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Le spectre de l'article 16...

Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Georges Feltin-Tracol, cueilli sur Euro-Synergies et consacré à l'arme de l'article 16 de la Constitution, que Macron peut utiliser pour dénouer à son profit la crise politique qu'il a provoqué...

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Le spectre de l'article 16

Les 19 juin et 2 juillet derniers, en pleine campagne électorale législative anticipée, Le Journal du Dimanche (JDD) envisageait la possibilité qu’Emmanuel Macron appliquât l’article 16 de la Constitution. Cet article confère au chef de l’État des pouvoirs exceptionnels qui ne sont pas explicités.

Il n’a pour l’heure servi qu’une seule fois. Le 23 avril 1961, au moment du putsch d’Alger, le général de Gaulle déclenchait cette option qu’il maintînt en vigueur jusqu’au 30 septembre 1961. À cette occasion, un décret présidentiel étendit la garde à vue à quinze jours ainsi que les conditions d’internement administratif à l’égard de tous les partisans, armés ou non, de l’Algérie française. Il prolongea en outre la compétence du haut tribunal militaire.

À la sortie de cette information, le camp macroniste et l’Élysée ont aussitôt hurlé à la fausse nouvelle et à la désinformation. Deux activités consubstantielles selon eux de la part de l’hebdomadaire dominical désormais aux mains de Vincent Bolloré. Le complotisme dominerait sa rédaction ! En réalité, le complotiste anticipe ce qui va globalement se passer.

Cette éventualité institutionnelle a néanmoins été reprise par d’autres titres de presse tout aussi conspirationnistes. Passons rapidement sur le numéro estival de juillet – août 2024 de L’Incorrect qui interroge un constitutionnaliste chevronné, Frédéric Rouvillois, sur l’imminence ou pas de l’article 16. Le Point du 15 août 2024 l’évoque sans trop commenter. Sur Polémia à la date du 31 août, Michel Geoffroy n’écarte pas ce cas de figure. Mieux encore, un mois auparavant, Le Monde, quotidien bien connu pour tordre les faits, livrait dans son édition du 27 juillet 2024 un excellent entretien avec Alexandre Guigue, professeur en droit public à l’université Savoie – Mont-Blanc, encore sûrement un repaire d’« allumés » délirants…

Malgré la nomination de Michel Barnier à Matignon, le risque de blocage perdure. L’activation de l’article 16 se conçoit avec l’échéance budgétaire prochaine (financement de l’État et de la Sécurité sociale). L’absence de toute majorité claire à l’Assemblée nationale incite les personnes intéressées à lire avec attention la Constitution et la loi organique relative aux lois de finances. Le Parlement est contraint de débattre dans une période limitée: soixante-dix jours pour le budget et cinquante pour la Sécurité sociale. Si ce temps est dépassé, le gouvernement aurait le droit d’utiliser des ordonnances soumises au seul avis du Conseil d’État. Auparavant, l’exécutif pourrait tout aussi recourir au douzième, c’est-à-dire appliquer chaque mois de 2025 l’équivalent budgétaire de 2024 afin de faire fonctionner les services publics.

La mise en pratique de l’article 16 transférerait les prérogatives ministérielles au seul président de la République. En raison du chaos parlementaire et de la menace qui plane d’une mise en tutelle par la Commission de Bruxelles, le président français jugerait alors que « les institutions de la République [...] ou l'exécution de ses engagements internationaux sont menacés d'une manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu ». Après en avoir informé la nation par un message audio-visuel, le chef de l’État signerait un décret d’adoption du budget de l’État et de la Sécurité sociale dans un sens austéritaire. Excessif ? Dans La démondialisation (Le Seuil, 2012), l’économiste souverainiste Jacques Sapir proposait la sortie de l’euro au moyen de l’article 16...

Pendant toute la durée des pouvoirs exceptionnels, l’Assemblée nationale ne peut être dissoute. Le 18 septembre 1961, le président gaulliste de l’Assemblée nationale, Jacques Chaban-Delmas, distinguait la session de plein droit de la session normale. Il estimait que durant la période correspondant à la réunion de plein droit des chambres sous l’article 16, les travaux du Parlement ne pouvant pas avoir d’aboutissement législatif, le gouvernement est privé du droit de poser la question de confiance sur un projet de loi, ce qui signifie que les députés ne peuvent pas déposer de motion de censure.

Par ailleurs, depuis la révision constitutionnelle sarközyste de 2008, « après trente jours d'exercice des pouvoirs exceptionnels, le Conseil constitutionnel peut être saisi par le président de l'Assemblée nationale, le président du Sénat, soixante députés ou soixante sénateurs, aux fins d'examiner si les conditions énoncées au premier alinéa demeurent réunies. Il se prononce dans les délais les plus brefs par un avis public. Il procède de plein droit à cet examen et se prononce dans les mêmes conditions au terme de soixante jours d'exercice des pouvoirs exceptionnels et à tout moment au-delà de cette durée ». Mais ce garde-fou est-il solide ? Pas sûr quand on sait que le Conseil constitutionnel se compose de personnalités macronistes et qu’il a déjà entériné sous l’hystérie covidodinguienne l’ensemble des mesures liberticides.

Fin stratège élevé par le lambertisme trotskyste et le mitterrandisme, Jean-Luc Mélanchon prévoit à court ou moyen terme son utilisation, d’où sa proposition récente de destitution de Macron au moyen de l’article 68 de la Constitution. C’est une mise en garde implicite. Cet article permet difficilement la destitution présidentielle par un parlement constitué en haute-cour et sur un vote des deux tiers difficile à obtenir, mais pas impossible si se construit dans les faits une coalition momentanée entre le Nouveau Front pseudo-populaire et le bloc national RN – UDR (Union des droites pour la République ciottiste).

Outre l’adoption forcée d’un budget de rigueur ultra-libéral, l’article 16 pourrait-il offrir à Emmanuel Macron le pouvoir de modifier la Constitution en contournant le Parlement via l’article 11 ? Pas forcément. Sur une saisie des sénateurs gaullistes à propos de l’inconstitutionnalité du traité de Maastricht,  le 2 septembre 1992, le Conseil constitutionnel interdit à la considération 19 de la décision 92 – 312 l’usage de l’article 16 dans l’engagement d’une révision constitutionnelle en contournant l’article 89. Or l’article 11 n’est pas mentionné et le Conseil constitutionnel, jouet de l’Élysée, pourrait très bien se raviser.

En s’affranchissant de la décision de 1992 dans le cadre de l’article 16, le président de la République soumettrait aux Français au moins un référendum. Si jamais il n’ose pas tordre la Constitution de 1958, il pourrait cependant soumettre aux électeurs le changement du mode de scrutin législatif en privilégiant la proportionnelle à l’échelle départementale ou régionale.

Un universitaire, juriste de formation, Roger Pinto (1910 – 2005), soutenait que le président pouvait user de l’article 16 pour réviser la Constitution par la voie référendaire. Il reconnaissait volontiers que cette procédure engagerait la responsabilité directe du chef de l’État. Le constitutionnaliste faisait valoir à raison que le texte fondamental ne précise pas si l’ordre constitutionnel à rétablir doit être nécessairement le même qu’avant. Ce référendum de révision constitutionnelle porterait sur trois questions posées simultanément (ou pas): le droit de dissoudre dans l’immédiat la législature élue le soir du 7 juillet 2024, l’instauration d’un mandat présidentiel de six ans avec des élections nationales tous les trois ans, voire la suppression immédiate de la limite à deux mandats présidentiels consécutifs dans la perspective d’une nouvelle candidature en 2027 d’Emmanuel Macron si ce dernier n’entend pas démissionner sous peu.

Dans le cadre de l’article 16, le régime pourrait volontiers entraver la campagne des partisans du non qui subiraient en plus un déluge médiatique de propagande favorable au oui. Cependant, en cas de victoire du non à l’une des deux consultations populaires, voire aux deux, le président de la République aurait-il l’audace de démissionner ou bien se maintiendrait-il en fonction jusqu’en 2027 avec la bénédiction de l’OTAN et de la Commission pseudo-européenne ? L’hypothèse semble bien pessimiste, mais avec Emmanuel Macron, il faut s’attendre à tout, y compris au pire.     

Georges Feltin-Tracol (Euro-Synergies, 22 septembre 2024)

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