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« On a fabriqué des ghettos scolaires dans des ghettos sociaux »...

Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Jean-Paul Brighelli au Figaro à propos de la nomination symbolique de Najat Vallaud-Belkacem comme ministre de l’Éducation nationale...

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« On a fabriqué des ghettos scolaires dans des ghettos sociaux »

LE FIGARO. - Après la révocation de Benoît Hamon quelques jours avant la rentrée, Najat Vallaud-Belkacem a été nommée ministre de l'Éducation nationale à la surprise générale. Que vous inspire ce choix?

JEAN-PAUL BRIGHELLI. - Vous connaissez la phrase de Beaumarchais: «Il fallait un calculateur, ce fut un danseur qui l'obtint.» Il fallait un vrai connaisseur de l'Éducation nationale, et on a hérité d'une diplômée de Sciences Po spécialiste de questions sociétales. Ce gouvernement, qui n'a pas d'autonomie en matière de choix économiques depuis que Bercy commence et finit à Berlin, fait volontiers dans le sociétal. Par ailleurs, Najat Vallaud-Belkacem s'est beaucoup impliquée dans les ABCD de l'égalité. Elle est à ce titre un repoussoir pour une bonne partie de la droite et de la Manif pour tous. Elle ne pourra qu'accroître la popularité de l'extrême droite - une stratégie constante de Hollande depuis qu'il a compris qu'il perdrait à tout coup au deuxième tour de la présidentielle face à un candidat UMP. Comme tous les gens qui n'y connaissent rien, Najat Vallaud-Belkacem cédera donc aux sirènes de la mode: le tout-informatique - qu'elle a déjà annoncé - ou la suppression des classes prépas. Ce serpent de mer a valu à Peillon bien des déboires, mais c'est l'un des dadas de Geneviève Fioraso, dont la calamiteuse gestion du supérieur a fâché tous les universitaires. La ministre sera sous influence des syndicats les plus pédagogico-béats. Cela évitera de poser les questions qui fâchent: la refonte totale des programmes dans le sens d'une vraie transmission des savoirs, l'inutilité d'un bac totalement dévalué, la nécessité d'une vraie liberté donnée aux universités de recruter sur concours ou sur dossier.

Les questions de société ont-elles leur place à l'école?

Il y a bien plus urgent que d'inciter les élèves à commenter un tableau de Renoir représentant un garçon habillé en petite fille - comme c'était le cas de tous les enfants vers 1890. J'invite à voir ce grand moment pédagogique, qu'on peut découvrir sur Internet*. L'égalité, tout comme la laïcité, ne se décrète pas, elle ne se prêche pas: c'est un combat de chaque instant tout au long d'une vraie scolarité, qui passe en priorité par l'accession à une culture réelle, aux Lumières.

En cette rentrée, le débat se focalise de nouveau sur les rythmes scolaires. Ce sujet est-il vraiment à la hauteur des enjeux?

Vincent Peillon a lancé une grande refondation qui a accouché d'une souris - comme si les chronobiologistes avaient le fin mot de l'Éducation nationale. La réforme des rythmes scolaires est un gadget suggéré par des communes riches (Paris) et imposé à des communes pauvres. Tout ça pour recruter des dizaines de milliers d'«animateurs». On va rééditer le coup des emplois-jeunes de la fin des années 1990, qui ont vu tant de «grands frères» investir l'école. Il s'agit aussi de ne pas fâcher le Syndicat national unitaire des instituteurs professeurs des écoles (SNUipp). Ce syndicat avait combattu, sous Xavier Darcos, la semaine de quatre jours, mais il n'entend pas revenir à une semaine de quatre jours et demi de cours - j'entends de vrais cours, pas d'initiation au macramé. Or, les enfants ont besoin de vraies connaissances en français - c'est la priorité, en maths, en histoire et en géographie. Il faut qu'à la question «qu'as-tu fait à l'école aujourd'hui?», ils donnent chaque jour une réponse claire en termes de savoirs engrangés - et non en termes de récréation prolongée.

Quelles sont les réelles causes de la crise de l'école?

Trente ans de gabegie idéologique - depuis la calamiteuse loi Jospin de 1989 et sa lubie pédagogiste de «l'élève au centre», acteur et constructeur de son propre savoir. Délires à vrai dire conformes aux critères fixés par le Conseil européen de Lisbonne, qui visent à produire 10 % de cadres, et à donner un «socle» de pauvres connaissances à une masse désormais taillable et corvéable à merci. En cela, les libertaires ont admirablement fait le jeu des libéraux qui rêvent d'un tiers-monde à portée de main.

Les institutions européennes ne sont-elles pas un bouc émissaire facile? Certains professeurs n'ont-ils pas défendu les thèses que vous dénoncez?

Ma génération n'a jamais refusé en bloc de transmettre ce qu'elle savait. Nombre d'enseignants sont vent debout contre ce qu'on tente de les obliger à faire. Il a suffi de quelques idéologues montés au pouvoir pour imposer ce désastre. L'engrenage a commencé avec la droite. Le collège unique, c'est Giscard d'Estaing et Haby. La gauche a continué. Le droit généralisé à l'expression de l'élève est dû à Jospin, l'entrisme des parents à l'école à Ségolène Royal. Leurs consignes sont appliquées par un corps d'inspecteurs dociles, en particulier dans le primaire, et par des formateurs convaincus (les IUFM, puis les ESPE). Ceux-ci ont obligé nombre d'enseignants à pratiquer des méthodes aberrantes - comme la méthode idéo-visuelle dans l'apprentissage de la lecture plutôt que les méthodes alphasyllabiques - et à renverser le rapport pédagogie/ transmission en faveur de la première. Sans même se rendre compte qu'ils précarisaient encore plus, sur le plan intellectuel comme sur le plan économique, les classes les plus défavorisées. Un pseudo-gauchisme culturel sert admirablement les intérêts de ceux qui ne veulent pas que les enfants les plus démunis pensent par eux-mêmes.

Il y a près de dix ans, dans «La Fabrique du crétin», vous écriviez: «L'école a cessé d'être le moteur d'un ascenseur social défaillant. Ceux qui sont nés dans la rue, désormais, y restent.» Êtes-vous toujours aussi pessimiste?

Non seulement je le suis, mais mes pires craintes sont vérifiées. On a fabriqué des ghettos scolaires dans les ghettos sociaux. On a dévalué les examens, et on envoie dans le mur des études supérieures une génération entière à laquelle le savoir et le travail sont refusés.

Quelles sont les deux ou trois mesures qu'il serait urgent de prendre en cette rentrée?

Il faut cesser de travailler à vue en faisant de l'idéologie pour l'idéologie, consulter pour de bon les enseignants de terrain, instaurer la diffusion de ce qui marche, imposer le zéro tolérance en matière de discipline et utiliser intelligemment le colossal budget de l'Éducation, dépensé aujourd'hui dans des gadgets technologiques sans intérêt.

Le «tout-informatique», qui a fait la preuve de son inutilité quand ce n'est pas de sa nocivité, ne remplacera jamais des enseignants formés sur le terrain - par compagnonnage bien plus que par des cours de didactique in abstracto. Mais ce ministre et ce gouvernement sont bien incapables de prendre de telles décisions.

Jean-Paul Brighelli (Figarovox, 1er septembre 2014)

 

* http://www.cndp.fr/ABCD-de-l-egalite/fileadmin/user_upload/doc/fichepedagogique_madamecharpentieretsesenfantsparaugusterenoir.pdf

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