Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

jean-henri d'avirac

  • Le marketing fossoyeur du politique...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Jean-Henri d'Avirac cueilli sur le site de la revue Éléments et consacré aux sondages électoraux, comme symptômes d'une démocratie minée par le marketing politique.

    Sondages.jpg

    Sondages et communication : le marketing fossoyeur du politique

    Sur le front des épidémies, il en est une dont le pic est bien loin d’être atteint : la « diarrhée sondagière »… L’expression est lâchée et avec elle, cette avalanche de commentaires sur la frénétique quête du trône, qui placent en permanence le politique sous monitoring. Les études présenteraient l’immense avantage d’offrir une photographie quasi scientifique de l’opinion, invitant les candidats à intégrer les thèmes porteurs, attisant compétitions, alliances ou renoncements. En bref, un sondage faiseur de rois, de royaumes, d’éléments de langage, priorisant, disqualifiant, à deux doigts de ringardiser définitivement la véritable consultation démocratique.

    Le sondage, thermomètre ou symptôme ?

    Le chiffre, l’échantillon, l’institut impressionnent… un parfum d’objectivité mathématique plane sur les plateaux et dans les rédactions dès lors qu’un patron d’officine, ayant pignon sur rue, nous invite à nous départir des polémiques, du débat politique, pour nous en remettre à la Vérité absolue, livrée par un pourcentage de l’échantillon représentatif.

    Mais qu’en est-il au juste de cette Vérité ? Comme toujours, toute médiation « informe » le réel, une carte aussi fidèle soit-elle n’est jamais le reflet exact du territoire. Une cohorte de biais méthodologiques, volontaires ou non, pollue immanquablement enquêtes d’opinions, études quantitatives ou qualitatives, jusqu’à forger parfois de véritables armes de manipulation massive. Un rappel au décryptage et à la lucidité s’impose donc :

    – Qui a commandité le sondage ? Une première question essentielle car quoi que puisse être l’impératif méthodologique et déontologique du sondeur, les marges de manœuvres du client pour « orienter » l’affaire restent considérables. Prenons la formulation des questions (segmentation du questionnaire, choix des thèmes sur un questionnaire fermé etc.). Éric Zemmour faisait assez justement remarquer que dans les sondages présentant le pouvoir d’achat comme priorité des Français, les autres choix proposés (immigration, insécurité/terrorisme, identité française) faisaient l’objet d’une segmentation génératrice d’un biais majeur. En effet, le bloc pouvoir d’achat ne totaliserait que 45 % face à un bloc identité/sécurité qui regrouperait 59 %… Encore fallait-il les rassembler ! ou émettre à minima cette hypothèse de regroupement des items…

    La plupart des médias s’empresse ainsi de relater cette pseudo vérité influençant de facto l’électeur sensible aux préoccupations des médias dominants et finissant par la rendre auto-réalisatrice.

    – Quel est le cadre méthodologique de l’enquête ? Le commanditaire de l’étude peut aussi, ici ou là, exercer son influence sur le choix de l’échantillon. L’intégrité du sondeur sera sauve si celui-ci exprime simplement le cadre exact de l’enquête et le profil des personnes sondées, ce qui est toujours le cas mais ce que personne ne lit !

    – Vous avez dit redressements ? Un vote réputé « sous-déclaré » comme l’intention de vote pour le RN fera l’objet d’un redressement, c’est-à-dire d’un plus ou moins x % destiné à compenser une réalité cachée (!). Au gré des moments de la vie politique, un commanditaire « orienté » aura intérêt à faire pression sur son prestataire pour renforcer ou rabaisser le score de la formation politique en question, évidemment dans la limite d’un redressement et d’une marge d’erreurs « raisonnables ».

    – Quid du commentaire de l’étude ? Une source inépuisable d’affirmations manipulatoires, sous couvert d’expertise, avec en toile de fond un respect bien naturel dû au client qui ne manquera pas de passer à la moulinette les propos du chargé d’études.

    Halte aux sondages : la prise de consciences des médias

    Souvenons-nous de l’information fracassante (IFOP 2018) selon laquelle 40% des Français seraient favorables à un régime autoritaire… Cette alerte instillée par les commentateurs de tout poil et de tout bord reposait sur une confusion entre « Régime totalitaire » et « autorité de l’Etat » que l’introduction préalable au questionnaire administré (totalement occultée par les commentateurs) levait en grande partie. Ce ne sont là que quelques exemples de dérives assez classiques d’une sondo-médiacratie prétendument affublée des attributs d’une science exacte.

    Il y a depuis peu une timide prise de conscience (réelle ou affichée ?) de quelques médias. Depuis Ouest France jusqu’au journal Le Monde, les rédactions semblent prendre leur distance allant jusqu’à infiltrer dans des enquêtes (IPSOS, IFOP, KANTAR, BVA, Opinion Way, HARRIS, GFK) des reporters maisons, tel Luc Bronner, grand reporter au Monde, pour mettre en lumière les fausses déclarations d’identité des sondés, biaisant la nature de l’échantillon !

    Discrédits méthodologiques, recrutements bidon, clairvoyance tardive (« les sondages participent à la fabrique de l’opinion au détriment d’un vrai débat » nous dit le rédacteur en chef de Ouest France). Ces états d’âme prendront-ils le pas sur l’impérieuse nécessité de vendre du papier ou de faire du clic… Il est permis d’en douter.

    Autre point de vigilance dans le camp des sondeurs qui leur pourrit véritablement la vie au quotidien : l’extrême versatilité de l’électeur/consommateur néophile et éternel insatisfait. Plus il est « millénium » (18-40 ans) et citadin, plus il zappe. Son inconstance déclarative est sa marque de fabrique. Exit donc les baromètres d’opinions fondés sur des blocs stables et homogènes, exit donc les liens forts, les tendances lourdes et la prospective socio-comportementale sur le moyen et long terme : l’Homo-Oeconomicus est devenu liquide dans un monde liquide.

    Savoir aujourd’hui ce que vous voterez demain

    La machine macronienne aura inauguré avant l’élection présidentielle de 2017 la première campagne digitale de l’histoire de notre pays. Héritée des méthodes américaines mises en œuvre sur les campagnes d’Obama en 2007 et 2012, elle s’est fondée sur la constitution de bases de données consultables en temps réel sur les réseaux sociaux et la mise en place de nouveaux logiciels d’analyses du Net. Tout comme dans les concertations citoyennes abusivement qualifiées de démocratie participative, qui consacrent la démission du politique en tant que force de proposition, la formulation d’éléments programmatiques d’un candidat ne dépend plus de ses engagements, de sa vision du monde, mais bien d’un champ d’attentes pré-identifié et calibré en temps réel, qui transforme l’offre politique en offre miroir.

    Des instituts tels BVA travaillant pour l’Elysée planchent non seulement sur le volet enquêtes d’opinion et tendances, ce qui était déjà le cas lors des précédents mandats et peut donc influencer des thématiques de campagne, mais également sur l’approche socio-comportementale en « dynamisant » les éléments de langage issus en première intention du cabinet du Président, à la lumière de tests, de techniques de marketing comportemental jouant ainsi efficacement sur les peurs et le cerveau reptilien de nos concitoyens. La gestion de la crise COVID depuis novembre 2020 en est une superbe illustration, avec en point d’orgue l’annonce inquisitoriale du chef de l’état le 12 juillet 2021, dont le bénéfice politique devrait se confirmer.

    Jouer sur les peurs et déceler aujourd’hui, à grands renforts d’algorithmes, ce que vous consommerez/voterez demain est devenu le privilège d’une certaine élite dans un Monde déjà post démocratique.

    « Un peu moins de tests et un peu plus de testicules »

    Christophe Guilluy nous rappelle que « dans les stratégies électorales, les partis ne s’adressent plus qu’aux catégories supérieures et aux retraités ». Il existe donc un bloc majoritaire non représenté, enfumé par les élites, qui, confortées par les études et une sémantique ciselée, jouent sur les peurs. Peur de la pandémie, peur du retour du fascisme, peur du réchauffement climatique, peur du peuple… Ultime perversion : parvenir à convaincre le peuple qu’il doit avoir peur de lui-même. Désactiver l’électeur au moment de l’élection. Préférer au référendum d’initiative citoyenne, des ersatz de démocratie, des sondages, des concertations avec des participants professionnels tirés au sort ou issus d’associations. Fustiger le populisme trop populeux, trop populaire, imprévisible et anxiogène.

    Prétendre savoir, avant que vous ne choisissiez, ce que vous allez choisir est bien la marque ultime du mépris des peuples, un mépris de sachant, promoteur d’une expertocratie, cynique, à fort relent totalitaire. Invitons les politiques dissidents, désireux de s’opposer à ce marketing stérilisant, à faire leur cette formule inattendue lancée il y a un peu plus de 30 ans par Jacques Lendrevie, éminent professeur de marketing à HEC, à ses étudiants dont j’étais : « Mes chers amis, les études marketing sont vraiment très importantes pour savoir où l’on en est ou pour éventuellement tester un concept, mais pour sortir du lot, il faut parfois un peu moins de tests et un peu plus de testicules ».

    Jean-Henri d'Avirac (Site de la revue Éléments, 17 janvier 2022)

    Lien permanent Catégories : Points de vue 0 commentaire Pin it!