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Les soldats meurent pour la France, pas pour la République...

Nous reproduisons ci-dessous entretien avec Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire, dans lequel il évoque la décapitation de Samuel Paty et la question du droit au blasphème. Philosophe et essayiste, directeur des revues Nouvelle École et Krisis, Alain de Benoist a récemment publié Le moment populiste (Pierre-Guillaume de Roux, 2017), Ce que penser veut dire (Rocher, 2017), Contre le libéralisme (Rocher, 2019) et La chape de plomb (La Nouvelle Librairie, 2020).

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Alain de Benoist : « Sur les tombes de soldats, il est écrit qu’ils sont morts pour la France, pas pour la République ! »

Nos hommes politiques n’ont plus à la bouche que le mot de «  », allégorie politique et morale invoquée à tout bout de champ : « la République est menacée », « la République ne cédera pas », etc. C’est du psittacisme ou quoi ? Les « valeurs républicaines », ça vous parle ?

Ce n’est pas nouveau, mais en effet, ça s’accélère. Si l’on récite ce mantra, c’est qu’on ne veut pas utiliser un autre mot : la , tout simplement. Et l’on ne veut pas l’utiliser parce que l’on veut suggérer que la France a commencé avec la République, de telle façon qu’il suffirait de parler de la seconde pour s’abstenir de faire allusion à la première. C’est évidemment ridicule : si la France a commencé avec la proclamation des Droits de l’homme, quelle était donc la nationalité de Corneille et de Pascal ? Sur les tombes de soldats, il est écrit qu’ils sont morts pour la France, pas pour la République. Pour m’exprimer, comme l’a dit Charlotte d’Ornellas, je n’utilise pas la langue républicaine mais la langue française !

Après l’abominable décapitation de Samuel Paty, Macron a déclaré que le terroriste « a voulu abattre la République dans ses valeurs ». Castex a renchéri : « Ce professeur a été assassiné à cause de ce qu’il représentait : la République. » C’est tout simplement grotesque. Le tueur islamiste n’a pas voulu tuer un républicain mais un Français « infidèle et blasphémateur ». Les islamistes se foutent complètement de la « République ». Aussi longtemps qu’on ne comprend pas ce que cela veut dire, on n’a rien compris. Ajoutons que Samuel Paty a été décapité le 16 octobre 2020, jour anniversaire de la mort de la reine Marie-Antoinette, décapitée par la République le 16 octobre 1793. Comme vous le voyez, rien n’est simple !

Quant aux « valeurs républicaines », j’attends encore qu’on m’en donne une définition. On laisse entendre, en général, que ce sont des « valeurs universelles », ce qui ne veut rien dire, sinon que ce ne sont pas des valeurs spécifiquement françaises (ou européennes). De façon plus générale, je ne crois pas beaucoup aux « valeurs ». dénonçait, non sans raison, la « tyrannie des valeurs ». Les valeurs, c’est bon pour les traders et les spéculateurs boursiers. Quand on m’interroge dans un débat, je réponds en général que je n’ai aucune valeur, je me contente d’avoir des principes.

Macron affirme que l’école est là pour « fabriquer des citoyens attachés aux valeurs de la République ». C’est encore un mensonge. L’école n’est pas là pour ça, pas plus qu’elle n’est là seulement pour apprendre aux enfants à lire et à compter. Elle est d’abord là pour apprendre aux enfants à aimer leur pays et pour leur apprendre qu’ils sont d’abord des héritiers, appelés à faire fructifier l’héritage qu’ils ont reçu. Dans la déclaration dont on a donné lecture dans toutes les écoles, qui date de 1888, Jaurès disait aux instituteurs : « Vous êtes responsables de la patrie. » Y a-t-il encore, aujourd’hui, des enseignants qui se sentent responsables de la patrie ? J’en doute beaucoup. La « patrie » était un mot qui, dans le passé, suscitait l’enthousiasme et justifiait parfois qu’on veuille donner sa vie. C’est, aujourd’hui, un mot « ringard », qui fait rigoler. Il faut se demander pourquoi.

Revenons sur la décapitation de Samuel Paty. Dans son discours d’hommage de la cour de la Sorbonne, s’est déclaré bien décidé à préserver la liberté d’expression en prenant l’exemple des caricatures de Charlie Hebdo. Même si celles-ci ont motivé le geste de l’assassin, était-ce bien opportun ?

Si l’on tient à parler de la liberté d’expression, disons d’abord qu’il y a beaucoup d’hypocrisie dans cette affaire. Tout le monde sait que la liberté d’expression n’existe plus en France, puisqu’il y a des opinions (bonnes ou détestables, ce n’est pas la question) qui, depuis la loi Pleven de 1972, vous conduisent tout droit devant les tribunaux, quand ce n’est pas en prison. Le délit de blasphème a été supprimé en 1881, mais ses traductions séculières sont toujours là. Je constate aussi que ceux qui parlent le plus volontiers de liberté d’expression sont rarement portés à la défendre quand il s’agit de leurs adversaires. Les mêmes qui proclament hautement la liberté d’expression des caricaturistes de Charlie Hebdo sont les premiers à applaudir aux poursuites contre Zemmour ou Dieudonné. Inversement, ceux qui s’indignent qu’on veuille sanctionner Zemmour appellent à poursuivre ceux qui, sur les réseaux sociaux, font l’apologie du terrorisme. Tout cela, pourtant, relève de la liberté d’expression. Erdoğan a traité Macron de « malade mental », ce qui n’a pas plu à l’intéressé et scandalisé beaucoup de gens. Mais après tout, Erdoğan n’a-t-il pas lui aussi fait usage de sa liberté d’expression ?

Dans son célèbre livre sur L’Enracinement (1949), Simone Weil affirmait que « la liberté d’expression totale, illimitée, pour toute opinion quelle qu’elle soit, sans aucune restriction ni réserve, est un besoin absolu pour l’intelligence ». Avant elle, la très gauchiste Rosa Luxemburg disait que « la liberté, c’est toujours la liberté de celui qui pense autrement ». On en est plus loin que jamais.

Et le « droit au blasphème » ?

Je suis très mal à l’aise avec cette notion. Personnellement, je suis, bien sûr, favorable au droit à blasphème, puisque je défends une liberté d’expression sans limite. Mais qu’il y ait un droit au blasphème ne signifie pas qu’il y ait un devoir de blasphème. S’il y a un droit au blasphème, il y a aussi un droit de ne pas lire ce que l’on préfère ne pas lire, ou de ne pas voir ce qu’on ne veut pas regarder. C’est la raison pour laquelle je pense qu’on peut parfaitement apprendre à des élèves ce qu’est la liberté d’expression sans tout ramener au blasphème, et leur expliquer ce qu’est un blasphème sans leur montrer des caricatures dont on sait par avance qu’elles vont choquer certains d’entre eux. Que Charlie Hebdo soit libre de publier ce qu’il veut est une chose, qu’on soit tenu de reproduire partout ce que publie Charlie Hebdo en est une autre. Imagine-t-on la réaction des catholiques, même acquis au droit au blasphème, s’ils découvraient des caricatures de Jésus en train de se faire sodomiser sur tous les panneaux publicitaires de la ville où ils habitent ? Ils y verraient une pure provocation. N’avaient-ils, d’ailleurs, pas tenté de faire interdire, en 1988, le film de Martin Scorsese, La Dernière Tentation du Christ, tout comme ils avaient obtenu, en 1966, celle du film de Jacques Rivette, La Religieuse, en raison, justement, de sa portée « blasphématoire » ?

En déclarant fièrement, lors de la cérémonie d’hommage à Samuel Paty, que « nous ne renoncerons pas aux caricatures », Emmanuel Macron a donné l’impression, d’une part qu’il les reprenait à son compte (ce qui a entraîné les réactions que l’on sait), d’autre part que le seul vrai critère de la liberté d’expression était la libre faculté d’insulter la religion musulmane, ce qui revenait à oublier qu’il y aura toujours un monde entre ceux pour qui le sacré a un sens et ceux pour qui ce mot n’en a aucun.

Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 12 novembre 2020)

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