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idéologie

  • Des « militants 2000 » en quête de réalités tangibles, charnelles et incarnées...

    Nous reproduisons ci-dessous un texte  cueilli sur le site de Dextra, au titre provocateur, consacré aux militants de la génération 2000, moins avides d'idéologie que de réalités tangibles, charnelles et incarnées...

     

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    Les « militants 2000 » sont-ils débiles ?

    Les militants nés dans les années 2000 sont-ils débiles ? C’est un lieu commun pour chaque génération de militants de déclarer que celle qui leur succède est de moindre qualité. Dire des « militants 2000 » qu’ils n’ont aucune culture politique, aucun bagage intellectuel sérieux et qu’ils manifestent, pour la plupart, un caractère versatile, revient à leur rendre une sentence semblable à celle que les « militants 1990 » avaient reçu des « militants 1980 », etc… et jusqu’aux « militants 1920 » sans doute.

    Nous ne parlons pas de la « génération 2000 » dans sa majorité (dénoncer la léthargie des « digital natives » est devenu un lieu commun), ni même de la fachosphère (cet agglomérat de militants cybernétiques qui aurait au moins fait un petit tour de piste dans le militantisme réel il y a 20 ans) mais bien de ces quelques-uns qui franchissent le pas, traversent leurs écrans, pour se présenter devant nous un jour de conférence, de manifestation ou de rentrée militante.

    On oublie trop souvent le con puéril qu’on était à 20 ans mais au-delà du lieu commun il y a un constat qui est sans appel. Les livres synthétiques et percutants que nous découvrions à leur âge, et qui nous illuminaient par leur simplicité, leurs tombent des mains comme s’ils lisaient l’Iliade dans le texte. Ils n’écrivent pas d’avantage qu’ils ne lisent et la majorité de leurs actions militantes demeurent des parodies d’actions anciennes et désuètes.

    En dépit de leur bonne volonté, les « militants 2000 » sont les enfants du XXIème siècle et de son lot d’abrutissement technologique.

    Un autre lieu commun est de considérer que chaque génération vient contrebalancer les comportements excessifs de celle qui la précède.

    Les « militants 1990 » œuvraient dans une époque où l’Histoire était figée dans une voie à sens unique et où le décor du monde d’avant demeurait vaille que vaille (alternance droite/gauche, grande importance accordée à la politique « politicienne », lecture civilisationnelle des phénomènes en cours, …). Cet immobilisme invitait peu à s’accomplir dans l’action mais prédisposait les militants qui ne voulaient pas que s’amuser à se former intellectuellement pour avoir quelque chose à opposer à l’idéologie dominante et pour le jour où l’Histoire reviendrait.

    Les « militants 2000 » sont nés avec un écran devant la tête. S’ils sont arrivés jusqu’à nous c’est qu’ils sont des évadés de l’asile numérique. Comme des rescapés d’un bagne, leur quête de réalités tangibles, charnelles et incarnées (culte du sport qui bascule parfois dans l’hygiénisme, fascination pour les symboles de violence, genre j’enfile une cagoule trois trous avec le dessin de Charles Martel pour manifester à la Marche pour la Vie, communauté autoproclamée de jeunes hommes célibataires, …) semble désordonnée et ne laisse que peu de place à la réflexion sereine et profonde.

    Mais si derrière cette attitude, doublée d’une méfiance envers « l’intellectualisme » jugé excessif de la génération précédente (trop de conférences et de colloques épluchant sans fin les mêmes sujets), se cachait autre chose qu’une inaptitude aux raisonnements complexes et de l’impatience juvénile ? S’il s’agissait aussi d’une adaptation instinctive des « militants 2000 » à l’époque actuelle ?

    Le Comité invisible résumait cette soif de réel dans leur deuxième ouvrage (A nos amis, La fabrique, 2014) : « La moindre expérience réelle fera exploser la misère de cet escamotage. C’est sa misère qui, à la fin, abattra la cybernétique ». Autrement dit, parler de la Cité platonicienne à un jeune isolé, fils unique, parents divorcés, un peu geek et qui erre en marge des jeunes lobotomisés de son âge revient à proposer à manger à celui qui crève de soif. Il peut concevoir l’idée mais celle-ci ne l’intéressera pas tant qu’il n’aura pas rassasié son besoin immédiat de « sentir » un peu de quoi l’on parle : d’avoir des camarades.

    L’époque technicienne dans laquelle nous sommes plongés semble également signifier la fin de l’importance des idéologies (si primordiale au XXème siècle). Les débats d’idées sérieux disparaissent à mesure que les deux camps qui se font face apparaissent de plus en plus clairement à chacun (les tenants de l’anthropologie classique et les techniciens). Dès lors, il est évident qu’il devient inutile de dispenser de nombreuses formations destinées à « savoir quoi répondre » à nos ennemis puisque le dialogue devient inutile (ex : expliquer le lien entre présence d’extra européens et l’insécurité, qu’un garçon possède un pénis à la naissance, …).

    Cet assèchement du combat idéologique va de pair avec le retour et l’accélération de l’Histoire (mesures liberticides, guerres, autoritarisme étatique, …). Des mesures extrêmes comme la suppression du chômage, de la retraite, une partition géographique, un contrôle des naissances, un rationnement arbitraire sur n’importe qu’elle ressource, … ne semble plus impossible et demanderaient d’avantage que de la matière grise pour s’organiser en conséquence.

    Soyons sévères, à l’écoute et pédagogues avec les jeunes militants. Sachons trier dans nos maigres connaissances pour ne leur transmettre que ce qui aura une chance de leur servir et ne les encombrons pas d’outils inutiles pour qu’ils soient disponibles pour l’action. Car s’il est vrai qu’un « imbécile qui marche va plus loin qu’un intellectuel assis » encore faut-il que l’imbécile sache dans quelle direction aller.

    Dextra (Dextra, 21 novembre 2022)

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  • France : le retour de la guerre idéologique ?...

    Vous pouvez ci-dessous découvrir un entretien avec François-Bernard Huyghe, réalisé par Edouard Chanot pour son émission Parade - Riposte et diffusé le 9 mars 2020 sur Sputnik,  à l'occasion de la sortie de son essai intitulé L'art de la guerre idéologique. Spécialiste de la stratégie et de la guerre de l'information, François-Bernard Huyghe enseigne à la Sorbonne et est l'auteur de nombreux essais sur le sujet, dont, récemment, La désinformation - Les armes du faux (Armand Colin, 2015), Fake news - La grande peur (VA Press, 2018) et, avec Xavier Desmaison et Damien Liccia, Dans la tête des Gilets jaunes (VA Press, 2019).

     

                                  

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  • Comment expliquer ses échecs idéologiques ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de François-Bernard Huyghe, cueilli sur son site Huyghe.fr et dans lequel il montre que le progressisme dénie toute légitimité à sa contestation. Spécialiste de la guerre de l'information, François-Bernard Huyghe enseigne à la Sorbonne et est l'auteur de nombreux essais sur le sujet, dont, récemment, La désinformation - Les armes du faux (Armand Colin, 2015) et Fake news - La grande peur (VA Press, 2018). Avec Xavier Desmaison et Damien Liccia, François-Bernard Huyghe vient de publier Dans la tête des Gilets jaunes (VA Press, 2019).

     

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    Les ratés du faire croire

    L’idéologie, trop vite congédiée par les partisans du « il n’y a pas d’alternative » ou de la « fin de l’Histoire » à la Fukuyama, revient et au galop. Son spectre hante l’Europe, ou, du moins, les européistes : populisme, illibéralisme, nationalisme, conspirationnisme, et autres vilains mots en isme...

    Ainsi, pour le « progressiste » (libéral, social et européen) de type macronien, tout s’explique par les fantasmes identitaires des oubliés de la mondialisation, par la puissance corruptrice des discours de haine, par les ratés de notre système d’éducation et d’intégration au nom de nos « valeurs », ... Quand il ne recourt pas tout simplement aux vieux clichés de classe, notamment à propos des Gilets jaunes : des abrutis, nourris de stéréotypes (antisémites, homophobes, anti-élites, contre la presse, les riches, les bobos, etc.) donc poussés uniquement par le ressentiment, incapables de s’organiser. Leur infériorité congénitale explique comment ils ne pensent pas bien. Voire ne pensent pas du tout.

    L’idéologique est d’abord réduit au psychologique (voire, plus ou moins consciemment, au biologique : ces gens sont tarés ou, comme le disait sans gêne Gaspard Gantzer, ils ont un petit QI). La thématique de réduction aux catégories mentales (haine, stéréotypes persistants, troubles identitaires...) s’inscrit dans la logique du mépris que nous avons évoquée (voir la série d’articles).

    On notera au passage que cette thématique du mépris (y compris face à la haine supposée des classes dangereuses) est nettement passée à gauche, alors qu’il était longtemps une marque de la droite réactionnaire la plus décomplexée. Il est mon adversaire parce qu’il est mon inférieur.

    Mais le second grand type d’explication recourt au principe de causalité diabolique. Nous l’avons exploré dans notre livre Fake news (depuis quelques jours en version « la manipulation en 2019 » actualisée et augmentée).

    Globalement une partie des élites attribue tous les événement fâcheux des deux dernière années Brexit, élection de Trump, référendum catalan, élections italiennes, demain résultat des élections au Parlement européen à une action délibérée des désinformateurs (notamment russes). Plus récemment l’affaire Benalla, la montée des Gilet jaunes ou même la mise en cause de notre pays par l’Onu pour brutalités policières : tout cela a été présenté comme le résultat d’influences étrangères. Lesquelles au fait ?
    Les Russes font figure de suspect habituels (rôle longtemps tenu par les Chinois). Mais les méchantes « sphères » sont aussi suspectes de saboter la démocratie à grands coups de mensonges numériques.

    Récemment, le Monde (8 mars 2019) a trouvé de nouveaux suspects. Comme le milliardaire américain Robert Mercer, qui, avec sa fille, et à travers le fond d’investissement Renaissance Technologies, financerait des campagnes pro Trump via les « alt-right », plus un think tank néoconservateur (Gatestone), et un journal canadien the Rebel (dont un salarié avait contribué à diffuser les Macronleaks) tout cela s’intéressant beaucoup à l’Europe et offrant parfois des contenus en français. Le journal rapproche aussi des activités du centre Horowitz connu pour ses opinions anti-islam ou du think tank Middle East Forum à la fois ultraconservateur et très pro-sioniste. Il y aurait des bourses, des financements, des vidéos en ligne, des soutiens à des activistes de droite comme Tommy Robinson aux États-Unis.
    Tout cela est sans doute vrai et, pour notre part, nous n’avons jamais douté qu’il y ait aux États-Unis de riches partisans de Trump et d’Israël qui financent des fondations, des messages en ligne ou des médias internationaux.

    De même que nous n’avons jamais douté qu’il y ait eu des milliardaires US qui aient milité contre le communisme ou pour l’Europe libérale. Nous n’avons jamais douté que George Soros ne donne des sommes considérables à des mouvements ou médias libéraux anti-Orban, anti-Trump, pro révolutions de couleur pro-UE, ou pro société ouverte. Et cela pour l’excellente raison qu’il le dit lui même et s’en vante. Pas davantage, nous ne doutons que les médias français soient pour une bonne entre les mains de 9 milliardaires qui ne sont pas trop favorables aux populistes ou aux Gilets jaunes. Ou qu’il existe des réseaux d’influence libéraux à travers la planète.

    La vraie question est : en quoi une ingérence anti-UE, anti-libérale, qu’elle soit menée par des États ou par des milliardaires pervertis, serait-elle en mesure de fausser la démocratie ? Pourquoi les « bonnes » influences laisseraient-elles de marbre les électorats populistes d’Europe et pas le contraire ? Quelle est la recette magique des méchants ? Et pourquoi la vérité serait-elle impuissante à triompher du mensonge, elle qui a à son service tant de gouvernements vertueux, de médias mainstream, d’ONG de bonne volonté et d’internautes profondément vertueux ?
    Nous développerons dans d’autres billets la critique de ces deux arguments majeurs de l’idéologie dominante (en disant « idéologie dominante », nous voulons simplement dire que dans toute société, s’il y a au moins deux idéologies, il y en a forcément une qui prédomine). Mais il faut aussi se poser la question complémentaire : qu’est-ce qui pousse les tenants des conceptions prédominantes à attribuer leurs échecs (leur incapacité à faire croire les masses) à des facteurs aussi triviaux que les mauvais instincts desdites masses ou les manœuvres vicieuses d’une poignée de manipulateurs ?

    L’explication est probablement que ce type d’explication satisfait les dominants. Pour eux, l’idéologie est le mal psychique par excellence : l’ignorance de la réalité (fake news, fantasmes et compagnie) constitue son terrain favorable car elle nourrit les passions tristes (obsession identitaire, haine de l’autre). À moins que les discours idéologiques anti-systèmes (donc anti-démocratie puisque nous avons été élus), ne soient que les indices d’une gigantesque opération de désinformation, surtout en ligne : haine envers le Vrai, le Beau, le Juste plus falsification de la réalité . Opération menée par les Russes, les Chinois, les islamistes, les extrémistes : le succès des idées non conformes ne peut ressortir qu’au ressentiment ou à la conspiration. La solution serait de rééduquer ou d’inclure, non de confronter des intérêts ou des projets. Éventuellement, il faudrait contrôler les réseaux sociaux...

    François-Bernard Huyghe (Huyghe.fr, 9 mars 2019)

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  • Le macronisme comme idéologie...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de François-Bernard Huyghe, cueilli sur Huyghe.fr et consacré au macronisme comme idéologie. Spécialiste de la guerre de l'information, François-Bernard Huyghe enseigne à la Sorbonne et est l'auteur de nombreux essais sur le sujet, dont, récemment, La désinformation - Les armes du faux (Armand Colin, 2015) et Fake news - La grande peur (VA Press, 2018). Avec Xavier Desmaison et Damien Liccia, François-Bernard Huyghe vient de publier Dans la tête des Gilets jaunes (VA Press, 2019).

     

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    Le macronisme comme idéologie

    L’idéologie revient (et à vrai dire, elle n’était jamais partie) : nous pouvons constater chaque jour combien nous sommes divisés par nos idées - ce qui crève particulièrement les yeux (sans jeu de mots) dès que le débat touche aux Gilets jaunes -. L’impression que deux France vivent dans deux univers mentaux est de plus en plus prégnante. Pour le dire autrement, tout ce qui peut nous séparer dans nos intérêts économiques et sociaux, dans nos modes de vie, convictions générales et habitudes culturelles prend la forme d’un affrontement non pas entre deux doctrines, car les choses ne sont pas si élaborées, mais entre deux représentations de la réalité. Comme nous l’avons souvent dit, l’idéologie ce sont des idées ou jugement qui se déplacent en groupe et s’affrontent en groupe. Généralement autour d’un front idéologique principal. Cela ne signifie en aucune manière que l’on pense la même chose de chaque côté de la barrière (par exemple un Gilet jaune qui manifeste avec la CGT peut cohabiter avec un Gilet jaune en lutte contre la fiscalité, l’immigration et la perte de souveraineté), mais certains choix sont déterminants, ne serait-ce que parce qu’ils traduisent des passions sociales et qu’ils incitent à l’action. Des choix aussi simples que pour/contre les élites ou pour/contre la démocratie directe signifient plus que le vieux critères de séparations entre droite et gauche dont les dernières années ont montré la relativité.

    Mais l’idéologie, ce n’est pas seulement une série d’énoncés (des jugements compatibles sur les fondements du pouvoir, la réalités sociale, ou l’avenir de l’humanité), c’est aussi un lien (il y a eux et nous, la bonne réalité et la mauvaise idéologie). Elle se propage pour survivre ; elle partage et pas de la même façon, bien sûr, en lisant le Monde ou en allant sur Facebook et Youtube. C’est aussi, à certains égards, un logiciel qui fournit des réponses argumentées à l’avance et arme face à toute interrogation nouvelle. Une idéologie se reconnaît à ses points aveugles - ce qu’elle est incapable de penser - et à sa dynamique, à l’action qu’elle entraîne

    Le plus curieux de cette affaire est que le macronisme s’est présenté comme l’anti-idéologie par excellence : une pensée libérée des catégories obsolètes et des vieux fantasmes. Donc comme une heureuse synthèse de ce qu’il y avait d’applicable dans la droite et dans la gauche (le seul fait de penser en termes de problèmes et solutions étant en soi assez significatif d’un courant se pensée qui nous annonce la fin des idéologies depuis les années 60).

    Macron se vante souvent d’être un disciple de Ricœur. Or, ce dernier, dans un de ses textes les plus connus « Idéologie et utopie » distinguait deux formes de l’imaginaire social partagé : l’idéologie qu’il décrivait surtout comme une machine à justifier (une position de classe que l’on tente de faire passer pour universelle, une domination que l’on montre comme fatale et juste, ou encore une histoire commune qui rassemble un groupe). Quant à l’utopie, il la voyait plutôt comme une forme subversive, promettant un monde nouveau et servant d’appui pour critiquer l’actuel. Sans caricaturer sa pensée, car il les pensait les deux « en même temps » complémentaires, Ricœur avait tendance à sublimer la seconde et à critiquer la première. L’idéologie - fût-elle un fatras de promesses révolutionnaires - était plutôt du côté de la conservation/justification de ce qui est (fût-ce le pouvoir du parti qui se dit révolutionnaire) et l’utopie du côté de l’aspiration ou de l’invention.

    Ceci pourrait nous éclairer sur la pensée du disciple. Macron est-il utopiste ? C’est certainement un terme qu’il réfuterait puisqu’il ne cesse de se référer au réel : le réel en tant que limite (il n’y a pas d’alternative, il y a des contraintes géopolitiques, écologiques ou économiques que l’on ne peut feindre d’ignorer) et en tant que légitimation de sa politique qui serait à la fois dans le sens de la modernité et dans celui de l’efficacité. Mais, dans la mesure, où il est bougiste - tout change constamment et il est prioritaire d’accompagner ce changement - il joue passablement d’une forme de projection vers le futur radieux assez soft pour plaire à sa clientèle - disons bobo ou lib-lib - qui a besoin d’une perpétuelle excitation verbale pour se sentir toujours duc côté de l’audace et de la créativité.

    Et, évidemment, Macron s’offre la facilité de stigmatiser ses adversaires comme idéologues, mot qu’il emploie comme quasi synonyme d’extrémiste. Voire de crétin aveuglé par les fausses nouvelles ou de salopard fascisant habité par des haines et des peurs.Il manifeste par là une attitude typique des élites européennes qui ne peuvent imaginer que l’on pense autrement qu’eux sur l’essentiel (les 4 M : modernité, mondialisation, morale et marché) que sous l’effet d’une faiblesse mentale : populistes incapables de comprendre la complexité du réel, exigeant des choses contradictoires, manipulés et désinformés, etc. Ou on leur attribue des passions tristes, voire honteuses : pulsion de haine ou crispation identitaire. Le macronisme fait l’impasse totale sur le conflit politique, résumé à l’incompréhension ou à l’immoralité. C’est évidemment en cela qu’il est profondément idéologique puisqu’il propose un système d’interprétation qui exclut toute contradiction.

    Principe d’économie du macronisme : il n’est plus nécessaire de montrer que cela (le système adverse) ne marche pas ou que la doctrine de l’autre contient des contradictions, il suffit de qualifier ses propres critiques de jobards ou de haineux. La lutte idéologique se réduit à une pédagogie de ceux qui pensent mal et à une déradicalisation de ceux qui sentent mal. Et il n’est plus indispensable de prouver que votre idéologie est la bonne puisqu’elle est le réel.

    François-Bernard Huyghe (Huyghe.fr, 7 février 2019)

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  • Trop vite radicalisé ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un excellent point de vue de François-Bernard Huyghe, qui, sur son site Huyghe.fr, revient sur la propension qu'ont les médias de mettre en doute les motivations idéologiques des terroristes et de préférer expliquer leurs actes par des raisons psychologiques...

     

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    Trop vite radicalisé ?

    Le rienavoirisme frappe encore

    Petit psychodrame à la française : faut-il parler de "radicalisation express" à propos du tueur de Nice ? Et si la piste était à rechercher du côté de sa dépression (en 2004) ? De son divorce (quelque chose de rarissime en France) ? De sa bisexualité (ah bon, ça rend criminel ?) mais ? Du fait qu'il était un mauvais musulman qui buvait de l'alcool (et Merah, les Kouachi, les Abaoud, ils buvaient du thé avant ?) ? De la rapidité suspecte du phénomène (s'il avait mis plusieurs mois et prévenu ses voisins, ce serait rassurant)... Bref, il aurait agi pour cent motifs, sauf religieux, et aurait eu toutes sortes de fantasmes, mais non idéologiques, en dépit du fait qu'il a exactement réalisé ce que recommande Daesh : si l'on ne peut pas aller émigrer au pays de Cham (faire la hijrah au pays du califat, le seul pays où est appliquée la loi de Dieu), il faut improviser, prendre une pierre, un couteau, une voiture et frapper n'importe quel mécréant. C'est ce que nous appellerions la théorie "hydraulique" : ces gens frustrés ont un trop plein de violence à décharger et ils saisissent l'alibi religieux pour s'en soulagaer. L'idéologie (qui prescrit pourtant exactement ce qu'ils font, le justifie, leur promet le paradis) ou la croyance en général n'a aucun rôle. À ce compte, un nazi est-il vraiment antisémite, s'il a bu dans sa jeunesse ou adhéré à d'autres idées avant d'entrer dans la SS ?

    Il est niais de croire que les gens sont mus uniquement par les représentations explicites (ici, la doctrine clairement exprimée) dont ils se réclament (nous avons tous des problèmes, des frustrations, des intérêts, des désirs qui cherchent à cristalliser...) mais il est encore plus naïf de penser qu'il y a comme une force mortelle qui flotte dans l'air et qui se déverse sous le simple déguisement de la religion. D'autant plus que c'est toujours en conformité aux mêmes ordres de la même hiérarchie représentant la même doctrine et de la même communauté que cela se produit.

    Pas de chance : l'État islamique revendique. Regain de suspicion conspirationniste : ils ont mis trente heures, n'est-ce pas suspect ? Ne seraient-ils pas en train de récupérer des actes - motivés par quoi, grands dieux ? - et qu'ils ont appris par le plus grand des hasards ? Le fait que des gens semblent parfaitement se conformer aux instructions et justifications de Daesh (comme dans le cas tout récent de l'agression à la hache dans un train allemand) serait une illusion dont seraient victimes à la fois le terroriste ou l'organisation terroriste, mais pas l'intellectuel critique français qui pose un diagnostic psychiatrique par écran de télévision interposé. La formule rituelle "L’auteur de l’opération exécutée à XXX est l’un des soldats de l’Etat islamique, . Il a effectué son opération en répondant aux appels incitant à frapper les pays de la coalition qui combat l’Etat islamique." serait un vœu pieu ou une tromperie envers les autres ou envers soi-même. Si vous n'avez pas un certificat de la DGSI, une fiche S, si possible quelques condamnations pour radicalisation, un longue barbe et des confessions mises en ligne depuis des mois sur Facebook, n'espérez pas tromper ces vigilants. Les jihaddistes appliqueraient donc la formule : puisque les événements nous dépassent, feignons de les organiser. Mais l'hypothèse que des gens puissent être séduits par la triple perspective de sauver leur âme en gagnant la gloire au passage, de participer à la conquête du monde par les forces de la justice et de punir des mécréants (coupables à leurs yeux), cela vous semble incompréhensible mes bons maîtres ?

    François-Bernard Huyghe (Huyghe.fr, 19 juillet 2016)

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  • L'idée comme force !...

    Nous reproduisons ci-dessous un texte de François-Bernard Huyghe, cueilli sur son site et consacré à l'idéologie. Spécialiste de la communication et de la guerre de l'information, François-Bernard Huyghe est l'auteur de nombreux essais et a publié dernièrement La désinformation - Les armes du faux (Armand Colin, 2016).

     

     

     

     

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    Idéologie : l'idée comme force

    Comment parler de façon non idéologique de l'idéologie (dont on sait bien que c'est l'idée de l'Autre) ? La définir, c'est se poser en maître de vérité, dévoilant aux égarés les leurres dont ils sont dupe : ceci est la vérité (ou de la science, ou la réponse technique, ou voici une vision pragmatique du monde tel qu'il est) cela est l'idéologie !

    La plupart des définitions de l'idéologie insistent sur son côté :

    
- irréel (irréfutables, parce qu'insensibles au démenti). L'idéologie (souvent assimilée à une maladie de l'idéalisme qui prendrait ses rêves pour des réalités) est alors une machine à décoller du concret et du vérifiable, à imaginer de fausses espérances, des explications fallacieuses, une pseudo logique dans les événements, à balayer toutes les critiques ou les objections de la raison, à réinterpréter les faits dans le sens qui arrange « Une idéologie est précisément ce que son nom indique : elle est la logique d’une idée….L’émancipation de la pensée à l’égard de l’expérience. » disait Hananh Arendt. L'idéologie est donc surtout non-vraie dans cette perspective.

    - "bricolé" : l'idéologie n'est pas totalement délirante. Simplement mêlant des discours pseudo-rationnels, présentant une cohérence et une logique relative, elle trouve des explications et forge une apparente cohérence explicative ou prospective. Elle imite la science mais n'est qu'un système de représentations qui donne réponse à tout, et qui est symptomatique des préconceptions de celui qui le formule et qui s'auto-illusionne plutôt qu'une démarche pour approcher de la réalité. L'idéologie, c'est du vrai, plus du faux, plus du spéculatif, plus de l'indécidable, plus du douteux formant un tout. L'idéologie est inconsistante.

    - son caractère de "fausse conscience", ou vision "inversée" de la réalité. Cest ici la définition marxiste classique. Les hommes qui ont des positions de classe formulent des systèmes intellectuels pour s'expliquer le monde tel qu'il leur apparaît (donc avec toute la subjectivité due à leur position historique). Ces systèmes, qui reflètent en réalité leurs intérêts, ils les prennent pour des vérités universelles et souvent même les dominés, à rebours de leurs intérêts réels adoptent l'idéologie que leur imposent les dominants. C'est par exemple une idéologie qui décrit comme naturel, juste et conforme à la raison un monde où les dominants dominent et où les dominés ne se révoltent pas. Mais les marxistes ajoutent que l'on peut échapper à la malédiction de la fausse conscience et produire de la science. Certes, par un effort intellectuel (la production théorique) mais aussi et surtout en adoptant le point de vue de la classe "universelle", le prolétariat, appelé à réaliser les potentialités universelles de l'homme et de la raison humaine. Bien sûr, les malins remarquent que les raisonnement est un peu circulaire : tandis que vous, vous faites de l'idéologie (ce qui démontre combien vous êtes égaré par vos intérêts de classe, comme je peux le montrer scientifiquement) ; moi, je dis la vérité parce que le marxisme est scientifique, il est scientifique parce qu'il correspond au mouvement historique de la réalité, il y correspond parce que je dis la vérité. Vous ignorez cette vérité parce que vous êtes dans l'idéologie. Dans cette optique, l'idéologie est un aveuglement symptomatique.


    - "légitimant". L'idéologie n'est pas une méthode pour résoudre des questions et pour juger, par exemple, si quelque chose est souhaitable (ainsi : un certain type de régime politique), elle le présuppose au départ. Elle est une réponse déguisée en question ou une valeur qui cherche réalisation mais se prend pour une rationalité. Elle part de ce qu'elle devrait prouver à la fin (ce qui est juste, ce qu'il faut faire ou au contraire, ce qu'il faut supprimer, la cause des malheurs du monde) et conclut forcément là où elle voulait mener. L'idéologie est un moyen au service d'une fin.



    Les quatre visions ne sont, du reste, pas incompatibles (l'on peut, par exemple, penser que les hommes bricolent des pseudo-explications avec des faits pour légitimer des valeurs, parce qu'ils sont victimes d'une fausse conscience...). Il est permis de penser qu'elles ont toutes leur part de vérité, dans la mesure où elles décrivent le rôle des idéologies. Une idéologie, ce n'est pas seulement une idée à laquelle on peut adhérer ou pas, ce n'est même pas un corpus, un ensemble de notions et affirmations ayant une relation de cohérence entre elles, c'est un code : une machine à produire de nouvelles interprétations conformes aux finalités du modèle. Une idéologie permet tout à la fois de rêver, de croire que l'on possède une explication du monde, de s'imaginer que l'on échappe à l'idéologie (c'est une différence avec la foi : chacun dit "je le crois parce que c'est ma religion", personne ne dit "je le crois parce que c'est mon idéologie"). Enfin l'idéologie sert à rentrer dans une communauté (avec tous ceux qui partagent la même vérité que vous) et, ce n'est peut-être pas le moins important, à se faire des ennemis. Où au moins à désigner le mal : l'idéologie adverse. Toute idéologie est en effet une "pensée contre" qui s'oppose aux idées mauvaises ou fausses (ce qu'elle nomme justement "idéologies"), ne vit que dans le conflit avec elle et avec une autre communauté de croyants et se condamne par là même à convaincre sans cesse, à augmenter les nombre de ses adhérents (au détriment de l'erreur et du mal). Du reste on reconnaît assez bien un discours idéologique à ceci qu'il explique qu'il faut se battre pour libérer l'humanité du poison des idéologies perverses : néolibéralisme, nationalisme archaïque, islamisme, tiers-mondisme anti-américain, utopisme altermondialisme, populisme sécuritaire fascisant suivant le cas..

    
En fait l'idéologie pose une question 
- philosophique : qu'est-ce que la vérité ? la doxa (l'opinion communément admise) ? l'erreur ?
- épistémologique : comment se fait-il que l'on arrive à des conclusions ou bien vraies ou bien fausses ou bien fallacieuses (parfois à partir des mêmes éléments d'information) ? comment accéder à la connaissance vraie en évitant le piège de l'idéologie ?
- historique et politique : est-ce l'idéologie qui gouverne l'action des hommes ? n'y a-t-il rien à faire pour leur faire adopter une conduite raisonnable ? l'idéologie est-elle secondaire par rapport à d'autres facteurs déterminants comme les intérêts géopolitiques ou l'économie ?
- psychologique ou sociologique : comment se fait-il que tel individu ou tel groupe se rattache à telle idéologie ? et qu'il puisse en changer ?

L'auteur de ces lignes n'a aucune prétention à les résoudre. En revanche, il serait se permet de préconiser une approche médiologique.
En l'occurrence, il ne s'agirait plus de poser la question de l'idéologie dans son rapport à la connaissance vraie, ni aux valeurs justes, mais dans sa relation avec l'action. L'idéologie n'est pas faite (uniquement) pour expliquer le monde, mais pour le changer : son adoption, le nombre et la qualité de ses adeptes est censé produire un changement politique, à se traduire en un nouveau rapport de pouvoir ici et maintenant.
C'est une idée qui veut devenir une force. On nous objectera qu'il existe des idéologies conservatrices, dont la fonction est précisément de nous convaincre qu'il ne faut rien changer d'essentiel dans le réel tel qu'il est, et que nous devons continuer à croire et à faire ce que nous avons toujours cru et fait.
Mais, si ce sont vraiment des idéologies qui se défendent et se propagent (et non des cultures dans lesquelles on baigne et qui se transmettent), elles sont obligées d'appeler à un combat contre la subversion, l'erreur, la menace... Elle créent par là même un certain dynamisme : il leur faut sans cesse produire des contre-arguments, des projets, des enjeux..


    Une idéologie, c’est une force en marche, une idée de tête en tête. Elle a besoin de vecteurs et relais. Toute idéologie veut changer le monde sous couleur de l’interpréter. Son succès dépend de configurations stratégiques et techniques qui lui confèrent plus ou moins d’impact. On l'adapte et on l'adopte : elle s'intériorise.

    Pour cela, il faut des médias pour transmettre le message (et, si possible, étouffer le message contraire), Il faut s'adapter à un milieu à conquérir et il faut enfin et surtout une stratégie et des gens. Une stratégie pour propager l'idéologie, par exemple une technique de prosélytisme ou de propagande. Il faut des gens pour commenter, illustrer et faire passer l'idéologie. Selon les lieux et les époques, ces gens là se nomment des missionnaires, des militants, des journalistes, des intellectuels, des minorités actives...
La propagation d'une idéologie requiert donc :

    - le bon message. Le bon message est certes "persuasif" donc capable d'entraîner la conviction de celui qui le reçoit par une démonstration (administration de preuves dont éventuellement des preuves par l'image, mais aussi raisonnement amenant le destinataire aux mêmes conclusions que vous), mais il est aussi émotif. Au-delà de la question de la démonstration rationnelle ou pseudo-rationnelle, il s'agit aussi de toucher la corde affective, de provoquer des sentiments d'admiration, de répulsion, d'indignation, d'enthousiasme, etc.

    Mais aussi d'amener le destinataire à croire que les conclusions qu'il retire coïncident avec des valeurs fondamentales de liberté, de justice, etc.

    Nous retrouvons là une vieille recette de la rhétorique antique : logos plus pathos plus ethos. Avec cette différence que l'idéologie ne doit pas seulement persuader d'un fait passé ou futur (Untel est innocent, telle loi contribuera à la prospérité du pays), elle ne doit pas seulement amener à certaines généralisations intellectuelles (le capitalisme a provoqué la crise, donc il faut imaginer un autre système,ce régime islamiste viole les droits de l'homme donc il faut établir une démocratie laïque partout dans le monde), elle doit inciter à s'engager ou à agir (au minimum : voter, soutenir), du moins à adopter un ensemble de cadres de pensée. Ils permettent à l'idéologie de s'auto-reproduire. Nous entendons qu'elle amènera le néophyte à choisir à l'avenir la réponse conforme à l'idéologie (la crise semble s'atténuer, donc les rares mécanismes étatiques subsistant pour contrôler l'économie sont indispensables face au excès de l'ultra-libéralisme, ce régime islamiste organise des élections, donc elles sont truquées). Précisons que le fait que le message se révèle ou bien faux ou bien vrai (au sens de : confirmé par les faits) ne change rien à son efficacité.


    - le bon média. Pour remplir les cerveaux, il faut pouvoir les atteindre. Ne serait-ce que pour les immuniser contre les messages adverses. D'où la nécessité suivant les époques d'avoir une collection chez un grand éditeur toute dévouée à votre chapelle intellectuelle, de lancer un journal militant reflétant les thèses de votre parti, de financer une télévision internationale d'information favorisant l'influence de votre pays ou d'établir un réseau de vos partisans présents sur les forums et les sites.

    - le bon milieu. Ce qui s'entend dans les deux sens : il faut envoyer le message par des vecteurs et avec le soutien de relais efficaces dans des termes qui correspondent à la culture au sens large de leurs destinataires. Il faut que l'interprétation qu'il fera de l'idéologie coïncide avec ce qu'il sait, ce qu'il croit, ce qu'il respecte et ce qu'il refuse. Mais la règle du milieu vaut dans l'autre sens : l'idéologie ne prospère qu'autant que ses partisans peuvent se rencontrer, se renforcer mutuellement, que si elle est cohérente avec leurs valeurs ou leur expérience quotidienne. Nous serions tentés d'ajouter cyniquement : que s'ils ont intérêt à la produire ou à la diffuser (par exemple pour leur carrière, pour être bien vus dans leur milieu social...). Le problème commence quand deux milieux se rencontrent, par exemple quand le milieu des think tanks, de la haute administration ou de l'armée US veulent convertir à leur idéologie un montagnard parlant pachtou et membre d'une tribu aux traditions guerrières et patriarcales. "Les filles doivent voter et aller à l'école car cela renforce le sentiment d'égalité autant que les libertés démocratiques et leur contribution à l'économie augment la prospérité, surtout dans le cadre du développement durable." est un exemple de contenu idéologique à réadapter dans le cas évoqué.

    - les bonnes médiations. Nous entendons par là les groupes et institutions qui formeront le biotope intellectuel de l'idéologie et lui permettront de croître et de prospérer. et de trouver de nouveaux repreneurs.

    Dans toute société, on peut considérer que toute institution - comme une église, une école, l'armée - remplit, comme de surcroît, une fonction idéologique qui consiste à inculquer des valeurs et des croyances. Elles le font de haut en bas, de l'aîné ou du supérieur vers le plus jeune et l'inférieur et ceci sans aucune hypocrisie : il s'agit d'inculquer, de former...

    Mais d'autres organisations répandent l'idéologie de manière plus horizontale ou plus indirecte. Celles que nous avons nommé Organisations Matérialisées d'Influence. Une société de pensée, une ONG, un think tank, ou à plus forte raison un parti (qui en fait une de ses ambitions avouées) répandent une idéologie : ces groupes passent leur temps à faire entrer "des idées dans la tête des gens", car leur existence dépend du nombre et de l'importance de ceux qui partagent leurs visions ou leurs valeurs. Un médecin qui soigne des enfants à l'autre bout du monde répondra peut-être que son dévouement au service d'une ONG n'a rien à voir avec l'idéologie : il répond à une urgence humanitaire. Il suit une morale naturelle de la compassion qui pousse un être humain à aider un être humain. Du point de vue moral, notre médecin a parfaitement raison et il n'y a aucune raison de le soupçonner d'avoir des desseins politiques cachés (répandre la civilisation occidentale auprès de peuples "inférieurs", ou compenser par un peu de charité ce que le capitalisme a de sauvage aux yeux des gens du Sud, par exemple). En revanche, en amont, si nous regardons toute la machinerie qui a permis audit docteur d'arriver sur place, nous rencontrons une association qui a pignon sur rue, reçoit des fonds du public, fait parfois de la publicité à la télévision et dont le succès dépend largement d'une image de marque. Or, pour bien faire tout cela, l'ONG doit s'appuyer sur une idéologie, noble et juste peut-être, mais idéologie quand même, qui est celle des droits de l'homme, des "french doctors" et de l'urgence humanitaire dans un monde sans frontière.

    D'une certaine manière, même un lobby est "idéologique". Non pas que ses membres aient des convictions sincères : le plus souvent ils agissent parce qu'ils sont payés par un client. Par ailleurs, ils sont censés défendre des intérêts et absolument pas des idéaux ou des idées. Mais dans leur "plaidoirie", car leur rôle est, après tout, de plaider pour une cause comme des avocats, ils doivent s'adapter à l'idéologie dominante. Ils doivent, par exemple (voir la rubrique "milieu" plus haut) convaincre leur interlocuteur membre d'une Organisation Internationale Gouvernementale que la proposition qu'ils avancent va parfaitement dans le sens du développement durable, de la bonne gouvernance, de la société de l'information... et autres notions qui sont inculquées à tout fonctionnaire international (y compris l'auteur de ces lignes qui l'a été en son jeune temps).En ce sens, même si nous croyons baigner dans les évidences morales (l'urgence, les droits de l'homme, la démocratie, la société civile) ou dans les évidences scientifiques et techniques  (le réchauffement planétaire, la croissance verte, le rôle indispensable du marché), nous vivons dans un monde où croît le rôle de l'idéologie (dont on trop tôt claironné la mort dans les années 90, comme on l'avait déjà fait dans les années 60 avec l'avènement de la "société post-industrielle").

    Comme le dit Régis Debray « L’idéologie n’est pas l’antithèse d’un savoir ou d’une réalité, comme illusion, méconnaissance ou fausse conscience, mais la forme et le moyen d’une organisation collective. Ce n’est pas une modalité du voir, mais une contrainte du faire.» 


    François-Bernard Huyghe (Huyghe.fr, 4 juin 2016)

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