Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire et consacré à la question de la reconnaissance de l’État palestinien...
Les Palestiniens savent que les Israéliens ne voudront jamais d’un État palestinien
Aujourd’hui, 2 décembre, et ce, à l’initiative du Parti socialiste, l’Assemblée nationale devrait voter la reconnaissance formelle d’un État palestinien, dans ses frontières de 1967 et avec Jérusalem-Est pour capitale. Il était temps, non ?
Depuis que le rêve d’un État binational s’est évanoui, chacun sait qu’il ne peut y avoir de solution au conflit israélo-palestinien qu’à la condition que soit créé un État palestinien souverain. Chacun en convient, mais dans le passé l’idée prévalait que « le moment n’est pas encore venu ». Une bonne manière de renvoyer l’affaire aux calendes grecques. L’ancien ambassadeur d’Israël en France, Élie Barnavi, disait récemment dans Le Figaro : « Si les Juifs avaient attendu l’accord des Arabes pour créer leur État, ils attendraient toujours. » On pourrait en dire autant des Palestiniens, qui savent très bien que les Israéliens ne voudront jamais d’un État palestinien. C’est précisément la raison pour laquelle 135 pays (sur 193) ont déjà officiellement reconnu ledit État palestinien. Que la France, prenant pour une fois ses distances vis-à-vis de Washington, vienne s’ajouter à ces pays ne serait que justice. Ce serait même tout à son honneur.
Cette reconnaissance ne serait bien entendu qu’un signal symbolique, dont il ne faut donc pas surestimer les effets. Mais ce serait un signal fort. À un moment où le conflit prend un tour plus religieux que politique, en raison de la double surenchère des islamistes et des groupes juifs ultra-religieux, tandis que l’on enregistre une nouvelle vague de violence en réaction à la politique israélienne de colonisation des territoires occupés (380.000 colons vivent aujourd’hui en Cisjordanie), ce serait une façon de proclamer solennellement que la solution à ce conflit ne peut être que politique. Ce que n’ont visiblement pas compris, en Israël, ceux qui n’ont pas encore tiré la leçon de l’échec des opérations militaires de l’été dernier dans la bande de Gaza.
Traditionnellement, la gauche a toujours été divisée sur la question. Mais à en croire Roland Dumas, Pierre Mendès France, sioniste de toujours, fut également un pionnier historique de la cause palestinienne. Il n’a pas été le seul à camper sur ces positions. Contradiction ? Aujourd’hui, le Front national ne compte que deux députés au Parlement : Gilbert Collard, qui votera contre la reconnaissance de l’État palestinien, et Marion Maréchal-Le Pen, qui votera pour (à moins qu’elle ne s’abstienne finalement – NDLR). Autre contradiction ?
L’histoire ne s’écrit jamais en noir et blanc. Dans une telle affaire, tous les camps sont partagés. À l’intérieur même de l’EI (l’État d’Israël, pas l’État islamique !), les positions de Benyamin Netanyahou ne font pas l’unanimité. J’en veux pour preuve que deux anciens ambassadeurs d’Israël en France, Élie Barnavi et Nissim Zvili, se sont eux aussi prononcés pour la reconnaissance d’un État palestinien, alors qu’ils savent très bien qu’Israël pourra alors être officiellement reconnu comme occupant le territoire d’un État souverain. Ils entendent par là protester contre l’autisme d’une classe politique israélienne qui, après avoir favorisé le Hamas aux dépens des mouvements palestiniens laïcs, s’efforce de délégitimer par tous les moyens l’Autorité palestinienne pour faire croire qu’il n’y aura jamais de partenaire avec lequel il lui faudra négocier.
Pour ce qui est du Front national, il me semble qu’il s’est très clairement – et de façon très gaullienne – prononcé en faveur de la reconnaissance de l’État palestinien. Gilbert Collard, comme Aymeric Chauprade d’ailleurs, exprime donc une position qui n’engage que lui.
Et les Arabes israéliens, qui représentent quand même 20 % de la population de l’État d’Israël ?
Le 24 novembre, Benyamin Netanyahou a fait adopter un projet de loi qui ne définit plus Israël comme un État « juif et démocratique », ainsi que le prévoient les lois fondamentales qui font office de Constitution, mais comme l’« État national du peuple juif ». Ce projet, proposé par l’aile dure du Likoud, mais qui a été dénoncé par le procureur général Yehuda Weinstein, conseiller juridique du gouvernement, par l’ancien ministre de la Défense Moshe Arens (qui parle d’une « loi inutile et nuisible »), par le ministre de la Justice Tzipi Livni et par cinq autres ministres, aura pour effet, s’il est adopté, que la langue arabe perde son statut historique de langue officielle, et que la loi religieuse prime définitivement sur la loi civile. Il ouvrira ainsi la porte à l’institutionnalisation de nouvelles discriminations envers la minorité arabe israélienne.
Les Arabes israéliens ne se sont de toute façon jamais vu reconnaître la nationalité israélienne. La carte d’identité israélienne (teoudat zehout), délivrée par le ministère de l’Intérieur, distingue en effet nettement la citoyenneté et la nationalité. Cette dernière peut être de nature politique, comme c’est le cas pour les résidents permanents qui possèdent une citoyenneté étrangère (on parle alors d’ezrahout), mais pour le cas général, elle s’entend au sens de l’ethnie (on parle alors de le’om), ce qui signifie que, s’il existe une citoyenneté israélienne commune, il n’existe pas de nationalité israélienne commune : il y a un État israélien, une « nation juive » incluant la Diaspora, mais pas de nation israélienne. Paradoxalement, c’est donc seulement à l’étranger qu’un Arabe ou un Druze d’Israël pourra être considéré comme de « nationalité israélienne », alors qu’au sens propre, celle-ci n’existe pas.
Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 2 décembre 2014)