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La crise de l’école a fondamentalement des causes idéologiques...

Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire et consacré à la crise de l'école...

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« La crise de l’école a fondamentalement des causes idéologiques »

Après les incidents suscités dans les écoles par le refus de certains élèves d’observer une minute de silence en hommage aux morts de Charlie Hebdo, Najat Vallaud-Belkacem annonce le lancement d’un vaste programme de « formation des futurs citoyens aux valeurs de la République ». Elle ajoute que « les candidats professeurs seront désormais évalués sur leur capacité à faire partager les valeurs de la République ». Qu’est-ce que cela signifie ?

Les « valeurs de la République » qu’on invoque aujourd’hui rituellement se ramènent à un seul et unique concept : la laïcité. Une laïcité qui n’est pas la laïcité « prudentielle » dont parlait Émile Poulat, mais une sorte de nouvelle religion publique qui, pour s’imposer, exige que l’enfant soit soustrait à toute appartenance, à toute croyance, à toute identité héritée. C’est le principe même de la métaphysique progressiste : l’idée qu’une société libre et fraternelle ne pourra naître que de la ruine de toutes les formes particulières d’enracinement. C’est aussi l’idéal d’une société censée se composer de sujets autosuffisants, sans aucune forme d’engagement ni d’attachement mutuel autre que volontaire, rationnelle ou contractuelle. Vincent Peillon l’avait d’ailleurs dit sans fard : l’école doit « arracher l’élève à tous les déterminismes, familial, ethnique, social, intellectuel ». Pour les modernes, être libre, c’est être indéterminé.

Le postulat de base est que des élèves que l’on aura coupé de leurs racines seront plus portés à la « tolérance ». En termes clairs : les enfants d’origine immigrée se sentiront moins étrangers en France quand les jeunes Français se sentiront eux-mêmes étrangers chez eux. Ce n’est évidemment qu’un vœu pieux, car l’indistinction généralisée est fondamentalement polémogène. C’est en outre un détournement évident du rôle de l’école.

L’institution scolaire se porte déjà très mal. D’innombrables livres sont parus ces dernières années pour dénoncer la baisse de niveau d’une école transformée en « fabrique de crétins » (Jean-Paul Brighelli). La faute aux réformes ? Aux enseignants ?

Cessons de croire que les enseignants sont pour la plupart des « soixante-huitards attardés ». Ce sont au contraire dans leur immense majorité des fonctionnaires conformistes, qui gèrent les choses comme ils peuvent, leur principal souci étant de se conformer à l’injonction qui leur est faite d’éviter de « faire des vagues ». Quant aux incessantes réformes adoptées par des gouvernements de droite ou de gauche depuis cinquante ans, elles ont en général aggravé la situation. Mais il est parfaitement inutile de s’obnubiler sur elles si l’on ne comprend pas de quelle idéologie elles relèvent. La crise de l’école a fondamentalement des causes idéologiques. J’en distinguerai au moins quatre.

La première est celle dont j’ai déjà parlé. On peut la résumer d’une formule : le refus de transmettre. François-Xavier Bellamy, dans son excellent ouvrage intitulé Les déshérités, rapporte ces mots d’un inspecteur général de l’Éducation nationale qui l’avaient profondément marqué quand il était jeune enseignant : « Vous n’avez rien à transmettre » ! Dans cette perspective, la transmission de la culture est automatiquement suspecte d’« aliénation » et d’« enfermement ». La culture doit être « déconstruite » pour fonder le savoir sur la seule raison. Valérie Pecresse, ministre UMP de l’Enseignement supérieur, avait ainsi supprimé des concours d’entrée aux grandes écoles l’épreuve de culture générale, jugée « discriminatoire ». Aujourd’hui, des pans entiers de culture sont progressivement abandonnés au motif de lutter contre les « stéréotypes », en particulier dans le domaine du « genre ». La mémoire et l’identité d’un peuple disparaissent ainsi de l’apprentissage scolaire.

À cette idéologie du refus de la transmission s’ajoute très classiquement le vieil égalitarisme. Comme on se refuse à admettre que les élèves ne sont pas tous également capables, on conclut de l’égalité des chances au départ à l’égalité des résultats à l’arrivée (la totalité des classes d’âge doivent « avoir le bac »). Résultats : effondrement des niveaux, illettrisme et diplômes au rabais.

« À partir du moment où l’on interdit de transmettre la culture, au motif qu’elle est discriminatoire, écrit encore François-Xavier Bellamy, on rend l’origine sociale des élèves plus déterminante que jamais. Puisque le savoir n’est pas transmis à l’école, seuls seront sauvés ceux qui le reçoivent dans leur famille. » C’est aussi l’opinion de Michel Onfray : « L’école d’aujourd’hui tue sur place les enfants de pauvres et sélectionne les enfants des classes favorisées qui monnaient dans la vie active, non ce qu’ils ont appris à l’école, mais ce qu’ils ont appris chez eux. » Au nom de l’égalité, on a ainsi mis en place le système scolaire le plus inégalitaire qui soit. Bourdieu a produit le système qu’il dénonçait.

Troisième facteur, aggravé par le discrédit général de la notion d’autorité : le « pédagogisme » des années 1980 et 1990, dont le grand théoricien a été Philippe Meirieu (celui qui proclamait naguère qu’il fallait apprendre à lire sur les modes d’emploi des appareils ménagers). Sous prétexte de se mettre « à hauteur de l’enfant », il revient à abandonner toute logique éducative afin, comme le stipulait la loi Jospin de juillet 1989, de laisser l’enfant « construire lui-même ses propres savoirs ». Transformé en gentil moniteur-accompagnateur, le bon prof serait celui qui laisse l’élève « être lui-même » dans une école transformée en « lieu de vie ». D’où la disparition des cours magistraux (au profit des « séquences pédagogiques ») et la multiplication des « expérimentations » les plus aberrantes, qui ont encore tiré le système vers le bas.

La dernière influence est plus récente. C’est la conception utilitaire ou « managériale », qui veut que l’école existe, non pour éduquer, mais pour donner des « outils », un « bagage » pour trouver un métier. Dans cette conception purement marchande de l’école, la culture générale et les études classiques sont supprimées dans la mesure même où on les juge « inutiles ». La culture, qui est du domaine de l’être, est réduite à un « capital » aussi léger que possible, tout entier pensé dans le vocabulaire de l’avoir, le but étant de fabriquer des « individus indéterminés, indifférenciés et indifférents, acteurs et produits parfaits de la société de consommation » (Bellamy). « Du point de vue anthropologique, écrivait Pasolini, la révolution capitaliste exige des hommes dépourvus de liens avec le passé. » Au moment où l’on va vers l’instauration du « tout numérique » à l’école, cette tendance est évidemment appelée à se développer.

Des solutions ?

Si l’on veut favoriser chez les élèves de toutes origines la volonté d’appartenance à la France, il faut poser en principe que la France est d’abord une nation (avant d’être une « République ») et, comme l’a rappelé récemment Robert Redeker, que l’amour d’une nation se nourrit de deux éléments fondateurs : l’amour de la langue et l’amour de l’histoire. Or, l’enseignement de l’histoire, de la langue et de la littérature françaises a été systématiquement détruit. Ce n’est pas la « laïcité » qui va y suppléer. En dernière analyse, on ne peut faire l’économie d’une anthropologie. La question est de savoir si l’homme est ou non un être social dont la culture est inhérente à sa nature humaine, et si le propre de l’expérience humaine tient au fait que nous ne sommes pas immédiatement nous-mêmes. Tant que ces questions-là n’auront pas été posées, l’école continuera à sombrer.

Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 27 janvier 2015)

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