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syndrome de stockholm

  • Sortir du rang...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Caroline Galactéros cueilli sur Geopragma et consacré aux conséquences géopolitiques de la crise. Docteur en science politique, Caroline Galactéros est l'auteur de  Manières du monde, manières de guerre (Nuvis, 2013) et de Vers un nouveau Yalta (Sigest, 2019). Elle a créé en 2017, avec Hervé Juvin, entre autres, Geopragma qui veut être un pôle français de géopolitique réaliste.

     

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    Sortir du rang

    Lucidité, humilité, solidarité, coopération, empathie, inventivité : une pandémie comme celle qu’affronte le monde entier depuis quelques mois aurait pu et dû être, par l’ampleur de la vulnérabilité humaine qu’elle révèle, l’occasion pour les hommes ‒ notamment les politiques occidentaux qui aiment tant la grandiloquence humanitariste ‒ de se montrer enfin concrètement grands et généreux au-delà de leurs postures moralisantes cyniques, jamais suivies d’effet.

    Après la phase d’urgence sanitaire et d’improvisation plus ou moins heureuse, la récession économique et sociale généralisée qui attend la planète est en effet le socle idéal d’un rapprochement des intelligences, pour une fois affectées au bien commun et à l’amélioration d’une gouvernance mondiale en miettes. Elle aurait même pu mettre sur pause les innombrables affrontements armés mais aussi économiques et financiers (pensons aux arsenaux de sanctions manifestement contreproductives). Bref la Covid-19 est un kairos inespéré pour l’avènement du réalisme éthique dans les relations internationales. Certains y croient ou le disent, avec sincérité ou hypocrisie. Dans un cas comme dans l’autre, c’est rafraîchissant… mais parfaitement improbable. 

    Il n’est que de voir le rejet, à deux reprises, par les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Union européenne (donc la France) mais aussi le Japon, la Corée du Sud ou le Canada, du projet russe de résolution proposant un moratoire sur les sanctions pour les pays affectés par le coronavirus. Dans un assourdissant silence médiatique et une indifférence générale, les uns et les autres de ces pays, en chœur ou en canon, ont jugé cette proposition motivée par un pur opportunisme et une volonté d’instrumentalisation russe de la pandémie… On se demande comment il est encore possible, après la masse d’avanies américaines lancées au front de la servile Europe, que celle-ci n’ait toujours pas compris que son larbinisme aggravé ne lui rapportait rien et qu’elle devait enfin apprendre à réfléchir et à agir par elle-même, comme une grande, sans toujours attendre les ordres de Washington qui la méprise et se sert d’elle.

    Rappelons que ce projet était non seulement appuyé par Pékin, mais aussi par le groupe des 77 (les anciens « non alignés ») et par rien moins que le Secrétaire général des Nations unies, António Guterres, dont l’audace lui coûtera peut-être bientôt son poste ou certains de ses budgets. Tous ces États, toutes ces personnalités parlent dans le désert, ou plutôt dans la jungle redevenue épaisse d’un multilatéralisme dévasté et d’une brutalisation croissante des rapports interétatiques.

    Les ratés du Regime change par le sang ou par les « révoltes populaires » en Europe comme au Levant ont tant crispé l’Empire en déclin, tant fait le jeu du soft power chinois et d’un relèvement imprévu de la puissance et de l’influence russes ‒ en dépit de tombereaux de sanctions qui ne parviennent pas davantage à décapiter un régime iranien récalcitrant ‒ que l’Amérique ne croit plus avoir d’autre choix que de « se défendre » comme elle l’a toujours fait : en attaquant. Elle s’y emploie en construisant plus que jamais l’ennemi pour justifier les coalitions, en battant le rappel de ses alliés-vassaux, en les forçant à prendre parti par le chantage et l’intimidation et en détruisant méthodiquement, sans plus prendre aucun gant, tous les mécanismes de dialogue ou d’entente multilatéraux qui contraignaient encore les volontés de puissance des uns et des autres. C’est évidemment vrai en matière stratégique (accords Start, FNI, JCPOA, traité ABM), climatique (accord de Paris), commerciale (TPP), Culturelle (Unesco) et désormais aussi sanitaire, avec le retrait de la participation financière américaine à l’OMS, en pleine pandémie. C’est délirant, c’est stupide, c’est indigent humainement, tactiquement et stratégiquement. C’est exactement l’inverse de ce qu’il faudrait faire, car, la nature ayant horreur du vide, Pékin réinvestit sans résistance tous les espaces d’influence délaissés par Washington. Mais les États-Unis croient que, de cette façon, le monde redeviendra unipolaire, que leur infaillibilité et leur invulnérabilité s’imposeront de nouveau à tous les autres acteurs. 

    Dans le cadre de cette approche ouvertement belliciste des rapports interétatiques, Washington suit deux grands axes.

    Le premier est une vieille parade qui a fait ses preuves : la diversion. Il faut donc trouver un coupable. Pékin est responsable du désastre sanitaire américain ! La Chine n’a pas créé la Covid-19, mais elle en a sciemment retardé l’annonce au monde pour nuire à la Grande Amérique, qui, si elle avait su plus tôt ce qui se passait, aurait naturellement pris la mesure de l’événement et les bonnes dispositions pour en prémunir sa population. Et nous, gentils petits serviteurs européens de l’infaillibilité américaine, au lieu d’élever enfin le débat, de libérer le monde de sa médiocrité complotiste, nous appuyons cette bronca débilitante, nous appelons au jugement de Pékin qui devra rendre des comptes. Il est vrai que la vision punitive du monde fait gagner tant d’argent… La guerre tue (de préférence les autres), mais elle paie bien.

    Le second axe de « défense », lui aussi toujours maintenu en état opérationnel mais réactivé avec plus d’énergie encore, consiste à renforcer la tutelle stratégique sur l’Europe, comme on prétend protéger une vieille cousine sénile alors qu’on la déleste progressivement de tous ses biens. L’OTAN est l’instrument de cette captation ‒ un outil majeur pour la construction, la désignation et le harcèlement de « l’Autre ennemi », dans un processus classique de projection victimaire que le docteur Freud aurait adoré décortiquer. L’ennemi, c’est évidemment toujours la Russie, comme si le Pacte de Varsovie tonnait à nos portes (alors que la majorité de ses membres ont été récupérés par l’Alliance, mais on n’est pas à une contradiction près) ; comme si Moscou allait envahir la Pologne et les pays baltes, comme si Vladimir Poutine voulait l’éclatement de l’UE plus sûrement encore que Washington ou Pékin ! Alors, face à cette puissance maléfique qu’un arsenal de sanctions inédit n’arrive toujours pas à faire vaciller d’un iota et qui gère sérieusement la pandémie, on n’hésite plus à franchir un cap gravissime. On relance le harcèlement pour exciter la bête : l’ours. En effet, si les manœuvres de l’OTAN « Defender 2020 », prévues en Europe orientale en avril et mai, ont été reportées pour qu’elles puissent être menées en toute sécurité sur le plan sanitaire, ce report ne change rien à leur nature ni au franchissement d’un seuil dramatique. Le projet des États-Unis est désormais d’entraîner leurs alliés continentaux dans ces folies bellicistes et de leur faire cautionner l’emploi éventuel, sur le champ de bataille européen, de munitions nucléaires tactiques tout récemment mises en service dans les armées américaines. 

    Si d’aucuns ont osé croire un instant que plus rien ne serait jamais comme avant, voilà de quoi les détromper. Ce ne sera pas comme avant. Ce sera pire. Et la Covid-19 n’est en l’espèce qu’un retardateur pour le franchissement d’un seuil qui paraît inéluctable dans l’état actuel d’apathie intellectuelle et morale et de servilité des affidés otaniens de Washington.

    Comment la France peut-elle cautionner une telle folie qui contrevient radicalement à sa propre doctrine de dissuasion et portera un coup fatal à son prétendu dialogue stratégique avec la Russie ? Mystère et boule de gomme. C’est un reniement politique, stratégique et éthique incompréhensible, au moment même où Paris devrait sortir du rang et proposer un rapprochement stratégique à Moscou, initiant enfin une projection européenne vers le cœur de l’Eurasie. Si la France était capable d’une telle audace, elle serait bientôt rejointe par d’autres États européens dont les yeux se décilleraient, et offrirait à l’Europe le plus beau des présents : l’impulsion salutaire qui, seule, peut désormais lui permettre de survivre stratégiquement et économiquement entre Chine et Amérique. Évidemment, pour cela, Il faudrait enfin du courage et de la vision. Manifestement, nos stratèges en chambre, toujours affectés d’un autre virus tout aussi dévastateur que le corona, le double syndrome de Stockholm et de Pavlov, préfèrent continuer à voir le monde en noir et blanc et à se tapir sous l’aile immaculée d’un allié qui les rabaisse plus que jamais. 

    Caroline Galactéros (Geopragma, 26 mai 2020)

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  • Les dirigeants européens sont-ils atteints du syndrome de Stockholm ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue du journaliste irlandais Finian Cunningham, cueilli sur Europe solidaire et consacré aux relations des dirigeants européens avec leur "maître" amaéricain...

     

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    Les dirigeants européens sont atteints du syndrome de Stockholm

    La situation psychologique connue sous le nom de syndrome de Stockholm, dans laquelle les otages sympathisent de manière irrationnelle avec leurs ravisseurs, pourrait très bien s'appliquer aux dirigeants européens face aux intimidations états-uniennes. Les États-Unis ont toujours été le parti dominant - et dominateur - de la relation transatlantique. Mais les administrations précédentes, à Washington, avaient pris soin de présenter les États européens comme des «partenaires» dans une alliance «apparemment» mutuelle.

    Sous le président Donald Trump, les pressions et les harcèlements dont sont l'objet les Européens mettent en lumière leur véritable statut de simples vassaux de Washington. Prenez le projet Nord Stream 2. Le gazoduc sous-marin d'une longueur de 1 220 km, qui augmentera considérablement la capacité de livraison de gaz en Europe, devrait être achevé d'ici la fin de l'année. Cette nouvelle offre profitera à l'économie de l'Union européenne, en particulier à celle de l'Allemagne, en fournissant du gaz moins cher pour les entreprises et pour le chauffage des logements.

    Eh bien, la semaine dernière, le sénateur américain Ted Cruz a déclaré que son pays avait le pouvoir d'arrêter l'achèvement du projet . Cruz fait partie de la commission des affaires étrangères du Sénat US qui a adopté en juillet dernier un projet de loi imposant des sanctions aux entreprises impliquées dans la construction du pipeline. L'Allemagne, l'Autriche, la France et la Grande Bretagne font partie du consortium de construction, aux côtés de la société russe Gazprom.

    Ironiquement, le projet de loi du Sénat US s'appelle «Protéger la sécurité énergétique de l'Europe». C'est une bien curieuse forme de «protection» lorsque les sanctions appliquées par les USA pourraient priver les entreprises européennes et les consommateurs de gaz à un prix abordable. Cruz, comme le président Trump, a accusé la Russie d'essayer de resserrer son emprise économique sur l'Europe. Plus proche de la vérité et plus cynique, Washington souhaite que l'Europe achète son gaz naturel liquéfié, plus coûteux. Le Texas, la plus grande source de gaz américain, est l'état d'origine de Cruz. Son projet de loi devrait peut-être être renommé «Protection des exportations américaines d'énergie».

    À cela s'ajoute l'imposition plus large, par Washington et l'Europe, de sanctions à l'encontre de la Russie depuis 2014. Plusieurs raisons ont été invoquées pour justifier les mesures punitives prises contre Moscou, notamment une prétendue déstabilisation de l'Ukraine et une «annexion» de la Crimée, une ingérence présumée dans les élections et l'affaire Skripal. Cette politique de sanctions a été largement initiée et promue par Washington, suivie servilement par l'Europe.

    La semaine dernière, les représentants de l'UE ont voté en faveur d'une prolongation des sanctions de six mois, alors qu'elles sont beaucoup plus dommageables pour l'économie européenne que pour celles des États-Unis et que les entreprises allemandes, en particulier, s'opposent à l' hostilité économique contre-productive à l'égard de Moscou. L'absence de toute opposition européenne à une ingérence aussi flagrante de la part des États-Unis dans leur prétendue souveraineté et leur indépendance sur des questions d'intérêt vital est tout simplement stupéfiante.

    Un autre exemple frappant est la façon dont l'administration Trump insiste pour que les États européens abandonnent d'importants projets d'investissement avec la société de télécommunication chinoise Huawei pour moderniser les infrastructures de téléphonie mobile et d'Internet. Washington a menacé de sanctions de représailles si l'Europe s'associait à Huawei.

    Les États-Unis ont également averti qu'ils pourraient empêcher le "partage de renseignements" des "alliés" européens sur les risques liés à la sécurité et au terrorisme. Fait-on cela à un "ami" ? Là encore, les dirigeants européens font preuve de la même velléité d'acquiescement, au lieu de s'opposer aux États-Unis pour qu'ils s'occupent de leurs propres affaires.

    L'accord nucléaire conclu entre JCPOA et l'Iran est une autre preuve éclatante de la relation fondamentalement abusive que Washington entretient avec l'Europe. Cette semaine, l'administration Trump a rejeté la proposition française d'étendre une ligne de crédit de 15 milliards de dollars à Téhéran. La proposition française visait à atténuer la pression économique sur l'Iran et à le maintenir dans l'accord nucléaire défaillant. Washington a simplement déclaré qu '"il sanctionnera quiconque achètera du pétrole brut iranien". Il n'y aura pas de dérogations ni d'exceptions aux sanctions américaines. Cela impose à peu près à l'Union européenne d'oublier ses efforts hésitants pour sauver l'accord nucléaire avec l'Iran, dont elle est signataire, aux côtés de la Russie et de la Chine.

    Donc, comme Trump s'est écarté de l'accord, cela signifie, dans sa vision dominatrice, que les Européens doivent également le faire,. De toute évidence, l'UE n'a pas la liberté d'agir indépendamment du diktat américain. Détruire les relations entre l'Europe et l'Iran mettra en péril les intérêts économiques et les préoccupations de sécurité liées aux conflits et à la non-prolifération des armes dans la région. Les préoccupations européennes sont-elles si peu pertinentes pour Washington ?

    Maintenant, accrochez-vous à la formidable double pensée suivante. Le secrétaire américain à la Défense, Mark Esper, a incité la semaine dernière ses «amis» européens à faire preuve de plus de vigilance pour lutter contre les supposées malignités russes et chinoises. Tenu devant le groupe de réflexion du Royal United Services Institute à Londres, ce discours a été présenté comme le premier discours majeur d'Esper depuis qu'il est devenu chef du Pentagone en juillet. "Il est de plus en plus clair que la Russie et la Chine veulent perturber l'ordre international en obtenant un droit de veto sur les décisions économiques, diplomatiques et de sécurité d'autres nations", a-t-il déclaré. «En termes simples, la politique étrangère de la Russie continue de faire fi des normes internationales», a ajouté, sans aucune honte, l'ancien lobbyiste de Raytheon et d'autres fabricants d'armes américains.

    Quelle a été la réponse de l'Europe? Les dirigeants européens et les médias ont-ils éclaté de rire devant une telle absurdité, hypocrisie et inversion accusatoire? Existe-t-il des déclarations officielles ou des éditoriaux sévères invitant le représentant américain du complexe militaro industriel à ne pas insulter la simple intelligence ? La tolérance de l'Europe aux comportements abusifs de son «partenaire» américain est bien un problème de syndrome de Stockholm.

    Bien sûr, parfois les dirigeants européens tels que Merkel ou Macron s'interrogent sur la nécessité de renforcer leur indépendance par rapport à Washington, mais quand les cartes sont minces, ils témoignent tous d'une allégeance méprisable pour la politique américaine, même si cela nuit réellement à leurs intérêts nationaux. Lorsque Trump a recommandé que la Russie soit admise au récent sommet du G7 en France, le mois dernier, le reste du groupe a réagi avec horreur en demandant le maintien de l'exclusion de Moscou. Comment expliquer cette attitude ?

    Des chefs européens pathétiques veulent rester dans un club avec leur plus grand bourreau - Washington - tout en excluant un pays voisin et un partenaire stratégique potentiellement important. Comment peut-on faire plus irrationnel? Les psychologues expliquent le syndrome de Stockholm en tant que «mécanisme d'adaptation» pour traiter les traumatismes. Il est observé parmi les otages, les prisonniers de guerre, les survivants des camps de concentration, les esclaves et les prostituées. La sympathie irrationnelle envers un parti qui inflige des difficultés et des blessures est un moyen de minimiser les traumatismes en semblant adopter les mêmes valeurs. Apparemment, le syndrome peut être traité et guéri. Les victimes doivent être progressivement familiarisées avec la vérité objective de leur situation. L'Europe doit se réveiller de ses illusions sur son «allié américain».

    Finian Cunningham (Europe solidaire, 10 septembre 2019)

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