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michel maffesoli

  • Pourquoi les soulèvements populaires vont se multiplier ?...

    Le 23 juillet 2024, Pierre Bergerault recevait, sur TV libertés, Michel Maffesoli à l'occasion de la réédition au format poche de son essai intitulé L'ordre des choses (Lexio, 2024).

    Penseur de la post-modernité, ancien élève de Julien Freund et de Gilbert Durand, Michel Maffesoli a publié ces dernières années  Les nouveaux bien-pensants (Editions du Moment, 2014) , Être postmoderne (Cerf, 2018), La force de l'imaginaire - Contre les bien-pensants (Liber, 2019), La faillite des élites (Lexio, 2019),  L'ère des soulèvements (Cerf, 2021) ou encore, ces derniers mois, aux éditions du Cerf, Le Temps des peurs et Logique de l'assentiment.

     

                                              

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  • Heidegger, médecin de la modernité ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Pierre le Vigan cueilli sur le site de la revue Éléments et consacré à Heidegger vu comme médecin de notre civilisation.

    Philosophe et urbaniste, Pierre Le Vigan est l'auteur de plusieurs essais comme Inventaire de la modernité avant liquidation (Avatar, 2007), Le Front du Cachalot (Dualpha, 2009), La banlieue contre la ville (La Barque d'Or, 2011), Nietzsche et l'Europe (Perspectives libres, 2022), Le coma français (Perspectives libres, 2023), Clausewitz, père de la théorie de la guerre moderne ou tout récemment Les démons de la déconstruction - Derrida, Lévinas, Sartre (La Barque d'Or, 2024).

     

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    Heidegger, médecin de la modernité

    Heidegger (1889-1976) est toujours au cœur des préoccupations de  notre temps. Heidegger et la question du management, un livre de Baptiste Rappin – un management qui va bien au-delà du monde de l’entreprise – en témoigne. Tout autant que l’influence de Heidegger sur la pensée du regretté Pierre Legendre, ou sur la pensée de Michel Maffesoli. Pour le dire autrement, Heidegger est inactuel, ce qui lui permet d’être toujours actuel.

    Le père jésuite William John Richardson avait distingué (1963) un premier Heidegger, jusqu’à 1927, avec la parution d’Être et Temps, et un second, après 1927. Ces périodisations ne sont pas inutiles, en indiquant un changement de perspective, d’autant que Être et Temps est inachevé, et que Heidegger a estimé plus judicieux de modifier son angle de vue, plutôt que de tenter de l’achever à partir d’une position qui n’était plus tout à fait la sienne. C’était un mouvement de pas de côté classique chez les grands intellectuels.  Mais un changement de perspective n’empêche pas la constance d’une visée. Cette dernière, c’est de penser ce qu’en termes « savants » on nomme la différence ontologique. En termes plus communs, c’est le gouffre, la « bouche d’ombre », la menace du néant, la conscience de la présence du néant et le singulier devoir de le regarder sans y sombrer. Comme le rappelait Antoine Dresse, les anti-modernes sont souvent des modernes qui sont tellement modernes qu’ils ne se font pas d’illusions sur les idéaux de la modernité.  Ce qui caractérise Heidegger, c’est de refuser le nihilisme sans nier un seul instant la réalité de sa menace.

    La différence ontologique : il s’agit de la différence entre l’être et l’étant, entre l’être et les étants. Pour être plus précis, il faudrait parler de différence ontico-ontologique. L’ontique, c’est le domaine des étants, c’est l’ « étantité ». L’ontologique, c’est le domaine de l’être. Mais bien entendu, l’un se peut se penser sans l’autre, l’un ne peut se passer de l’autre, et c’est pourquoi il s’agit d’abord, pour Heidegger et pour nous, de penser l’entre (Zwischen), ce qui se tient entre ces deux notions, et ce qui les fait tenir ensemble.  Cette question de la différence ontologique (pour employer un mot plus simple que ontico-ontologique), Heidegger l’aborde dans Les concepts fondamentaux de la phénoménologie, en 1927 (Gallimard, 1985). Le constat que fait Heidegger, c’est qu’il y a une histoire de l’être en tant qu’il y a une histoire des différentes manières dont l’être a été pensé. Mais l’être a été pensé systématiquement en tant qu’étant, et la question de l’être lui-même, en tant qu’il n’est pas strictement l’étant, ni les étants, ni seulement la somme des étants, cette question de l’être a été ramenée à la question de la déité, à la question des dieux, et surtout, avec les monothéismes, à la question de Dieu, c’est-à-dire d’une instance hors du monde (François Jaran, La métaphysique du Dasein, Vrin, 2010). C’est l’onto-théologie. C’est ce qui a donné lieu à la succession de la plupart des métaphysiques, c’est-à-dire des explications du monde selon un principe qui n’est pas le monde lui-même. 

    Séparation de l’être et des étants

    L’onto-théologie repose, dans son principe même, sur un constat de coupure entre l’être et les étants. Les étants sont les choses dans leur singularité en mettant de côté le fait qu’elles sont une manifestation de la nature, de la phusis (la phusis est l’ensemble des choses de la nature, mais aussi le ressort même de la nature. On ne peut mieux dire sur ce point que Spinoza : la nature est ‘’nature naturée’’ et elle est ‘’nature naturante’’). L’onto-théologie  entend remédier à cette coupure (entre être et étant), mais d’une façon causale et non « ensembliste ». En expliquant où est la cause de l’un (l’étant) plus qu’en cherchant ce qui tient l’un ensemble avec l’autre. La philosophie choisit ainsi la voie de la théologie pour répondre à la question de ce que sont les étants. On en arrive ainsi à définir – ou du moins à donner une place centrale à – un étant suprême, un supra-étant, un primo-étant. Un étant primordial, avant les étants du monde. Celui-ci est Dieu dans les monothéismes. Cette question réglée, la tâche de l’ontologie sera de penser ce que les étants ont de commun entre eux.

    Heidegger propose – là est sa nouveauté – de reprendre la tâche de l’ontologie sans considérer comme acquise la première étape de la réflexion de l’onto-théologie, qui nous amène sur la piste de Dieu, étant suprême. Pour ce faire, Heidegger met l’accent non sur les analyses du monde comme doté d’un « moteur immobile » ou « premier moteur immobile » (Aristote) mais sur les approches originelles du monde, souvent antésocratiques, ou modernes, mais poétiques (Hölderlin, Novalis…). Ce sont celles qui interrogent le monde sur le mode de l’étonnement. Pourquoi y a-t-il une donation ? Pourquoi y a-t-il une naissance du monde ? (Et qu’importe le géniteur). C’est la phénoménalité pure du monde qui intéresse Heidegger.  Il s’agit donc de chercher le sens de l’être hors de l’onto-théologie. Dans quelle « région » de l’être peut-on espérer sentir sa présence ? La réponse est : dans le domaine du sacré (Heilige). 

    Pour approcher le sacré, qui n’est pas Dieu, et qui n’est certes pas non plus le contraire du divin, il faut sortir de la question de la création du monde, et il faut s’interroger sur la présence au monde, question beaucoup plus fondamentale. Cette question de la présence au monde et de la présence du monde, y compris en nous, se situe au-delà de toute problématique du sujet, qu’il s’agisse du sujet-homme ou du sujet-dieu. Car il est bien certain que nous faisons parti du monde, et que nous ne pouvons donc jamais être observateur du monde sans participation à celui-ci.  C’est ce qu’aide à comprendre la notion de Dasein. Si Heidegger emploie la notion de Dasein, il convient de l’entendre comme Da-sein. Ce terme, que l’on a parfois traduit comme « existence humaine en tant qu’elle est présente au monde » est, plus généralement et plus essentiellement, le chaînon manquant entre l’être et les étants. Le Da-sein s’éprouve avec un « pas en arrière » (Schritt zurück) qui permet d’oublier la perspective sujet-objet pour voir le monde comme une coincidence des contraires, entre l’être et les étants, et même comme identité des contraires, qui ne sont que deux faces, l’une intérieure, l’autre extérieure, d’une même chose.

    Présence de l’être

    Le Da-sein, étymologiquement « être-là » (le mot est de Goethe) est l’ « être-le-là ». C’est le fait d’être là. Qu’est-ce qui est  ? C’est précisément l’être. C’est le « là » de l’être. C’est la présence de l’être qui est être en tant qu’il est présence. Le Da-sein n’est pas un sujet du monde. Il est l’ouverture sur le monde. Il est l’Ouvert. « De tous les yeux, la créature voit l’Ouvert » (Rilke, Huitième élégie de Duino). « Viens dans l’Ouvert, ami » (Holderlin, La promenade à la campagne). L’Ouvert, le Da-sein est l’interrogation étonnée sur l’être et sur le monde. Sur l’être du monde pour le dire en des termes résolument post-théologiques. Le Da-sein est ainsi ce qui surmonte le clivage, la faille, la scission (Spaltung) entre l’être et les étants. Affirmer le Da-sein, libérer l’accès à celui-ci, c’est ouvrir l’accès au de l’être. C’est désencombrer la voie vers le de l’être. C’est signifier qu’il n’y a pas d’un côté les choses triviales du monde, les étants, et d’un autre côté, un sacré hors du monde, qui ne peut ainsi être un sacré puisqu’il est inaccessible. (Le refus du sacré d’un point de vue chrétien est un thème de René Girard, qui n’a toutefois pas le monopole de l’interprétation du christianisme). En surmontant cette scission entre les étants et le sacré, entre les étants et l’être, on prend conscience de la source, de l’origine de tout ce qui est. On prend conscience, – et confiance –, dans la phusis devenant ce qu’elle est. On s’étonne et on admire le miracle de la natalité. Le Da-sein est justement ce qui fait pont au-dessus de cet entre-deux, entre la rive du ontique (les étants) et la rive de l’ontologique (l’être).

    Faire un pont permet de voir de plus haut. Le pont permet de rendre présent le paysage, l’espace, le monde. Le Da-sein est un sentiment de la présence des choses qui permet de comprendre leur heccéité (ou eccéité), c’est-à-dire en quoi elles sont présentes avec toutes leurs caractéristiques spécifiques. De même que la substance Amour se manifeste par l’attachement amoureux en acte, de même la substance du Pain se manifeste par le « pain quotidien » des prières chrétiennes. C’est l’actualisation d’une substance, comme le note Michel Maffesoli. De la puissance à l’acte, selon Aristote.

    Non plus chercher les causes des étants, mais chercher en quoi les étants sont une ouverture vers l’être, en quoi ils sont porteurs d’une portion du monde, d’un fragment du monde, d’un monde en réduction (les fractales), mais en même temps déjà-là, en quoi ils attestent de la réalité du monde. Voilà le projet, anthropologique autant que « philosophique » de Heidegger (qui préférait la « pensée » à la « philosophie »). Et la réalité du monde, c’est la présence du monde.  Une présence qui se manifeste diversement. Le Da-sein consiste à s’attacher à la manière d’être des choses comme témoin du mystère de l’être. La manière d’être des choses, leur heccéité, c’est aussi leur hexis (Aristote), ou leur habitus (chez Thomas d’Aquin, chez Bourdieu, chez bien d’autres). C’est la disposition d’êtres des étants, et notamment des étants humains. C’est la façon dont nous sommes au monde, d’une manière à la fois singulière et ouverte à la plénitude du monde, à son entièreté, à sa pleine étendue (Ganzheit). Cette singularité, c’est ce qui fait lien entre le spécifique et l’universel. C’est ce qui fait lien entre les sens, le ressenti, et le compris, le rationnel, l’intellect, le conscient.

    L’oubli du lien

    L’oubli de l’être – thème par lequel on résume bien souvent la pensée de Martin Heidegger – c’est bien plutôt l’oubli du Da-sein, l’oubli de ce qui fait lien, de ce qui fait pont entre l’être et les étants. Par cet oubli, le monde est réduit à quelque chose qui peut être arraisonné. Il est réduit à un dispositif (Gestell). Un dispositif dans lequel les étants (les choses du monde) sont instrumentalisées mais dans lequel nous-mêmes, à force d’avoir voulu être le sujet d’un monde qui serait notre objet, devenons l’objet d’un dispositif. En ce sens, on peut estimer que la modernité était le monde dans lequel les étants sont mis à la disposition de l’homme « comme maître et possesseur de la nature » (Descartes), et que la post-modernité consiste dans le fait que le rapport sujet-objet perd de son importance, l’homme devenant lui-même un objet de dispositifs, de numérisations, de processus variés, emporté par des flux dont la finalité se laisse de plus en plus difficile à deviner, et en tout cas à maîtriser. C’est ce que l’on a appelé le règne de la technique, ou encore l’insertion dans la mégamachine. Heidegger voit dans cela une ultime métaphysique. Et il lui parait nécessaire de la dépasser pour s’ouvrir à une nouvelle sagesse dans les rapports de l’homme et du monde, à une écosophie (Félix Guattari, Qu’est ce que l’écosophie ?, 2018 – textes de 1985-1992, Les trois écologies, 1989. Le thème de l’écosophie est aussi cher à Michel Maffesoli, avec sa tonalité propre).

    Cette nouvelle sagesse peut s’illustrer par une vision  du monde comme un Quatriparti (Geviert).  Les quatre éléments de ce site (topos)  sont la terre, le ciel, les mortels et les dieux. Les mortels : donc les hommes. Ce thème, qui survient dans « Regard dans ce qui est » (Einblick in das was ist), recueil de quatre conférences données à Brême en décembre 1949 (in Questions IV), consiste à voir le monde au-delà de l’option de l’arraisonnement sans limite et sans mise en forme esthétique. Le Quadriparti peut permettre d’imaginer une « reprise » dans notre rapport au monde, une réorganisation de ce rapport, et ainsi une guérison (Verwindung). C’est un thème des Holzwege, des chemins « qui ne mènent nulle part », dit la traduction française, et qui sont en fait, commme le savent bien les randonneurs, des chemins qui mènent quelque part, à condition de savoir s’orienter. Un thème et une façon de surmonter notre crise (Krinein), qui est une maladie du jugement : nous n’arrivons plus à juger, à déjuger, et à décider. 

    Ce sens de l’être-là (Da-sein), cette présence à la présence, ce « rendez-vous avec nous-mêmes » (Henri Michaux), cette stratégie de l’attention (au monde), c’est peut-être ce qui peut permettre de ressentir l’unicité du sacré, c’est-à-dire le fait qu’il est Un sous de multiples formes, tout comme la Trinité manifeste sous plusieurs formes que Dieu est Un, et en tout cas que la déité est une. Une actualisation plurielle d’une substance commune. Peut être ainsi sera-t-il possible alors de s’approcher d’une certaine sérénité (Gelassenheit), d’une certaine égalité d’âme, qui permette une (relative) paix de l’esprit (apathéia).  C’est encore l’attention à la présence de l’être qui désobstruera ce qui bouche le chemin qui relie l’être et les étants. Le Da-sein : encore et toujours. 

    Pierre Le Vigan (Site de la revue Éléments, 11 septembre 2024)

     

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  • En cheminant avec Heidegger...

    Dans ce nouveau numéro de l'émission de TV Libertés, « Les idées à l’endroit », Rémi Soulié, pour évoquer le philosophe allemand Martin Heidegger, penseur de l’enracinement et du mystère de l’Être, reçoit Michel Maffesoli, sociologue, professeur émérite à la Sorbonne, auteur de nombreux ouvrages dont L'ère des soulèvements (Cerf, 2021) et Le  Le Temps des peurs (Cerf, 2023), et Baptiste Rappin, philosophe, maître de conférence à l’Université de Lorraine, auteur de Abécédaire de la déconstruction (Ovadia, 2021) et Anachronismes - Éléments pour une philosophie de l’intempestivité (Ovadia, 2023).

     

                                                  

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  • Alain de Benoist : « Le RN n’est pas en train d’unir les droites, mais d’absorber ses concurrents »

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien avec Alain de Benoist, cueilli sur Breizh-Info, dans lequel celui-ci donne sa lecture de la victoire du RN aux élections européennes et de la dissolution de l'Assemblée nationale par le président de la République.

    Philosophe et essayiste, directeur des revues Nouvelle École et Krisis, Alain de Benoist a récemment publié Le moment populiste (Pierre-Guillaume de Roux, 2017), Contre le libéralisme (Rocher, 2019),  La chape de plomb (La Nouvelle Librairie, 2020),  La place de l'homme dans la nature (La Nouvelle Librairie, 2020), La puissance et la foi - Essais de théologie politique (La Nouvelle Librairie, 2021), L'homme qui n'avait pas de père - Le dossier Jésus (Krisis, 2021), L'exil intérieur (La Nouvelle Librairie, 2022) et, dernièrement, Nous et les autres - L'identité sans fantasme (Rocher, 2023).

     

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    Alain de Benoist : « Le RN n’est pas en train d’unir les droites, mais d’absorber ses concurrents »

    Breizh-info.com : Que pensez-vous de la décision du président Macron de dissoudre l’Assemblée ? Y voyez-vous une mesure nécessaire ou un signe d’instabilité politique ?

    Alain de Benoist : C’était surtout une mesure inévitable. Après un tel désastre électoral, comment Macron aurait-il pu rester silencieux ? Je n’y vois pas un signe d’instabilité politique, mais plutôt l’aboutissement somme toute logique d’un processus de recomposition entamé depuis plus de quinze ans. Ce serait en tout cas une grave erreur de voir dans le résultat des élections européennes un simple mouvement de colère passager. Le diagnostic a été posé depuis longtemps. Depuis la révolte des Gilets jaunes, pour ne pas remonter plus haut, Emmanuel Macron a cristallisé sur sa personne une défiance et une hostilité d’une ampleur jamais vue. Avec une industrie qui ne représente plus que 10 % du produit intérieur brut, un endettement de 3000 milliards, un service de la dette qui dépasse 55 milliards par an, 5 millions de chômeurs et 9 millions de pauvres, sans oublier une immigration de masse voulue par le grand patronat qui est perçue partout comme synonyme d’insécurité, les gens ordinaires réalisent que le système est entré dans une phase terminale. Le processus s’est seulement accéléré, grâce à un effet de cliquet qui s’est traduit par un « saut qualitatif brusque » à la suite de quoi les plaques tectoniques se sont mises à bouger. C’est en cela que le vote des européennes peut être qualifié d’historique.

    Breizh-info.com : Le RN a récemment remporté un succès important lors des élections. Quels sont les facteurs qui, selon vous, ont contribué à cette augmentation du soutien au RN ?

    Alain de Benoist : Je viens de l’indiquer. La cause principale du succès du RN, par-delà le discrédit global dont fait l’objet la classe politique dominante, est le véritable schisme qui oppose aujourd’hui un nombre toujours plus grand de citoyens au « monde d’en-haut ». Les fractures sociales et politiques à l’œuvre partout en Europe, mais plus spécialement encore en France, font que la majorité des citoyens ne parlent plus la même langue que les catégories intégrées ou supérieures. C’est une situation dont l’enjeu est existentiel. Le « bloc central » a perdu toute crédibilité du fait de son incapacité à tenir ses promesses et à regarder en face la réalité. Le premier ressort du vote est un profond sentiment de déclin social que Christophe Guilluy a depuis longtemps décrit.

    Jordan Bardella a obtenu deux fois plus de voix que la « majorité présidentielle », qui ne représente plus que 15 % des suffrages (et seulement 8 % des inscrits) ! Il est arrivé en tête dans toutes les régions, dans 94 % des communes et dans toutes les classes d’âge, y compris les jeunes et les retraités. On peut donc parler de généralisation sociologique. Au vu d’un tel rapport de forces, prétendre, comme le fait Emmanuel Macron, que tous ceux qui ne partagent pas ses vues appartiennent aux « extrêmes » n’est tout simplement pas crédible. « Extrême-droitiser » les revendications de plus de 50 % des Français revient en fait à légitimer l’extrême droite !

    Breizh-info.com : Comment pensez-vous que les prochaines élections législatives vont remodeler le paysage politique français?

    Alain de Benoist : Logiquement, le résultat des législatives devrait confirmer, voire amplifier, le scrutin des européennes. Il y a certes de grandes différences entre une seule élection à un tour et 577 élections à deux tours et au scrutin majoritaire, mais il est tout aussi évident que toutes les élections, quelles qu’elles soient, se transforment aujourd’hui d’emblée en référendum pour ou contre Emmanuel Macron. La compétition oppose désormais trois blocs. Mais le bloc majoritaire, en l’occurrence le bloc populaire porté par le Rassemblement national, est très uni, tandis que les deux autres sont à la fois minoritaires et divisés. A bien des égards, nous assistons en direct à la fin du macronisme.

    Certains semblent penser que l’union des droites qu’ils appellent de leurs vœux est en train de se réaliser. Ce n’est pas mon avis. Le RN n’est pas en train d’unir les droites, mais d’absorber ses concurrents. Le mouvement Reconquête ! a déjà explosé sous l’effet des rivalités entre Zemmour et Marion, ce qui était prévisible, tandis que les Républicains poursuivent leur descente aux enfers : les uns sont voués à s’associer au RN, les autres à devenir les supplétifs de Macron, tandis que ceux qui ne veulent ni de l’un ni de l’autre finiront dans les poubelles de l’histoire. Au demeurant, ma conviction profonde est que l’avenir du RN ne passe pas par l’union des droites, mais par l’effondrement du centre.

    Breizh-info.com : Parallèlement à la montée du RN, nous assistons à une augmentation du soutien aux factions d’extrême gauche. Quels sont, selon vous, les moteurs de cette évolution parallèle ?

    Alain de Benoist : Pas plus que je n’ai cru dans le passé au « plafond de verre » ou à la pérennité du « cordon sanitaire », je ne crois aujourd’hui au « péril rouge ». Le Nouveau Front populaire n’est qu’un médiocre avatar de la Nupes, et la mise au point en catastrophe d’un « programme » censé convenir à la fois à Glucksmann et à Raphaël Arnault, à Hollande et à Philippe Poutou, est tout simplement grotesque. Les processions de convulsionnaires qui se déroulent actuellement dans la rue relèvent de la stratégie des castors (« faire barrage » à l’extrême droite), ce qui les fait surtout apparaître comme des dinosaures. Ces gens-là, qui ne conçoivent la marche en avant qu’en ayant le regard braqué sur leurs rétroviseurs, n’ont plus rien à dire sinon hurler au « retour du fascisme » à une époque où la majorité des gens sont surtout préoccupés, non d’un « fascisme » inexistant mais de ces réalités bien concrètes que sont l’insécurité grandissante, la baisse du pouvoir d’achat, l’exclusion sociale et la généralisation de la précarité.

    Le Nouveau Front populaire ne peut en fait avoir qu’un seul espoir, celui d’empêcher le Rassemblement national d’atteindre la majorité absolue à l’issue du second tour. Ce qui ne fera qu’accélérer la marche au chaos.

    Breizh-info.com : Comment pensez-vous que ces changements politiques affecteront la société française en termes de cohésion sociale et de politique publique ?

    Alain de Benoist : Tout dépend de la façon dont se déroulera la cohabitation si cohabitation il doit y avoir, et de ce que Jordan Bardella voudra et surtout pourra faire. Le calcul d’Emmanuel Macron repose sur l’idée qu’il est toujours très difficile pour le Premier ministre d’un régime de cohabitation de mettre en œuvre la politique qu’il entend suivre. Il pense donc que, confronté aux échéances, le Rassemblement national multipliera les échecs, fera la preuve de son incompétence et se discréditera peu à peu. Son éventuel succès aux législatives serait ainsi la garantie paradoxale de sa défaite à la présidentielle. L’hypothèse n’est pas à exclure : Bardella aura contre lui le chef de l’Etat, le Conseil constitutionnel, l’Union européenne, la Cour européenne des droits de l’homme, le gouvernement des juges et les marchés financiers, ce qui fait beaucoup. Je pense néanmoins que des parades sont possibles. La décision macronienne de dissoudre l’Assemblée nationale reste un coup de poker ou, si l’on préfère, un pari pour le moins risqué.

    Breizh-info.com : Quel impact pensez-vous que ces changements politiques en France auront sur ses relations avec l’Union européenne ?

    Alain de Benoist : L’Union européenne sort plutôt affaiblie des résultats de l’élection européenne que nous venons de vivre. Les incertitudes auxquelles elle est confrontée sont certainement appelées à s’accroître. Mais je ne crois pas que les rapports de force vont, dans l’immédiat, y être modifiés d’une façon vraiment substantielle. Il en irait différemment si ce qui vient de se passer en France se produisait aussi dans plusieurs autres grands pays d’Europe.

    Breizh-info.com : Comment décririez-vous le sentiment actuel de l’opinion publique française à l’égard de ses institutions et de ses dirigeants politiques ? Doit-on craindre un retour, à haut niveau, à la violence politique dans les prochaines semaines ?

    Alain de Benoist : Une intensification de la violence est en effet très possible. Mais de quelle violence parle-t-on et où commence-t-elle exactement ? Relire à ce propos les Réflexions sur la violence de Georges Sorel. Ou bien les Essais sur la violence de Michel Maffesoli, qui montre bien que la violence peut être tout à la fois destructrice et créatrice (Marx y voyait la grande « accoucheuse » de l’histoire). La peur de la violence conduit souvent à accepter ou légitimer des choses bien pires que la violence. Il est plus réaliste d’admettre que, dans certaines circonstances, l’épreuve de force est inévitable.

    Breizh-info.com : Quel regard portez vous enfin sur la fracture, la sécession de fait, actée, validée, entre les métropoles et la ruralité, entre plusieurs populations qui manifestement, ne peuvent et ne pourront désormais plus vivre ensemble ?

    Alain de Benoist : Nous vivons aujourd’hui des formes nouvelles de tribalisation et d’« archipélisation » (Jérôme Fourquet). La cause essentielle en est que les formes organiques de vie communautaire ont été systématiquement détruites par la modernité. La société prime désormais sur la communauté, et cette société est une société d’individus. Pour les libéraux, toute analyse de la vie sociale relève de l’individualisme sociologique. L’idéologie des droits de l’homme, qui est la religion civile de notre temps, professe pareillement que les pouvoirs publics doivent faire droit à toutes les revendications individuelles, ce qui aboutit nécessairement à la guerre de tous contre tous.

    Au-delà de toutes ces divisions, on repère néanmoins des entités relativement stables, parmi lesquelles je placerai l’opposition entre la France périphérique et les grandes métropoles mondialisées, entre les somewhere et les anywere, ceux qui ont encore un mode de vie enraciné et ceux qui se veulent « citoyens du monde ». Cette opposition est le fruit de la sécession des élites, à laquelle a répondu la « sécession de la plèbe » (secessio plebis). Le processus est là aussi engagé de longue date. Il sera passionnant de voir comment cela va évoluer.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Yann Vallerie (Breizh-info, 19 juin 2024)

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  • Le philosophe-roi...

    Les éditions Ellipses viennent de publier Platon - Le philosophe-roi, une biographie écrite par Olivier Battistini et préfacée par Michel Maffesoli.

    Maître de conférences émérite en histoire grecque à l’Université de Corse, Olivier Battistini est directeur du Labiana Callipolis, un laboratoire d'histoire grecque, associé à la Bibliotheca Classica Selecta (BCS) de l'université catholique de Louvain, et membre du comité scientifique de Conflits. Auteur de nombreux ouvrages sur la Grèce ancienne, ses domaines de recherches sont la guerre et la philosophie politique.

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    " Platon est né en 428/27, peu après le début de la guerre du Péloponnèse. Il n’a pas connu la grandeur, la puissance et l’apogée de l’empire des Athéniens maîtres de la mer, le siècle initié par les Perses d’Eschyle. Il est le contemporain d’une cité à l’agonie, bientôt vaincue, d’une démocratie devenue démagogie, tyrannie du peuple, puis de l’agrandissement menaçant du royaume macédonien.

    Il meurt en 347/346.

    Il est né, il est mort. Entre temps, il a écrit.

    Ce sont les génies qui ont les plus courtes biographies. Ils ont vécu dans leurs écrits. La biographie de Platon est intérieure. Il s’efface devant son œuvre. Elle seule subsiste et s’accompagne d’incertitudes fascinantes, d’ombres intelligentes, de subtils et d’élégants secrets pour conduire à méditer, comme pour résoudre une énigme.

    Platon fascine. Il promet l’extraordinaire. Mais son lecteur qui ne peut l’abandonner s’il a commencé à le lire doit le chercher en lui-même…

    Maître de la métapolitique, il est notre contemporain.

    Platon a déjà l’idée des ruines d’hommes et d’empires et sait les civilisations mortelles. Quelle leçon pour nous !

    Il faut lire Platon, le philosophe-roi.

    Avant qu’il ne soit trop tard… "

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  • Tour d'horizon... (258)

    Jean Baptiste Noé, Chantal Delsol, Markus C. Kerber, Michel Maffesoli, Julien Freund, marco tachi, giorgia meloni

    Au sommaire cette semaine :

    - sur Fondapol, Marco Tarchi, ancien animateur de la ND italienne, livre une analyse des idées défendues par le parti de Giorgia Meloni, Fratelli d'Italia...

    Fratelli d’Italia : héritage néofasciste, populisme et conservatisme

    Fratelli d'Italia_Giorgia Meloni.jpg

    - sur la chaîne de L'Institut des Libertés, Jean Baptiste Noé recevait la philosophe Chantal Delsol, l’économiste Markus C. Kerber et le sociologue Michel Maffesoli pour évoquer la philosophie politique de Julien Freund...

    Jean Baptiste Noé, Chantal Delsol, Markus C. Kerber, Michel Maffesoli, Julien Freund, marco tachi, giorgia meloni

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