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  • Est et Ouest : un état de la question...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de David Engels, cueilli sur le Visegrád Post et consacré aux relations entre l'Europe orientale et l'Europe occidentale au sein de l'Union européenne.

    Historien, spécialiste de l'antiquité romaine, David Engels est l'auteur de deux essais traduits en français, Le Déclin. La crise de l'Union européenne et la chute de la République romaine (Toucan, 2013) et Que faire ? Vivre avec le déclin de l'Europe (Blauwe Tijger, 2019). Il a  également dirigé un ouvrage collectif, Renovatio Europae - Plaidoyer pour un renouveau hespérialiste de l'Europe (Cerf, 2020).

     

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    Est et Ouest – un état de la question

    En dépit de la pandémie du coronavirus qui monopolise toute l’attention médiatique, les discussions récentes autour du budget européen montrent de plus en plus clairement que la fracture la plus importante qui traverse l’Europe n’est pas celle qui la divise en Nord et Sud, mais plutôt en Est et Ouest. Cette fracture est d’autant plus importante qu’elle est inattendue, car durant les années après la chute du Mur et la réunification de l’Europe, il paraissait évident à beaucoup de spectateurs que l’Est européen allait se contenter de son rôle de « hinterland » de l’économie allemande et s’adapterait rapidement au libéralisme occidental.

    Or, depuis quelques années, il devient évident que cette « Europe kidnappée », pour citer Kundera, suit de plus en plus un chemin qui lui est propre et qui est probablement le fruit paradoxal et inattendu de ce même « kidnapping » qui a empêché ces régions de suivre l’évolution de ses voisins occidentaux et les a soumises à la chappe de plomb du communisme russe. Ceci a eu deux conséquences : d’un côté, la résistance nationale tacite des Polonais, Hongrois, Tchèques, Slovaques et autres au « grand frère » russe a maintenu en vie des facteurs identitaires comme le patriotisme, le christianisme ou les traditions nationales qui, en occident, ont de plus en plus fait place à un genre de melting-pot globaliste et américanisé. D’un autre côté, la vie sous un régime dictatorial a, pour utiliser un mot à la mode, « vacciné » les Européens de l’autre côté du Mur contre les tentations du totalitarisme et leur a appris à déceler, derrière les paroles pseudo-humanistes, derrière les décisions politiques « unanimes » ou derrière les invectives des médias, l’ombre de l’appareil autoritaire.

    Dès lors, il n’est guère étonnant que les citoyens de l’Europe orientale aient été fort étonnés de découvrir que leurs voisins occidentaux, après avoir chaudement salué les mouvements anti-communistes, les ont considérés, une fois le rideau de fer tombé, de manière de plus en plus sceptique et ont finalement commencé à invectiver les mêmes forces qui avaient amené la chute du communisme comme « nationalistes », « cléricaux », « illibéraux », « intolérants », etc. Croyant que la chute du Mur allait leur permettre de rejoindre cette « Europe des nations » ancrée dans les traditions et les valeurs gréco-romaines et judéo-chrétiennes telle que voulue par les pères fondateurs comme Schuman, le réveil a été brutal pour les nouveaux citoyens des Communautés européennes : ils ont dû constater que cette même Europe s’est de moins en moins limitée à simplement souligner la différence entre une partie occidentale « globaliste » et une moitié orientale plutôt « traditionaliste » et à œuvrer pour une meilleure compréhension mutuelle, mais a adopté une attitude de domination et tente même de toutes ses forces d’influencer la politique intérieure de ses nouveaux États membres orientaux.

    Ainsi, depuis la politisation de l’alliance Visegrád et l’élection du Fidesz en Hongrie (2010, ndlr) et du PiS en Pologne (2015, ndlr), une véritable fracture s’est ouverte entre Est et Ouest, et il est difficile de dire si, quand et comment elle pourra se refermer. Car d’un côté, les tentatives de plus en plus massives de faire tomber les gouvernements hongrois ou polonais par le biais de la Cour européenne de Justice, par une coupure des subsides européens ou par l’aide indirecte apportée par les médias et ONGs aux partis d’opposition, même si elles devaient être couronnées de succès, ne feront qu’aliéner une partie substantielle de citoyens et hypothéqueront lourdement leur soutien initial au projet européen, avec des conséquences incalculables, comme l’a montré le Brexit. D’un autre côté, la fracture s’étend maintenant de plus en plus à d’autres États européens à qui l’exemple de l’alliance Visegrád montre que l’on peut être patriote sans être nationaliste, fier de sa culture sans être chauviniste, proche de ses racines chrétiennes sans être intolérant, conservateur sans être extrémiste, et amoureux de la démocratie sans être politiquement correct – un précédant dangereux, car discréditant la narration habituelle selon laquelle tout ce qui est à droite de l’universalisme multiculturel doit mener inévitablement au fascisme.

    À ce stade-ci, et surtout après le départ de Donald Trump, il est difficile de savoir comment ce conflit continuera à évoluer, et la crise du Covid-19 a ajouté de nouvelles incertitudes, de telle manière que de nombreux spectateurs annoncent déjà la fin de l’époque « populiste ». Du moins pour les pays Visegrád, ce constat est doublement faux. D’abord, parce que les gouvernements polonais et hongrois ne sont pas « populistes » à strictement parler : avec une longue expérience du pouvoir et profondément enracinés dans des traditions culturelles encore très vivaces, ils se distinguent nettement de l’approche purement oppositionnelle et souvent plutôt libérale que conservatrice des « populistes » occidentaux. De plus, la crise du coronavirus pourrait s’avérer être un avantage relatif pour l’Est de l’Europe, économiquement plus résiliant, culturellement plus stable et financièrement moins lié à la zone euro (du moins la Pologne et la Hongrie) et donc peut-être apte à surmonter la crise mieux que bon nombre de ses voisins occidentaux.

    Même en ce qui concerne les prétendues « entorses » à l’état de droit, l’on peut supposer que, dans un futur pas tellement lointain, quand des pays comme la France ne pourront plus maintenir l’ordre et la sécurité qu’au moyen de mesures autoritaires et se seront transformés en États policiers, ce sera dans ces pays dits « illibéraux » que cette « normalité » à la fois politique et civique qui fait de plus en plus défaut en occident continuera de fleurir. Alors, la décision de maintenir une certaine homogénéité culturelle, de rester fidèle aux traditions et de ne pas se laisser intimider politiquement par Bruxelles (ou Berlin) pourrait s’avérer avoir été la bonne – à condition d’être fermement maintenue durant les années cruciales à venir…

    David Engels (Visegrád Post, 2 février 2021)

    Lien permanent Catégories : En Europe, Points de vue 0 commentaire Pin it!