Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Jacques Billard, cueilli sur Causeur et consacré à la nouvelle argumentation "juridique" développée par les lobbies immigrationnistes de gauche en faveur de l'accord des immigrés clandestins...
Ça vient de sortir: l’accueil obligatoire des « errants »
Après avoir longtemps enseigné que le droit n’était qu’une superstructure au service de la classe dominante pour soumettre les classes exploitées, voilà maintenant que la gauche marxiste ou post-marxiste retourne sa veste et utilise le droit comme arme principale pour contraindre l’adversaire, adversaire qui n’est plus la bourgeoisie, mais l’État.
La nouvelle stratégie consiste donc à réclamer une loi afin qu’en la respectant, l’État devienne l’instrument de sa propre destruction. La France est déjà l’un des pays qui produit le plus de lois, notamment morales, quoiqu’elle soit également le pays où les lois sont le moins respectées. Exemple de loi morale récente (2016) : il faut protéger les prostituées, on n’interdit pas la prostitution. Mais il faut y mettre fin : on interdit l’achat « des services sexuels ». Le résultat, qui était prévisible, est désastreux, comme toujours lorsqu’il s’agit de lois morales. Le Parlement qui vote ces lois sait très bien que beaucoup d’entre elles sont nuisibles, mais il faut les voter pour satisfaire une opinion publique travaillée par les médias.
Protéger les « passeurs d’humanité »
On peut voir un bon exemple de ce mécanisme de préparation de l’opinion publique dans une intervention récente du philosophe Étienne Balibar publiée par Le Monde. Il y réclame, au bénéfice des migrants, renommés « errants », une réglementation internationale calquée sur la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, « obligeant les États » – entendez ceux de l’Union européenne et surtout la France. Obligeant à quoi ? À accueillir les « errants » ? Oui, mais… non. Pas à accueillir, mais à respecter les droits des « errants » à n’être pas refoulés. Saluons ici l’artiste dans sa maîtrise rhétorique et l’on comprend qu’à ce niveau de compétence les universités américaines l’aient déjà coopté !
Ce n’est pas tout. Accueillir les « errants », mais aussi protéger ceux qui les aident et qu’on appelle maintenant les « passeurs d’humanité ». Grandiloquence ! On se demande bien de qui il peut s’agir, surtout dans un discours prononcé dans la vallée de la Roya. Cédric Herrou ?
Ce n’est toujours pas tout, car le droit d’émigrer ne doit pas s’opposer à un autre droit tout aussi essentiel, celui du « droit au retour ». Car la défense des « errants » ne doit pas faire passer au second plan la défense des Palestiniens de Gaza, qui doivent pouvoir rentrer chez eux, en Israël.
Tour de passe-passe
Et puis il faut veiller à rester subtil, faute de quoi on risque de se faire démasquer. D’où la dose d’amphigouri : il s’agit d’un droit « de » l’hospitalité et non d’un droit « à » l’hospitalité, de sorte que l’obligation d’accueillir soit une conséquence de principes humanitaires universellement reconnus, du moins chez nous. On ne demande donc pas directement d’accueillir, ce qui serait rejeté par les populations, mais d’adopter un droit dont les conséquences seraient l’accueil. Puisque vous êtes d’accord pour A et que A entraîne B, alors vous êtes d’accord pour B. Voilà une bonne stratégie, toute syllogistique, pour détruire les démocraties libérales en retournant contre elles les principes sur lesquels elles sont construites.
Nos marxistes continuent donc leur combat non plus par la lutte des classes devenue impossible, mais en utilisant les points faibles de l’État de droit : l’autorité de la loi et le respect des droits de l’homme. Le monde islamiste l’avait déjà bien compris qui exige des démocraties libérales ce qu’elles doivent donner en vertu de ses lois, mais que lui-même doit refuser en vertu des siennes. D’où l’islamo-gauchisme où islamistes et marxistes se retrouvent dans un adversaire commun alors qu’ils sont, idéologiquement, à l’opposé l’un de l’autre.
Droit moral, mode d’emploi
Mais revenons au texte du Monde, exemplaire dans sa manœuvre, par le moyen utilisé. Ce moyen, c’est le droit fondé sur le sentiment moral. Suivons l’argumentation.
- Éveil du sentiment moral par la mise en avant de la souffrance individuelle. Voilà qui appelle une loi. C’est ainsi que la morale se substitue à la politique. Car qui peut accepter la souffrance ? Qui peut refuser de venir la soulager ?
- Un tour de passe-passe concernant l’État. On en fait une entité indépendante, sans lien avec le suffrage universel. Or, justement, ce ne sont pas les États qui renâclent à propos de l’immigration, mais les peuples ! Les États, eux, seraient plutôt favorables à une immigration massive, à la fois pour la maîtrise des salaires et pour apporter une solution aux questions démographiques. Les peuples sont en revanche plutôt réticents à une telle immigration, surtout lorsqu’elle est massivement islamique, apportant d’autres us et coutumes. Mais de cela, pas un mot.
- Pas un mot non plus sur le phénomène lui-même de la migration, ici renommé, subtilement, « errance ». Il y a dans l’humanité, nous explique-t-on, une partie errante. Pourtant, il est facile de se rendre compte que ces personnes n’errent pas du tout. Elles savent d’où elles viennent et où elles veulent aller, jusqu’à refuser d’être débarquées dans un pays qui n’est pas celui qu’elles souhaitent. Et elles ne sont pas des apatrides (problème qu’il fallait résoudre par la Déclaration de 1948).
- Pas un mot non plus sur les États d’origine, lesquels, généralement, refusent de reprendre leurs propres nationaux. Ni non plus sur les guerres qui sévissent dans ces pays. Il nous est simplement commandé de faire les frais des Seigneurs de guerre, massacreurs de populations des pays africains ou du Proche Orient. Ni non plus sur les dommages que cette migration cause à certains pays d’émigration. Ni non plus sur les stratégies migratoires ou fantasmes de conquête par le déferlement migratoire qu’il est pourtant facile de percevoir derrière tous ces mouvements.
- Dernière étape : la culpabilisation des populations des pays d’accueil, auxquelles on va reprocher de ne pas respecter la dignité et la sécurité des « errants »: l’article parle d’ « un droit de l’hospitalité, dont le principe est que les errants (et ceux qui leur portent secours) peuvent obliger l’État ‘souverain’ lui-même, de façon que leur dignité et leur sécurité ne soient pas, comme aujourd’hui, systématiquement foulées aux pieds. »
Je dis ça, je dis rien
On croyait qu’en Europe, tout au moins, cette question ne se posait pas. Dans nos pays, qui sont des États de droit, les migrants sont traités conformément aux lois républicaines et démocratiques. Ils sont défendus par des associations qui ne sont nullement interdites et sont correctement entendus par des juges qui peuvent contraindre l’administration, ce dont, par ailleurs, ils ne se privent pas. En fait, la manœuvre consiste à laisser entendre que la souffrance des migrants est moins le fait des pays traversés, comme la Libye, mais bien de la France ou de l’Italie qui ne font rien pour les en sortir. Nous sommes ainsi coupables des exactions libyennes, aussi est-ce à nous de réparer ces souffrances.
On notera au passage que le mot souverain est entre guillemets, pour laisser entendre que les États sont abusivement souverains. Mais sans vraiment le dire, car c’est une telle contre-vérité qu’il serait alors facile de le voir. Les États sont évidemment souverains, d’une souveraineté qui, chez nous, leur a été déléguée par un vote constitutionnel des peuples. Mais si on le disait, on verrait aussitôt qu’aucune loi supranationale n’a de valeur supérieure à la décision nationale et la manœuvre tournerait court. Or la loi supranationale vise à empêcher l’expression démocratique pour imposer aux peuples des mesures dont ils ne veulent pas. Elle ne sert qu’à cela.
Les experts présidents
Laissons là cette intervention bien relayée par le journal Le Monde pour remarquer que le droit évolue spontanément vers une forme de pouvoir confiée à des experts. Toujours. Le professeur Balibar, premier de la classe, reçu premier à l’agrégation, ne manque pas de saluer au passage un autre expert, Jacques Rancière, reçu second à cette même agrégation. À eux deux, à eux tous, on n’a plus besoin du suffrage universel. Les experts sont là, et veillent à tout pour nous. Voici le Conseil constitutionnel qui tente de donner un sens normatif à la « fraternité ». Voici le Comité des droits de l’homme de l’ONU qui reproche à la France ses décisions dans l’affaire Baby Loup.
Le droit supranational ? C’est la fin de la démocratie puisque les lois les plus importantes n’émanent plus du peuple, mais des experts. C’est aussi la fin de la République, car rien n’est plus dangereux pour les libertés que ces lois morales.
Mais lorsqu’on n’est plus en république (État de droit) à fondement démocratique (suffrage universel), on est en… théocratie – car c’est l’une ou l’autre – et ces experts ne sont guère plus que les grands prêtres inspirés.
Jacques Billard (Causeur, 27 août 2018)