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francis journot

  • Réindustrialisation : des promesses, toujours des promesses...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Francis Journot, cueilli sur Figaro Vox et consacré à la question de la réindustrialisation de la France. Francis Journot est entrepreneur et consultant.

     

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    Réindustrialisation de la France: «Faut-il croire les promesses de relance des candidats ?»

    Le premier choc pétrolier qui s'est produit au milieu des années 70, a marqué le début du déclin industriel français. Il sera par ailleurs souvent reproché à Jacques Chirac et Valéry Giscard d'Estaing d'avoir instauré le regroupement familial alors que le chômage de masse faisait son apparition à la fin de cette période des trente années glorieuses. Le changement de paradigme qui prônait les services, le tourisme et les produits à forte valeur ajoutée au détriment de l'industrie manufacturière des biens de consommation plus courants, relevait d'une méconnaissance des mécanismes économiques et sociaux. L'économie d'un pays est un mécano complexe que l'on doit penser dans son ensemble, nous n'avons pas tenu compte des interdépendances et de fragiles équilibres. Dès lors, un cercle vicieux s'est enclenché : Chômage, déficits puis relèvement des charges et impôts, faillites, disparition de tissus industriels, déficit commercial, pauvreté et minimas sociaux, recul des services publics etc.

    Tantôt par incompétence ou naïveté, parfois par favoritisme ou stratégie excluant une classe ouvrière qui estimait à partir des années 80 que la gauche mitterrandienne et les syndicats l'avaient trahie mais aussi souvent par idéologie mondialiste ou européiste, les présidents et gouvernements qui se succèdent depuis cette période, ont failli à leur tâche qui aurait dû consister à créer avant tout, les conditions susceptibles de favoriser le maintien, la modernisation et le développement de l'industrie. Mais ceux-ci ont livré la France poings et mains liées à sa concurrence en signant une multitude de traités de libre-échange sans en appréhender toute la dimension et les conséquences à terme sur des pans entiers de notre industrie et leurs millions d'ouvriers, cadres et ingénieurs. Pourtant, la désindustrialisation n'était pas une fatalité. La France qui était la première économie de l'un des deux principaux marchés de consommation, aurait pu mieux protéger son industrie manufacturière.

    Alain Juppé, premier ministre sous la présidence de Jacques Chirac, mentor d'Édouard Philippe et de Valérie Pécresse, bradait déjà en 1995 des fleurons industriels pour remplir les caisses de l'État et ramener le déficit à 3 % du PIB ainsi que l'UE l'exigeait. Mais la privatisation de Pechiney ne rapportait que 3,8 Mrds de francs. Usinor-Sacilor n'était vendu que 10 Mrds alors que la sidérurgie nous avait coûté plus de 100 Mrds. Puis la première compagnie maritime française (CGM) était cédée pour 20 millions après que l'État a injecté 1,2 Mrds. Il tentait ensuite en vain de vendre au Sud-Coréen Daewoo, pour 1 franc symbolique, le fleuron technologique Thomson après une recapitalisation de l'État de 11 Mrds de francs. Cette politique s'est poursuivie avec les états généraux de l'industrie de 2010 voulus par Nicolas Sarkozy mais dont les priorités définies ont précipité la chute de certains secteurs industriels. En juillet 2017, l'article «Macron bradera-t-il l'industrie et la France ?» égrenait la liste déjà longue des entreprises sacrifiées par l'ancien ministre de l'économie de François Hollande. Depuis de nombreux autres noms de fleurons industriels ont été ajoutés.

    Emmanuel Macron perpétue la curée entamée il y a près d'un demi-siècle pour aujourd'hui satisfaire à l'écologisme et aux exigences de Bruxelles. Pour exemple, la conversion en quelques années vers l'électrique que l'UE impose à l'industrie automobile. Cette mutation va bientôt détruire cent ou deux cent mille emplois en Europe et pourrait faire disparaître en quelques années ce qui reste de cette industrie en France. Pourtant, l'électricité de notre parc nucléaire qui n'a pas bénéficié des investissements nécessaires, ne pourra pas répondre à l'explosion de la demande. Cela souligne d'autre part, l'irresponsabilité de gouvernements successifs qui ont mis la poussière sous le tapis en préférant respecter au mieux la limite de déficit public de 3 % voulue par Bruxelles au détriment d'une gestion saine garantissant notre sécurité et nos futurs besoins.

    La privatisation d'ENGIE et le projet de démantèlement d'EDF (Hercule) alors que la souveraineté énergétique constitue la principale condition pour créer ou maintenir une industrie manufacturière en France, prouvent qu'il n'y a aucune volonté réelle de réindustrialisation.

    Aujourd'hui tous les candidats à la présidentielle clament qu'il faut réindustrialiser la France. Même Yannick Jadot qui ne s'embarrasse pas de contradictions et dont le parti prône pourtant la décroissance et une multiplication des normes ou taxes qui font fuir les usines, s'y met aussi. Fin 2021, le candidat écologiste s'engageait - «nous allons réindustrialiser la France» - devant des caméras invitées et posant aux côtés d'un industriel troyen qui rétorquait sèchement que plus personne ne croit à ces propos politiciens réitérés depuis plus de 30 ans.

    Tous deux biberonnés à la politique de Thatcher et adeptes du culte européiste et fédéraliste, Valérie Pécresse et Emmanuel Macron, n'ont probablement pas l'intention de réindustrialiser la France d'autant qu'un plan massif serait impossible dans le cadre européen. Faute de pouvoir mener une politique de relance qui ferait croître naturellement l'emploi et le niveau des rémunérations, Valérie Pécresse, nouvelle disciple de Keynes en quête d'électeurs, promet une augmentation de 10 % des salaires, pour selon elle, compenser l'inflation. Oui mais voilà, une augmentation des salaires pourrait aussi constituer un redoutable accélérateur d'inflation, créer du chômage car de nombreuses PME seraient alors mises au tapis et enrichirait surtout la Chine car la plupart de nos biens de consommation sont maintenant importés.

    Emmanuel Macron est entré en fonction en mai 2017 mais l'industrie dont le ministère autrefois prestigieux fut longtemps la clé de voûte de la politique économique, n'a bénéficié d'un secrétariat d'État qu'à partir d'octobre 2018. Valérie Pécresse qui a été formée par Jacques Chirac et Alain Juppé puis a travaillé avec Nicolas Sarkozy, poursuivra certainement la politique de ses mentors. On peut déplorer un suivisme aveugle et indigne d'hommes ou de femmes d'État.

    En cette fin de mandature, les vaines promesses de création d'emplois industriels fusent mais on peut douter que quelques usines modernes dont l'effectif moyen se situerait autour de vingt ou trente personnes, puissent compenser la braderie de groupes comme Alsthom (65 000 salariés), Alcatel (62 000 salariés) ou Technip (37 500 salariés). L'antienne des 30 plans industriels du futur de la France de 2030 ou 2050, resservie lors de chaque élection, ne trompe plus.

    Malgré les circonvolutions et une manipulation des chiffres qui édulcorent la situation économique, Il faut comprendre que la France a quasiment perdu son industrie manufacturière. Il suffit de tenter d'acheter un produit entièrement ou partiellement fabriqué en France pour s'en apercevoir. La prétendue volonté de réindustrialisation ou de relocalisation est davantage un slogan électoral qu'un réel projet. Le ministre de l'économie Bruno Le Maire prétend vouloir rétablir un solde commercial positif en 10 ans mais le dessein d'Emmanuel Macron, depuis son poste de conseiller de François Hollande à l'Élysée en 2012 puis de ministre de l'économie, semble quelque peu différer. Selon une déclaration de l'ex-député LREM Aurélien Taché publiée dans Marianne, «La promesse de Macron d'émancipation par la réussite économique a été broyée par une vision technocratique de l'économie. Et le cerveau de cela, c'est Kohler» (Alexis Kohler est Secrétaire général de la présidence). «Kohler inscrit la France dans un processus de mondialisation néolibérale tel que l'imaginent les cerveaux bruxellois, où les grandes multinationales, pas forcément françaises, se taillent la part du lion.»

    Maintenant, la plupart des écosystèmes industriels français sont détruits et la fabrication des produits est le plus souvent dépendante de chaînes de valeurs mondiales. Des enseignements auparavant dispensés dans des écoles d'ingénieurs ou autres formations spécifiques ne sont plus disponibles. Des savoir-faire transmis de génération en génération, ont progressivement disparu au rythme des départs en retraite et des fermetures d'usines.

    Même lorsque leurs produits sont compétitifs, des PME et ETI de l'industrie peinent à assumer des coûts élevés de formation de plusieurs années sans pour autant avoir la certitude que les employés resteront. Compte tenu de cela, de l'exigence d'une hausse du niveau de qualification, de la difficulté de trouver des candidats mais aussi d'une concurrence exacerbée qui limite les capacités d'investissement dans la formation, le modèle de l'industrie manufacturière des biens de consommation qui procurait des millions d'emplois plus ou moins qualifiés et structurait de nombreux territoires, appartient de plus en plus au passé. Les cruelles images d'ouvriers désespérés devant leurs usines fermées, n'encouragent pas non plus pas une potentielle relève industrielle.

    Aussi convient-il de mettre en œuvre une stratégie efficiente de développement. Certaines de nos propositions exposées en 2016 sur le Figaro dans une analyse économique comptant une douzaine de pages, ne sont plus adaptées car de nombreux équilibres ont été depuis rompus mais d'autres voies sont toujours possibles à condition d'avoir la volonté d'agir. Aujourd'hui, de nombreux emplois sont encore détruits et le déficit commercial annuel français s'aggrave depuis le début des années 2000. Il est passé de 58.5 Mrds au début du quinquennat de Macron à 100 Mrds d'euros à la fin de 2021. Emmanuel Macron et Valérie Pécresse, englués dans leur dogmatisme et pétris de certitudes, opteront sans aucun doute pour l'immobilisme et se plieront à la politique mortifère dictée par l'Union européenne ainsi que leurs prédécesseurs et eux-mêmes, l'ont toujours fait. On peut craindre qu'ils poursuivent une politique à la petite semaine sans vision d'avenir pour masquer leur impuissance et nous laissent une facture supplémentaire de plusieurs centaines de milliards d'euros.

    Francis Journot (Figaro Vox, 27 janvier 2022)

    Lien permanent Catégories : Economie, Points de vue 0 commentaire Pin it!