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gilets jaunes - Page 20

  • Gilets jaunes : la bataille de la dignité...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de François-Bernard Huyghe, cueilli sur Huyghe.fr et consacré aux manifestations des "Gilets jaunes" du 24 novembre. Spécialiste de la guerre de l'information, François Bernard Huyghe, auteur de nombreux livres, a récemment publié La désinformation - Les armes du faux (Armand Colin, 2015) et Fake news - La grande peur (VA Press, 2018).

     

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    La bataille de la dignité
     
    La journée du 24 novembre, acte II de l’histoire des gilets jaunes, a été largement polluée par l’effet de loupe sur les violences (d’une gravité tout à fait relatives, que l’on parle dégâts ou nombre d’interpellations) sur les Champs-Elysées. Casseurs d’ultra-droite dans la journée, d’extrême-gauche le soir ? C’est possible, encore que le fait d’avoir laissé la situation pourrir dès 10 H du matin avec toutes sortes d’accès non filtrés aux Champs, avec du mobilier urbain disponible, ait pu donner des tentations à quelques uns. Et de belles images pour les télés du monde entier.

    La théorie de Castaner - complot, radicalisation, ultra-droite séditieuse, factieuse, rappelant le 6 février 34, s’en prenant aux institutions, commanditée par Marine le Pen, peut-être aidée de Jean-Luc Mélenchon, ajoutent quelques seconds couteaux - est pour le moins réductrice. Et ressemble furieusement à une stratégie du leurre. Elle pourrait d’ailleurs tourner à la prophétie auto-réalisatrice : à criminaliser moralement le gilets jaunes, et à jouer l’affrontement des réformateurs avec les forces obscures, on finit par donner des tentations électorales à des gens apolitiques qui se diront que stigmatisés pour stigmatisés.... C’est si bon quand c’est un péché. Et il est bien connu que le choix de notre ennemi révèle quelle est notre propre question.

    Mais la question n’est pas là. Le gouvernement et une bonne partie des commentateurs se plaignent du caractère horizontal, déstructuré, presque liquide du mouvement : comment négocier avec des gens qui n’ont pas de chefs, pas de revendications précises et qui prétendent s’auto-représenter ? Quelle confusion !

    Il nous semble au contraire que la parole des manifestants, dès qu’on leur passe un micro, soit d’une clarté remarquable.
    - Nous sommes le peuple, disent-ils. Il y a un sentiment de légitimité de gens qui expérimentent souvent pour la première fois l’expression directe dans la rue et qui, notamment, ne comprennent pas qu’on leur dise où ils ont le droit ou pas de manifester.
    - Nous sommes la classe moyenne qui n’en peut plus, les perdants, les déplorables, les culturellement dévalorisés, nous sommes exactement tels que nous décrivent des Guilluy, des Michéa, des Piketty, des gens que nous n’avons pas forcément lus, mais dont les élites auraient du écouter les avertissements. Nous voulons que vous réalisiez notre sentiment de chute et d’angoisse.
    - Nous voulons de la considération: être reçus, avoir des réponses, ne pas être traités par le mépris. Notez avec quelle fréquence revient ce mot de « mépris ». A cet égard, le tweet de Macron : «  Honte à ceux qui ont violenté d'autres citoyens et des journalistes. Honte à ceux qui ont tenté d'intimider des élus. Pas de place pour ces violences dans la République », mélange d’emphase et de cours de morale aux vilains gamins habillés en jaune est un chef d’œuvre d’incompréhension de ce que ressentent les gens. Quand ils disent rendre l’argent (notamment celui de l’ISF), les manifestants ajoutent souvent aussi qu’ils veulent qu’on leur rende leur honneur de travailleurs. Soit dit en passant, il circule en ce moment des vidéos anonymes de policiers et gendarmes qui disent leur honte d’être obligés de taper sur le peuple. Cela ressemble à un gros signal faible.
    - Cessez d’évacuer la question sociale d’égalité au profit des promesses d’efficacité économique et de modernité sociétale. C’est bête mais nous pensons fins de mois, riches et pauvres et moyens de vivre demain. C’est bête, mais les conditions matérielles de vie restent le premier facteur de mobilisation. Vous l’aviez oublié là-haut ?

    Colère (le sentiment), plus auto-organisation (les médiations), plus refus des représentations dominantes (allant jusqu’à l’agressivité contre les médias « complices »), inquiétudes sur le contrat social (consentement à l’impôt remis en cause) et même une certaine fraternité qui naît. Depuis quand n’avions nous pas vu une pareille conjonction ?

    Et, puisque nous avons cité Guilluy, dont les analyses trouvent ici une incroyable illustration, nous ne résistons pas à une tentation sur ce qu’il appelle le soft-power de la France périphérique.
    L’expression soft-power n’est pas la plus parlante pour désigner une capacité de résistance et de refus de la culpabilisation, et nous aurions, pour notre part, plutôt parlé de résistance idéologique et culturelle. Mais Guilluy a raison quand il décrit « cette autonomie contrainte d’un monde d’en bas désormais hermétique aux discours et injonctions d’en haut permet aux classes populaires de réaffirmer ce qu’elles sont collectivement. Contre toute attente, elles exercent aujourd'hui un soft-power invisible qui contribue à l’effondrement de l’hégémonie culturelle des classes dominantes et supérieures »
    Or, pour suivre cette hypothèse, ceux d’en bas, semblent, en effet de plus en plus imperméables au discours venu d’en haut. Qu’il s’agisse du discours « de vérité » (vous n’allez pas croire ces fake news, si on regarde bien les chiffres, on voit au contraire que tout va de mieux en mieux. Ou du discours de la peur morale (attention au fascisme, pensez à la planète, ne soyez pas factieux.
    Résister à l’impératif hégémonique, c’est une chose. Énoncer des objectifs politiques, c’est mieux.
    François-Bernard Huyghe (Huyghe.fr, 25 novembre 2018)
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  • Les snipers de la semaine... (172)

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    Au sommaire cette semaine :

    - sur Figaro Vox,

    Bienvenue en Lacrymalocratie, le régime où les victimes sont reines

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    - sur La voix de nos maîtres, Ingrid Riocreux mouche la désinformation des médias sur le mouvement des gilets jaunes

    Les médias et la « radicalisation » des gilets jaunes

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  • Les Gilets Jaunes et la colère des masses populaires...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de l'économiste hétérodoxe Jacques Sapir, cueilli sur Les Crises et consacré au mouvement des Gilets jaunes.

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    Les Gilets Jaunes et la colère des masses populaires

    La journée du 17 novembre des Gilets Jaunes s’est donc soldée par un succès massif, avec plus de 2000 points de blocage alors que 1500 avaient été annoncés. Les chiffres de participation annoncés par le Ministère de l’intérieur semblent largement sous-estimés. Mais, ce succès a hélas été endeuillé par le décès d’une manifestante et par de nombreux blessés, ce qui est dû dans la plupart des cas à des véhicules ayant tenté de forcer les barrages. Ce succès interpelle les mouvements politiques et les syndicats. Si la majorité (LAREM) et ses journalistes à gages tiennent un discours odieux, il convient de s’interroger sur la signification de ce mouvement et sur ses suites possibles.

    Jour de colère

    Ce mouvement a été déclenché par l’annonce d’une hausse des prix du carburant. Il traduit cependant une colère bien plus profonde, et des causes bien plus complexes. La question des prix du carburant renvoie, elle, à ce que l’on appelle les « consommations contraintes » des ménages des classes populaires. Quand on n’a pas de moyens de transports de substitution, quand on doit faire tous les jours des dizaines de kilomètres pour aller travailler, oui, le prix du carburant représente une contrainte. Dit en des termes d’économistes, il n’y a aucune élasticité de la consommation au prix dans ce cas.

    Mais, une simple hausse du prix des carburants n’aurait certainement pas provoqué une telle colère si elle ne venait s’ajouter à des hausses multiples, mais aussi à une pression fiscale dont les classes populaires ont l’impression de payer bien plus que leur part. Les réformes fiscales prises depuis un an par le gouvernement – dont la suppression de l’ISF – ainsi que les mesures prises par les gouvernements précédents, et l’on se souvient des 44 milliards du CICE donnés aux grandes entreprises en l’échange de quelques créations d’emploi, constituent la base de cette colère. On parle d’un « ras-le-bol » fiscal ; il peut exister en certains cas. Mais, ce qui est en cause c’est avant tout le sentiment d’une injustice fiscale.

    Ajoutons-y les propos plus que malheureux d’un Président de la République, qui à l’évidence n’éprouve aucune empathie pour les classes populaires, tout fasciné qu’il est par les « start-upers » et par la richesse des gens qui, pour reprendre son expression, eux ne sont pas rien. Les termes extrêmement désobligeants qu’il a employés depuis des années à l’encontre des classes populaires sont connus. Ils n’ont pas été oubliés par ceux auxquels ils s’adressaient. Les français, dit-on, ont la mémoire courte. Ils viennent de démontrer exactement le contraire.

    Tout cela a fait le ciment d’une révolte qui monte des tréfonds de la France périphérique pour reprendre l’expression du géographe Christophe Guilluy. La haine des représentants organiques de la France bobo indique bien où se trouve la fracture, et cette fracture, n’en déplaise à certains, est une fracture de classe. Les slogans politiques que l’on a, alors, pu entendre ne doivent rien à la présence de militants de partis et d’organisations, mais bien plutôt au fait que ces classes populaires identifient spontanément le gouvernement et le Président comme leurs ennemis.

    L’auto-organisation, ses précédents, ses limites et son devenir

    Cette révolte a été largement inorganisée, ou plus exactement auto-organisée. Elle a commencé par des individus, s’est amplifiée sur les réseaux sociaux. De très nombreux manifestants du 17 novembre faisaient leur première expérience de la manifestation, de la lutte collective. Cette expérience là, cette forme spécifique de socialisation, est d’une extrême importance. Car, en apprenant à se coordonner, en se parlant ensemble, ces individus cessent justement d’être des personnes isolées. Elles prennent conscience de leur force. C’est pour cela que ce mouvement, aussi hétéroclite en soit l’idéologie, aussi mélangés aient pu en être les participants, représentait fondamentalement un mouvement social progressiste. Car, toute expérience sociale qui sort les individus de leur isolement aujourd’hui a un caractère progressiste.

    Le désarroi de certains partis, mais aussi de certains syndicats, face à cette manifestation a été flagrant. La participation à ce dernier de dirigeants de la France Insoumise, comme Jean-Luc Mélenchon, François Ruffin, ou Adrien Quatennens montre bien que ce mouvement a compris la nature profonde de ce qui se passait. Que d’autres partis aient soutenu, soit timidement soit de manière plus engagée, la manifestation doit aussi être constaté. Pour reprendre une expression de mon excellent collègue Bruno Amable, verra-t-on se constituer sur cette base un « bloc anti-bourgeois » capable de faire pièce au « bloc bourgeois » qui est aujourd’hui aux commandes est bien la question qui se pose.

    Car, ce qui a fait la force des Gilets Jaunes peut aussi constituer leur faiblesse. Si la mobilisation veut durer, et pour faire face à l’intransigeance du gouvernement il est clair qu’elle le doit, elle devra se doter d’une forme de structuration. Mais, alors, les moyens de pression du dit gouvernement augmenteront d’autant. Que l’on se souvienne comment Georges Clémenceau, alors Ministre de l’Intérieur, avait manipulé Marcelin Albert, le dirigeant de la révolte viticole du Midi et en particulier de la région de Béziers en 1907, celle dont nous est resté la chanson « gloire au 17ème »[1], célébrant la fraternisation des soldats du 17ème de Ligne avec les manifestants. Les Gilets Jaunes auraient ainsi tout intérêt à adopter une structuration en comités d’action avec des coordinations régionales et nationales, permettant un contrôle démocratique au-delà de la préparation d’une journée de manifestation.

    Au-delà de ce risque, toujours présent, la mobilisation doit se poser les questions de l’élargissement du mouvement, mais aussi des formes qu’il doit prendre et des objectifs qu’il doit se donner. La persistance de mouvements de blocage et de manifestation le dimanche 18 novembre, l’extension à l’outre-mer, tous ces symptômes indiquent que nous sommes peut-être à la veille de quelque chose de bien plus important qu’une simple protestation contre des taxes.

     

    L’effacement des syndicats et le potentiel de cette mobilisation

    Il faut cependant revenir à l’effacement des syndicats, et à son corolaire : l’absence de représentants institutionnels des Gilets Jaunes. De nombreuses raisons expliquent cet effacement, et le phénomène de bureaucratisation des grandes centrales en est un. Mais, quand le gouvernement fait tout pour faire disparaître les syndicats en tant de forces sociales, il est bien mal placé pour regretter l’absence de représentants institutionnels dans le mouvement du 17 novembre, représentants avec lesquels il pourrait, le cas échéant, négocier.

    En mai 1968, ce sont les syndicats, et au premier lieu la CGT, qui ont été les chevilles ouvrières du compromis – les Accords de Grenelle – qui a permis de trouver une voie de sortie non révolutionnaire au mouvement. Ces accords ont été suffisamment exemplaires pour que le mot « Grenelle » soit aujourd’hui mis à toutes les sauces. Cela sera difficile à reproduire, sauf récupération de cette mobilisation.

    Le gouvernement se trouve donc en face d’un mouvement d’un nouveau genre, un mouvement revendicatif qui porte en lui directement sa nature de contestation politique. Sauf à lui donner très vite raison, et l’on voit mal comment il le pourrait, il risque deux écueils :

    Le premier est que cette mobilisation continue de monter et qu’elle provoque, ici et là, des mouvements de fraternisation avec les forces de l’ordre. C’est, pour ce gouvernement, le scénario du pire. Même s’il est aujourd’hui peu probable, il implique alors la transformation de cette mobilisation en un mouvement de fait insurrectionnel.

    Le second, plus probable, est que cette mobilisation finisse par s’effilocher faute de trouver des débouchés concrets et faute d’avoir pu faire le pont avec d’autres secteurs de la population. Mais, même si ce mouvement retombe, il ne retombera qu’en apparence. La colère, et cette fois l’amertume, seront toujours là n’attendant qu’un prétexte pour ressurgir, et qu’une occasion, en particulier électorale, pour s’exprimer.

    Le gouvernement va donc avoir à traiter soit un péril immense à court terme, soit un péril tout aussi immense à moyen terme. Mais, quoi qu’il fasse, il ne se débarrassera pas du péril.

    Jacques Sapir (Les Crises, 19 novembre 2018)

     

    Note :

    [1] Chanson que l’on peut retrouver ici : https://www.youtube.com/watch?v=jh0blLPg3z0

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  • Gilets jaunes ou sombres machinations ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de François-Bernard Huyghe, cueilli sur Huyghe.fr et consacré au mouvement des gilets jaunes, dont la première mobilisation doit avoir lieu le 17 novembre. Spécialiste de la guerre de l'information, François Bernard Huyghe, auteur de nombreux livres, a récemment publié La désinformation - Les armes du faux (Armand Colin, 2015) et Fake news - La grande peur (VA Press, 2018).

     

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    Gilets jaunes ou sombres machinations ?

    Nous saurons samedi si le mouvement des gilets jaunes fera un flop (parce que difficile à organiser sans appareil politique ou syndical) ou s’il coagulera, comme c’est plus vraisemblable, une exaspération monstre qui ne surprend que ceux qui n’en participent pas.

    La riposte gouvernementale s’articule autour de deux arguments simples :
    - Ce n’est pas notre faute- nous faisons le maximum pour vous soulager- et, de toute façon, à long terme, il n’y a pas d’alternative (argument de nécessité)
    - Attention, vous allez être manipulés par les extrémistes (argument des intentions et conséquences)

    Sans discuter sur le fond l’argument 1 (part des taxes dans le prix du litre et répartition des fonds supplémentaires collectés, répercussion de la baisse du baril etc.), force est de constater qu’il tombe assez à plat. Moins par l’argumentaire qu’il développe que par la relation qu’il instaure. Le ton pédagogique est employé pour démontrer aux malheureux (qui voient bien ce que leur coûtent de plus leurs trajets quotidien) que tout cela n’est qu’une perception relative : le carburant a déjà été plus cher, il faut comparer à d’autres pays, la part des taxes revenant à l’Etat est à évaluer par rapport à son usage et aux avantages que vous en retirez…

    C’est l’air bien connu de. : c’est plus complexe, il ne faut pas faire d’amalgame. Certains de ces considérations relativistes ne sont pas délirantes , mais le message que retiennent les usagers mécontents est surtout qu’ils sont traités de débiles. La réalité qu’ils éprouvent est dévaluée au nom de la vérité supposée des chiffres. Mieux : ils leur sont retournés dans la figure pour leur démontrer qu’ils ne comprennent pas leur véritable intérêt. Qu’ils sont aveuglés et peut-être un peu stupides.

    C’est dit implicitement ou explicitement. Dans le genre « antibeauf », le compte Twitter de Jean Quatremer de Libération est assez représentatif de cette stratégie de l’insulte. Elle consiste à systématiquement qualifier le contradicteur (faux pauvres mais vrais stupides, haineux, manipulé par l’extrême droite, ou lâches, anonymes, se faisant représenter une dame qui croit à l’astrologie ou autres coquecigrues). Il est connu que ces niais sont victimes de fake news et de discours complotistes. Et en choisissant bien ses adversaires (le tweet le plus excité et le plus mal orthographié), on peut trouver de quoi justifier son mépris de classe.

    L’argument 2, la manipulation d’extrême-droite (voire une petit peu d’extrême-gauche), fonctionne sur le principe d’un complotisme anti complotiste. Son postulat : les gens ne pourraient pas mal penser s’ils n’y avait pas de mauvaises gens pour les faire penser faux. Du fait qu’ils ne croient pas la même chose que le dirigeants et les élites, ou du moins que les médias mainstream, on déduit que les mécontents sont manipulés. Ce type de raisonnement suppose une inversion : puisque les fachos soutiennent une revendication (après coup) et qu’ils risquent d’en profiter (éventuellement), c’est qu’ils l’ont suscitée (avant et délibérément). Et comme, par hasard, les régions où il y a le plus de mécontents et gilets jaunes, se trouvent bien plus coïncider avec la France périurbaine qui se déplace beaucoup en voiture et qui vote Le Pen ou Mélenchon qu’avec la rive gauche, le suspect est confondu.

    Il faut rendre une justice à Libération dont nous venons de critiquer un représentant : un autre de ses journalistes note très justement que l’argument « à qui profite le crime, au RN, donc… » traduit surtout une incapacité à comprendre ce qu’est un mouvement de protestation lié à une expérience quotidienne. Voir la façon dont se produit cette mobilisation : par la base, de façon virale, à partir de gens qui se ressemblent et que les algorithmes des réseaux sociaux incitent de plus en plus à interagir avec leurs semblables. Sans idéologie, sans organisation hiérarchique, sans programme ? Juste la traduction d’une indignation qui se transforme en mobilisation quand elle trouve des relais pour amplifier la parole de ceux d’en bas ? Hé oui, c’est possible. Cela s’est produit à l’occasion d’autres pétitions en ligne en France (solidarité avec le bijoutier de Nice, par exemple). Et au moment du printemps arabe, ceux qui cherchent célébraient le pouvoir de la contestation spontanée en ligne sans chercher la main de qui que ce soit.
    Une fois de plus la rhétorique du mépris fonctionne sur le double principe de dévaloriser la critique en termes de vérité (les crétins qui ne comprennent pas) et d’intentionnalité (les extrémistes qui attisent le feu). Est-ce cela la pensée complexe ?

    François-Bernard Huyghe (Huyghe.fr, 12 novembre 2018)

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