Les éditions Pierre-Guillaume de Roux viennent de publier un essai de Ludovic Maubreuil intitulé Claude Sautet - Du film noir à l'Oeuvre au Blanc. Neurologue, chroniqueur pour le cinéma dans la revue Éléments et responsable du blog Cinématique, Ludovic Maubreuil est déjà l'auteur de plusieurs ouvrages comme Le cinéma ne se rend pas ou Bréviaire de cinéphilie dissidente (deux tomes). Il a également publié un livre d'entretien avec Michel Marmin, La République n'a pas besoin de savants (Pierre-Guillaume de Roux, 2017).
" Le cinéma n’échappe pas à l’alternative viciée de notre époque, toujours prise entre démesure stérile et platitude satisfaite. Les mises en scène ne savent plus qu’être hypnotiques, cherchant à toujours mieux ravir le regard, ou bien désespérément mornes, incapables de rien révéler. Les récits s’enorgueillissent de leur confusion ou bien se perdent en banalités d’usage. C’est dire l’importance de redécouvrir Claude Sautet, lui qui à l’inverse organisait minutieusement la forme de ses films, à la seule fin de délivrer une vérité particulière.
Sa mise en scène, en effet, en tout point opposée à celles, sibyllines ou creuses, de notre temps, se révèle riche de significations secrètes et cependant immédiatement accessibles. Il faut donner tort à ceux qui n’ont jamais vu dans son cinéma qu’aimables figures sociologiques et académisme bourgeois ! Car ce n’est jamais pour des raisons décoratives que s’agencent des averses, des escaliers et des vitrages, ni pour le simple plaisir de la citation que se répondent, de film en film, ces couples piégés dans les miroirs, ces rois absents de la Table Ronde, ces pères défaillants que l’on cherche à fuir et ces femmes endormies que l’on n’ose réveiller... En mettant au jour, dans l’expression de leurs personnages, quantité de traits schizoïdes et, à travers leurs couleurs principales, l’échec du Grand Œuvre alchimique, cet essai identifie le motif dissimulé au cœur de ces récits réglés : la faillite de l’être.
La si belle tristesse du cinéma de Claude Sautet, à laquelle ce livre souhaite rendre hommage, c’est alors autant la rigueur d’une mise en scène acharnée à dévoiler en toute circonstance une faille irrémédiable que la soudaine révélation de gestes ou de visages, épiphanie aussi tangible qu’insaisissable, dont l’étreinte fugace laisse bouleversé. "