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L’économie numérique mène-t–elle à la catastrophe ?...

Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Guillaume Faye, cueilli sur son blog J'ai tout compris et consacré au risque d'"ubérisation" de l'économie...

 

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L’économie numérique mène-t–elle à la catastrophe ?

Joseph Schumpeter dans sa théorie de la « destruction créatrice » relevait que les innovations technologiques créaient plus d’emplois qu’elles n’en détruisaient. Ce fut le cas des révolutions industrielles du milieu du XIXe siècle à aujourd’hui. Mais avec l’économie numérique (appelée aussi ”ubérisation de l’économie” ou ”économie digitale”), c’est peut-être fini : nous risquons de voir détruire beaucoup plus d’emplois qu’il n’en sera créé. Pierre Bellanger dans son essai La Souveraineté numérique (voir article précédent de ce blog) fut le premier à pointer ce défi. Mais aujourd’hui de plus en plus d’économistes sont très inquiets : les plateformes numériques sur terminaux smartphones, tablettes ou PC, en dématérialisant les services vendus par les entreprises mettent ces dernières en danger. En abolissant beaucoup plus d’emplois qu’ils n’en génèrent. 

Le piège des deux pinces du crabe

Prenons le cas d’ Airbnb (service de location de chambres de particulier à particulier, créé en 2008 et aujourd’hui coté en bourse) qui concurrence l’hôtellerie avec une valorisation boursière bien supérieure. Laurent Gey remarque (Epoch Times, 5–11/10/2015) : « Airbnb emploie seulement 600 personnes dans le monde quand le groupe Accor en emploie 180.000. Un différentiel de 300 fois moins de ressources humaines pour un chiffre d’affaires plus important : économiquement, c’est un rêve. Globalement, c’est une catastrophe ».   

Les secteurs de services menacés, outre l’hôtellerie, sont innombrables : restauration, livraisons, voyagistes et agences immobilières, locations de voitures, petits et grands commerces de distribution de toute nature, artisans et services à domicile,  secteur bancaire, assurances, etc Sans parler du courrier, des secteurs de l’édition (presse écrite et livres…) et de la diffusion vidéo-acoustique (radios, TV, éditeurs musicaux et vidéo) menacés à terme, non pas de disparition mais d’amaigrissement forcé que ne compenseront pas des créations d’emplois et de richesses dans le digital.

Le nombre d’emplois générés par une plateforme numérique est plus de 100 fois ( !) inférieur à celui d’une entreprise réelle avec des coûts dix fois moindres du fait de l’externalisation des services vers des particuliers ou des indépendants : finis les locaux, les frais d’entretien, les salaires de nombreux employés et les taxes sociales ou fiscales, etc. 

On risque alors d’assister à un phénomène économique pervers de paupérisation qu’on pourrait appeler le ”piège des deux pinces du crabe”. La pince amont écrase la création d’emplois et la pince aval écrase les revenus socio-fiscaux des États, du fait de la décrépitude des anciennes entreprises et de l’absence de recettes en provenance du secteur numérique. Il faudrait donc compenser par une fiscalité directe accrue.  C’est un cercle vicieux sur lequel nous reviendrons plus bas. Ce choix de gains microéconomiques à très court terme pourrait provoquer  une perte macroéconomique à long terme, en cascade et en progression géométrique.

Le modèle d’entreprise actuel, relativement lourd et rigide, est bousculé par le numérique. Aussi bien sur le plan du salariat classique que sur celui de la fiscalité. Ce ”nomadisme technologique”, qui révolutionne le travail et peut fasciner, est néanmoins porteur d’une menace imprévue : diminuer les emplois et le tissu des entreprises fiscalement contributrices.   

Le cabinet Roland Berger (conseil international en stratégie) prévoit que d’ici dix ans trois millions de postes de travail seront supprimés (rapport entre créations et destructions)  en Europe de l’Ouest du fait des nouvelles technologies : « certes, la digitalisation de l’économie ouvre de nouvelles perspectives de création d’emplois. On sait également que les entreprises digitales connaissent la croissance la plus dynamique. Mais les emplois créés ne se substitueront pas aux emplois détruits, ni en termes de niveau de compétence requis, ni en termes de position sur la chaine de valeur, ni en termes de répartition géographique ». C’est le cercle vicieux de l’utilité marginale insuffisante.  

Le cercle vicieux de l’économie numérique

Ce cercle vicieux se résume ainsi : la nouvelle économie numérique peut scier la branche sur laquelle elle est assise ; cette branche est le pouvoir de consommation, qui dépend du niveau d’emploi et des recettes socio-fiscales générées par les entreprises et les ménages. Autrement dit, si elle paupérise les sociétés en asséchant trop vite les anciens secteurs, l’économie numérique perdra ses propres clients et dépérira. Parce que son coût marginal risque d’être supérieur à son utilité marginale. Autrement dit, en langage simple, elle coûte plus cher qu’elle ne rapporte.      

En effet la nouvelle économie numérique donne l’illusion de la gratuité et du low cost (bon marché) pour des millions de consommateurs. En réalité elle est assez coûteuse et fragile, pour trois raisons :

1) L’équipement numérique est cher pour les ménages consommateurs en matière d’acquisition de terminaux multiples  (smartphones, tablettes, PC, objets connectés, etc.), de renouvellement constant de ces derniers et d’abonnements assez  lourds auprès des opérateurs, dont la transparence tarifaire est douteuse. Idem pour le coût de l’informatique globale dans les entreprises.

2) En terme énergétique, au niveau mondial, les ”résogiciels” (néologisme de Pierre Bellanger), le fonctionnement d’Internet dématérialisé, avec le cloud (”nuage”) grâce à de gigantesques centres de stockage de big data (méga données), et celui de tous les terminaux à écrans supposent une énorme consommation électrique ”invisible”.

3) L’économie numérique et digitale voit sans cesse augmenter trois facteurs préoccupants : d’une part l’insécurité due aux piratages et à la cybercriminalité, en hausse exponentielle ; puis la fragilité due aux risques permanents de bugs (pannes et dysfonctionnements) mais aussi à la complexité d’un réseau mondial très sophistiqué, à la fois devenu vital et à la merci d’accidents massifs sans filets de secours (manque de robustesse) ;  enfin les limites à la facilitation des tâches  offerte par l’informatisation excessive et la numérisation systématique. Ce dernier point est important et relève de la sociologie concrète, fondée sur de micro-expériences quotidiennes.

En effet, de plus en plus de voix s’élèvent, pour remarquer que les entreprises, les administrations comme les particuliers perdent du temps et de l’argent par un recours exclusif au numérique et aux e-moyens dématérialisés, par rapport aux techniques traditionnelles. Deux exemples : vous réservez et organisez vos vacances par Internet sans passer par une agence. L’économie financière, réelle, que vous allez faire sera minime et illusoire en regard du temps que vous aurez passé devant votre écran magique (le ”travail fantôme”) et la fiabilité de votre réservation sera assez mauvaise. Second cas, que j’ai personnellement vécu : dans les médias écrits ou audiovisuels, Internet et le recours massif au numérique (dématérialisation des échanges) n’a pas amené d’amélioration substantielle des performances (rapidité, facilité, coûts). Au contraire : les problèmes posés dépassent en utilité marginale les avantages supposés. Le ”progrès” réalisé n’est pas évident. Il est psychologique, pas concret.       

Ces réalités sont pour l’instant soigneusement cachées parce que nous sommes dans une phase de fascination enthousiaste pour le numérique, Internet, etc.  Pour la ”nouveauté”. Mais, peu à peu,  nous verrons que nous avons été trop loin.

La bulle numérique/Internet peut se dégonfler…ou éclater

Actuellement, en France et ailleurs,  on songe (une proposition de loi est en cours au Sénat) à taxer assez fortement les sites d’e–commerce et les plateformes collaboratives pour limiter leur croissance et rétablir un manque à gagner fiscal, en terme de coûts d’opportunité marginaux comparatifs. Le problème, c’est que cette solution (toujours cette manie française des impôts et des taxes) n’aura aucun effet sur le fond du phénomène. 

L’ ”Internet de l’énergie” préconisée par l’économiste gourou américain Jeremy Rifkin (auteur de La Troisième Révolution industrielle, Les liens qui libèrent, 2012) où les appareils domestiques,  les véhicules privés et les transports publics, etc. sont connectés à un réseau intelligent et interactif est censé créer d’énormes économies d’énergie, fait rêver. Malheureusement, la Région Nord–Pas–de–Calais qui voulait tenter l’expérience a chiffré son coût comme faramineux pour un résultat aléatoire. La Mairie  de Paris a reculé, elle aussi. C’est l’impasse, destin de toutes les utopies. Il ne s’agit pas, stupidement, de refuser Internet et l’économie numérique, mais de les recadrer. Et de cesser d’en faire des divinités techno-économiques. La fascination technologique est aussi inopérante que le passéisme des écologistes.  

L’informatisation et la numérisation excessives sont des bulles qui vont nécessairement se dégonfler comme des baudruches, ou, plus tragiquement, éclater d’un coup, comme des bombes. Les comparaisons  avec le passé sont intéressantes : dans les années 60, on croyait qu’il y aurait des dizaines de bases humaines sur la Lune dès l’an 2000, avec des extractions minières. Où sont-elles ? Méfions-nous de la science-fiction appliquée à l’économie. 80% des prévisions techno-économiques sont fausses depuis 150 ans. Le futur n’est jamais tel qu’on le rêve ou qu’on le prévoit. Nous sommes dans le brouillard. Dans les domaines boursiers internationaux, les transactions immédiates, fondées sur des algorithmes dématérialisés, constituent un autre danger : la déconnection avec  l’économie réelle. Là encore, l’informatisation à outrance est très fragilisante. De même, on fantasme sur l’ ”impression 3D” (comme sur les ”énergies renouvelables”) : attention aux chimères technologiques.

Quel avenir pour l’économie numérique ? Pas clair. 

 Il serait évidemment inconsidéré de la condamner. Elle aura sa place, mais elle ne dominera pas. Elle va connaître une sévère régression dans la décennie à venir parce que la progression de ses coûts marginaux – en termes financiers directs ou de déséconomies externes– surpasse peu à peu ses avantages globaux. Disons que la courbe trigonométrique des avantages, devenant descendante, va bientôt croiser celle, ascendante, des désavantages.  Notamment à cause du problème de la destruction d’emplois (et donc de pouvoir d’achat) plus forte que la création induite ; et de l’exagération du rapport services rendus/ coûts d’opportunité, en baisse tendancielle depuis 2010 environ.

Nous allons donc probablement connaître une rétraction de l’économie numérique au niveau mondial, son réajustement de l’ordre de 35% environ d’ici 10 ans. Avec une baisse du marché (demande) parce que les consommateurs prennent peu à peu conscience du déficit investissements/prestations. Le tout-numérique que prêchent les gourous, ressemble fort au romantisme hollywoodien des années soixante, le rêve spatial d’installation de l’humanité dans le système solaire.

L’utopie  se heurte toujours à la nature humaine des rapports économiques. C’est-à-dire : maximiser les avantages, minimiser les inconvénients, optimiser les coûts, selon un processus d’auto-ajustement qui se produit en quelques décennies. Ne débranchez pas votre smartphone, votre tablette ou votre PC, ils sont utiles. Mais ne les prenez pas pour des divinités. Il y aura un ”after numérique” ou plutôt un ”alter numérique”. Tout monopole est condamné. À tout rêve succède le réveil. 

Guillaume Faye (J'ai tout compris, 13 octobre 2015)

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