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  • Cet effondrement généralisé qui menace la société française...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Sébastien Laye et Jean-Baptiste Giraud, cueilli sur Figaro Vox et consacré à la dégradation alarmante de la situation dans notre pays. Sébastien Laye est économiste et Jean-Baptiste Giraud journaliste et auteur de Dernière crise avant l'Apocalypse (Ring, 2021).

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    «L'effondrement généralisé menace la société française»

    Quand on parle d'effondrement dans le débat intellectuel français, d'aucuns imaginent les thèses de collapsologie de Pablo Sevigne et Raphaël Stevens. Pourtant, le thème du déclin et même de l'effondrement des civilisations est avant tout un sujet historique et anthropologique: qu'on se souvienne des thèses de Gibbon sur le déclin de l'Empire romain- un spectre de l'écroulement qui a hanté ses contemporains- ou de celles de Spengler dans Le Déclin de l'Occident. On songera aussi à l'effarement d'un Stefan Zweig qui assistera impuissant à l'écroulement de «sa» civilisation européenne.

    Or, le tableau que nous pourrions dresser de la France, sur la base de nombreux signaux faibles, se rapproche de celui brossé par Spengler. Houellebecq, Onfray, Debray ou Zemmour reprennent d'ailleurs certains des éléments critiques que l'on retrouvait chez Spengler. Vous qui lisez ces lignes, consciemment ou inconsciemment, savez déjà de quoi il est question ici, comme les 75% de Français qui estiment que la France est en déclin, d'après l'enquête «Fractures françaises» réalisée par l'institut Ipsos pour Le Monde parue en septembre 2021.

    Notre pays n'était déjà pas réputé pour la rigueur et l'efficacité de son administration, la poigne de ses commerciaux, ou l'excellence de son sens de l'organisation. Les milliers de drames individuels dont ont été victimes les supporters anglais ou espagnols au Stade de France samedi 28 mai, qualifiés «d'incidents» par Gérald Darmanin, n'en sont qu'une nouvelle preuve.

    Depuis quelques mois - on peut arbitrairement fixer le point de «départ» à la sortie non déclarée de la pandémie, et à la levée des mesures de restriction - de nombreux signaux faibles permettent d'anticiper un possible, et peut-être malheureusement probable, grand effondrement collectif.

    Grand, non qu'il soit glorieux, mais parce qu'il menace d'être généralisé. Le blocage logistique d'une partie de la Cité entraînera de facto l'anomie de tout le reste, par un effet désormais largement documenté de contamination impossible à juguler.

    Pendant la pandémie, un peu partout dans le monde, les systèmes de santé se sont effondrés. Bruyamment dans certains pays, avec des malades du Covid qui mourraient dans des ambulances sur des parkings, sous des tentes, ou parfois comme dans plusieurs pays d'Amérique du Sud et en Inde, chez eux, sans une once d'oxygène à respirer, non pour pouvoir les sauver mais simplement pour rendre leur agonie (une lente et inexorable asphyxie) un peu moins horrible. En France, et dans d'autres pays occidentaux (les Italiens n'ont pas oublié), le tri opéré entre ceux que l'on allait essayer de sauver et ceux qui étaient de toute manière condamnés est la signature parfaite de l'effondrement. Brutalement, la croyance que l'hôpital et les médecins pouvaient soigner et sauver s'effondrait. Les proches, parfois, les malades eux-mêmes, se sont entendus dire qu'ils étaient condamnés. Et que rien ne serait tenté pour tenter de les sauver, quoi qu'il en coûte.

    Deux ans plus tard, l'hôpital, encore lui, est au bord du grand effondrement. De nombreux professionnels de santé clament dans le désert que le système de santé français n'a pas remonté la pente. Partout sur le territoire, des services d'urgence saturés refusent des cohortes de malades. Des enfants, des personnes âgées, mais aussi des hommes et des femmes de tous âges, sont morts ces derniers mois parce qu'ils n'ont pas été pris en charge, ou mal, ou trop tardivement, dans une situation d'urgence, par un système de santé «à bout de souffle». Au moment où des centaines, des milliers d'infirmiers, de médecins, arracheront simultanément leur blouse, et partiront en claquant la porte, les malades n'auront d'autre recours que d'appeler au secours leurs proches pour les sortir de là. Du moins, ceux qui ont la chance d'en avoir.

    Le secteur de l'énergie aussi est menacé d'effondrement. Pas celui des hydrocarbures, car l'offre demeure pour l'instant abondante, et au final, pour le pétrole comme pour le gaz, ce n'est qu'une question de prix. En revanche, l'arrêt de près de la moitié des réacteurs nucléaires d'EDF pour raisons de sécurité, une situation à laquelle jamais le réseau électrique français n'a été confronté, crée les conditions pour qu'un ou plusieurs black-out surviennent l'hiver prochain. La France est le pays d'Europe ou le MWh est vendu le plus cher sur le marché de l'électricité, alors que nous sommes censés produire l'électricité la moins chère au monde grâce au nucléaire ! Il y a comme un bug ou plutôt, le big bug est devant nous. Sauf si Enedis parvient à imposer au gouvernement un système de délestages tournants, privant des millions d'abonnés d'électricité pendant trente minutes au moins simultanément, aux heures de pointe. En effet, en l'état actuel des capacités de production françaises, et des perspectives d'importation, le réseau électrique français ne tiendra pas. Il manquera au minimum 10 GW de capacités pour affronter les pics de consommation de l'hiver prochain. RTE en est contraint à étudier (Les Echos-13 avril 2022) un scénario surréaliste consistant à raccorder au réseau des milliers de groupes électrogènes diesel, groupes qui servent normalement à alimenter des équipements sensibles en cas de défaillance... du réseau. Ils pourraient apporter entre 6 et 10 GW, très ponctuellement. Mais si le réseau s'effondre quand même, qui alimentera ces équipements sensibles, privés de leurs bouées de sauvetage, mobilisées pour un naufragé beaucoup trop gros pour être sauvé de la noyade ?

    Dans l'automobile, où la France a encore une partition à jouer en Europe, les grands patrons multiplient les tribunes et les conférences pour dire que leur secteur, qui représente des millions d'emplois, mais permet tout simplement aussi la mobilité individuelle de milliards d'habitants et arme toutes les chaînes logistiques du monde en véhicules de toutes tailles, est menacé d'effondrement. À cause de la chasse au moteur thermique et de la folie des normes, de l'équation impossible du tout électrique (sujet à relier au paragraphe précédent), de la pénurie de composants électroniques, de la cherté de certains matériaux rares et moins rares...

    Dans les télécoms, le déploiement à marche forcée de la fibre place la France loin devant tous les autres pays occidentaux, avec près de 70 % de foyers éligibles au haut débit. Mais à quel prix ! En réalité, selon le gendarme des télécoms, la fibre n'atteint pas un foyer éligible sur cinq. Le taux de panne mensuel (oui, mensuel), atteint par endroits 3%, selon le sénateur Patrick Chaize. Les délais de rétablissement sont fixés en semaines voire en mois. La plupart des armoires techniques sont transformées en «plats de spaghettis» auxquels plus personne ne comprend rien, et les déconnexions sauvages sont le lot commun de bien des abonnés. Enfin, le réseau fibre français est constitué de près de... 500 000 kilomètres de réseau aérien. À la prochaine grosse tempête, les abonnés privés d'Internet se compteront par millions, dont dans le lot nombre d'applications civiles ou industrielles hautement sensibles, car totalement dépendantes d'Internet. La communauté d'agglomération de Paris-Saclay, qui héberge entre autres Polytechnique et des laboratoires du CEA, vient de porter plainte contre les opérateurs de téléphonie, tellement le déploiement de la fibre y est catastrophique. Nos territoires ruraux sont de facto abandonnés, le télétravail tant vanté y étant chaotique du fait de ces problèmes d'infrastructure.

    Dans les secteurs du tourisme, de l'hôtellerie, et de la restauration, les patrons n'attendent pas l'été avec la satisfaction de savoir qu'ils vont enfin pouvoir faire passer leurs comptes de résultat dans le vert, et ainsi faire face aux dizaines de milliards d'euros de PGE qui leur ont permis de garder la tête hors de l'eau pendant la pandémie. Non ! Il manque au bas mot 300 000 employés dans le secteur. Les hôtels ferment des étages entiers. Les restaurants deux, parfois trois jours par semaine, faute de personnel. Les compagnies aériennes annulent des vols par milliers.

    Quant aux agriculteurs, tous les maux s'abattent simultanément sur leurs têtes, au pire moment. Pénurie d'eau et explosion du prix des intrants pour les céréaliers, explosion du prix du gaz pour les maraîchers qui cultivent sous serre à la mi-saison et en hiver, pénurie de main-d’œuvre pour ramasser fruits et légumes qui pourrissent sur pied. Des pandémies qui n'en finissent pas, dont une colossale et dramatique grippe aviaire, sans doute la «plus grave de l'histoire pour l'agriculture française», pandémie dont on ne parle pas ou trop peu pour des raisons aisées à deviner. Une grippe porcine menace à nos portes, avec des foyers découverts en Allemagne.

    La place nous manque pour faire la liste exhaustive de tous ces signaux faibles d'un effondrement prochain, et en tout cas déjà bien entamé.

    A-t-on retenu les leçons de la menace d'effondrement du système financier et bancaire en 2009 ? Les banques centrales seront-elles capables (et en auront-elles les moyens ?), une fois encore, de réagir, en cas de nouveau grippage de la mécanique, avec la nouvelle priorité de lutte contre l'inflation ?

    L'explosion des incivilités, des vols, de la délinquance, niés par un ministre dont les services produisent pourtant des monceaux de statistiques qui disent exactement le contraire, n'est-il pas un autre signal faible d'un possible retour à la loi de la jungle... ou du Far-West ?

    Le pire n'est jamais certain. L'accumulation de ces signaux faibles, en réalité de plus en plus visibles pour qui veut bien se donner la peine de les regarder, doit nous conduire à en tirer les conclusions qui s'imposent.

    Soit l'État, qui est en train de disparaître sous nos yeux, cédera la place demain à une nouvelle hiérarchie des normes et des pouvoirs, plus proche et accessible des citoyens, plus respectueuse de la liberté individuelle, pleinement garante des droits et des devoirs de chacun. Il s'agira ainsi pour la société civile de reprendre la main face à l'État et aux politiques.

    Soit nous avons déjà les deux pieds enfoncés bien profond dans les sables mouvants d'une période durablement et profondément trouble, caractérisée par un individu seul face à l'État (et écrasé par sa bureaucratie) qui cédera à l'individualisme forcené, déjà bien ancré dans notre société et dans les mentalités, mais qui atteindra son paroxysme.

    Il faut lire et écouter Spengler de même qu'il faut lire et écouter les (trop rares) politistes et économistes réalistes qui nous rappellent des réalités auxquelles nous avons peut-être trop tendance à opposer notre déni: que notre capacité d'innovation s'essouffle, que les perspectives d'ascension sociale pour nos jeunes sont quasiment nulles, que le dialogue entre cultures n'est pas si facile en France, que les droits de l'Homme ne sont pas si aisément transposables dans d'autres cultures, que le demos est aussi un ethnos, et que la civilisation française classique du XXe siècle mourra aussi inéluctablement que d'autres modèles.

    C'est déjà arrivé. Rien n'empêche aujourd'hui que cela n'arrive encore une fois demain.

    Sébastien Laye et Jean-Baptiste Giraud (Figaro Vox, 8 juin 2022)

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