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L'erreur de calcul de Matteo Salvini ?...

Nous reproduisons ci-dessous entretien avec Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire, dans lequel il évoque le choix fait par Matteo Salvini de rompre la coalition populiste qui lui permettait d'occuper les fonctions de ministre de l'intérieur. Philosophe et essayiste, directeur des revues Nouvelle École et Krisis, Alain de Benoist a récemment publié Le moment populiste (Pierre-Guillaume de Roux, 2017), Ce que penser veut dire (Rocher, 2017) et Contre le libéralisme (Rocher, 2019).

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Salvini n’est pas doué pour les calculs à long terme !

BOULEVARD VOLTAIRE. Certes, l’alliance conclue par Matteo Salvini avec les populistes du Mouvement 5 étoiles connaissait des difficultés, mais le leader de la Lega a préféré, cet été, provoquer la fin de la coalition en espérant des législatives anticipées qu’il était convaincu de remporter. Résultat : il se retrouve, aujourd’hui, dans l’opposition, tandis que le M5S s’est allié au Parti démocrate pour former un nouveau gouvernement. Le pari n’était-il pas un peu hasardeux ?

ALAIN DE BENOIST : En dynamitant une coalition gouvernementale dont il était le principal bénéficiaire, Salvini a commis une erreur magistrale. Alors que sa cote de popularité ne cessait de grimper, en raison notamment de sa politique anti-immigration, il a brutalement renversé lui-même le fauteuil sur lequel il était parvenu à s’installer. Plus grave, en mettant fin à son accord avec le M5S, il a détruit un système d’alliance populiste (le gouvernement gialloverde [jaune-vert]) qui avait bouleversé toute la géographie politique italienne et que beaucoup, en Europe, regardaient comme un modèle. Du même coup, il a redonné vie à un clivage droite-gauche équivalant à un retour en arrière, avec une Lega qui va renforcer ses tendances libérales et réactionnaires en se rapprochant de Berlusconi et des groupes « postfascistes », et un M5S obligé de s’allier au PD, qu’il vouait hier encore aux gémonies. Salvini a aussi fait perdre à la Lega le poste de commissaire européen qui lui avait été attribué avec l’aval de Mattarella, poste qui a été confié à l’ancien Premier ministre démocrate Gentiloni, représentant typique du politiquement correct. Et bien entendu, du fait de la formation d’un nouveau gouvernement, il n’a pas obtenu de législatives anticipées.

La question est de savoir pourquoi il s’est engagé dans cette voie. Contrairement à ce que disent ses adulateurs, Salvini n’est pas doué pour les calculs à long terme. Il a un charisme considérable, mais il est notoirement mauvais comme stratège politique. Il est, en outre, assez mal entouré. Est-ce parce qu’il était drogué aux sondages qu’il s’est ainsi précipité ? C’est possible. Mais il est également significatif qu’il ait pris sa décision au retour d’un voyage aux États-Unis, où de hauts responsables pourraient bien lui avoir fait des promesses trompeuses. Le fait est que, depuis des mois, Salvini ne manifeste plus aucune sympathie pour Vladimir Poutine. Ses héros, désormais, sont Donald Trump, Jair Bolsonaro et surtout Benyamin Netanyahou, dont le portrait trône à la place d’honneur dans son bureau.

BOULEVARD VOLTAIRE. Pour autant, la situation ne peut-elle pas se retourner ?

ALAIN DE BENOIST : Si, bien sûr, ne serait-ce que parce qu’en Italie, les choses vont toujours très vite. La grande manifestation organisée à Rome par Salvini a été un beau succès, grâce à des militants venus de toute l’Italie. Et aux élections régionales qui viennent d’avoir lieu en Ombrie, place forte du centre gauche depuis un demi-siècle, la coalition de droite a approché les 60 % des voix, contre moins de 40 % à ses adversaires. Si, en janvier prochain, Salvini remporte les élections en Émilie-Romagne (ce sera le vote le plus décisif), il a toutes les chances de s’imposer comme le chef de l’opposition.

Quant au M5S, qui s’est effondré en Ombrie et qui, dans l’immédiat, ne peut plus avoir d’autre ambition que celle de jouer un rôle de parti-charnière dans n’importe quelle coalition, il est maintenant menacé de désagrégation : six de ses 103 sénateurs semblent prêts à démissionner, dont Ugo Grassi et Elena Fattori, tandis que plus d’une soixantaine (Gianluigi Paragone, qui pourrait rejoindre la Lega, Nicola Morra, Emanuele Dessì, Danilo Toninelli, Mario Giarrusso, Barbara Lezzi, etc.) contestent plus ou moins ouvertement l’alliance avec le PD et les orientations de Luigi Di Maio. Le PD ne se porte d’ailleurs pas mieux, avec les tensions entre les partisans de Matteo Renzi et ceux de Nicola Zingaretti, frère de l’acteur Luca Zingaretti (qui incarne le commissaire Montalbano dans la série inspirée des célèbres romans d’Andrea Camilleri).

Cela dit, Salvini n’est pas à l’abri des difficultés. Sa « droitisation » va le rendre plus dépendant de ses alliés berlusconiens – qui sont loin de ne lui vouloir que du bien – qu’il ne l’était des amis de Di Maio quand il siégeait au gouvernement. Il peut, d’ores et déjà, s’attendre à des difficultés du côté de Forza Italia, le fan-club de Berlusconi. Même s’il revient au pouvoir, il y a sans doute beaucoup de positions qu’il ne pourra plus prendre. Peut-être réalisera-t-il alors qu’il a raté une occasion historique.

BOULEVARD VOLTAIRE. Tout comme Matteo Salvini, Boris Johnson semble avoir voulu passer en force pour que l’Angleterre quitte l’Union européenne le 31 octobre au plus tard. Il n’en a rien été et, aux dernières nouvelles, le Brexit n’interviendra qu’à la fin janvier… si tout va bien. Et que dire de l’ancien vice-chancelier autrichien Heinz-Christian Strache, tombé comme un débutant dans un piège grossier ! Les populistes seraient-ils condamnés à la maladresse dès lors qu’ils arrivent aux affaires ?

ALAIN DE BENOIST : Les populistes n’ont pas encore l’habitude du pouvoir. Ils pensent, en général, que l’on a gagné quand on arrive au pouvoir, alors que c’est seulement à ce moment-là que les choses sérieuses commencent. Boris Johnson, c’est autre chose. Pour comprendre l’interminable feuilleton du Brexit, il faut d’abord rappeler que le Parlement britannique n’y a jamais été favorable. C’est le peuple qui s’est prononcé, en 2016, pour la rupture avec l’Union européenne. Or, au Royaume-Uni, ce n’est pas le peuple qui est dépositaire de la souveraineté, c’est le Parlement – ce qu’on ignore trop souvent chez nous. Cela explique beaucoup de choses. Mais à plus long terme, l’issue ne fait pas de doute. La Grande-Bretagne dérivera vers le « grand large », conformément à sa vocation insulaire et maritime. À défaut d’avoir pu acheter le Groenland, Donald Trump achètera les Anglais. Reste à savoir comment réagiront les Irlandais et les Écossais.

Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 5 novembre 2019)

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