Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

iacub

  • Madame Bobovary...

    Nous reproduisons ci-dessous la dernière Chronique d'une fin du monde sans importance, de Xavier Eman, publiée dans le numéro 149 de la revue Éléments, actuellement en kiosque...

    Bobovary.jpg

    Madame Bobovary

    Ravie, le visage épanoui et la moue excitée, Eliane sortit de la librairie en serrant amoureusement contre son sein, tel le bébé qu'elle n'avait jamais voulu, le précieux sac contenant la dizaine de livres qu'elle venait d'acheter. Elle avait en effet acquis l'intégralité de la « sélection rentrée littéraire » de son magazine préféré, « Maxi Actuel », la revue de la nouvelle féminité décomplexée. Elle pressait maintenant le pas, presque fiévreuse, impatiente de se jeter à corps et âme perdus dans ces passionnantes auto-fictions torturées et dépressives, débordantes de sexe, de drogue et de visions du monde délicieusement désabusées. Elle même était d'ailleurs fortement désabusée. Il est vrai que la vie ne lui avait pas fait de cadeaux. Après une scolarité brillante et ennuyeuse à Stanislas puis des études à Sciences Po, elle avait été, durant quelques mois, vaguement attachée de presse pour un groupe pharmaceutique avant d'épouser sans passion mais avec faste un prothésiste dentaire spécialisé dans la réfection buccale des stars du show-biz et de la télévision. Ainsi, elle avait été impitoyablement condamnée à une vie de dîner mondains, de promenades en Sologne et de vacances à Saint-Barthélémy ou Verbier, une vie doucereuse et routinière qui ne lui correspondait absolument pas. Son mari ne lui avait jamais proposé d'aller dans une boîte à partouzes et ne prenait même pas la peine de la tromper. Elle en souffrait beaucoup. Car elle était faite pour la douleur, les angoisses, les névroses et les expériences violentes que l'existence lui avait cruellement épargné. Fort heureusement, il lui restait la littérature contemporaine, chaque nouvel ouvrage étant pour elle une délicieuse injection de misère morale, d'échec familial, de haine conjugale, de perversion et de déréliction toxicologique... Elle sniffait dans ces lignes la cocaïne qui n'avait jamais inondé ses narines, discernait dans l'encre des caractères le sang ayant jailli des veines de ces auteurs génialement, et perpétuellement, suicidaires, se troublait en transformant le blanc des pages en coulées de foutre répandues par ces amants à la fois érotomanes et complexés sur leurs innombrables maîtresses qu'elle imaginait invariablement sous les traits de jeunes femmes étiques et blafardes, tenant en permanence une cigarette blonde entre leurs doigts aux ongles rongés... Grâce à cette littérature, elle pouvait se vautrer dans la boue tant aimée et tant espérée sans même quitter ses draps de soie. C'est pourquoi elle était si enthousiaste en s'échappant de chez son dealer, regagnant hâtivement l'appartement de l'avenue Wagram sans même apercevoir les clins d'oeil des vitrines Hermès ou Dior qui, d'ordinaire, transformaient chacune de ses sorties en pic bénéficiaire pour l'industrie du luxe.

    Marchant de plus en plus vite, elle imaginait déjà le subterfuge qu'elle utiliserait pour échapper au dîner prévu ce soir avec des collègues de son mari, des imbéciles parvenus et grossiers qui n'avaient jamais vibré aux envolées cosmétiques de Florian Zeller, aux affres incestueux de Christine Angot, pas plus qu'aux sodomies alternatives et révolutionnaires de Virgnie Despentes ou aux questionnements egotiques de Yann Moix... Un nouvel accès de forte migraine suffirait d'ailleurs certainement à assurer sa tranquillité pour la soirée. Eliane se mit même à ricaner en imaginant son gros mari venir s'enquérir de sa santé et lui porter une tisane apaisante avant de l'embrasser sur le front et de rejoindre ses invités. L'idée de ce baiser éteignit rapidement son ricanement qui céda la place à un léger frisson de dégoût, mais la vision du brushing Zellerien sur la couverture dépassant du sac l'apaisa immédiatement.

    La nuit était maintenant presque totalement tombée et Eliane ressemblait à toutes ces autres ombres trottinantes et déjà un peu effacées, impatientes de rejoindre famille et foyer. Pourtant Eliane savait qu'elle n'était pas comme elles, pas le moins du monde même, car ce n'était pas le confort et la sécurité bourgeoise qu'elle s'empressait de retrouver mais au contraire les désordres et tumultes intellectuello-germanopratins qui s'élèvent tellement au dessus de toutes ces petites vies laborieuses et vaines, à jamais mornes et bornées. Elle rayonnait maintenant de morgue et de mépris en frôlant ces misérables fourmis qui ignoraient tout des amours sado-cannibalesques du couple DSK/Iacub et préféraient le visionnage de divertissements télévisés à la description des prurits gynécologiques de publicitaires trentenaires à lunettes carrées. Ces gens qui encombraient la rue n'étaient rien pour elles, ce monde n'était pas définitivement pas le sien. Elle courrait presque maintenant pour retrouver ses douloureux amants et c'est presque dans un état de transe qu'elle traversa la rue sans prendre garde au bus qui surgissait au même moment et qui, malgré le hurlement d'un coup de frein, la percuta de plein fouet.

    Le corps inerte d'Eliane gisait maintenant au milieu de la chaussée, bientôt entouré de badauds horrifiés. A ses cotés, quelques livres ensanglantés et le visage souriant de Florian Zeller.

    Xavier Eman (Éléments n°149, octobre - décembre 2013)

    Lien permanent Catégories : Textes 0 commentaire Pin it!