Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

lénine - Page 4

  • Terrorisme : un concept piégé ?...

    Les éditions èRe viennent de publier Terrorisme - un concept piégé, un essai du philosophe critique Frédéric Neyrat, qui était déjà l'auteur de Biopolitique des catastrophes (MF éditions, 2008).

    Il convient de signaler que les éditions èRe ont publié en 2007 La guerre civile mondiale, un recueil d'articles de Carl Schmitt.

     

    Terrorisme concept piégé.jpg

     

    "Le terrorisme est un concept piégé. Pour le déminer, il faut le saisir comme un acte à prétention souveraine dans un monde globalisé. Les actes « terroristes » révèlent d’abord ce que nous sommes : des sociétés soumises à l’illimitation des pouvoirs souverains de la destruction comme à la prolifération globale des risques qui pèsent sur l’avenir des formes de vie. Mais ils révèlent aussi nos fantasmes, car la fabrique du terrorisme est inséparable de celle d’une sécurisation des existences. Cet essai pose dès lors deux questions : 1. quels vrais dangers nous menacent ? 2. jusqu’où désirons-nous être libres ? Pour y répondre, il faut en passer par l’histoire supposée du terrorisme. En examinant les théories de Chaliand, Baudrillard, Lénine, Schmitt ou Appadurai, Frédéric Neyrat explore les multiples sens que recouvre le terme de terrorisme, ses justifications théoriques comme ses composantes fictionnelles. C’est aussi le moyen pour le philosophe de revisiter certaines figures majeures de l’anarchisme, de la gauche extrême ou de l’activisme insurrectionnel qui, d’Action Directe aux islamistes en passant par la Fraction Armée Rouge et Unabomber, ne peuvent nullement se rabattre sur le portrait-robot du terroriste. Un portrait-robot qui est au cœur des stratégies étatiques actuelles : l’installation d’une police préventive."

     

    Sommaire :

    1. APPROCHES DU TERRORISME
    Menace et crédibilité
    Sécurité et liberté
    2. OPERATIONS DE DEMINAGE
    Constellation signifiante
    Cadre de pensée, piège conceptuel
    Acte, intention et devenir
    « Nombreux sont les Terribles… »
    3. L’ACTE ET L’HISTOIRE
    L’acte et la technique
    Chaliand : le terrorisme comme technique transhistorique
    Baudrillard : le terrorisme comme acte symbolique
    Le terrorisme à l’ère globale
    Théorème de Mr Smith
    4. L’ENIGME ET LA FICTION
    Une triple scène
    Sean : il était une fois
    Fraction Armée Rouge : une zone de souveraineté limitée
    Theodore Kaczynski : de la bombe à l’oreille
    Nihilistes et mécréants
    Anarchismes et destructions
    Avatars du mobile explosif
    La fiction qui vient
    5. ILLIMITE
    5.1 L’ABIME DE LA SOUVERAINETE
    « Lancer la foudre »
    Demande de Terreur
    La justice, la vengeance et la guerre
    De la souveraineté
    Terreur et terrorisme selon Thermidor
    5.2 LENINE : LE TERRORISTE, LE PARTISAN ET LE DICTATEUR
    Le terrorisme, en attendant…
    Terreur de masse, épuration et dictature
    « Dictature souveraine »
    Réaction léniniste : le double héritage de 1789
    5.3 CARL SCHMITT : LE PARTISAN MOTORISE A TRAVERS LE MONDE
    Amis et ennemis
    Le partisan contre l’État
    L’époque de l’illimitation
    Partisan, révolutionnaire et terroriste
    5.4 RADICALITES ISLAMIQUES
    Discours de Base
    Coups de force
    Séparation des pouvoirs : jihad et fitna
    « Post-islamisme » et globalisation
    Politique du partisan islamiste globalisé
    Emballement
    5.5 A L’OMBRE DES MINORITES SEDITIEUSES
    Des majorités incomplètes…
    … aux minorités effrayantes
    Phobie de l’échange
    Brouillage terroriste
    Civilisation des chocs
    Exophobies
    5.6 POLICE SOUVERAINE
    Police préventive
    L’Intention sans les Actes
    Surréaction
    Souveraineté exsangue
    Chronopolitique du désastre
    6. DERNIERES EXTREMITES
    Action Directe
    Errance de la souveraineté
    Banalité de la Terreur
    Sabotage des formes de vie
    Autre-de-l’acte et laisser-être
    Civilisation post-terroriste et liberté

    Lien permanent Catégories : Livres 0 commentaire Pin it!
  • Autopsie d'un meurtre de masse...

    Les éditions du Seuil viennent de rééditer, dans la collection de poche Point histoire, L'ivrogne et la marchande de fleurs - Autopsie d'un meurtre de masse, un ouvrage de Nicolas Werth consacré aux grandes purges de 1937-1938 en Union soviétique. Nicolas Werth est un des co-auteurs du Livre noir du communisme (Robert Lafont, 1997) et a, notamment, écrit une étude sur le stalinisme intitulée La terreur et le désarroi (Perrin, 2007).

     

    Autopsie d'un meurtre de masse.jpg

    "Eté 1937 : les grandes purges de l’armée et des dirigeants politiques initiées par Staline battent leur plein en Union soviétique. Mais ces exécutions bien connues masquent en fait un événement bien plus considérable, que Staline a programmé dans le plus grand secret. Le 30 juillet 1937 s’ouvre une vague de terreur sans précédent qui fait 750 000 victimes en moins d’un an : ex-koulaks, nobles, prêtres, asociaux, étrangers, jusqu’aux « enfants de moins d’1 an socialement dangereux »… sont fusillés comme « ennemis du peuple ». Bientôt, la machine s’emballe et les exécuteurs zélés partent à la chasse aux victimes pour augmenter leurs chiffres. Nul n’y échappe, pas plus un simple ivrogne accusé d’avoir cassé une bouteille qu’une marchande de fleurs condamnée pour haute trahison. Tout en analysant les causes de cet incroyable meurtre de masse, véritable crime administratif, Werth brosse les portraits dramatiques des acteurs de la persécution et de leurs victimes anonymes. Et met au jour les rouages d’une répression de masse conçue avec l’implacable rigueur d’une entreprise d’ingénierie sociale."

    Lien permanent Catégories : Livres 0 commentaire Pin it!
  • Un dialogue entre Ernst Nolte et Dominique Venner...

    A l'occasion de la sortie dans la collection de poche Tempus de l'ouvrage d'Ernst Nolte, La guerre civile européenne, nous reproduisons ci-dessous un dialogue entre l'auteur et Dominique Venner, que la revue Eléments (n°98, mai 2000) avait publié à l'occasion de la première parution de ce livre en traduction française aux éditions des Syrtes.

     

     

    Nolte Venner.jpg

     

     

    Ernst Nolte et Dominique Venner, une rencontre...

    Dominique Venner : La « querelle des historiens » remonte à 1986, au 6 juin 1986 pour être précis, date à laquelle est publié en Allemagne votre article « Un passé qui ne veut pas passer ». Un an plus tard paraît La guerre civile européenne 1917-1945, que viennent de traduire en français les éditions des Syrtes. Vous y soulignez que le national-socialisme et le bolchevisme ne peuvent se comprendre que l'un par rapport à l'autre. Pour être plus précis, le « nœud causal » entre les deux idéologies réside dans l'émergence du national-socialisme comme réponse ou réaction au bolchevisme, à la menace de mort qu'il faisait planer sur la civilisation européenne. Comment expliquez-vous que cet article et ce livre aient suscité en Allemagne un tel scandale intellectuel?

    Ernst Nolte: Le « scandale » réside dans le fait que j'ai pris au sérieux l'auto-interprétation que les nationaux-socialistes donnaient de leur engagement à savoir la lutte contre le communisme, avec les mêmes moyens que le communisme. Cette motivation est évidente dans la guerre germano-soviétique (1941-45), et on en trouve un exemple célèbre dans le discours de Himmler à Posen. Le chef de la SS raconte comment un commissaire de l'Armée rouge, voyant revenir un régiment défait au combat, convoque ses officiers et en exécute quelques-uns froidement. Loin de s'en offusquer, Himmler appelle ses troupes à une résolution plus dure et plus violente encore.

    Mais le nœud causal s'est établi bien avant la guerre. Contrairement à beaucoup de mes collègues qui s'intéressaient au national-socialisme dans sa course au pouvoir des années trente, je me suis longuement penché sur les premières années de formation et d'expression idéologiques d'Adolf Hitler, au lendemain de la Première Guerre mondiale. C'est à ce moment que le futur Chancelier du IIIe Reich cristallise sa doctrine. Il subit l'influence des auteurs comme Eckart, Scheubner-Richter, Rosenberg, et développe un anti-bolchevisme qui sera constitutif du national-socialisme comme parti de contre-dictature, de la contre-guerre civile. L'antisémitisme donnera ensuite à son discours une cohérence idéologique à vocation universelle et une efficacité passionnelle propres, selon Hitler, à lutter contre le marxisme sur son terrain.

    Là réside donc le « scandale » : dans l'Allemagne de 1986-87, il était inimaginable d'établir une connexion ne fût-ce qu'indirecte entre le Goulag et Auschwitz.  

    D.V. : De votre part, il s'agissait d'une interprétation nouvelle par rapport à vos précédents travaux... 

     

    E.N. : Pas vraiment. Dans Le fascisme dans son époque, je considérais déjà le fascisme comme un antimarxisme fondamental, quelles que soient les distinctions que l'on peut faire ensuite entre fascisme-mouvement et fascisme-régime, fascisme normal et fascisme radical. Plus précisément, je définissais le fascisme comme un antimarxisme qui vise à anéantir son ennemi en développant une idéologie radicalement opposée à la sienne (encore qu'elle en soit proche) et en appli­quant des méthodes presque identiques aux siennes, non sans les avoir transformées à sa manière, et cela dans le cadre inébranlable de l'auto-affirmation et de l'autonomie nationales.

    D.V.: Sur ce point, l'utilisation indistincte du terme « fascisme » pour désigner les idéologies mussolinienne et hitlérienne risque d'introduire une certaine confusion. Le fascisme historique, authentique, né en Italie, présente des caractéristiques spécifiques très éloignées du nazisme. A mon sens, l'une des grandes différences avec le national-socialisme, et surtout avec la vision hitlérienne du monde, réside dans le fait que cette dernière se réclame d'une interprétation scientifique - ou prétendue telle - de l'histoire. Le darwinisme et le racisme biologique sont absents du fascisme italien. En revanche, dans Mein Kampf et dans les Libres propos, Hitler prétend à une justification scientifique de ses idées. Or, ce désir de scientificité du national-socialisme est aussi un trait de l'idéologie marxiste, qui se présente comme une « science », une compréhension rationnelle des lois déterminant la structure des sociétés et les mouvements de l'histoire. Je serai donc tenté de fonder sur ce point précis une parenté du national-socialisme et du bolchevisme, parenté qui exclut le fascisme italien.

    E.N.: Vous avez raison. Mais en plus du biologisme darwinien rôle de l'antisémitisme. Celui-ci permet à la doctrine hitlérienne de développer une philosophie de l'histoire proche quoiqu'opposée au marxisme. L'annihilation d'un peuple mondial voulue par Hitler est une réponse à la destruction d'une classe mondiale froidement envisagée par les bolcheviks. L'antisémitisme donnait à l'idéologie nationale-socialiste une dimension globale, universelle et, à sa manière, « rédemptrice ». A ce titre, l'antisémitisme est une nécessité intérieure du nazisme, que Mussolini et les doctrinaires du fascisme n'ont jamais développée.

    D.V.: On peut se demander si la prétention scientifique commune au national-socialisme et au bolchevisme n'est pas un des ressorts essentiels de ce que l'on a appelé le « totalitarisme ». Ce siècle a certes connu des abominations qui ne relevèrent ni du communisme ni du nazisme. Mais, en dehors des marxistes et des nationaux-socialistes, personne ne cherchait à justifier ses crimes par des arguments scientifiques. On invoquait plutôt les nécessités inhérentes à certaines situations. Or, voici deux mouvements idéologiques qui n'entendent pas se soumettre à la contingence historique, mais veulent la conformer à la vision rationnelle-scientifique qu'ils s'en font, qui justifie à leurs yeux tous les moyens. Ne tient-on pas là une clef fondamentale du totalitarisme?

    E.N.: Dans Mein Kampf, Hitler ne souhaite pas seulement opposer à l'idéologie de l'ennemi une idéologie « de même force », mais « de plus grande vérité ». Sur ce point, et au-delà du caractère scientifique dont nous parIons, il convient à mon sens de reconnaître que la philosophie de l'histoire du marxisme est authentique, alors que celle du national-socialisme est artificielle. Par authentique, je veux dire que le marxisme se fonde sur une idée très ancienne, sur un fond réel des aspi­rations humaines - la société sans classes, l'égalité entre tous, l'histoire sans conflit, la réconciliation de l'humanité, etc. Or, chez Hitler, on ne trouve pas une telle assise universelle. En ce sens, j'ai parlé de « copie pervertie »: le communisme est antérieur en tant que construction idéologique, mais aussi plus originel en tant que fond philosophique. Hitler ne peut être comparé ni à Marx ni à Staline, mais bien à Lénine.

    D.V.: Dans votre livre, vous soulignez combien la Première Guerre mondiale introduit une nouvelle barbarie dans la conduite des opérations militaires. Celle-ci n'est une invention ni du marxisme, ni du national-socialisme. Vous citez très justement la stratégie anglo-saxonne du blocus, qui était destinée à affamer le peuple allemand. jusqu'alors, la guerre ne concernait peu ou prou que les soldats: désormais, la population civile devenait une cible légitime. je pense, pour ma part, que dans leur extrémisme, le bolchevisme et le nazisme sont les produits de la Première Guerre mondiale et de son déchaînement illimité de violence.

    E.N.: Il me semble que ces barbaries, accomplies par des nations qui étaient considérées comme des « États de haute culture », auraient pu être « digérées » par ces mêmes États s'ils étaient parvenus à établir une paix juste et à s'intégrer dans la Société des nations. Mais la révolution de 1917 et l'instauration du communisme en Russie, qui s'inscrivaient à leur manière dans ces tendances à la déshumanisation manifestées par la cruauté des combats entre 1914 et 1918, ont entièrement changé la donne dans l'entre-deux guerres. D'où la responsabilité que j'attribue au bolchevisme dans le déclen­chement de la guerre civile européenne.

    D.V.: Le noyau initial du bolchevisme et surtout du national-socialisme était composé d'hommes qui avaient combattu sur le front en 14-18. Leur vision des choses avait été transformée par l'expérience de la guerre et, pour certains d'entre eux, de la défaite. Vous le soulignez dans votre livre: Hitler plus que d'autres a vécu comme une douleur et une humiliation terribles l'effondrement de l'armée impériale. On peut se demander si sa vision hyperconflictuelle de la vie politique ne doit pas beaucoup au sentiment de répulsion éprouvé face à cet effondrement. jusqu'à la fin, il aura la volonté d'être plus dur encore que tous ses adversaires, pour que l'Allemagne ne connaisse jamais une honte comparable à celle de 1918.

    E.N.: Les anciens officiers étaient en effet nombreux dans les rangs de la NSDAP - ce que Trotski, ayant lui-même contribué au massacre ou à l'enrôlement forcé des officiers russes, avait oublié lorsqu'il prévoyait l'écrasement probable des « petits-bourgeois » nationaux-socialistes par les communistes. Toutefois, si Hitler n'avait été, comme Rühm, qu'un ancien soldat perdu dans la vie civile, il n'aurait pas connu son destin. Au-delà de l'amertume propre aux sentiments nationalistes de l'époque, Hitler entendait devenir le soldat d'une idéologie et il dut pour cela prendre des leçons auprès de l'idéologie adverse. Certains soldats revenus du front ne peuvent s'accoutumer à la paix. Dans le cas du bolchevisme et du national-socialisme, la vraie question ne résidait pas dans une distinction entre temps de paix et temps de guerre: ces deux doctrines voulaient avant tout purifier le monde. Cette tension vers l'anéantissement de l'adversaire, constitutive de la guerre civile, existait dans un camp comme dans l'autre. J'en cite de nombreux exemples dans mon livre. Ainsi l'intellectuel de gauche Kurt Tucholsky écrit-il l'été 1927 dans ses Oanische Felder: « Que le gaz s'infiltre dans les pièces où jouent vos enfants! Qu' i Is s'affaissent lentement, les poupons. A la femme du conseiller ecclésiastique et du rédacteur en chef, à la mère du sculpteur et à la sœur du banquier, à toutes je souhaite une mort cruelle et pleine de tourments ». Même replacé dans le contexte des exactions brutales des corps-francs, ce genre d'exercices imaginatifs donne une idée de la violence de l'époque.

    D.V.: Votre thèse est que l'histoire euro­péenne, entre 1917 et 1945, est dominée par une guerre civile entre bolchevisme et anti­bolchevisme. Or, le monde anglo-saxon est lui aussi porteur d'une certaine vision du monde, une vision très différente de celles qui se développent sur le continent euro­péen. Vous montrez bien dans votre essai que Roosevelt voulait la guerre. Mais du point de vue qui était le sien, il ne s'agissait pas seulement d'écraser le national-socialisme, mais également d'éliminer une puissance capable d'unifier l'Europe sous sa direction. Cette intervention d'un troisième acteur dans la guerre civile européenne a modifié, non seulement les rapports de force, mais aussi les perspectives idéologiques. je pense ici à la manière dont Oswald Spengler, dès 1920, opposait le monde anglais et le monde prussien, en montrant qu'ils correspondaient à deux modes d'existence collective et à deux visions de l'avenir radicalement contraires. Spengler parle très peu du bolchevisme: à ses yeux, le grand antagonisme oppose le monde organique européen (symboliquement, la Prusse) et le monde mercantile anglo-saxon (symboliquement, l'Angleterre). Ne peut-on dire que 1945, de ce point de vue là, fut aussi une victoire contre l'Europe?

    E.N.: Mais aussi, d'un autre point de vue, une victoire pour l'Europe, si l'on considère le système « libéral » comme un système originairement européen. Par système libéral, j'entends le régime politique fondé sur la séparation et la balance des pouvoirs, et au-delà, sur la pluralité d'expression des réalités sociales. Un tel système, très imparfaitement maintenu aux États-Unis, n'existait plus en Europe sous la férule nationale-socialiste ou bolchevique. En ce sens, la victoire des États-Unis a permis la survie d'une forme d'organisation de la vie politique que je crois européenne dans son essence. Au fur et à mesure de son évolution, Hitler se pensait de plus en plus comme un ennemi de l'Europe existante - l'Europe des classes dirigeantes, l'Europe chrétienne, etc. Comme les bolcheviks, Hitler voulait faire table rase sur le Vieux Continent, mais dans le sens d'un mode de vie archaïque, fondée sur la vertu militaire. Bolcheviks et nationaux-socialistes combattaient chacun à leur manière contre l'histoire, l'un vers une post-histoire « radieuse », l'autre vers un retour aux commencements, avant cette décadence que les nazis voyaient par­tout à l' œuvre dans les siècles récents de l'Europe.

    D.V.: De la « querelle des historiens » à l' « affaire Sioterdijk », en passant par les prises de position très discutées d'auteurs comme Günter Maschke, Botho Strauss, Heimo Schwilk, Rainer Zitelmann, Martin Walser, on a le sentiment d'un réveil du débat outre-Rhin. Ce qui ne va pas sans inquiéter certains esprits, à commencer par celui que l'on a présenté comme le philosophe officiel de l'ancienne République de Bonn, Jürgen Habermas. Qu'en est-il?

    E.N.: Voici quelques jours, j'ai tenu une conférence à Turin sur l'éthique de la discussion, concept forgé par Habermas. A mon sens, si l'on considère cette éthique de la discussion dans la totalité de ses conséquences, elle aboutit au spectre terrifiant d'une huma- nité clonée. Car ce que Habermas recherche comme finalité de la discussion rationnelle, c'est le consensus général. Or, celui-ci n'est possible qu'au prix de l'éradication des différences entre les hommes. Dans sa polémique avec le philosophe de Francfort, Sioterdijk l'a qualifié de « jacobin » dans la mesure où il se veut une sorte de pape séculaire régentant tous les termes le débat.

    Je ne sais si tous les exemples que vous citez sont réellement représentatifs d'un renouveau du débat proprement dit. Il s'agit plus de « scandales » lancés par des médias qui recherchent des événements susceptibles de capter sur une courte durée l'attention du grand public. La querelle des historiens, par exemple, n'a pas été continuée et la publication de ma correspondance avec François Furet ne l'a pas réveillée. De même, la traduction récente du Livre noir du communisme s'est surtout soldée par des polémiques lancées par d'anciens gauchistes contre Stéphane Courtois.

    D.V.: Les querelles idéologiques sont la version froide de la guerre civile. Elles ne prêtent pas au débat, sauf en de brèves occasions, entre dissidents rendus à la liberté par leur dissidence. Mais, d'une façon générale, cela se fait en dehors des grands moyens d'expression qui sont sous contrôle de la pensée unique.

    E.N.: Depuis la fin de la guerre froide, le libéralisme - à ne pas confondre avec le système libéral d'équilibre des pouvoirs dont nous parlions - tend en effet à devenir la pensée unique de l'Occident. Ce n'est pas un totalitarisme au sens classique du terme, car cette notion est liée à la violence physique à l'encontre des personnes. Mais il s'agit bien d'une espèce de totalitarisme doux ou mou, d'une forme inconnue jusqu'à ce jour. Le « politiquement correct » se traduit ainsi par un spectre très restreint d'opinions acceptables dans le débat public.

    D.V.: Ce blocage du débat est patent en ce qui concerne la mémoire du national-socialisme et celle du communisme: la comparaison dépassionnée des deux totalitarismes n'est toujours pas à l'ordre du jour ...

    E.N.: Oui, et il y a beaucoup de causes à cela. En France, par exemple, j'ai le sentiment que les communistes dans leur immense majorité ont été des hommes de gauche avant tout préoccupés de questions sociales françaises: la Russie paraît donc lointaine, et la réalité du communisme russe plus lointaine encore. Par ailleurs, la France ne pourrait pas se quaifier de « victorieuse » sans reconnaître son alliance avec Staline: elle a donc une obligation de gratitude envers la Russie communiste - ce dont témoigne encore votre station de métro Stalingrad!

    Au-delà de ces raisons, qui relèvent du passé singulier de chaque nation, la différence de traitement entre national-socialisme et bolchevisme tient aussi à la profonde affinité des doctrines universalistes. Le national-socialisme fut un particularisme, un racisme au sens réel du terme - et non au sens impropre des polémiques médiatiques qui, à travers un supposé « racisme », condamnent toutes les formes de l'instinct de conservation. Les nationaux-socialistes furent, pour beaucoup, des racistes authentiques: ils croyaient à la hiérarchie des races, ils possédaient une vision supranationale d'un destin racial commun, etc. Cette vision particulariste de l'histoire reste étrangère aux autres doctrines de la modernité, qui peuvent au moins se trouver un fond commun sur la question de l'universalisme.

    D.V.: Curieux universalisme que celui du communisme, qui impliquait la liquidation de la moitié non prolétarienne de l'humanité! Quant au racisme hitlérien, on peut se demander s'il ne comportait pas beaucoup plus d'universalisme qu'on ne l'a dit. On ne saurait oublier son opposition doctrinale et politique au différentialisme culturel, ethnique ou national. Mais pour conclure provisoirement ce débat, je voudrais attirer de nouveau l'attention sur une conséquence majeure de la Deuxième Guerre mondiale. Celle-ci ne s'est pas seulement terminée par la défaite du nazisme, ce dont on se réjouirait, mais aussi par la victoire écrasante de l'Union soviétique et des États-Unis, deux puissances hostiles à l'Europe et à ses valeurs de civilisation. Avec le recul du temps, on voit bien que, malgré les efforts ultérieurs du général de Gaulle, cette guerre fut une catastrophe pour l'Europe et les Européens.

    Propos recueillis par Charles Champetier (Eléments n°98, mai 2000)

    Lien permanent Catégories : Entretiens, Textes 0 commentaire Pin it!
  • La guerre civile européenne : 1917 - 1945

    Les éditions Perrin viennent de publier dans leur collection de poche Tempus, La guerre civile européenne - National-socialisme et bolchevisme 1917 - 1945 du philosophe et historien allemand Ernst Nolte. Il s'agit d'un ouvrage essentiel pour comprendre le vingtième siècle et dont la parution a provoqué en Allemagne un séisme équivalent à celui sucité en France, quelques années plus tard, par Le passé d'une illusion de François Furet ou par Le livre noir du communisme de Stéphane Courtois.

    Ernst Nolte.jpg

    "À sa sortie en Allemagne en 1987, ce livre a eu l’effet d’une bombe idéologique : le nazisme, explique Nolte, doit avant tout être replacé dans le contexte d’une « guerre civile » inaugurée par Lénine en 1917, provoquant un séisme qui faillit emporter l’Europe jusqu’à la défaite d’Hitler en 1945. Par un mimétisme paradoxal, les régimes fasciste et nazi empruntèrent en effet au communisme ses méthodes pour mieux le combattre. Il existerait donc un « nœud causal » entre la révolution bolchevique et la naissance des fascismes. Nolte cherche à comprendre pourquoi la réaction antibolchevique d’Hitler a trouvé dans le mythe de la race l’unique réponse à l’internationalisme soviétique ; pourquoi le juif est devenu, dans la mythologie nazie, l’« auteur perfide » de l’État communiste ? L’hypothèse centrale de Nolte a eu l’assentiment de l’historien François Furet, auteur d’une magistrale synthèse sur l’histoire du communisme, Le Passé d’une illusion, et qui a entretenu avec lui une passionnante correspondance : « Issus du même événement, écrit Furet, la Première Guerre mondiale, les deux grands mouvements idéologiques de l’époque se définissent largement l’un par rapport à l’autre… la relation dialectique entre communisme et fascisme est au centre des tragédies du siècle. » La Guerre civile européenne a fait l’objet d’un très vaste débat en Allemagne, la « querelle des historiens », qui s’est largement poursuivie en France lors de sa traduction. Toutefois, aucun des adversaires de Nolte n’a jamais nié son extraordinaire compétence ni la rigueur de son travail historique."

    Lien permanent Catégories : Livres 0 commentaire Pin it!
  • Le flinguage des anars...

    Nous publions ici la recension par Alain de Benoist dans la revue Eléments de Quand Marx, Engels, Lénine "flinguaient" les anarchistes, un opuscule de Justhom publié aux éditions du Monde libertaire.

    Justhom.jpg
     

    Le flinguage des anars

    Les communistes n'ont jamais aimé les anarchistes, qu'ils ont accusés régulièrement de tous les maux. Marx tonnait déjà contre Proudhon et ses « phrases creuses », tandis qu'Engels bataillait contre Bakounine (dont la théorie disait-i1est un « mélange de communisme et de proudhonisme»). L'anarchie, assuraient-ils l'un et l'autre dans un texte rédigé en 1873, c'est la «pan-destruction universelle ». Lénine, plus méthodique, reprochait aux anarchistes leur « individualisme bourgeois à l'envers » et leur incompréhension de la lutte des classes et des « causes de l'exploitation ». «Les marxistes, expliquait-il en 1917, tout en se proposant de supprimer complètement l'État, ne croient la chose réalisable qu'après la surpression des classes par la révolution socialiste », tandis que les anarchistes «veulent la suppression complète de l'État du jour au" lendemain, sans comprendre les conditions qui la rendent possible». Ces derniers auront beau jeu, par la suite, de constater que la révolution bolchevique n'a jamais fait qu'instaurer un « capitalisme d'État ». C'est aussi ce que fait l'auteur de cette anthologie, ancien militant communiste converti aux idées libertaires. On n'a pas de peine à partager son avis, tout en se disant quand même que toutes les critiques de Marx ou de Lénine n'étaient pas infondées. L'anarchisme a souvent manqué du plus élémentaire réalisme, que ce soit au sujet de la nature humaine ou des limites sociales du possible. Ce qui n'enlève rien à la pertinence de certains propos de Stirner, Bakounine ou Proudhon.

     

    Alain de Benoist (Eléments n°135, avril-juin 2010)

    Justhom, Quand Marx, Engels, Lénine « flinguaient » les anarchistes, Éditions du Monde (145 rue Amelot, 75011Paris) 100p. 6€.

    Lien permanent Catégories : Livres 0 commentaire Pin it!