Vous pouvez découvrir ci-dessous un point de vue de Jean-Paul Brighelli, cueilli sur le site du Point et consacré à la suppression des bourses attribuées aux élèves méritants...
Suppression des bourses au mérite : le raisonnement de Gribouille
Les mauvais coups se portent pendant l'été, c'est bien connu. Cette fois, Geneviève Fioraso, qui a besoin d'argent pour des missions nobles, n'en doutons pas, a décidé de mettre les étudiants méritants au régime sec, en supprimant d'un trait de plume les "bourses au mérite" qui leur permettaient d'entrer avec un peu plus de confiance dans le supérieur.
J'avais déjà évoqué ici les aberrations du système des bourses, qui laisse à l'écart les enfants des classes moyennes. "Multiplions les bourses au mérite !" écrivais-je... Le gouvernement m'a entendu : il les supprime.
L'idée tripotait le ministère depuis longtemps. L'année dernière déjà, une première tentative de suppression des bourses avait été reportée (courageusement) d'un an. Cette fois, nous y sommes.
Les mots proscrits
J'avais dans un blog parallèle analysé l'exécration gouvernementale, peillonesque et fiorasonique pour certains mots - "conservatisme" ou "élitisme". "En répugnant ainsi à l'élitisme, écrivais-je, Vincent Peillon s'engage sur une voie dangereuse - mais malheureusement conforme à la réalité, surtout celle de son ministère." J'avais oublié "mérite" ! Dis-moi quels mots tu t'interdis, je te dirai qui tu es - et ce que tu vaux.
Raisonnement de gribouilles : en supprimant ces 1 800 euros par an pendant trois ans, attribués normalement aux boursiers ayant obtenu une mention très bien au bac (est-ce l'inflation de ces mentions qui a poussé le ministère à en gommer le bénéfice ?), le ministère prétend redistribuer les sommes ainsi dégagées aux seuls boursiers "sociaux". Saupoudrage et éparpillement sont en bateau, "mérite" est tombé à l'eau.
Ces gens-là réalisent-ils qu'en répugnant au mérite, ils envoient un signal terrible aux futurs étudiants ? Inutile de vous décarcasser : la situation fiscale de vos parents suffit à vous promouvoir ou à vous anéantir. Les "fils et filles de" s'en sortiront toujours. Quant aux autres...
Les grands perdants
Encore une fois, quand on analyse les conditions nécessaires pour bénéficier d'une bourse, on réalise immédiatement que les grands perdants sont ces classes petitement moyennes (et en temps de crise, ce sont toujours les classes moyennes qui glissent prioritairement vers le moyen moins).
1 800 euros (Byzance !), cela permettait à des étudiants de payer une partie au moins de leur studio et des bouquins indispensables. Parce que si l'on réfléchit deux secondes, la redistribution (dont on ne nous dit pas sur quelle base elle sera calculée...) permettra à chaque boursier de recevoir quelques euros de plus.
Les comptables du ministère avaient déjà tenté le coup en décembre dernier en proposant de sucrer 20 % aux salaires des profs de prépas pour les redistribuer aux profs de ZEP - à raison de 8 euros par personne. Byzance again !
Égalitarisme contre égalité
Le même raisonnement avait conduit par le passé certains syndicats à demander instamment l'annulation des cours spéciaux donnés dans certains lycées, en terminale, aux élèves désireux de passer le concours de Sciences Po, afin de redistribuer les crédits ainsi dégagés (quelques milliers d'euros, quand on y pense) à l'ensemble de la "communauté éducative, au nom de l'égalitarisme... Là aussi, l'Unsa ou le Snes - c'était eux ! - préféraient localement un saupoudrage inefficace au sauvetage de quelques étudiants résolus.
Je vais faire une suggestion à ce gouvernement de grippe-sous et de médiocres.
Il existe dans mon lycée (et dans une vingtaine de lycées en France) deux classes de "prépa à la prépa", l'une préparant à Sciences Po (et accessoirement à une bonne école de commerce marseillaise, la Kedge Business School), l'autre aux prépas scientifiques (sur le modèle de ce qui s'est fait initialement à Henri-IV. Une poignée d'élèves méritants (ils sont sélectionnés sur dossier), issus des lycées ZEP de la ville, tous boursiers (ce sont les conditions initiales), appartenant pour la plupart à cette "diversité" que la majorité actuelle aime tant caresser dans le sens du poil, bosse sérieusement un an durant pour rattraper le niveau qui aurait dû être le leur en fin de terminale dans un lycée décent - j'entends un lycée où les préoccupations pédagogiques l'auraient emporté sur le maintien brinquebalant de la discipline.
De ces élèves, nous sauvons entre la moitié et les deux tiers - soit, en moyenne, une grosse vingtaine de braves gosses par an : cette année, dans la prépa à Sciences Po du lycée Thiers où j'enseigne, dix sont entrés dans des IEP, et huit autres à la Kedge Business School. Sans compter que les six derniers sont enfin armés pour faire des études supérieures (en droit, en histoire, en économie) avec des chances raisonnables d'échapper au couperet de la licence (50 % d'échecs en L1, faut-il le rappeler ?).
Je suggère donc à Mme Fioraso et à ses conseillers de supprimer ces dispositifs, afin de redistribuer les fonds ainsi regagnés à l'ensemble des étudiants du supérieur (là, on sera dans l'infinitésimal) au nom de l'égalitarisme. Et de renvoyer ces étudiants sauvés, arrachés à leur propre milieu, à leur misère intellectuelle et sociale. Au nom de l'égalitarisme.
Or, l'égalitarisme n'est pas l'égalité - mais comment le faire comprendre aux têtes creuses de la rue Descartes ? L'égalité consiste à donner à chacun une chance d'aller au plus haut de ses capacités : pour cela, il faudrait reprendre les programmes et la pédagogie à la base, sans se soucier des jérémiades des uns et des autres, parce que ce sont les enfants qui sont prioritaires. L'égalitarisme consiste à égaliser la misère, à étêter les talents, parce que dans la démocratie telle que la conçoivent les têtes creuses du ministère, seule la médiocrité - la leur ! - est admissible.
Démocratie versus République
"Démocratie" est un beau nom, mais c'est surtout, désormais, un joli prétexte. Prétexte à supprimer tout ce qui est susceptible de laisser quelques-uns émerger. L'égalitarisme leur enfoncera définitivement la tête sous l'eau. Et vous voudriez que je fasse confiance à des potentats locaux, pas plus doués que les troupes de Fioraso et Hamon, pour mener une politique qui fasse enfin une place au mérite ? "Démocratie" tend à devenir l'antithèse de "République", parce qu'une vraie république tend à promouvoir une aristocratie, et à la remettre sans cesse en cause. Leur démocratie installe des minables, et les perpétue.
Il faut des décisions nationales cohérentes, prises par un ministre capable - pas par la clique (de droite et de gauche, si vous avez lu les programmes des uns et des autres que j'ai patiemment décryptés pour vous, ici, ici et là) des politiciens qui persistent à s'agiter là-haut. J'attends Richelieu, j'attends Clemenceau, j'attends de Gaulle. Impossible, dites-vous ? Ma foi, nous les avons déjà eus une fois. Alors, pourquoi pas deux ? Nous avons besoin de chefs, pas de pitres.
Jean-Paul Brighelli (Le Point, 25 juillet 2014)
Commentaires
Bravo. Je fais suivre.