000 kilos…) de cocaïne. Comme, au mieux, on intercepte 20% de telles livraisons de drogue sur leur trajet à portée de nos douaniers, policiers, etc., ces deux années, passées, plus de 250 tonnes de cocaïne ont été livrées en métropole. Au prix de gros, avant coupage et deal de rue, cela a enrichi divers producteurs et grossistes, du nord de l’Amérique latine à l’Europe
via l’Afrique, de plus de 7 milliards de dollars.
Mais se dire « J’ai un problème de stupéfiants ALORS je vais créer un super-office des stups » témoigne d’une forte myopie stratégique ou d’un vif cynisme : tout criminologue sérieux aurait averti MM. Castaner et Nunez que – différence cruciale entre le milieu criminel et les honnêtes gens – les bandits n’ont pas de métier. Il n’y a pas de trafiquant de drogue pour la vie, comme il y a des avocats ou des fleuristes, mais des prédateurs
opportunistes arbitrant à tout instant, en une simple logique coût-bénéfice.
On lit par exemple qu’explose le proxénétisme des cités, prostituant des jeunes femmes fragiles, mineures, etc. Qui sont ces néo-maquereaux ? Des dealers victimes de deux lois absolues de la vie criminelle : celle des rendements décroissants et l’effet de déplacement. Trop de dealers dangereux dans votre cité ? Il faut changer de job criminel ou de crémerie.
Ainsi, le crime organisé n’est pas la cible fixe qu’imaginent Castaner-Nunez : elle est mobile. Or comme ce qu’ils découvrent lors d’une énième tuerie est déjà vieux d’une décennie – on se souvient des excursions marseillaises du pauvre Valls et de ses ministres, en 2012 – et ce n’était déjà pas une nouveauté – Castaner-Nunez tireront sans doute sur un canard-narco, qui aura déjà filé.
La seule façon d’atteindre une cible criminelle mouvante est de la priver de son territoire, les cités hors-contrôle : là, le gouvernement ne fait rien ; et d’y dissoudre les gangs – on n’en prend pas le chemin. Chaque jour désormais, ces cités connaissent des émeutes lors desquelles nulle arrestation sérieuse n’est opérée. Un gilet jaune tire la langue face caméra, la justice l’accable. Là, véhicules brûlés… Jets d’acide sur les policiers – répression zéro. Preuve que le nouvel office de Castaner-Nunez n’est sans doute que de la com’, ou une rustine de plus sur un pneu crevé de longue date.
Divers pays ont choisi la légalisation pour couper l’herbe sous le pied des trafiquants. La France se refuse encore à explorer cette voie-là. Pour quelle raison légalisation et dépénalisation sont-elles encore des sujets tabous en France ?
Que donne dans les faits – pas dans les rêves de soixante-huitards fatigués – la légalisation du cannabis ? Dernier exemple, le Canada. Chiffres du service canadien de renseignement criminel (SCRC) : 1 g. de cannabis légal coûte 11 dollars can. – 6 $ can. en deal de rue – d’où, retour des toxicomanes au marché illégal. Le premier ministre-ludion médiatique Trudeau avait promis de « retirer des milliards des poches des criminels » en légalisant le cannabis. Le fort prudent SCRC parle de « premiers résultats positifs d’ici trois ans et plus ». Qui a dit calendes grecques ? Et – coïncidence ? – le nombre de cocaïnomanes a DOUBLÉ au Canada en 4 ans (730 000 aujourd’hui) car les narcos ne sont pas stupides. Une cible mouvante, on l’a vu. Si vous voulez voir ça advenir en France, allons-y.
Christophe Castaner a aussi déclaré vouloir s’attaquer au « patrimoine des dealers ». Le chiffre d’affaires du trafic de drogue en France étant estimé à 3,5 milliards d’euros/an, quels peuvent être les bénéfices de cette stratégie ? Quelles autres voies explorer ?
Encore de la com’ !
L’immense majorité des semi-grossistes et grossistes de la drogue opérant en France a des liens forts avec sa diaspora d’origine, Balkans, Maghreb ou Sahel. Car les dealers de base n’ont que des miettes du trafic, grâce à quoi ils survivent tout juste.
Comment saisir des villas ou des entreprises, réelles ou non, des comptes en banque, à Casablanca, Tirana, ou Bamako ? Si Castaner-Nunez espèrent trouver le trésor des narcos à Romorantin ou Criquebeuf-sur-Seine, ils risquent la déception. Mais bien plus sûrement n’espèrent-ils rien de pareil et vont-ils faire du cosmétique, gagner du temps avant telle échéance électorale, situation hélas classique depuis l’instauration du quinquennat.
Xavier Raufer (Atlantico, 18 septembre 2019)