La revue de presse de Pierre Bérard
Au sommaire :
• Le dimanche 26 février Alain Finkielkraut analyse l’affaire Mehdi Meklat et la complaisance du milieu journalistique (qui ne veut pas voir ce qu’il voit) vis à vis de ce jeune homme de banlieue dont le double éventé twittait avec rage des propos machos, racistes et homophobes que les formatés du Monde et de Libé n’auraient pas manqué de dénoncer si leur auteur n’ avait été qu’un misérable souchien. Mais voilà: il était devenu le chouchou des média et l’étendard flamboyant d’une duplicité qui ne veut plus « mettre la plume dans la plaie » selon le mot d’Albert Londres. Décidément, à l’ère du soupçon universel certains s’en sortent immaculés.• Jean-Yves Le Gallou avec son compère Hervé Grandchamp présentent un nouveau numéro de leur émission hebdomadaire « I-Média ». Gaillardement menée, elle offre notamment un tour complet de l’affaire Mehdi Meklat.• Le « comité Orwell » publie un entretien avec Jean-Claude Michéa où le philosophe répond aux questions d’Alexandre Devecchio. Il répond sur ses rapports avec l’oeuvre de George Orwell.• Quatrième épisode des conversations entre Alain de Benoist et Paul-Marie Coûteaux. De Benoist s’exprime successivement sur sa critique de l’immigration qui ne sombre jamais dans la xénophobie. Il éreinte le cosmopolitisme ambiant qui se réclame d’un Autre tout en le pensant comme un Même. Il souligne la confusion entourant l’islam opposé aux « racines chrétiennes » de l’Europe, alors qu’en toute bonne logique le terme de racine renvoie à ce qu’il y a de plus ancien. Il rend de ce point de vue un vibrant hommage à l’indo-européanisant Georges Dumézil qui fut son ami et explique que la Grèce étant le lieu d’origine de la philosophie et de la tragédie il ne peut qu’y être sensible. Répondant à une question de Coûteaux il opère avec rigueur une distinction spenglérienne entre culture et civilisation. Il tance la définition de l’Europe comme « ouverte à l’ouverture » (Finkielkraut) ce qui est une manière de ne plus se soucier de savoir ce qu’elle est. Il reproche à l’Union Européenne d’avoir totalement discrédité l’idée même d’Europe. Il répète que l’identité loin d’être ce qui ne change jamais est ce qui nous permet de demeurer nous mêmes en changeant sans cesse. En l’état, il affirme que l’identité n’est pas une essence mais bien une substance et pour ce qui concerne l’identité européenne il constate que cette substance se découvre essentiellement dans la philosophie critique et la dangereuse notion d’objectivité qu’on ne trouve nulle par ailleurs sur les autres continents. Il revient pour finir sur l’aventure du Figaro-Magazine et la progressive « orléanisation » de la droite qui l’amène à refuser dorénavant d’en revêtir l’habit chamarré.• Iurie Rosca, journaliste et ancien vice-premier ministre de Moldavie, livre dans cet entretien fort intéressant son bilan des 25 dernières années du régime libéral de son pays. 25 années durant lesquelles les moldaves, enthousiastes au début, ont perdu toutes leurs illusions sur un système qui les a appauvri et qui n’a su remplir aucune de ses promesses. Comme Soljénitsyne il affirme que le communisme et le capitalisme représentent deux visions mortifières du monde et met en cause, outre la société de marché, les oligarchies financières tant européennes qu’américaines associées aux industries de manipulation émanant du « philanthrope » George Soros. À l’encontre du paradigme libéral il plaide pour un retour du politique axé sur les valeurs conservatrices et la souverainetés identitaires en Europe. Enfin, il cite comme référence Alexandre Douguine et Alain de Benoist qui seront les invités d’un grand colloque à Chinisau en mai prochain.• Pareil à Shelob ? Pour en savoir plus sur ce bienfaiteur de l’humanité qu’est George Soros, voici un article découpé en deux volets de Giampaolo Rossi pour le quotidien Il Giornale. Pour notre part nous attendons avec impatience que la lumière d’Earendil se déverse enfin sur ce marionnétiste ploutocrate.• La suite renvoie au site Dreuz-info qui interprète les différentes initiatives de Soros comme relevant de « la gauche ». Nous ne faisons pas, pour notre part, la même exégèse du matériel collationné, qui de toute évidence indique une volonté de semer ce chaos providentiel nécessaire aux yeux de certains intérêts néo-libéraux qui adoptent aussi bien la défroque de gauche que le déguisement de droite pour parvenir à leurs fins.• Réflexions pertinentes sur les sondages par Alain de Benoist.• « L’Institut Iliade pour la longue mémoire européenne » publie sur « La Morsure des dieux » de Cheyenne-Marie Carron une excellente critique de l’abbé Guillaume de Tanouärn.• Breizh-info a interrogé Cheyenne-Marie Carron sur la signification de son film. Elle déclare dans cet entretien : « Cette réconciliation entre Païens et Chrétiens semble en troubler plus d’un… pour moi, la mémoire spirituelle des peuples Européens se joue là… ».• Bras de fer entre la Fédération Nationale des Syndicats d’Exploitants Agricoles (FNSEA) partisane, au nom de la compétitivité, d’une agriculture industrielle et les associations environnementales. Enjeu : la carte des cours d’eau de France dont le puissant syndicat (et la plupart des chambres d’agriculture qu’il contrôle) entend « déclasser » le plus grand nombre possible de ruisseaux afin de permettre aux agro-industriels de polluer des zones jusque là indemnes car protégés par l’interdiction des épandages de pesticides et de travaux sur leurs abords. Ainsi suffit-il de reclasser ce qui était naguère défini comme un cours d’eau en fossé, ravine ou thalweg et le tour est joué. Périrons-nous au nom de la sainte croissance ?• L’avocat Régis de Castenau, défenseur des libertés publiques, qui n’est pas le moins du monde « lepeniste » donne ici raison à Marine Le Pen de se soustraire aux procédures auxquelles le pouvoir entend la soumettre (et que s’empressent de talonner les apparatchiks des médias) et il explique pourquoi. De même démontre-t-il que les fonctionnaires qui se sentiraient visés par son discours de Nantes auraient tout à fait tort puisque celle-ci ne pointait que les ordres manifestement illégaux qu’ils pourraient être amenés à suivre à l’instigation d’un pouvoir aux abois. Exposé limpide.• Affirmant qu’un homme politique doit être jugé sur sa capacité à résoudre les maux dont souffre notre pays plutôt que sur son intégrité morale Bruno Mégret regrette que l’exigence de transparence des leaders en fasse des captifs des médias et de la justice. Le politique conclue-t-il n’est pas de l’ordre de la morale. Juste réflexion qui n’est pas sans évoquer Julien Freund.• La Révolution Conservatrice vue par Georges Feltin Tracol, un doctorant en histoire qui travaille sur la réception de la RC en France présenté sous le nom de Thierry et Monsieur K. Émission très intéressante, illustrée du beau chant de lansquenets « Landsknecht Sang » . La critique amicale d’Éléments suspecté de trouble voisinage avec le mensuel Causeur est superfétatoire dans ce registre. Production d’Orage d’acier.• Le site « Fragments sur le temps présent » fait paraitre la version complète d’un article de Jean-Yves Camus paru originellement dans le quotidien suisse « Le Temps » : « La révolution conservatrice inclut tout et son contraire ». Quelques réflexions élémentaires portant sur les mauvais usages de ce syntagme.• Jacques Sapir, Élisabeth Lévy (directrice de « Causeur »), et Olivier Berruyer (animateur du site « Les crises ») s’en prennent au Décodex du Monde qui s’est arrogé un droit de police sur les opinions exprimées sur le net en triant le bon grain de l’ivraie. Les bons journalistes « objectifs » et la tribu de méchants idéologues. La presse mainstream qui a de moins en moins de lecteurs stigmatise les sites alternatifs qui en rassemblent toujours plus. Ce faisant elle agit comme une nouvelle gendarmerie sacrée qui met à l’index les convictions qui lui déplaisent. Mais qui évaluera les évaluateurs subventionnés, ces éternels donneurs de leçons ? On trouvera par ailleurs sur le site « Les crises » nombre de critiques bien informés sur le candidat Emmanuel Macron qui n’ont pas, elles, la prétention à une pure objectivité que l’on ne trouve nulle part.• Dans le meilleur des mondes Jean-Michel Aphatie est un prince qui peut se permettre de révéler publiquement le fond de son discours subliminal. On s’aperçoit alors qu’il est très performatif et fâcheusement orienté. Décryptage d’Ingrid Riocreux.• Philippe Poutou, candidat du Nouveau Parti Anticapitaliste était samedi dernier l’invité de Laurent Ruquier dans son émission « On est pas couché ». Il y fut une victime toute désignée d’un P.A.F. bobocratique, sûr de lui et dominateur. Un traitement que ne risque pas d’endurer Charles Robin, ex camarade de lutte de Poutou que sa critique du libéralisme comme « fait social total » a éloigné des fallacieux ennemis du capitalisme comme le montre son « Itinéraire d’un gauchiste repenti » (Krisis).• Sur le dernier livre de Vincent Coussedière « Fin de partie, requiem pour l’élection présidentielle » (parution le 2 mars) une très brève critique sur boulevard Voltaire.• Nous évoquions dans notre dernière revue de presse la dévitalisation des centres villes dans la France périphérique qu’un ensemble de cartes publié par France culture rend parfaitement clair et contribue à en désigner les causes.
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La revue de presse d'un esprit libre... (23)
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La revue de presse d'un esprit libre... (22)
La revue de presse de Pierre Bérard
Au sommaire :
• Le texte de Julien Freund « La Thalassopolitique » publié en 1985 par les Éditions du labyrinthe comme postface au « Terre et Mer. Un point de vue sur l’histoire mondiale » de son ami Carl Schmitt, ressort sous forme d’article.• Pour la Revue du crieur (émanation de Mediapart) le temps presse. Pourquoi ? Parce que les « droites et les extrêmes droites » européennes sont de plus en plus contaminées par les idées d’Alain de Benoist… ! Article passe partout qui en reste à l'alarme classique style « camarade réveillez-vous, bon sang » et demeure rivé au logiciel droite-gauche comme ultime grille d’analyse. En bref une dénonciation qui ne brille pas par son originalité.• Un film de Patrick Buisson glorifie le monde ancien de la France paysanne, celle des derniers Gaulois (extraits).• Le site Metamag publie un court article sur Maslenitsa, la fête russe d’origine païenne qui ponctue le retour du printemps.• Bérénice Levet répond à Emmanuel Macron, candidat du postnational et de la vie liquide, qui nie l’existence d’une culture et d'un art français.• Tribune d’Alain de Benoist sur boulevard Voltaire à propos d’Emmanuel Macron, télévangéliste christique.• Pour Mathieu Bock-Côté Macron c’est la globalisation heureuse et le gauchisme culturel.• Boris Le Lay : Macron, les oligarchies financières contre les peuples (vidéo).• Éric Zemmour dans une récente chronique qualifie Macron de fils adultérin de Madelin et de Cohn-Bendit (vidéo).• Le livre de Xavier Eman « Une fin du monde sans importance » paru aux Éditions Krisis fait l’objet d’une belle recension sur le blog du Cercle Non Conforme.• La matinale de radio-libertés du 21 février est animée par Xavier Eman. Celui-ci propose en fin d’émission des modalités d’action « communautaires » à la dissidence.• À propos des médias russes présentés unilatéralement à l’Ouest comme de dangereux agents d’influence du Kremlin susceptibles de bouleverser les résultats de l’élection présidentielle française, François-Bernard Huyghe décrypte les rouages de la diplomatie d’influence à commencer par celle de Washington autrement plus préoccupante.• Entretien avec Ingrid Riocreux paru le 20 février dans Le BSC News Magazine à propos de son livre « La langue des médias. Destruction du langage et fabrication du consentement » paru aux Éditions du Toucan.• Le brillantissime Charles Robin est l’invité de Bistro Libertés pour son livre « Itinéraire d’un gauchistes repenti » paru aux éditions Krisis. Malheureusement les débats se noient dans des bavardages inconsistants, aussi sera-t-il plus sage de ne regarder que les vingts premières minutes de la vidéo, celles où l’hôte donne libre coursà sa compréhension du présent.• Christopher Gérard a surtout apprécié dans « La Morsure des Dieux », dernier film de Cheyenne-Marie Carron, le portrait d’une paysannerie acculée au désespoir.• La philosophe Anne Frémaux pose de bonnes questions dans un article publié par le Journal du Mauss. S’interrogeant d’un point de vue de gauche sur les bons usages de l’utopie dans l’anthropocène, elle conclut à la nécessité de la décroissance sans s’apercevoir, semble-t-il, que sa démarche ne doit rien à la gauche qui tout au long de son histoire a compris son progressisme comme le déploiement sans fin de l’arraisonnement de la terre et de l’accumulation du capital.• En France les villes moyennes désertées. En cause le développement exponentiel de leur périphérie. Entretien avec Olivier Razemon auteur du livre « Comment La France a tué ses villes ».• La revue québécoise Le Harfang a publié un entretien avec Lucien Cerise consacré à l’ingénierie sociale dont il décortique les usages et les finalités.• Michel Onfray se rapproche de plus en plus des positions de la nouvelle droite canal historique, comme le montrent ses interventions au cours d’une émission avec Zemmour et Naulleau. Vidéo (les 52 premières minutes). -
La révolte contre le système médiatique est en marche !...
Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Ingrid Riocreux au Figaro Vox et consacré aux signes de la révolte du peuple contre les médias du système... Agrégé de lettres modernes, Ingrid Riocreux a récemment publié un essai intitulé La langue des médias - Destruction du langage et fabrication du consentement (Toucan, 2016).
Réseaux sociaux contre journalistes : assiste-t-on à une révolution anti-médiatique ?
FIGAROVOX. - Jean-Luc Mélenchon, critique vigoureux des médias, connaît un succès retentissant sur les réseaux sociaux, notamment sur sa chaîne YouTube. Vous avez écrit un livre à charge contre le langage médiatique. Les réseaux sociaux peuvent-ils être un palliatif pour qui veut débattre et s'informer?
Ingrid RIOCREUX. - Les réseaux sociaux sont des relais très puissants. En ce sens, on peut dire que désormais, la hiérarchie de l'information échappe en grande partie aux médias officiels. Une information jugée mineure par les journalistes peut prendre une ampleur énorme par le biais des réseaux sociaux. Le problème évidemment, c'est que des informations fausses prennent également une ampleur énorme de cette manière. Mais ce qui est intéressant, c'est que la fameuse, disons, la prétendue «éthique de la responsabilité» des journalistes est totalement à revoir.
Souvenez-vous des agressions de Cologne. Toute tentative d'étouffer des faits avérés est contre-productive. Les faits en question finissent par être connus parce que les réseaux sociaux propagent les images et les témoignages. Et les médias faisant autorité apparaissent comme des manipulateurs ayant voulu cacher la vérité. Par contrecoup, les médias alternatifs gagnent en crédibilité: ils apparaissent comme ceux qui disent ce que les autres nous cachent. Il faut compléter ce commentaire en remarquant un phénomène corollaire, très compréhensible, sorte de réflexe de défense des grands médias face à la concurrence de la toile: je veux parler de la propension des médias à nous mettre en garde contre ce qui circule sur les réseaux sociaux, et je pense notamment aux épisodes d'attentats. Cet appel à la prudence est légitime, mais ces mêmes médias ne semblent pas se l'appliquer à eux-mêmes. La volonté obsessionnelle d'être le premier à divulguer telle ou telle information les conduit à relayer toutes les rumeurs, en se protégeant derrière l'emploi du conditionnel, ce qui est un peu facile! Sans compter les erreurs liées à la précipitation.
Le candidat de la «France insoumise» est probablement l'un des derniers hommes politiques à faire usage d'une langue française riche et variée, à la fois populaire et soutenue. Pensez-vous que cela puisse jouer dans sa popularité croissante à gauche?
Pas uniquement à gauche. La qualité de son expression, support d'un discours clair, capable de subtilité tout en restant très accessible, est un atout majeur qui séduit jusqu'aux gens les plus opposés à son orientation politique. On n'est peut-être pas d'accord avec lui mais on a envie de l'écouter ; et cela constitue une victoire en soi. Sa manière de parler tranche avec l'expression de François Hollande, par exemple. Le président actuel n'a pas seulement laissé massacrer l'enseignement du français dans les programmes scolaires: il a saccagé la langue dans ses propres discours. Débit hésitant, inaptitude à poser sa voix, phrasé sans rapport avec la logique de la phrase, lexique très réduit, syntaxe maladroite, souvent fautive... Je ne sais pas si vous l'avez remarqué, mais il a contaminé Manuel Valls, qui s'était mis à scander ses phrases de la même façon que Hollande, avec cette bizarre tendance à hacher le discours qui est très agaçante à l'oreille. Une allocution de François Hollande, on la subit ; et je me surprends parfois à plaindre les journalistes qui sont obligés de l'écouter! Alors qu'on a plaisir à écouter Jean-Luc Mélenchon.
Florian Philippot, qui critique aussi vertement les médias, est en même temps un fidèle habitué des matinales radiophoniques et des plateaux de télévision. Le vice-président du FN a lui aussi décidé de lancer une chaîne YouTube pour raconter les coulisses de la campagne frontiste. N'est-ce pas un peu inauthentique et artificiel?
En fait, j'ai l'impression qu'il y a une différence essentielle entre la démarche de Jean-Luc Mélenchon et celle de Philippot. Le vice-président du FN aime les médias. On sent qu'il est à l'aise sur les plateaux. S'il fait une chaîne YouTube, c'est seulement… pour faire une chaîne YouTube, vous voyez ce que je veux dire? L'idée, c'est uniquement «il y en a qui le font et ça marche, alors on va le faire aussi». Bien sûr, cela suscite l'intérêt et la curiosité ; il suffit de voir le nombre d'articles consacrés au lancement, assez pitoyable en effet, de cette chaîne. Philippot ne va pas déserter les plateaux télé: la chaîne YouTube, c'est un petit plus. Mélenchon, lui, sait pourquoi il fait une chaîne YouTube. Ce n'est pas un coup marketing mais le résultat d'une réflexion sur les médias de masse, proche de celle qui a conduit Michel Onfray à lancer sa «Web TV». L'utilisation de YouTube par le président de «la France insoumise» se substitue à sa présence médiatique. Il dit bien que son but est de «contourner les médias officiels». Quand on espère convaincre les électeurs en s'exprimant dans la presse, à la radio, à la télévision, comme c'est l'usage, on accepte de se soumettre à la loi des médias. On leur délègue un pouvoir énorme. On ne dispose pas du temps qui serait nécessaire pour développer une pensée complexe, il faut parler vite et l'on ne peut pas s'accorder le luxe de se reprendre, de chercher le mot juste, on est interrompu sans cesse, les questions sont souvent d'un intérêt très limité, quand elles ne sont pas tout bonnement stupides. Le journaliste traque le «dérapage» ou le scoop, je dirais même qu'il cherche à les provoquer ; le reste ne l'intéresse pas. Et quoi que l'on dise, il faut faire très attention car en définitive, ce qui restera de l'interview, c'est une expression qui tournera dans le bandeau en bas de l'écran toute la journée! Coupée du reste de la phrase, isolée du contexte qui lui apporte sa justification et ses nuances, elle deviendra excessive, brutale ou caricaturale.
Les candidats dits «populistes» cherchent des plateformes d'expression alternatives face à ce qu'ils ressentent comme une mise au banc, une disgrâce. N'y a-t-il pas aussi une forme de victimisation de la part de ces candidats qui se proclament hors du système?
J'ai montré dans mon livre comment la sphère médiatique diffuse une espèce de pré-pensée définissant le corpus des préjugés officiels de notre société. Mélenchon désigne les médias comme «le parti de l'ordre». Il est vrai que certains journalistes semblent considérer que leur rôle est de veiller à ce que les pensées dissidentes ne s'expriment pas trop fort et soient publiquement dénoncées comme mauvaises, afin de préserver la paix civile, laquelle repose sur l'adhésion contrainte ou consentie à un corpus de croyances. Évidemment, plus cette adhésion est contrainte, plus la situation est explosive. La majorité du personnel politique se soumet au magistère moral des médias et accepte ce système dans lequel il faut utiliser certains mots et pas d'autres, rappeler sans cesse que l'on soutient pleinement telle idée avant de pouvoir formuler telle autre, un peu plus hardie, etc. Toujours sous l'œil sévère d'un journaliste, qui veille à la rectitude morale du propos. Vous parlez de «victimisation»: ceux que l'on considère comme des «populistes» ont en fait compris que ce dispositif d'inquisition exaspère beaucoup de gens ; et qu'il pouvait être vendeur de se faire détester des médias. On ne peut pas vraiment être un candidat «hors système». Cela reviendrait à ne pas exister du tout. Si on laisse de côté ceux qui se prétendent hors système sans l'être en rien, les candidats «hors système» sont, en réalité, ceux qui arrivent à utiliser le système contre lui-même. Ah, ils traquent les dérapages? Eh bien je vais les accumuler, les dérapages. Et les médias foncent tête baissée dans le piège. Regardez Trump: il a bâti sa victoire quasi exclusivement sur cette stratégie, être le candidat des médias malgré eux.
Emmanuel Macron, tout conseiller de François Hollande qu'il fut, se proclame lui aussi hors du système. S'appuyant sur une dynamique que les sondages ne démentent pas jusqu'à maintenant, il fait l'objet d'une certaine fascination, notamment médiatique. Lui-même n'hésite pas à tomber dans une forme d'exaltation. Que pensez-vous de la langue politique du candidat d'En Marche?
Les médias s'intéressent à lui beaucoup moins pour ses idées que pour ce qu'il est: jeune, et nouveau venu en politique. Ce qui est intéressant, c'est que lui-même centre son discours sur sa propre personne plus que sur un programme. Écoutez-le: ses propos en reviennent toujours à «je» plus «vous» égale «nous». Certes, il énumère des mesures économiques concrètes, c'est son domaine de spécialité. Cet excès de technicité sur les questions d'économie cache mal l'absence d'autres aspects, primordiaux dans tout programme présidentiel. Emmanuel Macron désigne souvent son programme en disant «notre projet économique et social» et il greffe dessus, progressivement, des questions de sécurité, d'éducation, d'immigration, etc. mais il manque une vision globale qui établisse la cohérence du projet. Ou alors, on peut considérer ce manque comme symptomatique et en déduire que pour Emmanuel Macron, la force et le prestige d'un pays, comme le bonheur de sa population, se réduisent à sa prospérité économique, sans égard pour le non-quantifiable. En fait, ce qu'il recherche, ce qu'il attend de nous, c'est moins une approbation raisonnée qu'un attachement personnel. Quand il dit: «il y a six mois, personne n'y croyait et pourtant nous l'avons fait», on a l'impression qu'il porte des idées révolutionnaires (il a même écrit un livre qui s'appelle Révolution) ; alors que si personne n'y croyait, c'est justement parce qu'il ne portait pas un discours clair, un projet identifiable. D'une certaine manière, et c'est presque admirable, il a construit sa popularité sur cette image de coquille vide: au lieu d'énoncer les axes d'une politique pour soumettre un projet à notre jugement, il a mis en scène une vaste consultation populaire. Le nom même de son mouvement — d'autres que moi l'ont fait remarquer — traduit cette absence d'orientation: en marche… vers où? quel est l'objectif ou du moins, la direction?
Loin de l'exaltation, François Fillon choisit une communication minimaliste, un langage précis voire austère, sans effet de manche. N'est-ce pas aussi une forme de rupture dans le langage politique d'aujourd'hui, dominé par les codes de la communication politique?
Si, c'est certain. On voit bien qu'Alain Juppé, en essayant de rajeunir son image par l'emploi d'un vocabulaire relâché («j'ai la super pêche») voire vulgaire («je les em....e») s'est ridiculisé, comme d'ailleurs un Bruno Le Maire, qui restera comme l'auteur de cette formule mémorable: «être français, p....n, c'est la classe!». Il n'a pas lancé sa chaîne Youtube mais son passage chez un jeune Youtubeur aura été remarqué, peut-être pas comme il l'espérait! François Fillon a joué la carte inverse et, là encore, on voit que cela fonctionne. Ses sourcils, par exemple. On sait que les sujets de l'émission Ambition intime avaient fait l'objet d'une discussion préalable ; il n'est donc pas anodin qu'il ait accepté que Karine Lemarchand lui demande pourquoi il ne s'épilait pas. Il met en scène son choix de l'authenticité: je ne suis pas idéalement photogénique selon vos canons, mais je suis vrai ; voilà l'idée. C'est encore évident dans la manière dont il endosse le rôle de l'homme austère et vieux jeu. Quand il conteste le fait que la conclusion de L'Émission politique de France 2 soit confiée à Charline Vanhoenacker, auteur d'un billet humoristique qui, manifestement, ne le fait pas rire ; alors que d'autres candidats se sentent obligés de paraître cools et branchés en feignant d'apprécier ce procédé. Ou encore quand il affirme: «J'aime mon pays, ça peut paraître ringard sur un plateau télé mais ça ne l'est pas dans le cœur des Français.» Je ne dis pas que François Fillon est plus sincère ou plus crédible que les autres. Il veut, en tout cas, donner l'image de la sincérité, c'est une question d'«éthos» pour reprendre le vocabulaire de la rhétorique. En fin de compte, on en revient actuellement à la base de la rhétorique: la question «à qui est-ce que je parle?» et implicitement, «à qui est-ce que je veux plaire?». Beaucoup d'hommes politiques ont fini par croire qu'il fallait parler aux médias, parler la langue des médias, pour atteindre l'électorat. Les mythes de l'objectivité médiatique, de la liberté de la presse ou du contre-pouvoir salutaire avaient fini par conférer aux médias le statut de caution morale nécessaire. Et l'intermédiaire était devenu l'interlocuteur unique. Aujourd'hui, une méfiance croissante envers les médias traditionnels, qui se répand indifféremment dans l'électorat de droite et de gauche, oblige le personnel politique à revoir sa stratégie. Et l'on voit que, pour un candidat, jouer la carte du rapport conflictuel avec les médias est de plus en plus efficace.
Ingrid Riocreux, propos recueillis par Alexis Feertchak (Figaro Vox, 16 janvier 2017)
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2017: l'année de tous les dangers ?...
Le nouveau numéro de la revue Conflits (n°12, janvier-février-mars 2017), dirigée par Pascal Gauchon, vient de sortir en kiosque. Le dossier central est consacré aux enjeux de l'année 2017.
Au sommaire de ce numéro :
ÉCHOS
ÉDITORIAL
Le message des Anglo-Saxons, par Pascal Gauchon
ACTUALITÉ
ENTRETIEN
Jean-Dominique Merchet. L'homme qui lève le "secret défense"
PORTRAIT
L'inquiétant héritage de Boutlefika, par Frédéric Pons
ENJEUX
Guinée-Bissau, un narco-Etat, par Tigrane Yégavian
ENJEUX
Le groupe de Visegrad. Une autre Europe, par Thierry Buron
ENJEUX
Micro-états, micro-puissances ?, par Didier Giorgini
ENJEUX
Géopolitique du droit américain, par Olivier de Maison Rouge
ENJEUX
Les États-Unis et les routes maritimes de la Chine, par Jean-Yves Bouffet
TOUT LE MONDE CROIT SAVOIR QUE...
L'arme atomique ne sert plus à rien !, par Pierre Royer
IDÉES
La géopolitique au service du libéralisme, par Florian Louis
GRANDE STRATÉGIE
Quand l'Angleterre inventait la diplomatie des droits de l'homme, par Charles Zorgbibe
GRANDE BATAILLE
Yorktown (1781). La France accouche les États-Unis, par Pierre Royer
GEOPOLITIQUE ET ENTREPRISE
Brexit, Trump. Face à un monde de risque, la revanche des frontières ?, par David Simmonet
GEOPOLITIQUE ET ENTREPRISE
Entretien avec Alain Juillet. Mondialisation : un combat au couteau
GEOPOLITIQUE ET ENTREPRISE
Entretien avec Robin Rivaton. L'économie française face au défi du Brexit
L'HISTOIRE MOT À MOT
"Vers l'Orient compliqué, je volerai avec des idées simples", par Pierre Royer
LA LANGUE DES MEDIAS
Trump, candidat des médias malgré eux, par Ingrid Riocreux
BOULE DE CRISTAL DE MARC DE CAFÉ
Spécialistes, experts. La défaite de la pensée, par Jean-Baptiste Noé
BIBLIOTHÈQUE GÉOPOLITIQUE
La vérité sur le "royaume", par Gérard Chaliand
CHRONIQUES
LIVRES/REVUES/INTERNET /CINÉMA
GÉOPO-TOURISME
Le Caire. La caserne et la mosquée, par Thierry Buron
DOSSIER : 2017. L'année de tous les dangers
2017. L'année de tous les dangers, par Pascal Gauchon
Europe : y a-t-il une vie après le Brexit et avec Trump ?, par Hadrien Desuin
2017. Quelles menaces ?
Lucio Caracciolo : Le chaos
Gérard Chaliand : Nous-mêmes !
Paul Coyer : Le risque financier
Vers un nouvel afflux de "migrants" en Europe ?, par Julien Damon
Troisième guerre mondiale ou querelle d’ilots ?, par François Godement
La Corée du Nord : trublion ou véritable danger ?, par Jean-Marie Bouissou
Vaincre l'Etat islamique et après ?, par Frédéric Pichon
Ou va la Turquie ?, par Tancrède Josseran
L'Afrique du Nord sous tension, par Bernard Lugan
La menace djihadiste a-t-elle disparu au Sahel ? , par Olivier Hanne
Ukraine, vers la victoire de Moscou ?, par Xavier Moreau
Amérique latine. les lendemains qui déchantent ? , par Didier Giorgini
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Les snipers de la semaine... (134)
Au sommaire cette semaine :
- sur Hashtable, H16 vide son chargeur sur François Hollande après l'annonce de sa "décision de ne pas briguer un second mandat...
- sur La voix de nos maîtres, Ingrid Riocreux dézingue Jean-Michel Aphatie , journaliste histrion qui sévit notamment sur France info...
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Les snipers de la semaine... (129)
Au sommaire cette semaine :
- sur La voix de nos maîtres, Ingrid Riocreux prend dans son viseur la "conscientisation", nouveau utilisé dans les médias...
L’art délicat de la « conscientisation »
- sur La voie de l'épée, Michel Goya dézingue Hollande et son "grand" discours sur la guerre prononcé salle Wagram le 8 septembre dernier...
Les tout petits canons de Wagram