Nous reproduisons ci-dessous un point de vue stimulant de Julien Rochedy, cueilli sur son site, Rochedy.fr et consacré aux rôles des intellectuels et des politiques dans une période d'interrègne... Ancien responsable du Front national de la jeunesse, il a publié deux essais, Le marteau - Déclaration de guerre à la décadence moderne (Praelego, 2010) et L'Union européenne contre l'Europe (Perspectives libres, 2014).
L'obligation de penser le monde qui vient et d'enterrer celui qui passe
Que l'on s'arrête un temps sur la politique française : on n'y trouvera que de la com. Les choses qui encore se font, se font, à la limite, à l'échelon local – à l'échelon, dirons-nous, communautaire. Pour le reste, c'est à dire au niveau national, il n'y a qu'une stricte application des élans de l'époque, laquelle obéit à une décomposition progressive de tous les acquis des siècles. Le Parti Socialiste au pouvoir, à la suite de l'UMP, détricote les fondamentaux de la France que nos grands-parents et parents ont connu : éducation, symboles, fonction publique, identité, autorité, culture, centralisation, etc. Cette politique effective de déconstruction semble être la seule possible au pouvoir, comme si elle obéissait à des impératifs qui appartiendraient à un déterminisme historique obligatoire d'intermède entre deux siècles. Quand à ceux qui briguent le pouvoir national, les Républicains et les Frontistes, leur rhétorique consiste à vouloir, justement, restaurer. Les uns et les autres veulent « restaurer l'autorité de l'Etat », « réappliquer la laïcité telle qu'elle fut pensée en 1905 », « retrouver notre souveraineté nationale », « revenir à l'assimilation », quand il ne s'agit pas de « retrouver notre monnaie nationale » etc. Or, la politique des « re » est pure tautologie d'une nostalgie qui trouve, bien sûr, ses clients et ses électeurs en démocratie. Mais en fin de compte, il ne s'agit que de « com », car s'il peut être pratique de s'adresser à la foule des inquiets qui abondent toujours en périodes historiques intermédiaires, et de s'adresser à eux à travers une redondance d'appels au passé, il n'en demeure pas moins qu'aucune politique pérenne ne peut se fonder exclusivement sur des « re ». Les exemples historiques – de Sylla, qui voulut refaire la Rome républicaine et aristocratique, à De Gaulle, qui voulut restaurer la France – montrent toujours que ces intentions ne peuvent être que passagères, et que les civilisations, comme les nations et comme les siècles, obéissent toujours à la maxime d'Héraclite : on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve. Or, l'Histoire est le fleuve par excellence.
Résumons :
1 – Nous vivons une période historique intermédiaire qui bientôt va finir, raison pour laquelle la déconstruction des fondamentaux de la France (déconstruction qui, en vérité, a déjà commencé il y a 1 ou 2 siècles) s'accélère particulièrement en ce moment.
2 – Nous entrons progressivement dans un nouveau siècle, avec ses propres conditions, temporalités, impératifs et nécessités.
3 – Les hommes politiques au pouvoir ne font qu'accompagner, consciemment ou non, cette décomposition du temps passé. Quant à ceux qui n'y sont pas, ils ne font qu'appeler à sa restauration qui jamais ne viendra, ou, au mieux, que pour un temps très court, comme les derniers soubresauts d'un mourant.
4 – Les intellectuels actuels n'ont comme seul objet de pensée la destruction du monde qu'ils connaissaient. C'est pourquoi le monde de l'intelligence passe tout entier « à droite », parce qu'il s’aperçoit du carnage et du changement mais se contente, comme les politiques, de le pleurer.
5 – La nécessité pour les intellectuels et les politiques d'aujourd'hui est plutôt de penser le monde de demain pour y projeter des volontés. Finis les « re » : il faut vouloir dans les nouvelles conditions possibles qui se mettent en place petit à petit.
J'imagine que tout ceci est très dur à avaler, car cela fait fi de nos affects et de notre tendresse pour un monde qu'il y a peu nous touchions encore. Pourtant, si l'on veut échapper au règne de la com et/ou de l'impuissance politique, il nous faudra faire le deuil d'un certain nombre de choses pour penser les meilleurs solutions afin d'en préserver d'autres.
J'ajoute qu'il ne s'agit pas là d'un fatalisme pessimiste ; au contraire : plutôt que de perdre son temps dans des combats perdus, une envie impérieuse d'affronter le monde qui vient.
Julien Rochedy (Rochedy.fr, 1er juin 2015)