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alain de benoist - Page 40

  • Alain de Benoist : « Je voudrais être sûr que la cause animale est plus affaire de sensibilité que de sensiblerie »

    Nous reproduisons ci-dessous entretien avec Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire, dans lequel il évoque la cause animale... Philosophe et essayiste, Alain de Benoist a récemment publié Le moment populiste (Pierre-Guillaume de Roux, 2017), Ce que penser veut dire (Rocher, 2017) et L'écriture runique et les origines de l'écriture (Yoran, 2017).

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    Alain de Benoist : « Je voudrais être sûr que la cause animale est plus affaire de sensibilité que de sensiblerie »

    La cause animale a beaucoup progressé ces dernières années, ce qui ne l’a pas empêchée de tomber dans des excès dont témoignent la persécution des chasseurs ou des amateurs de corrida, sans oublier la montée du « véganisme » et les attaques de boucherie. On dit que vous vivez entouré de chats. Qu’en pense l’ami des animaux que vous êtes ?

    Il s’en réjouit, bien sûr. Je ne suis pas seulement l’ami des animaux, mais quelqu’un qui les aime. L’étymologie du mot « animal » nous dit qu’il est animé, et donc porteur d’une anima, c’est-à-dire d’une âme. Je n’ai pas de mal à penser, par exemple, que la chienne Diesel, tuée lors de l’assaut du RAID mené il y a trois ans à Saint-Denis contre des terroristes islamistes, avait une plus belle âme que ceux qui l’ont assassinée ! Cependant, quand on aime les animaux, on ne doit pas non plus idéaliser leur mode de vie, comme le font tant de bobos vivant en milieu urbain. La préoccupation première des animaux, c’est de survivre au sein de la chaîne alimentaire. Lorsque mes chats croquent un mulot, cela me fait de la peine pour le mulot, mais je sais qu’un tel comportement est dans la nature des chats. Bref, si je me félicite des succès de la cause animale, je voudrais être sûr qu’elle est plus affaire de sensibilité que de sensiblerie.

    Les excès de certains animalistes sont aussi grotesque que sont monstrueux et criminels les agissements de ceux qui maltraitent (ou abandonnent) les animaux. Je suis frappé, par exemple, que des associations comme L214, qui ont eu le mérite d’attirer l’attention sur les conditions abominables dans lesquelles fonctionnent certains abattoirs, ne fassent aucune différence entre l’élevage industriel du type poules en batterie ou « ferme des mille vaches » et le traditionnel élevage fermier. D’autres ne font pas non plus de différence entre la chasse traditionnelle (et les traditions de la chasse) et le massacre des bêtes par des viandards. Ils ne veulent voir dans la corrida qu’un « spectacle cruel » alors qu’elle est d’abord une cérémonie sacrée. Je remarque, aussi, que ceux qui s’en prennent aux boucheries ne visent jamais l’abattage rituel. Et je ne dis rien des délires des végans, qui souhaitent de manière quasi terroriste nous transformer en herbivores, ce qui aurait pour conséquence de faire disparaître toutes les espèces domestiques.

    Si nos ancêtres divinisaient certains animaux ou en faisaient volontiers des attributs des dieux, est-ce une raison pour que les antispécistes nous fassent mettre désormais hommes et acariens sur un pied d’égalité ?

    L’« antispécisme » s’est formé sur le modèle de l’antiracisme ou de l’antisexisme, ce qui en montre les limites. Le terme est d’autant plus ridicule que personne ne s’est jamais déclaré « spéciste ». Mais il est surtout foncièrement équivoque. S’agit-il de dire qu’il n’y a aucune différence entre les espèces, qu’elles sont toutes « égales » ou qu’elles n’existent pas ? En la matière, on est passé d’un excès à l’autre. On a d’abord voulu faire croire que l’homme n’appartient que très marginalement à l’univers du vivant, et même que c’est en se coupant de la nature qu’il affirme le mieux son humanité. On a opposé la nature et la culture à la façon dont, auparavant, on opposait le corps à l’âme ou à l’esprit. Cette façon de voir a nourri pendant des siècles un anthropocentrisme destructeur. Ensuite, certains se sont au contraire mis en devoir de nier ce qui nous appartient en propre pour voir dans les chiens et les chats des « personnes comme les autres ».

    L’attitude la plus raisonnable est de se tenir à l’écart de ces deux positions extrêmes. L’homme est sans aucun doute apparenté à tous les vivants : il n’y a pas eu une évolution pour les humains et une autre pour les animaux ; notre ADN est, d’ailleurs, à 98 % identique à celui des chimpanzés ou des bonobos. En revanche, c’est au niveau humain que l’on voit progressivement émerger des propriétés que l’on n’observe pas ailleurs : non pas la conscience de soi, par exemple, mais la conscience de sa propre conscience ; non pas l’histoire, mais la conscience historique.

    On parle aussi beaucoup des « droits des animaux ». On parle aussi, d’ailleurs, de la nécessité d’accorder bientôt des droits aux robots ! Une approche justifiée ?

    Le langage des droits a, aujourd’hui, tout envahi. Pour les auteurs libéraux, l’homme se caractérise par le droit d’avoir des droits, après quoi cette définition a été étendue à tous les vivants (en attendant de l’être aux robots), alors que ces deux propositions sont absurdes. Le grand théoricien des droits des animaux, le philosophe utilitariste australien Peter Singer, soutient que les animaux possèdent des droits au seul motif qu’ils sont des êtres « rationnels » et conscients d’eux-mêmes. Or, l’animal ne peut être sujet de droit pour l’évidente raison qu’il est incapable de faire lui-même valoir ses droits.

    Dans sa Métaphysique des mœurs, Kant déclare froidement que « l’homme ne peut avoir de devoirs envers d’autres êtres que les hommes », ce qui veut clairement dire qu’il n’en a aucun vis-à-vis des animaux. Il rejoint ainsi Descartes, qui voyait dans les animaux de simples « automates ». Les deux approches sont inacceptables. Les animaux n’ont pas de droits, mais nous avons des devoirs envers eux, et ces devoirs sont considérables. Comme le dit Alain Finkielkraut, « jamais le lion ne se sentira responsable de l’antilope. Seul l’homme peut se sentir responsable des deux. »

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 14 août 2018)

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  • L'énigme Trump...

    Nous reproduisons ci-dessous entretien avec Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire, dans lequel il évoque l'énigme Trump... Philosophe et essayiste, Alain de Benoist a récemment publié Le moment populiste (Pierre-Guillaume de Roux, 2017), Ce que penser veut dire (Rocher, 2017) et L'écriture runique et les origines de l'écriture (Yoran, 2017).

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    Alain de Benoist : « Il y a une énigme Trump »

    La personnalité de Donald Trump n’en finit pas de dérouter les observateurs. D’un côté, on peut dire qu’il est complètement fou ; mais de l’autre, il est manifeste qu’il ne l’est pas. On le dit politiquement inculte, mais il ne manque pas non plus d’instinct politique. Est-il possible de dire qui est « vraiment » le nouveau président américain ?

    Il y a une énigme Trump. Quand on le voit brandir sa signature de paranoïaque, on a l’impression d’être en présence d’un grand malade. Quand on le voit multiplier les volte-face, on s’interroge sur ses intentions réelles. D’un autre côté, il y a de toute évidence une logique trumpienne, faite de réalisme et de brutalité, au point qu’on se demande parfois si ce n’est pas de manière volontaire qu’il joue son personnage, peut-être pour mieux impressionner. À l’époque de la guerre du Vietnam, Nixon avait agi de la sorte avec les Chinois et les Nord-Vietnamiens. « Il est parfois très raisonnable pour un prince de simuler la folie », écrivait, au VIe siècle avant notre ère, Sun Tzu dans L’Art de la guerre. Mais il faut bien le dire, « le Donald » fait plus penser au Docteur Folamour qu’au Prince de Machiavel…

    Donald Trump est, en outre, visiblement soumis (jusqu’au sein de sa propre famille) à des influences contradictoires, et il doit surtout faire face à des adversaires aussi nombreux que résolus : démocrates qui veulent prendre leur revanche, rivaux conservateurs, « néocons » toujours actifs au sein du camp républicain, classe médiatique qui rêve de le voir mort, représentants de l’« État profond », services secrets, complexe militaro-industriel, lobbies de toutes sortes. Face à la meute, il réagit souvent comme un sanglier blessé, un éléphant dans un magasin de porcelaine. Mais pour l’instant, tant qu’il n’a pas croisé la route d’un nouveau Lee Harvey Oswald, il poursuit sa route. Et comme il est difficile de ressentir la moindre sympathie pour cet establishment qui cherche à l’éliminer par tous les moyens, on ne peut se défendre d’en éprouver, au contraire, un peu pour lui. Ce qui n’empêche pas de trouver odieuses certaines de ses prises de position (par exemple, à propos de l’environnement).

    On peut au moins mettre à son crédit qu’il est l’un des rares hommes politiques à avoir mis quasiment en œuvre toutes ses promesses de campagne faites au peuple des blue collars, ces ouvriers américains en voie de déclassement. Donald Trump participe-t-il, par là, de la vague populiste européenne ?

    J’ai dit, dès son élection, qu’il fallait distinguer le personnage Trump et le phénomène Trump. Cette distinction permet de comprendre en quoi l’élection du « Donald », véritable tournant dans l’histoire des États-Unis, ne prend tout son sens qu’en référence à la vague de populisme qui est en train de monter un peu partout en Europe. « En Italie, on retrouve le même clivage qu’en France ou aux États-Unis », disait récemment Jérôme Fourquet, de l’IFOP. Le noyau dur de l’électorat de Donald Trump, ce sont en effet les blue collars et les rednecks, qui n’en peuvent plus de l’immigration, de la criminalité et de l’arrogance d’une Nouvelle Classe qui les a toujours tenus pour rien. Non seulement Trump a tenu l’essentiel des promesses qu’il leur avait faites, mais il a su donner une expression politique à leur malaise identitaire. Son style direct, qu’il décrit lui-même comme « un peu sauvage » (a little wild), est, à cet égard, un atout. Il apparaît comme du parler vrai, loin du politiquement correct et de la langue de bois. Nos politiciens sont comme les éoliennes : ils tournent dans le vide et brassent du vent. En adoptant l’attitude inverse, Donald Trump ne perd pas des voix, il en gagne.

    En politique étrangère, peut-on identifier avec quelque certitude quel est son ennemi principal ?

    Cela reste encore difficile à dire. Rappelez-vous la façon dont il est tombé dans les bras de Kim Jong-un après l’avoir agoni d’injures, et ce, sans avoir rien obtenu de concret de la part du Nord-Coréen. Trump ne raisonne qu’en fonction des intérêts américains, ce qu’on ne saurait évidemment lui reprocher. Il déteste le multilatéralisme et tout ce qui ressemble à une « communauté internationale » au sein de laquelle il se sent mal à l’aise. Il préfère les relations bilatérales. Ce peut être un gage de réalisme, mais connaît-il les dossiers ? Comme le dit Hadrien Desuin, Trump, c’est la « diplomatie du tourbillon ». On ne sait pas bien ce qu’il veut, mais on se demande aussi s’il le sait lui-même. Ce qui est sûr, c’est que les Européens ne l’intéressent guère : il a compris que, comparés aux Russes et aux Chinois, ils comptent aujourd’hui pour rien. Il semble, par ailleurs, décidé à en finir avec la guerre froide, sans doute dans l’espoir d’amener le Kremlin à prendre ses distances vis-à-vis de Pékin. Mais il se heurte à une forte opposition de son entourage.

    Au Proche-Orient, Donald Trump a annoncé que les troupes américaines quitteraient la Syrie à la fin de l’année. Cela ne fait pas l’affaire des Israéliens, qui ont en revanche applaudi à sa décision de se retirer de l’accord nucléaire avec l’Iran, décision absolument désastreuse qui impliquait aussi une déclaration de guerre aux grandes entreprises européennes, tenues de s’aligner sur un programme de sanctions sous peine d’en subir à leur tour. Ainsi s’est constitué un axe Washington-Riyad-Tel Aviv, tandis que l’armée syrienne parachève sur le terrain sa victoire militaire et que la Turquie fait bande à part au sein de l’OTAN. Lors de son dernier voyage à Moscou, Netanyahou s’est fait fort d’obtenir la levée des sanctions occidentales contre la Russie en échange d’un lâchage de la Syrie par la Russie. Poutine n’est pas tombé dans le panneau. Les naïvetés, c’est bon pour Macron.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 19 août 2018)

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  • Identité nationale et choc des cultures...

    Les éditions Odile Jacob viennent de rééditer en collection de poche un essai de Samuel Huntington intitulé Qui sommes-nous ? - Identité nationale et choc des cultures. Américain, professeur de sciences politiques à l'université de Harvard, décédé en 2008, Samuel Huntington est devenu célèbre avec son essai Le choc des civilisations (Odile Jacob, 1997).

    On pourra utilement lire l'article qu'Andrea Massari a consacré sur Polémia à cet ouvrage ainsi qu'à celui d'Alain de Benoist, Nous et les autres (Krisis, 2006) : L'identité vue par Samuel Huntington et Alain de Benoist

     

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    " Dans son œuvre fondatrice, Le Choc des civilisations, « l’un des livres les plus importants depuis la fin de la guerre froide », selon Henry Kissinger, Samuel P. Huntington soutenait qu’avec la fin de la guerre froide les « civilisations » allaient remplacer les idéologies comme facteurs de conflits internationaux. Cette vision prophétique semble s’être en partie avérée.
    Voici qu’il fait porter son analyse sur l’impact que les autres civilisations ont sur les valeurs américaines et occidentales. Le 11 Septembre a ravivé un certain patriotisme. Mais autour de quelle identité ? Quelles sont nos valeurs fondamentales ? Et quels sont les défis auxquels nous sommes confrontés au plus profond de nous-mêmes ?
    Une nouvelle fois, Samuel P. Huntington pose les termes d’un débat essentiel pour notre temps."

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  • " Du point de vue de l’idéologie dominante, l’immigration n’est pas un problème... "

    Nous reproduisons ci-dessous entretien avec Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire, dans lequel il évoque la position des Européens face à l'immigration massive... Philosophe et essayiste, Alain de Benoist a récemment publié Le moment populiste (Pierre-Guillaume de Roux, 2017), Ce que penser veut dire (Rocher, 2017) et L'écriture runique et les origines de l'écriture (Yoran, 2017).

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    Alain de Benoist : « L’Union européenne est en train de se casser sur la question des migrants »

    En s’amplifiant, la crise des migrants semble en train d’aboutir à une crise institutionnelle en Europe. Quand la fronde anti-migratoire ne concernait que des pays « mineurs » et « lointains » (Pologne ou Hongrie), la Commission européenne pouvait encore traiter cette affaire par le mépris. Mais quand c’est l’Italie, pays fondateur de l’Europe, qui tape du poing sur la table, l’affaire ne prendrait-elle pas une autre tournure ?

    Les historiens de l’avenir retiendront que l’Union européenne, qui avait survécu tant bien que mal à un élargissement hâtif, à un déficit de démocratie permanent et à la crise de l’euro, est aujourd’hui en train de se casser sur la question des migrants. C’est un tournant effectivement historique, mais peut-on s’en étonner ? Au fil des années, les pathologies sociales liées à l’immigration ont fini par occuper la première place dans les préoccupations des Européens. Les gens ne supportent tout simplement plus ce qu’ils perçoivent comme une « invasion » ou une « submersion », et ils le supportent d’autant plus mal qu’ils ont l’impression que les flux ne sont pas près de se ralentir. Plus important encore, ils ne croient plus ceux qui, depuis des années, leur expliquent doctement que l’immigration est une « chance » économique et démographique, et qu’il faut avoir le cœur singulièrement sec pour ne pas y voir aussi une « obligation morale ». Les Français sont volontiers xénophobes, mais absolument pas racistes (les Allemands, c’est le contraire). Ils savent bien que ce ne sont pas les « préjugés » qui leur gâchent la vie. Bref, ils voient ce qu’ils voient, et ils savent qu’ils le voient.

    L’Europe se disloque, mais aussi se recompose. Les pays d’Europe centrale, qui ne veulent pas se transformer à leur tour en caravansérails, se retirent du jeu. On dit qu’ils se replient sur eux-mêmes, mais ils s’associent entre eux. Non seulement les pays du groupe de Visegrád (Hongrie, Pologne, République tchèque et Slovaquie) s’opposent frontalement aux consignes immigrationnistes de la Commission de Bruxelles, mais ils ont aussi rallié l’Initiative des trois mers, lancée il y a trois ans par le président polonais Andrzej Duda et la présidente croate Kolinda Grabar-Kitarović, qui comprend également les trois pays baltes, l’Autriche, la Slovénie, la Croatie, la Roumanie et la Bulgarie. Ce bloc de douze pays et de 120 millions d’habitants, s’étendant de la Baltique à l’Adriatique et à la mer Noire, pourrait bien constituer l’embryon d’une autre Europe.

    Les sondages montrent que la question migratoire arrive depuis longtemps en tête des préoccupations des Français et des Européens, et que l’hostilité à l’immigration ne fait que croître. Pourquoi les gouvernements n’en tiennent-ils pas compte, alors que cela risque de leur coûter politiquement très cher ?

    D’abord parce qu’ils sont tétanisés par les lobbies associatifs et médiatiques, qui répètent soir et matin les mantras du politiquement correct. Ils ne veulent les affronter à aucun prix. Mais la raison la plus profonde est qu’ils sont eux-mêmes acquis à l’idéologie dominante. Or, du point de vue de l’idéologie dominante, l’immigration n’est pas un problème et ne peut pas en être un, puisque les cultures et les peuples comptent pratiquement pour rien. Seuls comptent les individus. Toute réglementation de l’immigration revient à violer le principe libéral selon lequel on ne peut accepter l’utilisation des aspects contingents de l’identité des individus, à commencer par leur origine ou leur appartenance socioculturelle, pour légitimer des « inégalités de traitement ».

    Le libéralisme aborde la question dans une optique purement économique : l’immigration se résume à une augmentation du volume de la main-d’œuvre et de la masse potentielle des consommateurs. Elle se justifie, en outre, par l’impératif de libre circulation des hommes, des capitaux et des marchandises. Un million d’extra-Européens venant s’installer en Europe, c’est donc seulement un million d’individus qui viennent s’ajouter à d’autres millions d’individus. Le problème, c’est que les habitants du pays d’accueil, eux, ne voient pas arriver des « individus » mais des contingents de Maliens, de Sénégalais, de Maghrébins, de Pakistanais, etc., dont ils constatent qu’ils sont porteurs de mœurs difficilement conciliables avec les leurs. C’est ce qui fait toute la différence.

    En Italie, l’union des populistes de gauche (M5S) et de droite (la Ligue) est une nouveauté par rapport à l’Autriche, par exemple, avec sa coalition droite-extrême droite. Ce phénomène est-il spécifiquement italien ou peut-il survenir dans d’autres pays, dont la France, toujours à la recherche de son éternelle « union des droites » ?

    Les phénomènes politiques de grande ampleur s’exportent rarement à l’identique d’un pays à l’autre, mais y prennent plutôt des formes différentes. Il en va ainsi des mouvements populistes, qui ne cessent aujourd’hui de monter dans toute l’Europe, mais qui s’y configurent de manière variable. Ils ont, cependant, un trait essentiel en commun. C’est que le sentiment d’insécurité culturelle suscité par la vague migratoire ne suffit pas à expliquer le populisme. Il ne commence à y avoir de populisme que là où l’insécurité économique et sociale s’ajoute à l’insécurité culturelle, essentiellement dans les couches populaires et dans une partie (grandissante) des classes moyennes. C’est pour cela que le clivage « exclus d’en bas contre nantis d’en haut » se substitue de plus en plus au clivage gauche-droite. Et c’est exactement ce qui se s’est passé en Italie, pays en première ligne face aux flux migratoires, mais qui a aussi été très gravement touché par la crise financière de 2008. N’en doutons pas, c’est ce qui va se produire de plus en plus ailleurs.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 16 août 2018)

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  • La famille, un refuge menacé ?...

    Nous reproduisons ci-dessous entretien avec Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire, dans lequel il évoque la famille... Philosophe et essayiste, Alain de Benoist a récemment publié Le moment populiste (Pierre-Guillaume de Roux, 2017), Ce que penser veut dire (Rocher, 2017) et L'écriture runique et les origines de l'écriture (Yoran, 2017).

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    Alain de Benoist : « La famille est certes une valeur-refuge. Mais de quelles familles parlons-nous ? »

    Pour la droite catholique et l’ensemble de la mouvance conservatrice, la famille n’a jamais été aussi menacée. Pourtant, ceux que l’on désigne comme ses ennemis n’ont, eux-mêmes, que le mot de « famille » à la bouche. Comment s’y reconnaître ?

    Tous les sondages montrent, en effet, que la famille reste, dans l’opinion, la valeur la plus sûre, on pourrait dire la valeur-refuge par excellence. Mais c’est vrai, aussi, qu’elle est constamment menacée et attaquée. C’est que, dans les deux cas, on ne parle pas de la même chose. Pour la plupart de nos contemporains, la famille est une sorte de cocon assez égalitaire où se rencontrent avant tout les sentiments affectifs du moment. Pour les défenseurs de la « famille traditionnelle », la famille s’inscrit avant tout dans la durée. C’est une structure hiérarchisée, qui renvoie à l’enchaînement des générations et vis-à-vis de laquelle on a un certain nombre de devoirs. Malgré la résonance carcérale du terme, la famille se définit alors comme la « cellule de base » de la société. Mais c’est précisément ce qu’elle a cessé d’être.

    Dans les pays occidentaux, l’époque actuelle a vu la fin de la civilisation patriarcale, qui est allée de pair avec la disparition de sociétés organisées principalement autour de l’impératif de reproduction et de l’autorité du « chef de famille » (aujourd’hui officiellement supprimée). Quatre autres faits concomitants sont également à prendre en compte : la déconsidération des valeurs « viriles », à commencer par celles du guerrier ou du citoyen-soldat, au profit d’une symbolique féminine-maternelle ; la désexualisation de la procréation, qui est désormais affaire de relations marchandes et de techniques assistées ; la « sentimentalisation », la privatisation et la désinstitutionnalisation du mariage et de la famille, à laquelle il n’est « plus rien demandé du point de vue de la formation du lien de société » (Marcel Gauchet) ; enfin, la consécration du « couple » défini comme une simple association contractuelle entre deux individus égaux en droit qui, en tant qu’association privée, n’exerce elle non plus aucune fonction sociale.

    Le concept de « famille » n’a-t-il pas évolué au fil des siècles ? Et aujourd’hui, est-il forcément le même selon les cultures et les latitudes ?

    La famille est un invariant, mais ses formes sont innombrables. Ce que beaucoup appellent la « famille traditionnelle », le trio papa-maman-enfant(s), est en réalité d’apparition tardive. La vraie société traditionnelle ne conçoit que la famille élargie, souvent jusqu’aux dimensions du clan. À partir d’une typologie rigoureuse des relations de parenté, de la tendance plus ou moins forte à l’endogamie, des normes relatives au choix du conjoint ou au partage de l’héritage, Emmanuel Todd, dont les travaux s’inscrivent dans la ligne de Frédéric Le Play, distingue plusieurs types de structures familiales, qu’il met ensuite en rapport avec les grandes tendances politico-sociales que l’on observe dans la société : la famille nucléaire absolue (libérale et indifférente à l’égalité), la famille nucléaire égalitaire (libérale et égalitaire), la famille souche (autoritaire et inégalitaire) et la famille communautaire (autoritaire et égalitaire). En France, la famille nucléaire égalitaire domine dans la partie nord. La famille souche, restée forte dans le Midi, se retrouve dans beaucoup de pays du tiers-monde, notamment le Maghreb et le Proche-Orient.

    On a souvent l’impression que beaucoup confondent les notions d’« amour » et de « famille ». Comme s’il suffisait de s’aimer pour constituer une famille, alors qu’il existe aussi des familles sans amour, parfois plus solides que d’autres. Y a-t-il là confusion des genres, si l’on peut dire en la circonstance ?

    Ah, l’amour ! « L’infini à la portée des caniches », disait Céline. « L’Hamour avec un grand H » dont se moquait Flaubert. Mais de de quoi parle-t-on ? D’éros, de philia ou d’agapè ? De l’amour pour une ou des personnes concrètes, ou de l’amour de tous, c’est-à-dire de personne ? Il est bien entendu préférable, sinon nécessaire, qu’il y ait de l’amour au sein des familles et au sein des couples. Mais cela ne suffit certainement pas à y faire régner l’harmonie. Concernant le mariage, tout dépend aussi de quelle manière on le considère : comme un contrat entre deux individus ou comme une alliance entre deux lignées. Au Moyen Âge, l’amour courtois est essentiellement dirigé contre l’institution du mariage. Dans la conception moderne des choses, où le mariage n’est qu’un contrat entre deux personnes qui s’attirent mutuellement, l’amour est évidemment l’élément-clé. Mais c’est aussi ce qui le rend fragile : on se marie parce qu’on s’aime, on se démarie parce qu’on ne s’aime plus. Il ne faut pas se le dissimuler : le mariage d’amour, qui privilégie l’intensité sur la durée, est aujourd’hui la première cause du divorce.

    C’est aussi ce primat d’un « amour » mal défini qui est à l’origine de la confusion entre Vénus et Junon. Toute amante d’un homme marié rêve de prendre la place de sa femme, comme si leurs rôles étaient interchangeables. Vous connaissez peut-être ces mots que l’on attribue tantôt à Démosthène, tantôt à Apollodore, prononcés au IVe siècle avant notre ère devant les citoyens assemblés en tribunal : « Les courtisanes, nous les avons pour le plaisir ; les concubines, pour les soins de tous les jours ; les épouses, pour qu’elles nous donnent une descendance légitime et soient les gardiennes fidèles de notre foyer. » Je trouve qu’ils contiennent beaucoup de sagesse. Les Anciens savaient la différence qui existe entre Vénus et Junon.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 8 août 2018)

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  • "La droite hésite toujours à remettre en question l'ordre en place"...

    Nous reproduisons ci-dessous entretien avec Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire, dans lequel il évoque le pseudo groupe terroriste d'ultra-droite démantelé par la police ainsi que l'affaire Benalla... Philosophe et essayiste, Alain de Benoist a récemment publié Le moment populiste (Pierre-Guillaume de Roux, 2017), Ce que penser veut dire (Rocher, 2017) et L'écriture runique et les origines de l'écriture (Yoran, 2017).

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    Alain de Benoist : « L’ultra-droite en France ? Ne refait pas la Fraction armée rouge qui veut ! »

    L’affaire Benalla l’a un peu fait oublier, mais on a récemment démantelé un « réseau d’ultra-droite » en France. Son meneur est un retraité de plus de 60 ans. Xavier Raufer, spécialiste reconnu des questions de sécurité, assure que ce n’est pas à cet âge qu’on débute une carrière de terroriste. Tout cela est-il bien sérieux ?

    Même sans les remous soulevés par les agissements d’Alexandre Benalla, cette histoire aurait rapidement été oubliée, tant elle manquait de sérieux. Elle n’a été médiatisée que dans l’espoir d’établir une fausse symétrie entre le terrorisme islamiste et les projets fumeux de quelques conspirateurs d’opérette : d’un côté 250 morts en trois ans, de l’autre des propos de comptoir. Personne ne pouvait s’y laisser prendre. Comme le terrorisme, la clandestinité ne s’improvise pas. C’est un choix de vie difficile, où il n’y a pas de place pour les pieds nickelés, les branquignols et les charlots. Elle exige une discipline féroce, des nerfs à toute épreuve, de la rigueur dans tous les domaines, un sens aigu de l’appréciation des situations. Ne refait pas la Fraction armée rouge (RAF) qui veut – surtout à une époque où les moyens de surveillance et d’investigation policières sont plus perfectionnés que jamais.

    Cela dit, il y aura toujours aussi des esprits fantasques, mais surtout un peu limités, pour rêver d’Anders Behring Breivik et de sa logique imparable : je trouve qu’il y a trop d’immigrés en Norvège, donc je tue 70 Norvégiens « de souche ». Mais Breivik a agi seul, ce qui est rarement le cas de ceux qui rêvent de guerre civile sans réaliser qu’ils l’ont déjà perdue. Ce genre de mythomanes paranos, les asiles en sont pleins. Je suis même étonné qu’il y en ait si peu qui passent à l’acte.

    À droite, la tentation de l’« action directe » n’a rien de nouveau. Mais, de la Cagoule au réseau en question, tout en passant par l’OAS, on ne saurait prétendre que tout cela ait véritablement fait un jour trembler qui que ce soit…

    D’une façon générale, la droite est assez légaliste (« la police avec nous ! »), ce qui explique qu’elle hésite toujours à remettre en question l’ordre en place – même si celui-ci, comme le disait Mounier, n’est jamais qu’un désordre établi. On pense à ce que Lénine disait de certains révolutionnaires allemands : quand ils sont chargés de commettre un attentat dans une gare, ils commencent par acheter un ticket de quai. Lorsque la droite s’engage dans l’illégalité, c’est en général sous le coup de l’enthousiasme ou de l’indignation, avec parfois le goût du panache et un certain dandysme, le goût du défi et des beaux « coups », mais surtout avec une imprudence, une naïveté et un amateurisme confondants, bref, sans grand sérieux. Sous l’Occupation, combien de réseaux de résistance ont-ils été démantelés suite à des indiscrétions, des bavardages, des rivalités, des trahisons liées à des histoires de sexe ?

    Vous citez l’exemple de la Cagoule. Il est révélateur. Le 11 septembre 1937, les « cagoulards » font sauter, rue de Presbourg, à Paris, le siège de la Confédération générale du patronat français, l’ancêtre du MEDEF. Deux gardiens de la paix sont tués. Les comploteurs n’ont pas du tout agi par anticapitalisme, mais parce qu’ils pensaient que l’armée, scandalisée par cette attaque contre le patronat, l’attribuerait aux communistes et se soulèverait pour renverser le Front populaire ! On voit le niveau politique de ces gens-là. Quant à l’OAS, comme disait quelqu’un qui savait de quoi il parlait, elle était certes armée, mais très mal organisée et encore moins secrète. Là encore, les Filochard du quai des Orfèvres n’ont pas eu grand mal à ramasser tout le monde, ou peu s’en faut. Allez donc demander à des gens sérieux comme les anciens chefs de l’Armée révolutionnaire irlandaise (IRA) ce qu’ils pensaient de leurs émules du continent…

    Et l’affaire Benalla ?

    C’est le feuilleton de l’été (plus de 25 articles ou billets sur Boulevard Voltaire !), ce qui permet de se désintéresser de tout ce qui se passe d’important dans le monde. Au-delà des démonstrations de vigueur musculaire de l’intéressé, place de la Contrescarpe et sans doute ailleurs, qui ne sont quand même pas l’affaire du siècle, la vraie question qui se pose est de savoir comment Alexandre Benalla a pu, dans l’ombre d’Emmanuel Macron, bénéficier d’une carrière météorique qui lui a donné autant de privilèges exorbitants du droit commun.

    Comment un Rambo de supermarché, apparemment incapable de contrôler ses poussées de testostérone, et aujourd’hui suspecté d’avoir voulu mettre en place un réseau de sécurité indépendant des pouvoirs publics officiels (en clair, une police parallèle), a-t-il pu se rendre indispensable au point de pouvoir injurier et humilier gendarmes et policiers pendant des mois sans s’attirer de sanctions autres que symboliques ? Comment a-t-il pu se sentir couvert aussi longtemps au plus haut niveau de l’État ? Macron est-il totalement incapable d’évaluer ceux qui l’entourent, ce qui serait déjà inquiétant, ou y a-t-il une autre raison ? Question subsidiaire, à laquelle on attend toujours une réponse : qui a fait fuiter cette affaire par le truchement de la presse ? Pour punir qui et pourquoi ? Bien d’autres hommes politiques ont accordé leur confiance dans le passé à des individus douteux, voire à des voyous dont ils appréciaient l’« efficacité » ou les capacités à jouer les « intermédiaires » dans des affaires délicates. Ils s’en sont toujours mordu les doigts.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 7 août 2018)

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