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néo-libéralisme - Page 3

  • Mariage homo : un débat en trompe-l'oeil ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Xavier Eman, cueilli sur Zentropa et consacré à la diversion opérée par le gouvernement social-libéral au travers de la question du mariage homosexuel...

    Nous vous rappelons que Xavier Eman tient désormais une Chronique d'une fin du monde sans importance dans la revue Eléments.

     

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    Mariage homo : un débat en trompe-l'oeil

    A Paris, comme dans toute la France, le débat sur la « loi Taubira » (du nom de ministre de la Justice) institutionnalisant « l’union civile entre personnes du même sexe », a suscité une opposition d’une ampleur et d’une virulence tout à fait inattendues. Alors que dans la plupart des pays européens où des textes législatifs équivalents ont été adoptés (l’Angleterre, et l’Espagne par exemple), ceux-ci n’ont donné lieu qu’à des réactions hostiles symboliques ou marginales, en France cette question à cristallisé les passions et suscité une vague de protestation jamais vue depuis des dizaines d’années. En effet, outre les manifestations nationales gigantesques, atteignant le million de participants, des centaines d’actions « anti-mariage gay » ont eu lieu sur tout le territoire national. Fait rarissime dans l’histoire française récente, c’est « la droite » qui a pris la rue, se lançant dans un activisme échevelé allant même jusqu’à des heurts avec les forces de l’ordre, ce qui est contraire à son ADN légitimiste et légaliste. Même si cette mobilisation concerne essentiellement les classes moyennes et moyennes supérieures ainsi que la communauté catholique, elle est trop importante et persistante (aujourd’hui, bien que le texte ait été définitivement adopté par le parlement, les manifestations continuent…) pour être balayée d’un revers de la main, comme le fait l’actuel gouvernement « socialiste », en arguant qu’il s’agit simplement là d’une « crispation réactionnaire » face à une nouvelle avancée sociétale.

    En effet, le vaste « succès » (sinon en résultat, du moins en terme quantitatif) du mouvement d’opposition au « mariage homo »  a des explications multiples.

    Tout d’abord, en France, les couples homosexuels bénéficient déjà du Pacs (Pacte civil de solidarité), dispositif juridique qui leur ouvre des droits, notamment fiscaux et patrimoniaux (héritage), à peu prés équivalents à ceux du mariage classique. La loi Taubira ne cherche donc pas à  « donner une reconnaissance publique et juridique » aux couples homosexuels, ce qui est déjà le cas depuis des années, mais bien à « institutionnaliser » ces unions et, surtout, à leur ouvrir le droit à l’adoption. C’est d’ailleurs cette perspective de l’adoption par les homosexuels, bien plus qu’une prétendue « homophobie » épidermique, qui inquiète et même révolte la plupart des opposants à ce projet de loi.

    Ensuite, cette loi intègre des dispositions ouvrant la porte à la généralisation de la PMA (procréation médicalement asssitée) et de la GPA (gestation pour autrui, les fameuses « mères porteuses » ) qui légaliserait donc la marchandisation de la procréation. Au-delà de la simple, et finalement accessoire, question des droits des homosexuels, la loi Taubira est donc bien un texte porteur d’une véritable vision du monde, de la famille, de la parentalité, et même du rapport au corps humain radicalement en rupture avec la tradition ancestrale française et européenne. Ce texte, ébauche d’une véritable « révolution anthropologique », est en fait une mesure fondamentalement libérale (et nullement « socialiste » malgré l’étiquette fallacieuse de ses promoteurs, reprise sottement par les manifestants) qui institue le désir individuel comme fondateur et créateur de droits, et officialise la marchandisation complète du corps et la financiarisation croissante des rapports humains. Si j’ai « envie » d’un enfant, je pourrais bientôt en acheter un tout à fait légalement… Ce qu’annonce cette loi, ce n’est ni plus ni moins que la création d’un nouveau « marché », hautement rémunérateur, celui de la procréation et de la parentalité.

    Enfin, l’ampleur de la mobilisation s’explique également par l’exaspération de la « majorité silencieuse », des couches de la population françaises délaissées par les pouvoirs publics et les médias et qui sont pourtant le cœur économique et social de la nation. Les classes moyennes et moyennes-supérieures françaises, écrasées d’impôts, discriminés au profit des masses immigrées, insultées et caricaturés par les tenants de la bien-pensance progressiste, n’en peuvent plus de subir le diktat des diverses minorités (ethniques, religieuses, sexuelles…) imposant chaque jour davantage leurs divers desideratas. C’est aussi pour exprimer ce ras-le-bol plus général que cette France « normale », qui travaille, cotise et fait des enfants, majoritairement blanche et catholique, a saisi l’occasion de ce débat pour se faire entendre.

    Ces diverses raisons font que l’on peut regarder cette mobilisation populaire exceptionnelle d’un œil plutôt bienveillant car elle prouve que le peuple français n’est pas encore totalement anesthésié et est encore capable de vivacité et de coups de sang. Le troupeau n’est pas encore tout à fait prêt à être mené au chaos sans réagir…

    Malheureusement, cette agitation et son instrumentalisation médiatique sont également une vaste opération d’enfumage et de détournement de l’attention de l’opinion. En effet, alors que tous les projecteurs étaient braqués sur cette problématique « sociétale » et les frictions qu’elle entraînait, l’oligarchie financière en profitait pour faire passer, via ses domestiques du gouvernement Hollande et leurs comparses du Parlement, des textes fondamentaux portant très gravement atteinte au code du travail et aux acquis sociaux. De la fin programmée du contrat à durée déterminée (contrat fixe) à la flexibilité du travail, c’est tout un pan du « modèle social français » qui est ainsi passé à la trappe dans un silence quasi-absolu… En gros la « Loi Taubira » permet à la « gauche » de continuer à faire croire qu’elle est vraiment de gauche (alors que parallèlement elle s’active pour mettre la France en conformité avec les exigences ultra-libérales de Bruxelles et des institutions financières internationales…) et à la droite, qui, lorsqu’elle était au pouvoir, a tout sacrifié sur l’autel du marché, qu’elle est encore porteuse de « valeurs » éthiques et d’une morale « traditionnelle »… Bref, c’est, à la base, un jeu de rôles qui, cependant, semble avoir dépassé ses initiateurs et ses cornacs (comme la grotesque « Frigide Barjot ») et pourrait déboucher sur une contestation plus globale du système. A condition de rapidement prendre conscience du coup de force économico-social qui se joue actuellement…

    Xavier Eman (Zentropa, 10 mai 2013)

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  • Gouvernance : un management totalitaire ?...

    Les éditions Lux viennent de publier un essai d'Alain Deneault intitulé Gouvernance - Le management totalitaire. Docteur en philosophie, Alain Deneault enseigne les sciences politiques à l'université de Montréal.

     

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    "Dans les années 1980, les technocrates de Margaret Thatcher ont habillé du joli nom de « gouvernance » le projet d’adapter l’État aux intérêts et à la culture de l’entreprise privée. Ce coup d’État conceptuel va travestir avec succès la sauvagerie néo­libérale en modèle de « saine gestion ». Nous en ferons collecti­vement les frais : dérèglementation de l’économie, privatisation des services publics, clientélisation du citoyen, mise au pas des syndicats... ce sera désormais cela gouverner.

    Appliquée sur un mode gestionnaire ou commercial par des groupes sociaux représentant des intérêts divers, la ­gouvernance prétend à un art de la gestion pour elle-même. Entrée dans les mœurs, évoquée aujourd’hui à toute occasion et de tous bords de l’échiquier politique, sa plasticité opportune tend à remplacer les vieux vocables de la politique.

    En 50 courtes prémisses, Alain Deneault montre la logique de cette colonisation de tous les champs de la société par la gouvernance. Car cette « révolution anesthésiante » doit être bien comprise : elle parti­cipe discrètement à l’instauration de l’ère du management ­totalitaire."

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  • Les snipers de la semaine... (53)

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    Au sommaire cette semaine :

    - sur Marianne, Laurent Pinsolle dézingue The Economist, organe officiel du néo-libéralisme, pour un papier hostile au salaire minimum...

    « Il faut baisser le SMIC de 300 euros ! »

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    - sur Novopress, Julien Jauffret allume les bien-pensants qui voient dans l'immigration « une chance pour la France »...

    Une sacrée chance pour la France

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  • Economistes, institutions, pouvoirs...

    Nous reproduisons ci-dessous un texte intéressant de Frédéric Lordon, cueilli sur son blog La pompe à phynances et consacré aux mécanismes institutionnels qui favorisent le corruption des économistes.

     

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    Economistes, institutions, pouvoirs

    [Je prends ici le risque de mettre en ligne la communication que j’ai faite à la table ronde « Economistes et pouvoir » du Congrès de l’AFEP (Association française d’économie politique) qui s’est tenu à Paris du 5 au 8 juillet 2012, risque puisque les textes universitaires ne vivent pas très bien hors de leur biotope universitaire. Je le fais cependant à l’occasion du supposé renouvellement du Conseil d’analyse économique (CAE) et accessoirement comme une pièce à verser au débat qui a fait suite à la parution du livre de Laurent Mauduit, Les Imposteurs de l’économie. Mais non sans avertir que ce texte a le style de son caractère et de ses circonstances : académique (quoique…), comme il sied à un colloque… académique, avec quinze minutes de temps de parole strictement comptées. Ceci dit pour signaler que lui reprocher ce à quoi sa nécessité de forme le vouait ne fera pas partie des commentaires les plus malins possibles. A part quoi, on peut discuter de tout — au fond.]

    Intérêts à penser 

    Sur un sujet à haute teneur polémique comme celui d’aujourd’hui, il est peut-être utile de ne pas céder immédiatement à l’envie (pourtant fort légitime) de la castagne et, au moins au début, de maintenir quelques exigences analytiques, conceptuelles même. Pour commencer donc, et dût la chose vous surprendre, voici ce que dit la proposition 12 de la partie III de l’Ethique : « L’esprit s’efforce autant qu’il le peut d’imaginer ce qui augmente la puissance d’agir de son corps. » La chose ne vous paraîtra sans doute pas aller de soi à la première lecture, mais cette proposition livre ni plus ni moins que le principe de l’idéologie, à savoir que la pensée est gouvernée par des intérêts à penser, mais de toutes sortes bien sûr, très généralement les intérêts du conatus, c’est-à-dire tout ce qui peut lui être occasion de joie (c’est-à-dire d’augmentation de la puissance d’agir de son corps).

    Derrière la pensée donc il y a toujours des désirs particuliers de penser, déterminés bien sûr par les propriétés idiosyncratiques de l’individu pensant, mais aussi — et en fait surtout — par sa position sociale dans des milieux institutionnels. C’est cette position sociale qui conforme ses intérêts à penser, je veux dire à penser ceci plutôt que cela, à avoir envie de penser, de s’efforcer de penser dans telle direction plutôt que dans telle autre. La question est donc celle des profits ou des intérêts à penser ce qu’on pense, et dont il faut redire qu’ils peuvent être de toutes natures : monétaires bien sûr, mais aussi, et évidemment surtout, institutionnels, sociaux, symboliques, psychiques, et à tous les degrés de conscience — ce qui, par parenthèses, devrait suffire à écarter les lectures catastrophiquement béckeriennes [1] de ce propos…

    Sans surprise en tout cas, Spinoza rejoint ici Bourdieu : dites moi à quel domaine institutionnel vous appartenez et quelle position particulière vous y occupez, et je vous dirai quelles sont vos inclinations passionnelles et désirantes, y compris celles qui vous déterminent à penser. Si donc on pense selon ses pentes, c’est-à-dire si l’on est d’abord enclin à penser ce que l’on aime à penser — et telle pourrait être une reformulation simple de (Eth., III, 12), ou plutôt pour lui donner la lecture structurale qui lui convient : si l’on est enclin à penser ce qu’on est institutionnellement déterminé à aimer penser —, alors c’est ce bonheur de penser ce qu’on pense, parce que cela procure toutes sortes de joie, qui est au principe pour chacun du sentiment de la parfaite bonne foi, du parfait accord avec soi-même, et de la complète indépendance, de la complète « liberté » de penser.

    Il est donc probablement inutile d’aller chercher même les économistes de service sur le terrain de la corruption formelle : leur corruption est d’une autre sorte. Elle est de cette sorte imperceptible et pernicieuse qui laisse en permanence les corrompus au sentiment de leur parfaite intégrité, dans leur pleine coïncidence avec les institutions qui, dirait Bourdieu, les reconnaissent parce qu’ils les ont reconnues.

    Les effets d’harmonie sociale qui accompagnent les normalisations institutionnelles réussies rendent donc superflue la thèse formelle du conflit d’intérêt. De ces économistes qui, ignorant tout de l’idée de critique, rejoignent ouvertement le camp des dominants, il n’y a pas même à dire que ce sont des vendus, car ils n’avaient pas besoin d’être achetés : ils étaient acquis dès le départ. Ou bien ils se sont offerts avec joie. La thèse du conflit d’intérêt d’ailleurs, à sa lettre même, est vouée à rester impossible à établir. De tous les arguments, où le misérable le dispute au ridicule, avancés par exemple par le cercle des économistes (en fait certains de ses membres) pour sa défense, il n’y en a qu’un qui soit un peu robuste : tous ces gens-là mettront quiconque au défi de « prouver » le conflit d’intérêt. Et on ne le prouvera pas ! On ne le prouvera pas, non pas parce qu’on aura du mal à mettre la main sur les pièces à conviction décisives, mais parce qu’il n’existe pas.

    Si je me suis livré à ce bref détour théorique en introduction, c’est précisément pour rappeler qu’il existe bien d’autres modes de l’alignement des discours que le conflit d’intérêt, et qu’en lieu et place de la transaction monétaire explicite et consciente, il est une myriade de transactions sociales implicites et le plus souvent inconscientes qui concourent bien plus sûrement au même résultat, avec en prime le superbénéfice de la bonne conscience pour tout le monde, ce supplément heureux de toutes les harmonies sociales.

    Economistes et journalistes, en rangs serrés 

    C’est donc plus un regard sociologique et institutionnaliste qu’un regard journalistique et criminologique qu’il faut prendre sur le paysage dévasté de ladite science économique. A cet égard, la thèse du conflit d’intérêt est un sous-produit de l’hypothèse plus générale de la crapulerie — alias, s’il y a du mal dans le monde, c’est parce qu’il y a des crapules. Ainsi, expliquer la commission des économistes de service par le conflit d’intérêt équivaut dans son ordre à expliquer la crise financière par Kerviel et Madoff, ligne qui entraîne irrésistiblement les solutions dans les impasses de l’éthique. Aussi, très logiquement, tenter de mettre un terme aux malfaisances à coup de déontologie, de chartes et de transparence aura-t-il les mêmes effets, je veux dire la même absence d’effet, ici que là.

    Evidemment, c’est un très grand progrès que de porter au jour les turpitudes de ces économistes, comme se sont attachés à le faire de longue date, et dans l’indifférence générale, Le Monde diplomatique, Acrimed et tout le mouvement de critique des médias, puis décisivement Jean Gadrey dans un texte de son blog, plus récemment le livre sans doute salutaire, quoique parfois surprenant, de Laurent Mauduit. Et l’on est tout aussi évidemment mieux avec des déclarations d’intérêt que sans ! Mais qui les lira, et qui en fera vraiment état ? Les journalistes ? Pour en faire quel usage ? Dans ses critiques Le Monde des Livres n’omet plus de signaler que Bernard-Henri Lévy et Alain Minc sont (était pour le second) au conseil de surveillance du journal. Ce devoir pieusement acquitté, on peut alors continuer de lécher comme d’habitude [2]…

    Par élargissement de la focale institutionnelle, on voit donc que la question n’est pas seulement celle des économistes supplétifs de la mondialisation, mais aussi celle des médias qui en sont les complices, solidaires, et qui les ont imposés sur un mode quasi-monopolistique — tout ce petit monde vantant par ailleurs les stimulants bienfaits de la concurrence non distordue… Car à la fin des fins, qui a promu ces individus, dont certains sont des olibrius ? Qui les a poussés sur le devant de la scène ? Qui, par exemple, s’est porté partenaire avec empressement, il y a une dizaine d’années, de cette navrante pantomime qu’est le « prix du jeune économiste » — dont Antoine Reverchon dans un numéro récent du Monde Economie [3] n’hésite pas à faire un modèle de pluralisme, on croit qu’on rêve…

    Comme on sait, cet effet d’imposition a été d’autant plus puissant qu’il a été le fait de la presse dite de gauche, je veux dire de fausse gauche : Le Monde, Libération, Le Nouvel Observateur, France Inter, et jusqu’à France Culture — la honte… —, et ceci depuis des décennies. La complicité organique de ces médias avec ces économistes a passé les seuils où toute régulation intellectuelle a disparu. Avec ce sens très particulier de l’évidence qui est l’un des charmes de la bêtise, un article de ce même numéro du Monde Economie s’interroge en toute candeur : « Qui n’a jamais apporté ses conseils à une société privée ? A une banque ? A un gouvernement ? » Mais enfin, bien sûr ! Quel économiste n’a jamais fait ça ?... Mais il faudrait faire l’analyse complète de ce numéro décidément remarquable du Monde Economie, comme d’ailleurs de toutes ces opérations en mode damage control de cette presse auto-commise à la défense des experts organiques de l’ordre néolibéral, Dominique Nora pour le Nouvel Obs [4], ou l’inénarrable Eric Le Boucher pour Slate [5], journalisme de service au service des économistes de service.

    Misère de la déontologie universitaire 

    Ces simples évocations laissent entrevoir à elles seules l’ampleur du déport vers les pôles de pouvoir de tout un paysage institutionnel. Au sein duquel il faut évidemment compter les institutions de la science économique elle-même. Là encore, les patchs éthiques de la déontologie et de la transparence promettent d’être terriblement insuffisants. Les chers collègues et les comités de lecture des revues scientifiques liront-ils les déclarations d’intérêt ? Bien sûr ils les liront. Et puis ? Et puis rien évidemment ! La science économique dominante, de son propre mouvement, en suivant ses seules pentes « intellectuelles » (si l’on peut dire… ) et ses orientations théoriques, a donné son aval avec enthousiasme au tissu d’âneries dont les mises en pratique ont conduit à la plus grande crise de l’histoire du capitalisme. Je vous propose alors l’expérience de pensée suivante — c’est une contrefactuelle : période 1970-2010, soumissions aux revues, avec toutes les déclarations d’intérêt en bonne et due forme, des papiers de Fama, Jensen, Merton, Scholes, Summers, Schleifer, etc. Taux de rejet pour cause de collusion trop manifeste avec des intérêts privés ? Zéro, évidemment. C’est donc, là encore, toute une configuration institutionnelle, celle du champ de la discipline, qui a produit cet état dans lequel le discours de la science économique dominante est devenu si adéquat aux intérêts des dominants que se faire payer pour dire quelque chose qu’on a spontanément et « scientifiquement » pensé ne peut pas porter à mal.

    Voilà alors que, par une espèce de tropisme du pire, le système français, pris de décalcomanie institutionnelle, se met à imiter ledit modèle étasunien. Et la recherche est désormais en proie au fléau des fondations. Dans son ouvrage, Laurent Mauduit fait de curieuses différences en parant PSE [6] de tous les mérites, pour réserver à TSE [7] le rôle du vilain. Plutôt que de se perdre dans des différences secondes, c’est le principe premier lui-même, celui de l’organisation par fondation, qu’il faudrait questionner. Car en voilà une autre harmonie sociale, institutionnellement équipée, et là aussi, tout s’y emboîte à merveille : la science-scientifique la plus consacrée a pris le pli de dire d’elle-même des choses qui se trouvent n’offenser en rien les puissances d’argent (et je parle par litote) ; assez logiquement les puissances d’argent commencent à se prendre de passion pour une science si bien disposée et se proposent de « l’aider », comme une sorte de devoir citoyen sans doute…

    Mais qui peut sérieusement croire un seul instant qu’Exane, Axa, Boussard et Gavaudan Gestion d’Actifs (puisque ce sont les « partenaires » de PSE) pourraient ainsi offrir de larges financements si ces généreux mécènes n’étaient pas de quelque manière assurés d’avoir à faire à une institution qui, majoritairement, ne viendra à aucun moment défier sérieusement leurs intérêts fondamentaux sur le plan intellectuel ? Voici donc ce qu’on peut lire sur le site de PSE : « Le rôle des partenaires privés est central : leur engagement contribue au décloisonnement entre recherche académique et société civile ». On notera d’abord que ces décloisonnements s’effectuent toujours dans la même direction, et ensuite que c’est là très exactement l’argument sans cesse rabâché par le Cercle des économistes pour justifier ses agissements : « si nous sommes dans les banques et les conseils d’administration, c’est pour sortir de notre tour d’ivoire, aller au contact de la réalité, et parce que nous avons le goût du terrain »…

    Romain Rancière (PSE) peut bien proposer une charte à l’usage des chercheurs de PSE, on ne voit pas, et pour les raisons que j’ai déjà indiquées, quels changements significatifs elle pourrait produire à elle seule, et surtout quand, mettant les individus sur le devant de la scène, elle omet de mettre en question l’institution elle-même, dans ses principes fondamentaux. Quitte à faire dans la transparence, il serait sûrement intéressant de rendre publics les résultats des conventions de recherche entre PSE et, par exemple, Axa Research Fund, ou bien avec la fondation Europlace Institute of Finance — on imagine d’ici les brûlots…

    Laurent Mauduit est malgré tout porté à voir dans la moindre part des partenaires privés dans PSE (relativement à TSE) une démonstration d’auto-modération et de sage prudence. Je lui propose une autre interprétation : PSE en voulait autant que TSE ! C’est juste que le fund raising a un peu foiré en route… après quoi, bien sûr, il est toujours possible de faire de nécessité vertu. Je lui proposerais même une interprétation de l’interprétation : en moyenne, PSE affiche un enthousiasme pour les mécanismes de marché un petit peu en retrait par rapport à TSE — amis économètres, à vos codages ! Intensité market friendly des publications vs. millions d’euros levés : je vous prédis des R2 étincelants.

    Refaire les institutions d’une science sociale critique 

    Spinoza explique dans le Traité politique qu’il ne faut pas attendre le bon gouvernement de la vertu des gouvernants — pari sur un miracle voué à être perpétuellement déçu —, mais sur la qualité des agencements institutionnels qui, en quelque sorte, déterminent des comportements extérieurement vertueux mais sans requérir des individus qu’ils le soient intérieurement.

    Parce que ce sont les institutions, spécialement quand nous sommes exposés à un air du temps aussi nocif que celui d’aujourd’hui, parce que ce sont les institutions, donc, qui déterminent les choses aimables à penser, il n’y a pas de salut hors de la reformation des institutions. Une reformation qui vise à consolider les principes de celles que nous habitons, et à tenir à distance celles qui veulent nous coloniser. Dit plus explicitement : le bazar déontologique ne nous sera que d’une très mince utilité. Il n’y a qu’un seul combat qui ait quelque sens et quelque poids, c’est le combat institutionnel de l’AFEP [8], et spécialement sous le diagnostic que les institutions « officielles » de la science économique, l’AFSE, les sections 5 du CNU et 37 du CNRS étant sans doute irrémédiablement perdues, il faut construire autre chose à côté.

    Autre chose qui ne nous défende pas seulement contre la corruption par les pouvoirs constitués, mais qui nous protège aussi de l’asservissement au pouvoir diffus de ce qui se donne à un moment donné comme le cercle des opinions légitimes, à l’intérieur duquel sont enfermées les seules différences tolérées. On ne prend conscience de cet effet particulièrement pernicieux qu’à l’occasion de grands événements qui déplacent d’un coup les frontières tacites du dicible et de l’indicible, du pensable et de l’impensable, choc massif de délégitimation qui laisse soudainement à découvert les amis de l’ancienne légitimité.

    A cet égard, l’effet de la crise financière présente aura été des plus amusants, en tout cas des plus spectaculaires. Ainsi a-t-on vu quasiment brandir le poing, parfois même dire « capitalisme », des économistes qui en quinze ans n’avaient rien trouvé à redire ni à la mondialisation, ni à la financiarisation, ni à l’Europe libérale — contestations alors extérieures au cercle de la légitimité, où il fallait impérativement se maintenir si l’on voulait continuer d’avoir tribune régulière au Monde ou à Libération, droit d’être invité à donner conseil au Parti socialiste, et peut-être plus tard de toucher la main d’un ministre. Certains qui fustigeaient l’irresponsable radicalité se retrouvent quelques mois plus tard à dire cela-même qu’ils critiquaient — c’est que dans le glissement de terrain tout bouge si vite, et qu’il faut bien tenter de suivre… D’autres commencent à s’indigner bruyamment de choses qui jusqu’ici les laissaient indifférents — et il n’y a pas plus drôle que ce spectacle des néo-rebelles tout occupés à faire oublier leurs propos, ou leur absence de propos d’hier.

    Comme toujours plus grotesque que la moyenne, le Cercle des économistes négocie comme il peut son virage sur l’aile pour ne pas sombrer dans le ridicule et avec le monde qu’il a toujours défendu. Avec un parfait sérieux, il publie maintenant des ouvrages intitulés « Le monde a-t-il encore besoin de la finance ? », ou bien « La fin de la dictature des marchés ? », ce dernier, je vous le donne en mille, sous la direction hilarante de David Thesmar…

    Dans sa lettre 30 à Oldenburg, Spinoza écrit ceci : « si ce personnage fameux qui riait de tout vivait en ce siècle, il mourrait de rire assurément ». On voudrait vraiment que le rire ne soit pas la toute dernière chose qu’il nous reste face à ces gens sans principe, ces opportunistes, et ces demi-retourneurs de veste qui sont le fléau de la pensée critique — dont c’est normalement la fonction de penser contre un air du temps, et d’en assumer le risque de minorité. Mais en parfaits individus libéraux, tous ces gens sont de petites machines procycliques.

    C’est le déséquilibre de nos institutions qui détruit les régulations de la décence et permet que soient à ce point foulées au pied les valeurs intellectuelles les plus élémentaires. On peut donc dire à quelques années d’écart une chose et son contraire, mais sans un mot d’explication, ni le moindre embarras de conscience — et toujours au nom de la science !

    Ce ne sont pas des chartes qui nous délivreront de ça, voilà pourquoi il importe de construire autre chose. Autre chose qui affirme qu’une pensée vouée à la simple ratification de l’ordre établi ne mérite pas le nom de pensée. Autre chose qui élise la vertu contracyclique de la critique comme notre forme de la vertu. Autre chose, en somme, qui, par l’effet de sa force collective institutionnalisée — donc en extériorité — nous attache à cette vertu en nous déterminant à aimer penser autrement.

    Frédéric Lordon (La pompe à phynance, 23 novembre 2012)

    Notes

    [1] Gary Becker est un économiste qui s’est signalé par son projet de théoriser tous les comportements humains à l’aide du modèle économique du choix rationnel. Quand un criminel envisage de passer à l’acte, un fumeur d’arrêter, un individu de se marier, ou de divorcer, etc., il s’agit toujours d’une décision prise sur la base d’un calcul rationnel des profits et des pertes. Evidemment cette brillante entreprise intellectuelle a été, comme il se doit, couronnée d’un prix Nobel…

    [2] Modulo, bien sûr, les variations des rapports de force qui commandent de moins lécher quand l’individu devient moins léchable.

    [3] « Dogmatisme, conflits d’intérêt, la science économique suspectée », Le Monde Economie, 3 avril 2012.

    [4] Dominique Nora, « Les économistes sont-ils des imposteurs ? », Le Nouvel Observateur, 2 avril 2012.

    [5] Eric Le Boucher, « Les économistes, bouc émissaire de la crise », Slate, 23 mars 2012.

    [6] PSE, Paris School of Economics, créée sous Dominique de Villepin pour réaliser un équivalent français de la LSE (London School of Economics) ou du MIT, imités jusqu’au bout, y compris dans les formes du financement, puisque PSE est adossée à une fondation qui lève des capitaux auprès de généreux donateurs privés.

    [7] La même chose à Toulouse (Toulouse School of Economics).

    [8] AFEP, Association française d’économie politique qui s’est créée en 2009, en rupture avec l’officielle AFSE (Association française de science économique), autour du problème des manquements gravissimes au pluralisme intellectuel dans les institutions académiques de la science économique.

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  • Tour d'horizon... (36)

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    Au sommaire cette semaine :

    - sur L'arène nue, Coralie Delaune décrypte avec finesse les voeux secrets de la presse libérale...

    Compétitivité : ils vont nous faire le coup de l'Espagne

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    - sur Infoguerre, Christian Harbulot s'interroge sur les conséquences pour l'Union européenne de sa soumission aux Etats-Unis

    L'Union européenne meurt-elle de sa vassalité avec les Etats-Unis ?

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  • De l'hypnose politique avant abattage rituel...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue Claude Bourrinet, cueilli sur Voxnr et consacré aux manoeuvres du système politico -médiatiques...

     

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    De l'hypnose politique avant abattage rituel

    Sarkozy peut être condamné (ce qui serait étonnant : ils passent tous à travers les gouttes), cela n'a guère d'importance, la jurisprudence politique montre que des responsables ayant eu des démêlés avec la justice, comme Jean-Marce Ayrault, le premier ministre, ou Harlem Désir, pour le parti socialiste, peuvent conduire sans problème un gouvernement ou un parti du système. Il n'est donc pas exclu que l'agité du bocal politicien ne revienne hanter le petit écran pour déloger le flamby qui s'y colle. Les pitreries grotesques des bouffons de l'UMP ne laissent guère de doute sur le triomphe probable de l'américanoïde président, qui s'affichera comme un zorro hollywwodien.

    Ce qui importe, c'est de voir comment tous les régimes de gauche, en Grèce, en Italie notamment, et en France maintenant, justifient le régime libéral tout en préparant (ou en ayant préparé, pour les deux premiers pays) le retour de la droite "décomplexée. Papandréou, et Zapaterro ont imposé à leurs pays, comme cela commençait à être le cas en Italie avant le prise de pouvoir du technocrate de Goldman Sachs Monti, soutenu par 556 voix (droite et gauche confondues) contre 61, des mesures qui ne ressemblaient en rien à une politique de gauche, au contraire. Convaincus du bien-fondé du Nouvel Ordre mondial, ou emportés par le maelström d'une crise qui bouscule en détruisant, qui incite en désespérant, qui impose ses solutions en ayant assujetti les peuples à sa logique délétère, ils ont commencé à rogner, à démanteler l'édifice social qu'une Europe, probablement naïve, croyait avoir érigé pour toujours, confiante qu'elle était dans la pérennité d'une civilisation de progrès.


    En quoi elle se trompait : la dure réalité de la puissance, de la domination sans fard revient, sans trop prendre la peine d'ajuster un masque qui ne sert plus à grand chose. Les conditions sont mûres pour qu'une oligarchie cynique et avide prenne le pouvoir dans l'aire de domination des Etats-Unis. En attendant pire...

    Avec la complicité des médias, les mesures libérales les plus radicales semblent désormais "souhaitables" pour sortir d'une crise déclenchée sciemment, une révolution ultra-capitaliste, où tous les acquis sociaux et républicains vont voler en éclat. En quelques années, la France va chuter au niveau des pays du Maghreb. Des voix se font entendre pour demander un ajustement sur les salaires espagnols, que le gouvernement Rajoy écrase, et qui sont ravalés eux-mêmes au niveau de ceux du Maroc, qui, eux-mêmes... L'arrivée de Sarkozy dans un ou deux ans est programmée (Copé a été trop mal « élu », et Fillion est discrédité). Attendons-nous à un gros coup de matraque sur la nuque. 

    Le pire, c'est que, comme d'habitude, le peuple, croyant bien faire, risque en masse de voter, comme en Espagne, ou, dans une moindre mesure en Grèce, pour ses bourreaux de droite, par dégoût de la gauche. La presse meanstream, les « spécialistes », l'enfumage propagandiste préparent les cœurs et les esprits.

    Quitte à manifester, un peu plus tard, avec la gueule de bois, par millions, pour se recevoir des coups.

    Mais ce sera trop tard.

    Claude Bourrinet (Voxnr, 19 novembre 2012)

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